Aria Ly  *

Nos raisons. Ce qu’à fait l’homme, de tout temps1

date de publication : 01/02/1932
mise en ligne : 25/10/2006
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Pour un grand nombre d’écrivains masculins, c’est la femme qui est la plus coupable et perverse moitié de l’humanité. C’est elle qui a tous les torts et qui est responsable de tous les maux.

Cependant, Messieurs, c’est bien Masculina qui imagine, dans l’Antiquité, de faire adorer son phallus et de l’offrir à la femme en guise d’amulettes et comme bijou, sous forme de broche, de bague ou de boucles d’oreille.

C’est bien Masculina qui, un peu partout, a refusé à la petite fille le nom d’enfant et réservé ce nom exclusivement aux petits garçons, c’est-à-dire, tenté de mettre la femme hors de l’humanité. Il y a vingt ans, par exemple, on pouvait lire, dans le dictionnaire Larousse, que les mâles seuls étaient des premiers et des derniers-nés. Actuellement, il maintient cette définition pour les derniers-nés. Mais voilà qu’il devient hésitant au sujet du premier-né. Pourquoi cela ? Qu’est-il arrivé ? Les filles auraient-elles changé de nature et mériteraient-elles tout à coup de faire partie du genre humain ? On a parfois l’impression aujourd’hui que la femme est sur le point de pénétrer dans l’espèce humaine. Mais ce doit être très dangereux, car Masculina tient la porte prudemment entre baillée devant elle.

Ce sont bien les hommes qui, autrefois, en Arabie, enterraient leurs petites filles vivantes ou les vendaient comme esclaves ou encore les livraient à n’importe qui en échange d’animaux domestiques. 

Ce sont bien les hommes qui, en Chine, durant des siècles, ont virilement tué par millions les petites filles, leurs petites filles, et les ont ensuite livrées en pâture aux porcs.

Ce sont bien les hommes, monstres hors nature, qui, maintenant en Afrique, exposent implacablement dans les forêts leurs petites filles, pour que les bêtes féroces les dévorent vivantes.

Ce sont bien les hommes qui, de nos jours, dans le monde entier quand ils vont être ères, disent sans se gêner : « Pourvu  que ce ne soit pas une fille » et reçoivent souvent comme une intruse leur fille nouvelle-née, pourquoi pas nouveau-née ? C’est la femme qui souffre et risque sa vie pour donner de l’existence à tous les enfants. Mais l’homme voudrait qu’elle ne créât que des garçons.

C’est bien Masculina qui a décidé que toutes les fois que la reine d’Italie donnerait le jour à une fille, elle devrait se mettre à genoux devant son mari et lui demander pardon d’avoir mis au monde une fille et non un garçon.

C’est bien Masculina qui, dans toutes les monarchies, veut qu’on tire cent un coup de canon quand la reine met au monde un garçon et vingt et un seulement quand elle donne le jour à une fille.

Ce sont bien les Français qui ont dit : « Le royaume de France est de si grande noblesse qu’il ne doit pas aller par succession à la femelle ».

Ce sont bien les hommes, ces paysans qui, dans certaines compagnes de France, tirent des coups de fusils quand il leur naît un garçon et – tout comme les Monténégrins – m’n’appellent pas leurs filles des enfants mais leur réservent une foule de qualificatifs injurieux et haineux. Ce sont bien des hommes ces paysans qui disent à leur femme sur le point d’enfanter : « Si tu fais un garçon, tu auras du bouillon de poule, mais si tu fais une fille, tu n’auras rien et je te battrais ».

C’est bien Masculina qui, en Orient, confère au mari le droit de répudier la femme qui ne donne la vie qu’à des filles.

C’est bien Masculina qui, dans tout l’Orient, a obligé les femmes à porter un voile et les a séquestrées dans des harems d’où elles ne sortaient jamais que pour travailler la terre et faire la provision d’eau.

