Marie-Victoire Louis ,  Sylvie Cromer  et  Odile Krakovich

Réforme du code pénal

Entretien avec M. Sapin, Ministre délégué à la justice, concernant la réforme du code pénal.

Projets Féministes N° 1. Mars 1992
Quels droits pour les femmes ?
p. 87 à 103

date de rédaction : 01/03/1992
date de publication : Mars 1992
mise en ligne : 07/11/2006 (texte déjà présent sur la version précédente du site)
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[Michel Sapin, Ministre délégué à la Justice responsable du dossier de la réforme du code pénal, a bien voulu nous recevoir, le mardi 3 Septembre 1991. N'ayant pas le temps de répondre précisément et immédiatement aux questions que nous lui avons apportées par écrit, il ne nous a fait parvenir ultérieurement que ses réponses aux 5è -6è et 7è questions. Nous publions toutefois l'intégralité de nos questions1.]

***

1ère Question : Le nouveau code pénal a pour mission et ambition d'être le code du 3ème millénaire.  Dans ce cas, pourquoi les débats au Parlement, selon l'avis du président Taittinger," n'ont-t-ils pas été formidablement organisés", pourquoi ont-ils globalement duré si peu de temps (7 jours au Sénat, 2 jours de traditionnellement faible participation des députés à l'Assemblée Nationale)? Pourquoi n'a-t-il pas été fait appel à des personnalités qualifiées, à des experts? Par ailleurs, pourquoi le Sénat à-t-il bénéficié d'un régime de faveur: plus de temps dévolu à la commission des lois, aux débats et projet de loi examiné en première lecture.
La lecture des débats à l'Assemblée apparaît dès lors vidée de sens, à l'exception du travail de déconstruction des propositions les plus réactionnaires du Sénat, sur l'avortement et l'homosexualité par exemple.

(Sans réponse)

2ème question : Nous avons été frappées à la lecture des débats et ports par l'absence de certains thèmes:

- Les violences conjugales, qui à aucun moment ne font l'objet de débat (contrairement à l'avortement, au sida, au harcèlement sexuel), alors qu’une  campagne gouvernementale avait avancé le chiffre - non démenti - de deux millions d'hommes qui violentent "leurs" femmes ?
Vous avez avancé le concept de "délinquance homicide de masse" pour la délinquance routière et les accidents du travail.
Ne pensez-vous pas que l'importance quantitative de cette violence aurait mérité plus que quelques alinéas ?

- Les violences par inceste.

- Les enlèvements d'enfants.

- Les agressions sexuelles (au delà du débat sur le vocabulaire "atteinte » "agression").

- La prostitution, le proxénétisme, le commerce des femmes.

- La pornographie, alors que les agressions sonores sont pénalisées

Pouvez-vous nous expliquer pourquoi ces thèmes qui concernent, comme vous l'avez dit pour le sida, "tout le monde et chacun d'entre nous", n'ont été l'objet ni de débats, ni d'articles spécifiques dans le code ? Ces thèmes étaient-ils trop explosifs, y compris au sein des partis, pour être l'objet d'un débat démocratique ? Cette absence n'est-elle pas dommageable pour le fonctionnement démocratique, alors que les analystes reconnaissent par ailleurs qu'ils deviennent des enjeux politiques majeurs ?
Vous avez affirmé que ce code devait "afficher plus clairement la hiérarchie de nos valeurs." Pouvez-vous nous préciser comment les critères de choix des thèmes nouvellement introduits ont été privilégiés ?
Ont-ils évolué et comment - depuis le projet de réforme Badinter?

(Sans réponse)

3ème Question : - Les analyses sur les thèmes de l'avortement sont posées pratiquement dans les mêmes termes qu'il y a 20 ans. En ce concerne les violences, et notamment les viols, les interprétations données par MM. Jolibois, Millaud et Dreyfus-Schmidt apparaissent même inacceptables; elles n'ont pourtant pas, sur le fond, été contestées. Or, l’émergence du thème des violences contre les femmes est dans le monde l'un des thèmes majeurs des nouvelles mobilisations de femmes, tandis que, parallèlement des recherches notamment anglo-saxonnes, féministes ou non, ont littéralement explosé sur ces sujets depuis une vingtaine d'années. Les rares références sont uniquement d'ordre littéraire, à deux seules exceptions près, le meurtre d'une petite fille et un cas d'un homme ayant eu "une aventure" avec une femme qui savait qu'elle avait le sida. Or, nos journaux regorgent de descriptions d'assassinats, de violences sexuelles essentiellement à l'encontre de petites filles, de femmes, jeunes, moins jeunes ou âgées, mais aussi et de plus en plus d'hommes.
Pensez-vous que la nouvelle "hiérarchie des valeurs" prônée par ce nouveau code puisse faire l'impasse sur cette réalité et répondre aux problèmes que la société française se pose ?

