Revue : Projets Féministes
numéro 1
 Mireille Beneytout

Harcèlement sexuel

Proposition de modification du code du travail

Projets Féministes N° 1. Mars 1992
Quels droits pour les femmes ?
p. 118 à 123

date de rédaction : 01/03/1992
date de publication : Mars 1992
mise en ligne : 07/11/2006 (texte déjà présent sur la version précédente du site)
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Le dispositif juridique que nous proposons en droit du travail s'intègre dans les fondements mêmes de ce droit, qui ne se rattache ni au droit public ni au droit privé, mais qui est un droit autonome régissant l'essentiel de l'activité des travailleurs et, en ceci il est le droit des salarié-e-s.

En droit du travail, l'employeur est détenteur du pouvoir de direction et du pouvoir disciplinaire. La jurisprudence et l'administration ont toujours considéré que les dispositions sur l'hygiène et la sécurité s'imposaient à l'employeur. Le harcèlement sexuel est un abus de pouvoir. Responsable de la bonne marche de son entreprise, et donc des conditions de travail, l'employeur l'est par conséquent dès lors qu'il ne veille pas au maintien d'un environnement de travail exempt de harcèlement sexuel ; sur ce fondement, sa responsabilité est aussi engagée si, informé, il laisse se perpétuer cette situation.

La responsabilité de l'employeur permet la mise en oeuvre de la réparation du dommage, mais elle doit s'accompagner de la prévention et de la dénonciation par la victime des actes de harcèlement sexuel dès leurs premières manifestations. Pour cela, les instances représentatives du personnel doivent pouvoir intervenir.

Le comité d'hygiène de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) est l'organe représentatif des salarié-es dans les domaines de l'hygiène, sécurité et conditions de travail . Il est acteur de la prévention et a pour mission de veiller à l'observation des prescriptions législatives et réglementaires.
C'est pourquoi, nous pensons qu'il lui appartient de veiller au maintien d'un environnement de travail exempt de harcèlement sexuel.
Le CHSCT est aussi détenteur d'un pouvoir d'investigation et d'enquête; dans le cas de situation de harcèlement sexuel, il doit avoir des pouvoirs reconnus lui permettant d'établir la réalité des faits.
Par ailleurs, il est important de rappeler que le rôle du CHSCT n'est pas exclusif ; il entretient des rapports avec les autres institutions représentatives du personnel. Son avis est transmis au comité d'entreprise (CE) qui peut lui-même lui confier des études sur les secteurs de sa compétence.
Le domaine du droit d'expression recoupe ses attributions et il peut être saisi par les délégué-es du personnel qui eux-mêmes peuvent exercer les fonctions du CHSCT en son absence.
Cette interaction au niveau des compétences du personnel permet de sensibiliser tous les organes représentatifs chargés de la défense des droits des salarié-e-s.

Le médecin du travail est dans l'entreprise le conseiller de l'employeur, des salarié-es et de leurs représentant-es, mais aussi l'interlocuteur des agents de contrôle extérieurs comme par exemple, l'inspecteur du travail, les agents de prévention des caisse régionales d'assurance maladie (CRAM).

La médecine du travail complète l'action préventive en matière d'hygiène et de sécurité en tendant à protéger les salarié-es. Son rôle devient essentiel en l'absence d'institutions représentatives du personnel. En outre, le médecin du travail qui exerce une surveillance médicale particulière pour certaines catégories de travailleurs, doit aussi pouvoir le faire pour les salarié-es victimes de harcèlement sexuel, car cette situation a des répercussions souvent désastreuses sur leur état physique et psychique.

La loi n° 83-635 du 13 Juillet 1983 est le premier texte, sous réserve de quelques autres dispositions parcellaires, à avoir posé le principe général de l'égalité professionnelle des hommes et des femmes. Dans ce cadre, la protection des victimes et des témoins de harcèlement sexuel doit être mise en oeuvre dans toutes les phases du déroulement du contrat de travail : embauche, qualification, rémunération, formation, résiliation...

Des sanctions pénales peuvent dès lors être prises à l'encontre de l'employeur sur le fondement de l'existence d'une discrimination.

Enfin, nombreuses sont les victimes de harcèlement sexuel qui sont licenciées à partir du moment où elles refusent cette situation, que ce refus se produise dès le début ou après acceptation sous la contrainte. Quant aux témoins, ils sont susceptibles des mêmes sanctions s'ils acceptent, par leur témoignage, de soutenir la victime. Il s'agit donc là d'une discrimination qui doit être réprimée sur le plan légal en permettant son annulation devant les juridictions civiles.