Ce sont bien des hommes, ces Africains qui obligent leurs femmes à accomplir seules les travaux les plus pénibles, à travailler la terre et à bâtir leur cabane pendant qu’ils se reposent à l’ombre, et qui, en outre, leur imposent tous les ans une maternité.

Ce sont bien les hommes qui enfermaient dans un sac et jetaient dans le Rummel les malheureuses jugées trop vieilles pour le harem du sultan, c’est-à-dire des enfants de 14 ou 15 ans.

Est ce que les hommes ont protesté en France quand Napoléon faisait rafler dans les grandes villes des millions de femmes et de filles pauvres pour les livrer à sa soldatesque et qu[and ]il [les] faisait ensuite noyer dans des sacs lorsqu’elles avaient été contaminées par les hommes avariés.

C’était bien un homme cet Aristote qui a attribué à la femme un rôle passif dans la génération. C’étaient bien des hommes ces théologiens qui s’appuyant sur Aristote ont dit : « L’enfant doit préférer son père à sa mère, parce que le père est un principe plus noble et que, dans la génération, c’est le mâle qui donne la vie, la femelle ne fournissant que la matière ».

C’étaient bien des hommes les législateurs qui ont imprégné nos institutions de ce lâche mensonge en plaçant la puissance paternelle au-dessus de la puissance maternelle presque inexistante.

C’est bien l’homme qui, pour justifier ses vices, a dit aux foules ignorantes : «  Croissez et multipliez ! ».

C’est bien Masculina qui, mettant la femme au ban de la société, l’a exclue de tous les sacerdoces, de la Franc-Maçonnerie, de la bourse, de l’Académie Française, etc.

C’est bien Masculina qui a imaginé cette gracieuse formule académique : « L’huissier, laissez entrer tout le monde, les femmes exceptées », à l’imitation du grand pontife romain qui s’écriait au moment du sacrifice : « Hors d’ici l’étranger, l’esclave et la femme ! »

C’est bien Masculina qui, par mépris pour la femme, a attribué son sexe à sa divinité ainsi qu’aux êtres célestes imaginaires, désignés sous les noms d’ange, d’archange, de séraphins et de chérubins.

C’est bien à cause de Masculina que les femmes de jadis, dans différentes contrées, prirent le parti de tuer leurs filles à leur naissance afin de leur épargner le sort atroce de leurs mères.

C’est bien Masculina qui a introduit dans toutes les religions des dogmes outrageants pour tout le sexe féminin. C’est bien lui qui a dépouillé les femmes de leurs droits politiques et, dans le monde entier, s’est toujours efforcé de les réduire à l’esclavage le plus absolu.

C’était bien un homme, cet avocat américain millionnaire, mort en 1931 et dont s’occupa la presse mondiale qui, après avoir professé, durant toute son existence, la haine des femmes et leur avoir fait, de son vivant, le plus de mal possible, destina, par testament, toute sa fortune, environ 120.000.000 de dollars, à la création d’une bibliothèque anti-féministe, entièrement réservée aux hommes, et ne laissa, par dérision, que quelques dollars à sa femme et à sa fille.

C’est bien Masculina qui a fixé à 15 ans, en France, l’âge auquel une fillette peut se marier, alors qu’on sait parfaitement que la maternité, qui est plus meurtrière que les guerres les plus destructrices, fait beaucoup plus de victimes chez les femmes n’ayant pas atteint l’âge de 25 ans que celles qui ont dépassé cet âge.

C’est bien Masculina qui, de temps immémorial, dans l’Inde donne aux hommes le droit d’ « épouser »,  c’est-à-dire de violer les petites filles dès l’âge de 3 ans, occasionnant ainsi d’épouvantables et permanentes hécatombes d’enfants du sexe féminin.

C’est bien l’homme qui, jusqu’à nos jours, dans différentes parties du Moyen-Orient, a interdit aux mères d’accoucher dans les maisons et les a contraintes à accoucher debout, dans les champs….À t-il eu pitié de sa mère, de sa sœur, de sa fille ? Jamais ! Jamais ! Jamais !