(Sans réponse)

4ème Question : Vous avez dit : "S'il nous faut résumer d'un mot l'idée de cette réforme, nous dirions qu'il s'agit de mieux protéger les droits de l'homme."
Les député-e-s communistes ont à plusieurs reprises fait la critique d'un choix du "tout carcéral". Plus fondamentalement, peut-on concevoir un code pour "punir les déviances", en se ne fondant que sur des interdictions, sans poser préalablement et explicitement les droits et libertés de la personne ?

(Sans réponse)

5 ème Question : Pensez-vous que l'on puisse poser des "droits de l'homme", en occultant le fait que ces droits sont, depuis des siècles, porteurs de droits des hommes sur les femmes ? Que pensez-vous du fait que les femmes ne sont à aucun moment traitées en tant que sujets de droits - ni même en termes de victimes - mais en tant que personnes à protéger ? En ce qui concerne l'avortement, elles sont même considérées par M. Kiejman, comme dépourvues "de libre arbitre".

En revanche, en ce qui concerne les atteintes sexuelles, le gouvernement a refusé le principe de l'aggravation de peines si la personne abuse de l'autorité que lui confère ses fonctions, a repoussé l'article concernant les agressions sexuelles pour les personnes âgées de 15 à 18 ans, au nom de l'argument selon lequel ces mineur-e-s légaux doivent être traité-e-s comme des majeure-s sur le plan sexuel, "car ils avaient une maturité suffisante". Et, en ce qui concerne cette majorité sexuelle, le principe selon lequel les filles seraient plus "évoluées" que les garçons n'a été remis en cause par personne.

Ni l'inceste, ni les violences conjugales ne sont - ne serait-ce que nommées- dans le code, alors que des sénateurs ont tenté de maintenir les d'avortement. de parricide, de bigamie… (termes que le gouvernement ailleurs, repoussés).

Autre exemple: la peine de "délaissement d'enfant", qui est essentiellement le fait de femmes seules, a été aggravée : elle est punie de 5 ans de prison 700.000 F d'amende, tandis que "l'atteinte à la garde des mineurs" qui est essentiellement le fait des pères est punie, par contre, d'un an de prison et de 100.000  F. d'amende.

Le rapporteur de la loi au Sénat a présenté, pour sa part, ce code comme un code de protection de la famille et des mineurs. Ne pensez-vous que, malgré certaines timides avancées, ce code, par ses lacunes, révèle sa volonté de maintenir une structure familiale patriarcale, interrogeant fort peu les pouvoirs du chef de famille ?
Sinon comment expliquer alors que l'enlèvement et la séquestration d’une personne soit punie de 20 ans de réclusion~ alors que cette réalité dans le cadre familial ne soit punie que d'un an de prison ?
Ne risque-t-on pas de penser alors que l'on protège mieux les adultes - pour ne pas parler des chefs d'entreprise longuement évoqués lors de la discussion - que les enfants ?
Comment expliquer, dans le même sens, que l'incitation des mineurs à la débauche disparaisse alors que sont introduits deux nouveaux articles concernant l'incitation des mineurs au suicide, à la consommation d'alcool ou de stupéfiant ?
Quelle est ici la morale de référence ?

Réponse de M. Sapin

- Sur la situation des femmes

Dans la mesure où le code pénal ne fait aucune discrimination selon le sexe de l'auteur ou de la victime de l'infraction, il est normal que les femmes pas plus que les hommes, ne soient pas considérées de manière spécifique.

À cet égard, il faut rappeler que les dispositions relatives aux violences conjugales, au harcèlement sexuel et aux discriminations fondées sur sexe, ne sont pas conçues seulement pour la protection des femmes, mais qu'elles ont vocation à s'appliquer de manière symétrique aux personnes de l'un ou l'autre sexe.

