Nelly Roussel

« Haïr »

La libre pensée Internationale1
01 / 01 / 1919

date de rédaction : 22/01/1916
date de publication : 01 / 01 / 1919
mise en ligne : 03/09/2006
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Je ne suis pas de celles qui disent : « La haine est, en elle-même, chose impie et mauvaise ; il faut l'extirper des cœurs ; c'est là notre devoir de femmes. »
Je ne suis pas de celles qui prêchent l'amour pour tous les humains, le pardon pour tous les coupables.
Si l'amour est une force, la haine en est une autre ; l'une et l'autre créent, vivifient, régénèrent.
Seulement, il faut savoir haïr, comme il faut savoir aimer. Éclairer l'amour et la haine, y faire entrer de la conscience, est une besogne de salut public.

Pour ma part, je hais, implacablement. Je ne hais point ceux qu'on m'ordonne de haïr; je ne hais point en aveugle, confondant les innocents et les criminels, toute une nation qui fut odieusement trompée.

Je hais ceux qui, des deux côtés de la frontière, sont, à un degré quelconque, responsable de la grande tuerie : pangermanistes de là-bas et « revanchards » de chez nous ; gallophobes et germanophobes, excitateurs des deux peuples pacifiques que leur instinct, comme leur intérêt, poussait à se rapprocher, à s'entendre, à travailler côte à côte au grand œuvre éternel de civilisation.

Je hais ceux qui, partout, dans notre Europe sanglante et déchirée, ont, par leurs déclamations ou leurs intrigues, jeté les uns contre les autres des millions de pauvres gens trop crédules et trop dociles.
- Oh ! oui, je les hais, ceux-là ! et contre eux je crie vengeance…

Ils ne sont pas, ils ne furent jamais qu’une poignée, ces misérables ! – levain qui fait fermenter toute la pâte, germe d’infection auquel jamais ne s’opposèrent de suffisantes mesures prophylactiques.

Pour quelques-uns qui eurent l’horrible chance de ne point mourir avant l’éclosion du monstre qu’ils couvaient, j’imagine, je veux croire, que la vue de celui-ci est déjà un châtiment. Ils en subiront un autre – un autre viendra de leurs victimes mêmes, lorsque, les yeux dessillés, et comprenant enfin l’absurdité abominable des luttes fratricides, elles trouveront dans la haine commune des «  mauvais bergers », de ces guides félons qui les conduisent à l’abîme, le premier terrain d’entente et de réconciliation.

De cette haine-là, haine justicière et généreuse, source d'amour et de bonheur, sauvegarde la Paix, il nous appartiendra, à nous femmes, d'entretenir jalousement la flamme sacrée.

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Notes de bas de page
1 Repris dans : Nelly Roussel, Paroles de Combat et d’espoir. Discours choisis.  Préface de Madeleine Vernet. Éditions de l’Avenir Social. Epône. ( S.-et-O.) 1919. Prix : O Fr. 75. 65p. p. 62 et 63.  

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