Ce sont bien les pères qui, au Japon, offrent à leurs filles, le jour de leur mariage, en guise de cadeau de noces, un couteau pour se tuer / Hara Kiri / en leur disant : « Ne reviens jamais chez moi ! Si tu es trop malheureuse avec ton mari, tue-toi ! mais moi, je ne veux plus te nourrir ! » Ce sont bien les hommes qui, dans ce même Japon qui détient peut-être le record de la misogynie et de l’abomination, ont décrété que la baiser d’une mère est une souillure pour l’homme. En conséquence, la mère ne doit embrasser que les pieds de ses fils ! Et quand un garçon vient de naître, toutes les femmes de sa famille : mère, grand-mère, sœurs, etc..doivent se tenir à distance «  pour ne pas déshonorer sa tête » !!! Tout cela est bien l’oeuvre et la gloire de Masculina. C’est ainsi qu’il se souvient du gémissement de sa mère à l’heure de la naissance…

C’est bien Masculina qui a eu l’idée infâme de parquer les prostituées et de réglementer la prostitution dans le but de mettre à la portée de ses congénères le plus vil des plaisirs sans ses risques.

C’était bien un homme ce Joseph de Maistre qui écrivit à sa propre fille2 qui manifestait des tendances à devenir féministe, une lettre abjecte, dans laquelle il s’efforce de la dégoûter des choses intellectuelles et de la convaincre de la soi-disant infériorité de son sexe. Et ce sont bien les hommes qui, de nos jours, reproduisent soigneusement cette page odieuse dans les anthologies scolaires dans le mâle but de fausser la mentalité de la jeunesse des deux sexes.

C’est bien Masculina qui nie le génie féminin tout en s’appropriant éffrontement les œuvres de la femme.

C’est bien Masculina qui, jadis, dans le monde entier, institue ces droits de masculinité qui lui permettaient de déshériter des propres filles et tout le sexe féminin.

C’est bien Masculina qui, dans les campagnes monténégrines, serbes et slavones oblige la femme, la mère, la grand mère, à chausser et déchausser humblement tous les mâles de la famille.

C’est bien Masculina qui, dans ces mêmes contrées, a imaginé d’imposer aux femmes, quel que soit leur âge, de ne s’éloigner qu’à reculons de la table où elles vont servir les hommes de leur famille, de cette table où seuls les mâles prennent leur repas assis, tandis que toutes les femmes, des lilianes fillettes en bas-âge aux plus blanches aïeules debout dans un coin ne peuvent se nourrir que des restes des hommes.

Ce sont bien des hommes, ces paysans serbes et bosniens qui ont coutume, lorsqu’ils sont obligés de parler d’une femme de leur famille, de dire aussitôt : « Pardon », comme lorsqu’ils parlent de leur cochon ou de quelque immondice.   

C’est bien Masculina qui, journellement, insulte et calomnie virilement la femme dans les pièces de théâtre, dans les films cinématographiques, dans les chansons, dans les cartes postales et dans les gravures de tout genre.

Ce sont bien les hommes qui, en Russie, condamnaient les femmes révolutionnaires à être violées par quinze hommes syphilitiques.

Ce sont bien des hommes ces anciens militaires de la dernière guerre qui racontent avec orgueil que lorsqu’ils rencontraient une femme sur leur chemin, ils tiraient au sort pour savoir qui la violerait le premier et que trente hommes, parfois !  perpétraient leurs forfaits sur la malheureuse….On ne la laissait que lorsqu’elle était morte… ce qui faisait bien rire tous les soldats ! Cela n’empêche pas Masculina de dire que la femme est pire et plus cruelle que l’homme.

C’est bien à cause de Masculina que les femmes ne peuvent ni sortir la nuit sans danger, ni habiter seule dans les endroits isolés. Ce ne sont pas les loups qu’elles ont à redouter. Que ne ferait pas Masculina si la femme représentait pour son sexe le mâle danger que le sexe masculin représente pour la femme !