Le projet a, d'ailleurs, supprimé les dernières dispositions de caractère  discriminatoire contenues dans le code actuel. Ainsi l'infanticide se trouve désormais réprimé de la même façon, qu'il ait été commis par la mère de l'enfant ou par une autre personne.
De même, l'interruption de grossesse de la femme enceinte sur elle-même -seule incrimination visant exclusivement les femmes - se trouve dépénalisée par le projet.
La situation particulière de la femme est prise en considération dans les cas où, pour des raisons objectives, il est nécessaire de la faire. Ainsi en est-il notamment dans la définition de la personne vulnérable. La vulnérabilité tendant à l'état de grossesse est évidemment propre aux femmes.

- Sur les atteintes sexuelles

1- Le Gouvernement ne s'est nullement opposé, en matière d'atteintes sexuelles, au principe d'une aggravation des peines lorsque les faits ont été commis par une personne abusant de l'autorité que lui confèrent ses fonctions.

En effet, cette cause d'aggravation était prévue dans le texte initial du projet. Le Gouvernement ne l'a jamais remise en cause au cours des débats, bien au contraire, puisqu'il a déposé un amendement, adopté par le Sénat en première lecture, tendant à réprimer les atteintes sexuelles sans violence commises sur les mineurs de plus de quinze ans, notamment dans le cas où ces atteintes sont le fait d'une personne "qui abuse de l'autorité que lui confèrent ses fonctions". (cf. article 227-18-1).

2 - Le gouvernement n'est pas favorable, en matière d'agressions sexuelles, à la proposition consistant à réserver un sort spécifique aux mineurs de plus de quinze ans. Il serait en effet très artificiel d'introduire une distinction supplémentaire (qui n'existe pas dans notre droit actuel ) fondée sur l'age de la victime. Selon le texte adopté par le Sénat, une même agression sexuelle serait punie de 10 ans d'emprisonnement si la victime est âgée de 15 ans, de 7 ans, si elle est âgée de 16 ans et de 5 ans si elle est âgée de 18 ans...
Ces distinctions paraissent bien subtiles et risquent d'être arbitraires.

En réalité, il faut bien comprendre l'économie des dispositions du projet telle qu'elle a été rappelée par le Gouvernement devant l'Assemblée Nationale en première lecture.
Jusqu'à quinze ans, la loi pose en quelque sorte une présomption irréfragable de vulnérabilité du mineur qui justifie une aggravation des peines.


Au-delà de quinze ans, toute protection particulière n'est évidemment pas retirée au mineur. Mais la loi confie au juge le soin d'apprécier, au cas par cas, si, compte tenu de sa constitution et de son développement, le mineur peut ou non être considéré comme une personne vulnérable.
Dans l'affirmative, les sanctions seront aggravées comme s'il s'agit d'un mineur de quinze ans.

Un tel système a l'avantage de la souplesse et paraît plus adapté à la réalité qu'une division en "tranches d'âge" quelque peu arbitraire.

3 - Le fait que le Gouvernement n'ait pas combattu les propos tenus au cours des débats selon lesquels les filles seraient en matière sexuelle plus évoluées que les garçons ne signifie nullement qu'il les ait approuvé. Le texte du projet qui ne fait aucune distinction selon le sexe des adolescents pour fixer le seuil de l'aggravation de la répression constitue une indication très claire de la position du Gouvernement sur ce point.

- Sur l'inceste et les violences conjugales

Si les termes "inceste" et "violentes conjugales" ne sont effectivement pas reproduits dans le projet, il n'en demeure pas moins que les agissements désignés par ces termes sont réprimés par les dispositions nouvelles.
L'utilisation de ces expressions serait d'ailleurs juridiquement incorrecte.
En effet, le terme "conjugales" évoque la situation de personnes mariées alors que le texte réprime également les violences entre concubins
Le terme "inceste" ne paraît pas quant à lui très adapté dans l'hypothèse - prévue par texte - de relations sexuelles entre un parent adoptif et son enfant. De plus, il pourrait créer une confusion en laissant croire qu’il existe une prohibition générale de l'inceste alors que les relations "incestueuses" ne sont incriminées que dans la mesure où l'enfant est encore mineur.
Le fondement des dispositions nouvelles, comme celui des dispositions actuelles, n'est en effet pas exclusivement d'ordre moral.
Il réside également dans l'idée que le mineur ne peut avoir librement consenti à une relation incestueuse, le code posant en ce cas une sorte de présomption de violence morale.

