Eugène Pottier

Contremaître de fabrique1

date de rédaction : 30/11/-1
mise en ligne : 29/09/2009
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Comme un pacha, j'ai mon sérail ;
Ma belle enfant, je veux t'y mettre,
Contremaître est pire que maître,
Si tu dis : non ! pas de travail !


Les blondes, les rousses, les brunes,
Tout y passe ; on n'est pas, mon cœur,
Le contremaître, pour des prunes,
J'exerce le droit du seigneur.
Que ce soit chose convenue,
Nous nocerons aux bons endroits,
Il faut payer ta bienvenue,
Je ne fais pas de passe-droits !


Tes lèvres sont comme deux fraises,
Mais tu boudes, je le vois bien ;
Mes pièces, dis-tu, sont mauvaises,
L'ouvrière n'y gagne rien !
Si c'est pour cela que tu pleures,
J'en ai d'un autre numéro,
Si tu veux choisir les meilleures,
Viens me trouver dans mon bureau.


Mon nez bourgeonne et se culotte,
Que veux-tu, c'est le vin du cru
... ... ... .……………….
... ... ... ... ... ... ... ... ...>2
Les plus sages me font des mines,
Pour moi se prennent les cheveux.
Vois déjà ce tas de gamines,
J'en fais déjà ce que je veux.


Mais je suis bon diable, ma biche,
Si j'enfile...mon chapelet,
Mariée ou non, je m'en fiche,
Épouse ton Jean, s’il te plait !
Un mari geint, puis se résigne ;
D'ailleurs s'il vient à broncher
Sur son livret, je mets un signe. Malin, s'il vient à s'embaucher !


Quand tu passeras ma protégée
Tu la couleras douce ici :
Au travail, la mieux partagée
D'honneur, tu me diras merci !
Pour la prime, je suis sévère,
Faire produire est mon orgueil,
Les patrons ne s'en privant guère,
Du côté des moeurs ferment l'œil !


Vous vivez tous de la fabrique,
Le père et la mère sont vieux,
Tes frères parlent politique,
Tous à saquer sans tes beaux yeux.
À leur profit, sois bonne fille,
Le ménage n'est pas rupin,
Fais au moins ça pour la famille :
Tu leur ferais perdre le pain !


Comme un pacha, j'ai mon sérail ;
Ma belle enfant, je veux t'y mettre
Contremaître est pire que maître,
Si tu dis : non, pas de travail !


Retour d’exil 1881.

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Notes de bas de page
1 Eugène Pottier, Ouvrier, Poète, Communard, Auteur de l’Internationale. Œuvres Complètes réunies et présentées par P. Brochon. François Maspero. 1966. 254 p.145, 146.

Ce texte est légèrement différent de celui, découvert dans Le Père Peinard, que j’avais publié dans : Le droit de cuissage.  

2 Deux vers manquant sur le manuscrit.

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