Rien n’est plus irritant pour une femme intelligente que l’hypocrite galanterie masculine.
Puisque Masculina prétend être si galant, pourquoi par exemple réserve t-il toujours à son sexe les meilleurs et les plus beaux édifices scolaires, n’abandonnant aux filles que les locaux jugés insuffisants pour les garçons ? Que des écoles et lycées de filles sont exigus, obscurs, humides et glacés, alors qu’à côté, les garçons sont reçus dans des vastes palais inondés de lumière et bien aérés ? Et pourquoi y a t-il plus de lycées de garçons que de lycées de filles ?

C’est bien Masculina qui, en France et en Hongrie, impose à la femme mariée non seulement le nom, mais encore le prénom du mari.  

Ils ont bien eu des femmes de leur famille à aimer, tous ces députés et ces ministres qui, au lieu de protester contre les lois qui insultent la femme et l’asservissent, se rendent complices par leur silence de ceux qui les ont faites.

C’est bien Masculina qui, dans les facultés de Médecine de l’Europe, élèvent des rats, des souris blanches et autres animaux dans le but inavoué de trouver le moyen non de produire les sexes à volonté, comme il le dit, mais bien de ne produire que des garçons. À noter, en passant, que toutes ces recherches et ces expériences n’ont jusqu’à présent révélé qu’une seule chose qui est extrêmement irritante pour Masculina, à savoir qu’il faut beaucoup plus d’éléments et des éléments beaucoup plus puissants et plus riches pour créer une fille que pour créer un garçon.  Il est d’ailleurs fort regrettable qu’on ne puisse éviter de faire naître des enfants de sexe féminin, car les filles sont des êtres trop supérieures aux garçons pour mériter la honte de vivre en contact avec eux sur une planète déshonorée par Masculina.

Est-il possible qu’une femme intelligente et normale pense aux crimes séculaires de Masculina contre le sexe féminin et aux outrages infligés de tous temps à la femme par l’homme sans éclater de colère et d’indignation !

Ah ! Beaucoup d’hommes redoutent de comparaître au tribunal de leur Dieu : qu’ils redoutent plutôt de comparaître au tribunal de la justice féminine !

Il n’y a pas de lâcheté, il n’y a pas d’attentats, il n’y a pas de forfaits, il n’y a pas de cruautés que Masculina n’ait perpétrées contre la femme. Rien ne manque à la sinistre liste. Qu’est ce donc que l’homme, ô nature, qu’est-ce que donc ? Qui nous révèlera l’essence et la formule qui établira la combinaison de l’être ingrat et sinistre qui a répondu au baiser par la morsure, à l’amour et à l’abnégation par la haine et la férocité et qui  a flétri du qualificatif d’ « impur » et tente de mettre hors de l’humanité le sexe de sa mère !!!

Dans toutes les espèces animales, le mâle est certes inférieur à la femelle, mais du moins, n’est-il pas son bourreau. L’homme seul est tellement abominable qu’on peut se demander si ce néfaste monstre, si cet ennemi héréditaire de la femme est bien son véritable mâle ? La nature se serait-elle trompée ou plutôt aurait-elle été impuissante de donner à la femme un compagnon qui l’égala ?

C’est bien la femme qui aurait le droit de dire que les filles seules sont des enfants et que les garçons ne sont que d’horribles monstres.

La conduite de Masculina envers la femme est tellement ignoble et révoltante, sa férocité pour elle est si virilement monstrueuse qu’elle est capable de faire naître, dans le cœur de la meilleure des filles de la haine pour le meilleur des pères !