- Sur le délaissement d'enfant

Le Gouvernement, conscient du fait que le délaissement d'enfant est souvent commis par des personnes démunies, a déposé en deuxième lecture  devant le Sénat un amendement repoussé par la Haute Assemblée - tendant à ramener le maximum de l'amende de 700 000 francs à 100000 francs. En revanche, il n'a pas proposé de diminuer la peine d'emprisonnement de 7 ans prévue par le texte, le délaissement d'enfant - c'est-à-dire son abandon physique - étant susceptible de revêtir une très grande gravité.
Il faut tout d'abord souligner que le délaissement peut être le fait de personnes ne se trouvant pas en situation de détresse ou qu'il peut être commis dans des conditions particulièrement scandaleuses qui exposent l'enfant à de très graves dangers.
Ces situations peuvent mériter une sanction sévère.
Enfin, le texte tient compte de la diversité des situations puisqu'il réserve le cas où "les circonstances du délaissement sont de nature à assurer la sécurité et la, santé de l'enfant."
Dans une telle hypothèse, soit l'infraction ne sera pas constituée (texte de l'Assemblée Nationale), soit la peine sera ramenée à six mois (texte du Sénat).

- Sur la structure familiale patriarcale

Quelles sont "les lacunes" du nouveau code qui témoigneraient de la volonté de maintenir "une structure familiale patriarcale ?"
Aucune disposition - semble-t-il - n'accorde de privilèges, protection, droits ou pouvoirs particuliers au père de famille.
Il est vrai qu'il n'en est pas davantage qui lui en retire.
Mais cela s'explique sans doute par le fait que, dans le droit actuel, il n'en possède pas.
À vrai dire cette question ne relève pas du droit pénal, mais de l'évolution des mentalités et de la société.

- Sur l'enlèvement de mineur

Les dispositions relatives à "l'enlèvement" de mineur sont nécessairement complexes.
Tout d'abord, il faut tenir compte du fait que de tels agissements ne portent pas seulement atteinte à la liberté du mineur mais également à l'autorité parentale, si bien que l'infraction peut être constituée alors même que le mineur serait consentant, dès lors qu'il y a opposition de la personne investie de l'autorité parentale.
Il est cependant bien évident que, si l'infraction se réduit à une atteinte à l'autorité parentale, elle présente une moindre gravité.

Par ailleurs, les faits concernant les mineurs sont souvent commis à l'occasion de conflits familiaux qui opposent les parents de l'enfant dans le cadre d'une procédure judiciaire. Il est à l'évidence impossible d'assimiler les faits commis dans un tel contexte à des actes d'arrestation arbitraire, de séquestration.

Aussi, comme le code actuel, les dispositions nouvelles réservent un sort particulier - pour les punir moins sévèrement - aux actes commis soit dans un contexte de conflit familial, soit en, dehors d'un tel contexte mais avec le consentement du mineur.

Mais dans les autres cas, lorsqu'il s'agit, à proprement parler d'arrestation ou de séquestration arbitraire, toute spécificité disparaît et les adultes ne sont nullement "mieux protégés" que les mineurs, bien au contraire.

En effet, les dispositions des articles 224-1 et suivants qui punissent tels faits de peines comprises entre 20 ans de réclusion criminelle à perpétuité étaient, dans le projet initial, applicables que la victime soit majeure ou mineure. Dans le souci de marquer la gravité particulière de ces faits lorsqu'ils sont commis sur la personne de mineurs, le Gouvernement a déposé un amendement adopté par le Sénat en deuxième lecture tendant à aggraver les peines dans une telle hypothèse.  

- Sur l'excitation de mineur à la débauche

Le Gouvernement est en effet opposé à ce que soit reprise l'incrimination, à la fois vague et désuète, "d'excitation de mineur à la débauche » conçue à une époque où le proxénétisme n'était pas réprimé de manière spécifique.

Mais cela ne signifie pas que le Gouvernement ait renoncé à réprimer les agissements visés par cette incrimination.
Il souhaite simplement que l'infraction soit modernisée et mieux définie, de manière que le nouveau code soit sur ce point à la fois plus lisible et plus expressif. C'est l'objet de l'article 227-17 du projet.
Toutefois, il est apparu au cours des débats que le souci de moderniser et de préciser la définition des agissements incriminés avait conduit à cantonner de manière excessive le champ d'application de la répression.

Aussi, conscient des insuffisances du texte initial, le Gouvernement a déposé, en deuxième lecture devant le Sénat, un amendement tendant à mieux assurer la protection de la dignité et de la moralité des mineurs sans pour autant revenir à la rédaction de l'actuel article 334-2.
Cet amendement, repoussé par la haute Assemblée, devrait être soumis à l'Assemblée Nationale qui doit examiner le texte en deuxième lecture d'ici la fin de la présente session.