En conclusion, il est intéressant de préciser que le nouveau dispositif introduit par la loi du 18/01/1991, concernant l'assistance du salarié par un conseiller, choisi sur une liste départementale, en vue de l'entretien préalable à un licenciement, permet de renforcer l'importance de cette procédure dans les entreprises dépourvues d'instances représentatives du personnel.

En effet, des dispositions protectrices au niveau du statut et des missions du conseiller du salarié sont introduites et il résulte des travaux préparatoires au texte de loi, que le témoignage du conseiller devant une juridiction prud’homale est possible, dès lors qu'il ne porte pas sur des faits couverts par le secret professionnel.

L'application du texte devrait contribuer au renforcement de la protection des salarié-e-s victimes de harcèlement sexuel et des témoins lors d'une mesure de licenciement envisagée par l'entreprise.

Dans son rapport "Pour une Europe sociale" remis à M. Soisson, ministre du Travail , le 7 septembre 1988, Mme Aubry rappelait que l'harmonisation des politiques et droits nationaux est possible, puisqu'un modèle social existe déjà et qu'il repose, dans les pays de la communauté, sur l'intervention de l'État visant à protéger les salariés au travail notamment par des dispositions concernant l'hygiène, la sécurité, la durée et les conditions de travail. Nous pensons aussi que l'Europe sociale doit avoir pour objectif de renforcer les droits des salarié-es et de proposer un modèle qui contribue au progrès social.

Paris, le 20 Octobre 1991

PROJET DE LOI


1 - Prise en compte du harcèlement par les institutions représentatives du personnel et la médecine du travail. Responsabilité de l'employeur

A - Définition du harcèlement sexuel

Il est créé un art. L 231-20-1 pour définir le harcèlement sexuel dans le Titre III "Hygiène, sécurité et conditions de travail", section "conditions de travail ", chapitre J, dispositions générales

«Constitue un harcèlement sexuel tout acte ou comportement, sexuel ou sexiste qui, par ses manifestations verbales, visuelles ou physiques à l'encontre d'une personne, a pour but ou pour effet de porter atteinte à son droit à l’égalité dans l'emploi, à son droit à des conditions de travail respectueuses de son intégrité morale ou physique, ou de sa dignité.» 1


B - Elargissement des missions des institutions représentatives du personnel et au médecin du travail

Les articles suivants sont ainsi modifiés :

1) le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail

Art. L 236-2 al 1 :

«Le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) a pour mission de contribuer à la protection de la santé et de la sécurité des salariés de l'établissement..... ainsi qu'à l'amélioration des conditions de travail.......Il a également pour mission de veiller au maintien d'un environnement de travail exempt de harcèlement sexuel. Il a également pour mission de veiller à l'observation des prescriptions législatives et réglementaires prises en ces matières.»

Art L 236-2, al 2 : «Le comité procède à l'analyse des risques professionnels auxquels peuvent être exposés les salariés de l'établissement ainsi qu'à l'analyse des conditions de travail, incluant les situations de harcèlement sexuel pour lesquelles il prend toute mesure nécessaire permettant d'établir la réalité des faits invoqués. Il procède également à l'analyse des risques professionnels auxquels peuvent être exposées des femmes enceintes.»

2) Les délégués du Personnel. Art L422-1 :

«Les délégués du personnel ont pour mission :
- de présenter aux employeurs toutes les réclamations individuelles ou collectives relatives aux salaires, à l'application du code du travail et des autres lois et règlement concernant la protection sociale, l'hygiène, la sécurité et les conditions de travail, ainsi que des conventions et accords collectifs de travail applicables dans l'entreprise. [...]»

3) Le médecin du travail. Art. R 241-41 :

«Le médecin du travail est le conseiller du chef d'entreprise ou de son représentant, des salariés, des représentants du personnel, des services sociaux, en ce qui concerne notamment :
1° L'amélioration de conditions de vie et de travail dans l'entreprise,
2 ° Le maintien d'un environnement de travail exempt de harcèlement sexuel, et la protection des salariées contre le harcèlement sexuel l...]»

