Madeleine Pelletier

Communisme et anarchie

L’Ouvrière
24/04/1924

date de publication : 24/04/1924
mise en ligne : 03/09/2006
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Au point de vue théorique, c’est surtout la question de l’autorité qui différencie les communistes des anarchistes.
Lénine prévoit bien un temps où l’Etat n’aura plus sa raison d’être et pourra être supprimé. Mais en attendant, les communistes, même après une révolution triomphante, jugent l’autorité et même la dictature indispensable.

L’autorité est un mal : il est toujours désagréable d’obéir et, d’autre part, commander n’est pas un plaisir sans mélange ; car il y a les responsabilités.

Malheureusement si l’autorité est un mal, on peut dire que ce n’est pas un mal nécessaire tant que l’humanité ne sera pas composée exclusivement d’individus raisonnables, ce qui n’est pas pour tout de suite.

Le gouvernement, disent les anarchistes, ne sert qu’à protéger la propriété contre les sans propriété ?

Cela est vrai, en thèse générale ; mais en sociologie, il y a à côte du grand fait général, quantité de petits faits qui ont aussi leur importance et qu’on ne saurait négliger sous peine de tomber dans l’utopie.

Le gouvernement, avec son appareil législatif et policier, protège non seulement les propriétaires, mais aussi chacun contre tout le monde.

Au début de la révolution russe, alors que tout était désorganisé, on risquait en sortant dans les rues d’être attaqué et déshabillé par les voleurs. Il en serait ainsi dans n’importe quel pays si les prisons étaient d’un coup abolies. Les criminels qui forment une petite minorité se révèleraient légion et l’absence de sécurité paralyserait toute civilisation.

Les grands théoriciens de l’anarchie, les Elisée Reclus, les Kropotkine, etc. ont écrit qu’avec un petit nombre d’heures de travail, il serait possible d’assurer à tout le monde une vie large. Les maraîchers des environs de Paris, dit Kropotkine, grâce à leur système de culture intensive, réussissent à avoir cinq ou six récoltes par an. À quelle abondance n’atteindrait - on pas si on généralisait leur procédé.

Cela n’est pas faux en principe ; mais ce qui réussit sur un espace limité n’est pas toujours possible en grand. Il est certain que, même sans envisager des progrès ultérieurs du machinisme, la production pourrait être augmentée si elle était bien organisée. Mais c’est précisément l’organisation qui est difficile.

L’organisation trouve devant elle comme obstacle les mentalités humaines : la résistance opposée par les choses n’est rien auprès de celle des hommes eux-mêmes, de leurs intérêts mal compris, de leur routine, de leurs préjugés, de leurs passions.

En supprimant la bourgeoisie oisive, en rayant du nouvel ordre social les professions inutiles, comme celles de prêtres, d’avocats, d’huissiers, et on augmenterait le nombre de travailleurs. Mais ce nombre serait loin d’être doublé, car les producteurs sont beaucoup plus nombreux que les non producteurs.

Dans n’importe quelle société, même dans le communisme anarchique, il faudra des répartiteurs qui ne produiront pas directement : il faudra des médecins, des infirmiers, des instituteurs, etc., etc. Tous ces gens, bien qu’indispensables, ne participeront pas cependant à la production industrielle ou agricole.

Dans les conditions psychologiques actuelles de l’humanité, une société sans gouvernement est inconcevable. La révolution communiste, loin d’affaiblir l’appareil gouvernemental, ne fera que le renforcer, car elle devra lutter à l’intérieur et à l’extérieur contre un monde d’ennemis qui ne désarmeront pas du jour au lendemain.  

Il est désirable qu’un jour advienne ou la simple administration des choses remplace le gouvernement des hommes ; mais auparavant, il faudra passer par une longue période de dictature du prolétariat.

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Nota bene

Ce texte ne peut être considéré comme un texte « féministe » ; il a néanmoins, compte tenu de son intérêt, été intégré dans ce corpus.


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