Une très vieille féministe de génie qui avait grandi dans un monastère, au milieu de nonnes extatiques, eut, une nuit, un rêve extravagant pour elle, car elle était athée. Elle rêva qu’elle était dans l’au-delà, au fond de l’empyrée…Une impondérable et céleste créature la conduisit au seuil du séjour des élus et lui indiqua sa place à l’intérieur, d’un doigt lumineux….La vénérable féministe allait y pénétrer, quand subitement, elle recula, bouleversée…Au milieu d’une multitude de femmes, elle venait d’apercevoir…un homme ! L’ardente féministe s’enfuit alors soudain remplie d’une inexprimable horreur, ivre de dégoût… Et elle s’écria, dans son rêve atroce : « Je refuse, Divinité, de refuse ! je refuse le paradis lui-même s’il est souillé par la présence de l’homme, n’y en eut-il qu’un ! et cet homme fût-il mon grand père, ou mon père, ou mon frère, ou mon fils !

***

Elle se perd dans la nuit des temps, l’origine de cette belle idée de la fraternité universelle de toutes les races humaines. Mais il est piquant de constater qu’elle trouve un renforcement et un stimulant dans la misogynie. En pleine guerre, Masculina s’incline plus volontiers devant un soi-disant génie masculin de la nation ennemie que devant le génie féminin de sa propre nation.

Il y a longtemps que les Français ont donné le vote et l’éligibilité aux nègres, par exemple, tandis qu’ils la refusent aux Françaises. Un nègre peut également parvenir aux plus hautes dignités ecclésiastiques, alors que les Européennes ne peuvent même pas être vicaires.

Votre patrie la plus chère, Messieurs, c’est encore votre sexe, et, contre nous, vous vous sentez tous frères. Et cet égoïste et brutal instinct de solidarité de sexe, vous l’avez étendu jusqu’aux mâles des animaux ! Oui, avec eux, Messieurs, avec les coqs, avec les taureaux, avec les étalons, avec les boucs, vous vous sentez frères contre nous. Il y a peu d’années encore, les Bosniens obligeaient les femmes à se lever au passage des bœufs pour rendre hommage dans leur personne au sexe masculin. Et, dans tous les pays, les hommes souffrent, aux concours hippiques, lorsque les juments l’emportent sur les étalons.

***

Ce n’était ni au tsar Nicolas II, ni à Tolstoï que l’on doit l’idée du désarmement international et de l’arbitrage et la fameuse conférence de la Haye, mais à une femme, la baronne Bertha de Süttner qui lança cette idée dans son admirable livre contre la guerre : « Bas les Armes ! ».3 Les femmes de tous les pays continueront à lutter pour la réalisation de ce nombre idéal de paix entre les hommes et un jour, viendra sans doute, Messieurs, où vous nous tendrez tous la main par dessus les frontières abattues, en grande partie grâce à nous. Mais il est une terrible frontière que rien ne pourra abattre et qui subsistera éternellement au sein de l’humanité. C’est la frontière des sexes.

***

Sur toute la terre, Masculina s’efforce d’inculquer aux enfants la haine d’un ou même de plusieurs ennemis héréditaires, c’est-à-dire, d’une ou plusieurs nations voisines. Mais l’ennemi héréditaire de toutes les femmes du monde, c’est Masculina. Masculina a allumé dans différentes capitales européennes une flamme qui brûle nuit et jour en l’honneur du « soldat inconnu », victime de ce qu’il appelle la « Grande guerre ». C’est  une idée de cabotin, bien digne de Masculina et de ceux qu’il prétend honorer. La plus gigantesque de toues les guerre, la plus ancienne et la plus acharnée est la guerre des sexes. Cette guerre est aussi vieille que l’humanité. Elle n’a jamais connu d’armistice. Elle existe à l’état permanent, sur toute la surface du globe, partout où se rencontre un homme et une femme.

La flamme pure qui brûle en l’honneur des victimes de Masculina brûle dans notre âme et dans notre cœur. Aucun souffle, aucun vent ne peut l’éteindre et nous n’avons rien à acheter pour l’entretenir. Ce sont les iniquités et les crimes de Masculina, c’est le dégoût qu’il nous inspire qui alimente cette flamme à perpétuité.