Art. R 241-50 « I indépendamment des obligations résultant des règlements pris en application de l'article L 231-2, le médecin du travail exerce une surveillance particulière pour :
-les salariés affectés à certains travaux.[...]
-les salarié-es victimes de harcèlement sexuel.
Le médecin du travail est juge de la fréquence et de la nature des examens que comporte cette surveillance médicale.»

C - Responsabilité de l'employeur

Il est créé un article L 231-10 (nouveau) pour fonder la responsabilité de l'employeur dans la section "Conditions de travail", titre III "Hygiène, sécurité et conditions de travail". 2

«Tout employeur est tenu de veiller au maintien d'un environnement de travail exempt de harcèlement sexuel et de ne pas le susciter lui même . »

Il est créé dans le titre III : "Hygiène et sécurité" une nouvelle section: section VI "Conditions de travail" et une sous-section 1 : "Du harcèlement sexuel" pour introduire l'article suivant: Art R 231-66 : (nouveau)

«Lorsqu'un acte ou un comportement de harcèlement sexuel lui est signalé, l'employeur prend, après avis du médecin du travail et du CHSCT, ou à défaut, des représentants des salariées, toutes dispositions nécessaires pour assurer la sécurité des salarié-es».

II - Protection de la personne harcelée et des témoins

Les articles suivants sont modifiés

Art. L 122-45 :

«Aucun salarié ne peut être sanctionné ou licencié en raison de son origine, sexe, situation familiale, de son appartenance à une ethnie, une nation ou une race, de ses opinions politiques, de ses activités syndicales ou mutualistes, de l'exercice normal du droit de grève ou de ses convictions religieuses.
De même, aucune sanction ni licenciement ne pourra être prononcé à l'encontre d'un-e salarié-e en raison de ses protestations ou refus opposés à un acte ou comportement de harcèlement sexuel, ou de refus suite à une acceptation sous la contrainte de relations sexuelles, de la part de l'employeur, de salariés, de personnes extérieures en relation avec l'employeur, notamment de clients , fournisseurs, invités de l'entreprise, ou en raison d'un témoignage en cas de plainte relative à ce harcèlement sexuel.
Toute disposition ou tout acte contraire est nul de plein droit.»

Art. L 123-1 :

«Sous réserve des dispositions particulières du présent code et sauf si l'appartenance à l'un ou l'autre sexe est la condition déterminante de l'exercice d'un emploi ou d'une activité professionnelle, nul ne peut :
[...]
d) Prendre une décision on concernant l'embauche, la rémunération, formation, affectation, qualification, classification, promotion professionnelle, mutation, résiliation ou renouvellement du contrat de travail, en raison des protestations ou refus du/ de la salarité-e opposé-e à un acte ou comportement de harcèlement sexuel, ou du refus suite à une acceptation sous la contrainte de relations sexuelles».

III - Sanctions Art. L 152-1: (modifié)

«Toute infraction aux dispositions de l'article L 123 -1 sera punie de deux mois à deux ans d'emprisonnement et de 2.000 F à 200.000 F d'amende ou de l'une de ces deux peines seulement. »

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Notes de bas de page
1 Les textes en italiques sont ceux rajoutés, qui modifient le code du travail.
2 Rappel des sanctions applicables à l'employeur :

-Art L263-2 : « Les chefs d'établissement, directeurs, gérants ou préposés qui, par leur faute personnelle, ont enfreint les dispositions des chapitres 1er....... sont punis d'une amende de 500 à 15.000 F. L'amende est appliquée autant de fois qu'il Y a de salariés de l'entreprise concernés parla ou les infractions relevées dans le procès-verbal visé aux articles L 611-10 et L 611-13.»

- Art L 263-4 : « En cas de récidive, ... emprisonnement de deux mois à un an et d'une amende de 2.000 F à 60.000 F ou de l'une de ces deux peines seulement.» -Art L 263-6 : « En cas de condamnation..., le tribunal ordonne -l'affichage du jugement aux portes des magasins, usines ou ateliers du délinquant -et sa publication dans les journaux qu'il désigne, le tout aux frais du délinquant. Il peut, en cas de récidive, prononcer contre l'auteur de l'infraction l'interdiction d'exercer pendant une durée maximale de cinq ans, certaines fonctions qu'il énumère soit dans l'entreprise, soit dans une ou plusieurs catégories d'entreprises qu'il définit. La violation de cette interdiction est punie d'une amende de 2.000 F à 60.000 F et d'un emprisonnement de deux mois à deux ans ou de l'une de ces deux peines seulement.»


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