6ème Question : Certains arguments nous sont apparus critiquables:

Concernant les infractions :
Comment peut-on arguer qu'une infraction ne doit pas être poursuivie
- Parce qu'elle est « difficile à caractériser » (concernant le proxénétisme et le harcèlement sexuel) ?
-  Parce qu’elle recouvre des "situations fort différentes" (à propos des atteintes sexuelles) ?
- Qu'il est "difficile de porter plainte " (Concernant le rôle imparti aux juges) ?

Comment peut-on employer l'argument du maintien d'une lourde pénalisation eu égard au fait que les juges ne l'appliqueront pas ? (concernant le délaissement d'enfant)

Par ailleurs, à plusieurs reprises, il nous est apparu que les parlementaires - faute de pouvoir trancher un débat - s'en remettaient à l'appréciation des juges.

Réponse de M. Sapin

- Concernant les infractions

Il ne peut évidemment être soutenu qu'une infraction ne doit pas être poursuivie parce qu'elle est difficile à caractériser, ce qui peut parfois être le cas en matière de proxénétisme et de harcèlement sexuel.

S'agissant plus particulièrement du harcèlement sexuel, terme qui recouvre une réalité sociale que le Gouvernement ne songe pas à nier, il doit être remarqué pour quelles raisons il est relativement difficile d'en faire une infraction pénale spécifique :
- le terme de harcèlement sexuel recouvre des situations différentes de gravité variable : est-il dès lors justifié de prévoir une infraction unique assortie d'une peine unique?
- il y a très peu de plaintes déposées sur le fondement des textes actuels, qui recouvrent pourtant de nombreux cas de harcèlement sexuel (voies de fait, discrimination fondée sur le sexe, attentat à la pudeur - infraction évidemment reprises par le nouveau code; -) cela ne signifie-t-il pas la réponse au harcèlement sexuel ne relève pas exclusivement du droit national ? Toutefois, le Gouvernement s'est montré favorable à la création d'une infraction nouvelle, dès lors que celle-ci a pour objet de combler d'éventuelles lacunes du droit pénal actuel.
De ce point de vue, il apparaît que le texte voté par l'Assemblée Nationale, qui a été légèrement modifié par le Sénat, répond aux légitimes préoccupations de tous ceux et de toutes celles qui veulent combattre harcèlement sexuel.

- Concernant le rôle imparti au juge

D'une façon générale, il est normal que le Parlement s'en remette pm fois à l'appréciation des juges - c'est la conséquence du principe de la séparation des pouvoirs - non pas lorsque le législateur ne peut trancher un débat, mais lorsqu'il estime que certaines questions soulevées par ce débat relèvent de considérations de fait que seul le juge est à même d'apprécier.

S'agissant du délaissement d'enfant, il a déjà été indiqué que cette infraction peut recouvrir des situations de gravité variable. Or, d'une manière générale, pour apprécier le bien-fondé de la peine légalement encourue, il faut toujours raisonner par rapport à la situation la plus grave que peut recouvrir l'incrimination en cause.

7ème Question: (concernant des thèmes ou articles spécifiques)

a) Avortement :
Pourquoi le gouvernement a-t-il repoussé l'amendement communiste allongeant le délai de 10 à 12 semaines, situation qui est le fait de la majorité des pays européens, alors que cela aurait pour conséquences de diminuer de 70 % les IVG pratiquées à l'étranger?

Sur quels arguments de fond, en 1991, justifie-t -on le principe du maintien de la pénalisation de l'avortement ?

Réponse de M. Sapin

Le Gouvernement n'entend pas profiter de la réforme du code pénal pour remettre en cause les délicats équilibres auxquels est parvenu la loi Weil, cette loi faisant aujourd'hui l'objet d'un très large consensus dans l'opinion publique. C'est pourquoi il s'est opposé à la remise en cause du délai de dix semaines. Le Gouvernement entend cependant tirer toutes les conséquences de cette loi sur le plan pénal :

 L’I. V.G. n'étant permise qu'à certaines conditions. lorsque ces conditions ne sont pas réunies, elle doit donc constituer une infraction ; cependant, le femme étant seule juge de son état de détresse, l'interruption de grossesse par la femme sur elle-même ne doit plus être incriminée.

b) Discriminations : La charte Québecoise des droits et libertés inclut dans les discriminations : la couleur, la grossesse, l'orientation sexuelle, l'âge, la langue, la condition sociale. Ne pensez-vous pas que ces situations auraient pu être introduites ? Pourquoi le tenue de "moeurs" jugé dépassé pour les attentats aux moeurs a t-il été ici maintenu?

