Madeleine Pelletier

L’argument de l’infériorité

La Fronde
21/07/1926

date de publication : 21/07/1926
mise en ligne : 03/09/2006
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Si les femmes sont, au point de vue intellectuel, différentes des hommes, c’est surtout parce qu’on les éduque de manière différente. Si on ne donnait pas de tambours et de fusils de bois au petit garçon, il ne penserait pas à être soldat. Si on ne donnait pas de poupées à la petite fille, elle ne songerait pas à être mère de famille. Les enfants imitent les soldats et ne trouvent rien de plus enviable que de les continuer ; le fils veut être le père et la fille, la mère.

Lorsqu’on a ouvert aux femmes les portes des Facultés, on a bien vu qu’elles n’étaient pas du tout inaptes à recevoir l’enseignement supérieur. Les étudiantes égalaient les étudiants, parfois, elles les surpassaient, parce que leur esclavage social, qui continuait encore, les obligeait à se priver de distractions.

Devant toutes ces bachelières, ces licenciées, ces doctoresses, l’argument de l’infériorité de la femme aurait dû tomber. Mais les objections à la liberté du sexe féminin ne tombent pas si facilement, parce qu’au fond de l’antiféminisme, il n’y a pas la logique, mais l’intérêt des hommes, ou plutôt ce que les hommes croient être leur intérêt.

Pris en lui-même et indépendamment de toute preuve concrète, l’argument de l’infériorité des femmes ne signifie rien.

Tous les hommes sont-ils égaux ? Non, évidemment ; il y en a des grands et des petits, des sains et des malades, des intelligents et des sots. Et, en dépit de cette inégalité, tous ont au point de vue politique et social les mêmes droits ; l’homme de génie et l’imbécile déposent aux élections leur bulletin dans l’urne.

Les femmes, comme les hommes, sont inégales ; il y en a de toutes les corpulences et de toutes les intelligences et je ne crois pas qu’un antiféministe oserait soutenir qu’une femme de culture supérieure est au-dessous d’un paysan qui a eu toutes les peines du monde à apprendre à lire et à écrire.

Les droits politiques en démocratie en sont nullement fondés sur la valeur réelle ou conventionnelle de l’individu. Du seul fait que l’homme existe et qu’il fait partie d’un pays, il a le droit d’apporter sa part d’influence à la direction des affaires de ce pays.
La femme, comme l’homme, est un individu.
Le pays la connaît pour lui faire payer les impôts ; la loi vaut pour elle comme pour un homme. La voleuse qui se fait prendre va en prison comme le voleur. Il y a donc une injustice flagrante à ne laisser à la femme que les devoirs et à réserver les droits aux hommes.

Lorsque la femme ne vote pas, il n’y a pas de démocratie, mais aristocratie de sexe.

Aujourd’hui, la plupart des pays civilisés ont compris cela. L’Allemande, ménagère confinée dans sa cuisine, a le droit de vote. La Turque, dont la claustration dans le harem fait une éternelle enfant, a le droit de vote et la Française, dont volontiers, on vante le bon sens ne vote pas.


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