***

Le jour où le duel des sexes aura pris fin, le jour où nous aurons enfin obtenu l’égalité dans le droit et dans la justice, nous pourrons pardonner, mais oublier, jamais ! Non ! Jamais le souvenir de tant et de si odieux attentats ne s’effacera de notre mémoire. Il restera éternellement comme une barrière entre les sexes, une barrière que rien ne pourra abattre. C’est devant cette barrière que les femmes doivent se tendre la main et faire le serment de se souvenir. Oui ! Nous nous souviendrons. Nous nous souviendrons que nos mères, nos aïeules, nos arrières grands mères ont été asservies et insultées. Le passé est soudé au présent…. Jamais, jamais, nous n’oublierons qu’après s’être glorifié, après s’être glorieusement octroyé les titres les plus ronflants et les plus burlesques, après s’être qualifié de Divin, de Pur, d’Angélique, de Juste, d’Infaillible, d’Auguste et de Saint, après s’être fait appeler Patriarche, Pontife, Saint-Père, Seigneur, Majesté, Souverain, Altesse, Tout-puissant, Sa Sainteté et que sais-je encore, après avoir eu la prétention de ses réserver le privilège de traiter seul les questions élevées et de tout trancher en maître, ce sexe qui se pose en potentat et qui affectionne de parler par apophtegme, d’un ton sentencieux, ce sexe imposteur, fourbe et cruel nous a insultées dans toutes les langues ; qu’il a nié notre âme, qu’il a nié notre génie, qu’il  a nié notre vertu, qu’il a nié nos mérites et qu’il nous a bafouées, dupées, spoliées et méprisées.

Tout cela pour nous remercier d’avoir éveillé son intelligence et proclamé son génie. Tout cela pour nous avoir récompensé d’avoir si souvent, dans l’ombre, travaillé à sa gloire, pour nous récompensé d’avoir partagé d’un cœur sincère, non seulement ses peines, ses sacrifices, ses doutes et toutes ses souffrances, mais, ce qui a plus de valeur encore, d’avoir partagé ses plus nobles joies, le plaisir de ses succès et de ses triomphes, et ses orgueils les plus chers et ses plus intimes fiertés… Oui, c’est de cette manière que l’homme prouve sa reconnaissance envers celle qui s’est réjouie des louanges, des admirations et des enthousiasmes qu’elle a si puissamment contribué à lui susciter comme s’ils fussent montés envers elle.

***

Puis, enfin, Messieurs, puisque la femme est si épouvantablement mauvaise, si vicieuse, si impure, si abjecte, si vipérine, si dépravée, si perfide, si traîtresse, si corrompue, si atroce, si criminelle, si bête, si haïssable et si dangereuse, pourquoi vous obstinez vous à vouloir vivre avec elle ? Laissez la donc, arrangez votre vie sans elle ! Tout irait si bien pour vous… Et pour nous ! si vous preniez enfin cette décision. Mais le jour approche, Messieurs, où les jeunes filles intelligentes laisseront les fils pour compte à leur papa… Le jour approche où vous ne pourrez plus vous marier qu’avec les dernières des domestiques et des cuisinières.

Si les hommes aimaient vraiment les femmes de leur famille, ils protesteraient contre les lois iniques et infâmes qui portent atteinte à leur dignité, qui les asservissent et qui les mettent au rang des criminels, des idiots et des fous. Les fiancés ne pourraient plus supporter qu’il fût dit à la fiancée, le jour de leur mariage, que, dans la vie conjugale, « la femme doit obéissance à l’homme » 4! . Il serait intolérable aux époux que les épouses ne puissent pas même obtenir un simple passeport sans « l’autorisation maritale » ! Enfin, si les hommes aimaient véritablement leurs mères, leurs sœurs, leurs femmes et leurs filles, ils n’auraient pas, qu’ils soient juifs, catholiques ou protestants, tant de respect pour les religions qui en ont si peu pour le sexe de leurs mères.