Ne pensez-vous pas que l'alinéa 3 de l'amendement du gouvernement à cet article, en maintenant la possibilité d'un élargissement des cas d'exceptionnalité de l'application de cette loi - au regard du sexe - puisse être source d'aggravation des discriminations ?
La décision du Ministre de l'Intérieur de refuser l'accès des femmes dans la police ayant moins de 1,70 m. en est un exemple récent.

Réponse de M. Sapin

Il ne paraît pas justifié de sanctionner pénalement des discriminations fondées sur l’âge, la langue ou la condition sociale. En ce qui concerne par exemple l'âge, il s'agit d'un critère qui est en effet à l'origine de discriminations tout à fait légitimes (obligation scolaire, droit de vote, expérience professionnelle, etc...).

En ce qui concerne les discriminations fondées sur la couleur, l'état de grossesse ou l'orientation sexuelle, elles sont déjà pénalement sanctionnées au titre des discriminations fondées sur la race ou l'ethnie, ou des discriminations fondées sur le sexe, la situation de famille ou leurs moeurs.

À cet égard, si l'expression "attentat aux moeurs" est effectivement, dans son ensemble, de même que l'expression "outrage aux bonnes moeurs" désuète, il n'en est pas de même pour l'expression "discrimination fondée sur les moeurs".

Les amendements que le Gouvernement a déposés ne modifient en rien le droit positif, mais ne font que reprendre les dispositions actuelles du code pénal, et rappellent, ce qui est d'ailleurs une évidence juridique, que l’on peut prévoir des exceptions à la loi : s'agissant de discriminations fondées sur le sexe dans le travail, le législateur a en effet autorisé certaines discriminations jugées légitimes, en application de l'article L. 123-1 du code du travail qui dispose qu'un décret en Conseil d'État détermine, après avis organisations d'employeurs et des salariés les plus représentatives au niveau national, la liste des emplois et des activités professionnelles, pour l'exercice desquelles l'appartenance à l'un ou l'autre sexe constitue la condition déterminante.

c) Violences conjugales.

Pourquoi les "tortures, actes de barbarie, mutilation ou infirmité permanente, privation d'aliments ou de soins" n'ont-il pas été prévus comme circonstances aggravantes pour les violences familiales ?

La distinction posée par M. Kiejman entre "les infractions réfléchies, organisées », procédant d'une criminalité "professionnelle" et les « infractions ordinaires, qui sans être excusables relèvent d'une certaines fragilités  notamment sociale, de leur auteur" ne risque-t-elle pas, en la matière, perpétuer la faible pénalisation des violences exercées entre époux ?
Or, par ailleurs, le code pénal affirme que ces violences sont une circonstance aggravante de la violence. Par rapport à quoi le sont-elles ? et sur quels fondements ?
Pourquoi la notion d'lTT ( Interruption temporaire de travail) qui a toujours prêté à confusion, pour les femmes sans emploi salarié, pour les enfants, a-t-elle été maintenue?

Réponse de M. Sapin

Violences conjugales

Contrairement à ce que paraît sous-entendre la question, la qualité de conjoint ou de concubin de la victime est une circonstance aggravante des tortures et actes de barbarie et des violences ayant entraîné une mutilation. La notion d'incapacité totale de travail ne cause aucune difficulté en droit pénal.. une personne femme ou homme qui ne travaille pas peut cependant faire l'objet d'un certificat médical lui accordant une I.T.T. Le médecin ne doit pas en effet raisonner par rapport à l'existence ou non d'un travail, mais il tient seulement compte de la gravité des blessures.

Proxénétisme

Question : La distinction entre "proxénétisme simple" et "aggravé", non définis, est-elle pertinente ? Une femme prostituée ayant un seul proxénète est-elle moins gravement exploitée qu'une femme se prostituant pour le compte d'une "bande organisée" ?
Par ailleurs, la position de M. Kiejman, déclarant tout à la fois, en ce qui concerne la proxénétisme simple : "Il faut se montrer plus prudent", puis : "je préfère qu'on renonce à poursuivre" et enfin : "la logique du raisonnement du gouvernement tend à ne pas sur pénaliser le proxénétisme simple" n'est-elle pas ambiguë ?
Cette distinction ne remet-elle pas en cause la signature par la France de la convention abolitionniste de 1949 ?

