Madeleine Pelletier

L’Hôpital

L’Ouvrière
13/10/1923

date de publication : 13/10/1923
mise en ligne : 03/09/2006
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À l’hôpital, on va t’soigner
Si c’est drôle, on va t’ravailler

chantait jadis un poète d’avant garde.

On croit en effet dans le prolétariat que les médecins des hôpitaux font des expériences sur leurs malades. C’est une erreur, tout au moins, une grande exagération. La vivisection humaine est défendue, et les médecins n’oseraient s’y hasarder. Néanmoins, il est vrai que les malades courent des risques en se faisant soigner à l’hôpital. On peut, par suite d’un isolement insuffisant, entrer dans un service hospitalier pour une affection bénigne et en contracter une grave, par contagion. En chirurgie, le malade peut être confié à un interne, voire à un externe qui fait sur lui son apprentissage.

L’hôpital est mauvais, comme tout ce qui est fait pour les pauvres dans la société capitaliste. On se soucie peu de la vie et de la santé de ceux qui n’ont pas les quelques milliers de francs nécessaires pour payer une opération, les quelques billets bleus pour solder les visites des médecins.

La grande salle commune est un vestige des temps d’ignorance où les malades couchaient jusqu’à six dans le même lit. Le patient doit y assister à l’agonie et à la mort du voisin. Triste spectacle quand on est bien portant, spectacle terrifiant lors qu’on est soi-même menacé d’un sort identique.

La femme atteinte de maladies sexuelles doit se montrer à la foule d’étudiants qui font de son cas des plaisanteries plus ou moins spirituelles. Il lui faut se prêter à des examens intimes successifs, car les élèves sont là pour apprendre.

Nombre de chefs tutoient leurs malades et il fait dire que la plupart du temps, les ouvriers et les ouvrières ne s’en froissent pas : ils prennent cette familiarité pour de la bienveillance. Grande erreur : le médecin en tutoyant le malade de l’hôpital, exprime son mépris de grand bourgeois pour tout ce qui est pauvre. La preuve en est que le même homme se garderait bien de tutoyer les malades de sa clientèle particulière et payante.

Faut-il donc déserter l’hôpital et se faire soigner à la maison ? Ce n’est pas toujours possible. Force est d’aller à l’hôpital quand on est seul, ou quand le conjoint ou les parents sont obligés pour vivre d’être à l’usine, à l’atelier ou au bureau, du matin au soir. Si mauvais soit-elle, l’hospitalisation devient une nécessité, quand on est pauvre.

Les soins donnés à la maison sont d’ailleurs bien loin de réaliser l’idéal. D’abord, lorsque la maladie est contagieuse, il arrive que les parents soient contaminés. Lors de la grande épidémie de grippe qui a suivi la guerre, des familles entières étaient alitées. Ensuite, les malades ne sont jamais bien traités ; les parents insuffisamment instruits ne comprennent pas l’importance des prescriptions médicales et les exécutent mal, parfois pas du tout.

À mon avis, la société communiste devra soigner ses malades à l’hôpital, cela est beaucoup plus rationnel, mais l’hôpital cessera d’être mauvais, lorsqu’il sera aménagé pour tout le monde et pas seulement pour les pauvres, comme dans la société présente.
Des chambres pour un, deux, trois, quatre malades au plus remplaceront les grands dortoirs, lieux d’effroi et de contagion. Les hôpitaux ressembleront aux maisons de santé bien tenues où vont de plus en plus les riches pour se faire soigner, pour se faire opérer, pour accoucher.

Un hôpital minuscule devrait même être affecté à toute maison moderne. On pourrait y transporter les malades légèrement atteints, les blessés peu graves, les femmes en couche. Ils trouveraient là, dans deux ou trois chambres hygiéniquement aménagées tout ce qu’il faut pour leur état et une infirmière à demeure qui leur donnerait les soins nécessaires.

L’hôpital actuel est mauvais comme toutes les institutions de la société capitaliste ; c’est elle qu’il faut changer.

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Nota bene

Ce texte ne peut être considéré comme un texte « féministe » ; il a néanmoins, compte tenu de son intérêt, été intégré dans ce corpus.


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