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Notes de bas de page
1 Photocopie. Dossier Aria Ly. Fonds Bouglé. Bibliothèque Historique de la Ville de Paris. Texte inédit.
Postérieur à 1931, date citée dans le texte.  Mais la date est, ici aussi, arbitraire.
2 Note de l’éditrice : La voici :
Saint-Pétersbourg, 1808.
Tu me demandes donc, ma chère enfant, après avoir lu mon sermon sur la science des femmes, d'où vient qu’elles sont condamnées à la médiocrité ? Tu me demandes en cela la raison d'une chose qui n'existe pas et que je n'ai jamais dite. Les femmes ne sont nullement condamnées à la médiocrité; elles peuvent même prétendre au sublime, mais au sublime féminin. Chaque être doit se tenir à sa place, et ne pas affecter d'autres perfections que celles qui lui appartiennent. [...] L’erreur de certaines femmes est d'imaginer que, pour être distinguées, elles doivent l'être à la manière des hommes, il n’y a rien de plus faux.

Je t'ai fait voir ce que cela vaut. Si une belle dame m'avait demandé, il y a vingt ans : « Ne croyez-vous pas, monsieur, qu'une dame pourrait être un grand général comme un homme ? » je n'aurais pas manqué de lui répondre : « Sans doute, madame. Si vous commandiez une armée, l'ennemi se jetterait à vos genoux, comme j'y suis moi- même ; personne n'oserait tirer, et vous entreriez dans la capitale ennemie au son des violons et des tambourins. » Si elle m'avait dit : « Qui m'empêche d'en savoir en astronomie autant que Newton ? » je lui aurais répondu tout aussi sincèrement: « Rien du tout, ma divine beauté. Prenez le télescope, les astres tiendront à grand honneur d'être lorgnés par vos beaux yeux, et ils s'empresseront de vous dire tous leurs secrets. » Voilà comment on parle aux femmes, en vers et même en prose. Mais celle qui prend cela comme argent comptant est bien sotte... Le mérite de la femme est de régler sa maison, de rendre son mari heureux, de le consoler, de l'encourager, et d'élever ses enfants, c'est-à-dire des hommes... Au reste, ma chère enfant, il ne faut rien exagérer : je crois que les femmes, en général, ne doivent point se livrer à des connaissances qui contrarient leurs devoirs : mais je suis fort éloigné de croire qu'elles doivent être parfaitement ignorantes. Je ne veux pas qu’elles croient que Pékin est en France, ni qu’Alexandre le Grand demanda en mariage la fille de Louis XIV. La belle littérature, les moralistes, les grands orateurs, etc. suffisent pour donner aux femmes toute la culture dont elles ont besoin.

Quand tu parles de l'éducation des femmes qui éteint le génie, tu ne fais pas attention que ce n’est pas l'éducation qui produit la faiblesse, mais que c'est la faiblesse qui souffre cette éducation. S'il y avait un pays d'amazones qui se procurassent une colonie de petits garçons pour les élever comme on élève les femmes, bientôt les hommes prendraient la première place, et donneraient le fouet aux amazones. En un mot, la femme ne peut être supérieure que comme femme mais dès qu'elle veut émuler l'homme, ce n'est qu’un singe.

Ce texte est toujours, en 2006, cité sur Google, comme devant être l’objet d’analyses par les élèves de l’Education nationale.

3 Note de l’éditrice : Bertha Sophie Felicitas Kinsky, baronne von Suttner (1843 - 21 juin 1914), née comtesse Kinsky von Chinic und Tettau, pacifiste autrichienne, auteure en 1889 de Die Waffen Nieder (À bas les armes), lauréate, en 1905, du prix Nobel de la paix, dont elle est présentée comme ayant été l’inspiratrice.  
4 Note de l’éditrice. Il s’agit ici d’une erreur ; l’article 213 du code civil posait : « Le mari doit protection à sa femme, le femme doit obéissance à son mari ».

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