Réponse de M. Sapin

Il n'y a aucune ambiguïté dans la position du Gouvernement concernant le proxénétisme. D'autre part, il n'est pas question de revenir sur le caractère abolitionniste de la législation française et de venir un jour réglementer la prostitution.
D'autre part, la volonté de poursuivre fermement le proxénétisme apparaît clairement dans le projet, tel qu'il a été amendé par le Gouvernement ou avec son accord, au cours des débats..

- Le proxénétisme "simple" actuellement puni de trois ans d'emprisonnement sera puni de cinq ans;
- Le proxénétisme "aggravé" reste puni de dix ans d'emprisonnement
- Des infractions nouvelles de proxénétisme criminel sont crées : proxénétisme commis en bande organisée, proxénétisme avec utilisation tortures ou d'actes de barbarie.
En ce qui concerne la distinction proxénétisme "simple" ou proxénétisme "aggravé", il s'agit d'une distinction juridique, commune à de nombreuses infractions (ainsi, il existe des vols "simples" et des vols "aggravés"), l'infraction étant dite "aggravée" lorsqu'il existe des circonstances aggravantes qui élèvent le montant de la peine encourue.

En ce qui concerne le proxénétisme, ces circonstances sont prévues, les articles 225-7 et suivants. Elles sont donc clairement définies. Il est en tout état de cause parfaitement légitime de différencier la pression suivant la gravité des agissements criminels, même si la situation de la victime est identique ou comparable. A défaut, l'homicide involontaire devrait être sanctionné aussi sévèrement que l'assassinat.

Les agressions sexuelles

Question : Le terme d'attentat à la pudeur, dépassé, a été supprimé. A juste titre. Il a été remplacé par les termes "agressions" et "atteintes sexuelles", jugés mieux à même de prendre en compte ce que cette réalité recouvrait.
Or, il s'avère que ces deux nouveaux concepts n'ont pas été définis. N'y a il pas un risque que cette qualification soit inopérante, dans la mesure où ces termes n'ont été ni définis ni explicités ?
Le seul élément évoqué renvoie à leur gravité respective, laquelle est définie non pas en fonction de la violence subie par la victime mais en fonction de la pénétration sexuelle. N'est-ce pas maintenir une conception de la violence sexuelle au seul regard des normes de la sexualité masculine ?
Par ailleurs, en ce qui concerne les arguments évoqués pour refuser spécifiquement la protection de la loi aux mineur-e-s de 15 à 18 ans, les exemples donnés ne concernent que les relations entres mineur-e-s. Pas une fois, n'est évoqué le cas de relations sexuelles entre ces mineurs et des adultes : Pourquoi?

Si l'argument de la maturité différentielle est utilisé sur le plan sexuel, pourquoi ne le serait-il pas sur le plan civil ?
Enfin, alors que cette face cachée, le plus souvent dépénalisée, de ces violences est de plus en plus dénoncée, c'est le seul point sur lequel le nouveau code "diminue les peines applicables."

Le débat sur ces sujets peut-il se limiter à l'alternative : "pudeur rétrograde" contre « compréhension libérale » ?
Peut-on traiter enfin de ces problèmes sans définir ce que l'on entend par la distinction entre "morale individuelle" et "ordre public", sans aborder les évolutions complexes au sein de la société française - alors qu'elle est supposée avoir évolué, d'après les analyses du gouvernement, de manière identique et homogène - sur ces questions, sans poser la différence de sexes au coeur de l'analyse ?
La liberté sexuelle ne s'est-elle pas affirmée parallèlement à la "découverte" de l'importance, de la gravité des violences notamment sexuelles ?

Réponse de M. Sapin

I -Les expressions "agressions sexuelles" et "atteintes sexuelles" utilisées dans le projet sont incontestablement plus expressives que celle "d'attentat à la pudeur" à laquelle elles se substituent.
Il reste qu'en raison de leur nouveauté même ces notions nouvelles risquaient d'être source d'ambiguïté.
En effet, l'utilisation des mots "agressions sexuelles" sans autre précision pouvait laisser penser que seules se trouvaient incriminées les atteintes commises avec violence, alors qu'il s'agit de réprimer dans les dispositions concernées, l'ensemble des atteintes sexuelles portées sans le consentement de la victime, y compris les atteintes commises par contrainte, menace ou surprise.

Afin de lever toute ambiguïté, le Gouvernement a déposé un amendement adopté par le Sénat lors de l'examen du texte en deuxième lecture. Cet amendement a introduit en tête des dispositions relatives aux agressions sexuelles un article définissant les agressions sexuelles comme "des atteintes sexuelles commises par violence, contrainte, menace ou surprise."

2 - La question de la protection spécifique des mineurs de quinze à dix-huit ans a déjà été abordée en ce qui concerne les agressions sexuelles (cf. question n°5).

S'agissant des atteintes sexuelles sans violence sur des mineurs de plus de quinze ans, il faut concilier deux impératifs contradictoires : la protection du mineur et le respect de la liberté de disposer de son corps.

Dès lors qu'un mineur de plus de 15 ans consent librement à des relations sexuelles, la répression se justifie difficilement (sous réserve, bien tendu, qu'une infraction ne soit pas par ailleurs constituée.. détournement de mineur, proxénétisme, actes de nature à compromettre la moralité du mineur...)
En réalité, toute la question en ce domaine est de déterminer si le consentement du mineur peut être considéré comme étant réellement libre.

À cet égard, la loi considère qu'au-dessous de quinze ans, un mineur ne peut avoir pleinement et librement consenti à des relations sexuelles avec un adulte.
Elle établit donc une sorte de présomption d'absence de consentement qui fonde l'incrimination générale des atteintes sexuelles sans violence sur un mineur de quinze ans.
Il n'est pas inutile de noter, à cet égard, que cet âge avait été fixé à 11 ans en 1832 et à 13 ans en 1863. Ce n'est qu'en 1945 que le législateur a protégé les mineurs jusqu'à 1'âge de 15 ans. Lorsque le mineur est âgé de plus de quinze ans, la loi lui reconnaît droit de disposer librement de son corps sauf si les circonstances révèle, soit que sa moralité est en danger, soit que son consentement n'est pas totalement libre.
Il en est ainsi en cas de relations sexuelles avec un ascendant ou avec une personne qui abuse de l'autorité que lui confèrent ses fonctions. De telles relations sont pénalement sanctionnées dans le projet comme dans les dispositions actuelles. Au surplus, il faut rappeler que, même si le mineur est âgé de plus 1 quinze ans, la répression est par ailleurs possible dès lors qu'il y a exploitation mercantile du corps de l'adolescent, entreprise de démoralisation de mineur ou détournement de mineur.

3 - Il est exact que les pénalités applicables en matière d'atteintes sexuelles avec ou sans violence sont globalement diminuées. Mais, la diminution n'est pas générale (le viol est puni plus sévèrement par le projet :15 ans au lieu de 10) et elle est relative (les agressions sexuelles sur un mineur de quinze ans sont punies de 7 au lieu de 10 ans en cas de circonstances aggravantes, aggravations que ne prévoit pas le code actuel).

En toute hypothèse, cette diminution relative à la répression a pour objet de mettre le droit en accord avec les évolutions sociologiques et la réalité des sanctions. Ce n’est pas en effet uniquement la sévérité des sanctions qui détermine l’efficacité de la répression, c’est son adéquation à la gravité des agissements réprimés.

Pour ne prendre qu’un exemple, est-il raisonnable de punir de plus de 7 ans d’emprisonnement les agressions sexuelles sur un mineur de 15 ans quand on sait que, pour les agissements correspondants, la durée moyenne des peines de prison, avec ou sans sursis, prononcés au cours de ces dernières années a été inférieure à deux ans ?2

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Notes de bas de page
1 Ces questions ont été rédigées après lecture des textes suivants:

- Rapport de M. Jolibois - 18 avril 1991 - Sénat - n° 295 –

- Débat Sénat - 23/24/25/29/30 avril - 14 et 22 mai 1991 - JO Débats parlementaires Sénat - - Rapport de M.Pezèt-13 Juin 1991-Assemblée Nationale N° 21-21.

- Débats - Assemblée Nationale - 20/21 Juin 1991 - JO n° 6.

- Projet de loi modifiée par l'Assemblée Nationale transmis au Sénat - n° 411.

2 Ajout. Août 2003. On pourra se reporter pour une analyse critique du Nouveau code pénal à  Marie-Victoire Louis : « A propos des violences masculines contre les femmes : Ebauche d’une analyse féministe du nouveau code pénal français ». Projets féministes. N° 3. Droit, Culture, pouvoirs. Octobre 1994. p.40 à 69. M-VL

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