Marie-Victoire Louis

Les enjeux juridiques de la parité

Projets Féministes Nos 4-5
Actualité de la parité
p.30 à 56
Séminaire en neuf rencontres introduit et animé par Marie-Victoire Louis
Séminaire du 8 Novembre 1994

date de rédaction : 01/02/1996
date de publication : Février 1996
mise en ligne : 07/11/2006 (texte déjà présent sur la version précédente du site)
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Intervenantes : Danièle Lochak, Mariette Sineau, Anne Le Gall, Françoise Gaspard

Danièle Lochak.

Je n'avais pas pensé commencer le débat, mais je voulais dire en préalable que, sur le fond du problème, je n'ai pas d'opinion tranchée sur l'opportunité de la revendication de la parité. Je ne suis pas formellement contre, comme le sont certain-es, je ne suis pas furieusement pour ; je ne sais pas.

Ceci étant, la question posée aujourd'hui est de savoir si, sur le plan juridique, on peut imaginer de faire figurer, dans la loi, la parité, au moins pour les élections législatives.

Bien que je ne sois pas une spécialiste de contentieux constitutionnel, je m'étais penchée, à l'époque1 sur la décision du Conseil Constitutionnel2 dans laquelle il avait invalidé un petit morceau d'une loi électorale portant sur les élections municipales où il était prévu - sans que le mot quota soit prononcé - une règle des 25 %. C'est-à-dire que toute candidature pour les élections municipales ne devait pas comprendre plus de 75 % de représentant-es d'un même sexe.

Ce qui était frappant, à l'époque, c'est que, lors des débats parlementaires, la question de la constitutionnalité de cette disposition n'avait pas été évoquée, ce qui fut fait lorsqu'il y a eu saisine du Conseil Constitutionnel.  

Celle-ci portait sur d'autres aspects de la loi. Et - divine surprise peut-être ! -le Conseil Constitutionnel avait, sans qu'on le lui demande, invalidé cette disposition concernant les quotas.

Son argument était fondé sur un raisonnement juridique un peu compliqué - et que je ne trouve personnellement pas convainquant du tout - selon lequel il n'était pas concevable de diviser les éligibles en "catégories".

La conséquence immédiate que l'on peut en tirer, c'est que, dans la mesure où les règles constitutionnelles n'existent pas en dehors de l'interprétation qu'en donne le Conseil Constitutionnel, j' ai fortement le sentiment que, si on lui proposait un texte prévoyant, d'une façon ou d'une autre, la parité, je vois mal comment il pourrait raisonner autrement que de la manière dont il a déjà procédé sur le 75 % / 25%.
Bien sûr, 50 % /50 %, c'est plus satisfaisant pour l'esprit.
Mais même si la règle 75 % /25 % n'était pas formulée en termes sexués, cependant, il me semble que c'est, encore, faire des catégories.
Donc, à moins d'un revirement de jurisprudence, auquel le Conseil Constitutionnel est évidemment réticent - pour ne pas dire plus, comme tout juge normalement constitué, surtout sur un laps de temps à l'échelle humaine - il me paraît très difficile d'échapper à une éventuelle censure du Conseil Constitutionnel.

Certes, on pourrait imaginer que la question ne lui soit pas soumise ; après tout, toutes les lois ne lui sont pas déférées, mais cela supposerait un consensus total de la classe politique. Ou bien - autre éventualité - une modification de la Constitution - qui serait, d'une certaine façon, l'expression de ce consensus.
Après tout, s'il y a consensus, c'est que l'on trouve une majorité des 3/5ème des membres des Assemblées pour modifier la Constitution.

Une fois de plus, les obstacles juridiques ne sont pas - comme ce fut le cas pour le vote des étrangers - des obstacles en soi ; ce sont des obstacles relatifs. Le problème n'est donc pas le texte de la Constitution, mais la décision du Conseil Constitutionnel.

Mariette Sineau

Si l'on suppose que le Conseil Constitutionnel ne soit pas saisi à l'issue d'un projet de loi proposant la parité, je pense que le Conseil d'État qui vise tous les projets de lois qui sont déposés pourrait l'être.

J'ai rédigé un rapport pour le Conseil de l'Europe 3, et à ce titre, j'ai interrogé un certain nombre de personnalités, juristes notamment.
Guy Braibant, qui est une personne qui a compté au Conseil d'État, m'adit que dans le cas de figure de la décision de 1982, le Conseil d'État n'avait pas été saisi, puisqu'il s'agissait d'un article additionnel, d'un amendement; par conséquent celui-ci n'a pas dit prioritairement son mot. En revanche m'a expliqué que, si tel avait été le cas, il pensait que le Conseil d'État aurait donné probablement le même avis que celui du Conseil Constitutionnnel.
Il pense, en outre, qu'en l'état actuel des choses - compte tenu de jurisprudence du Conseil Constitutionnel - si le Conseil d'État était sais d'un projet de loi proposant la parité, il serait contraint de s'aligner sur: collègues de la place du Palais Royal.

Danièle Lochak

Je rappelle que le Conseil d'État n'a aucun pouvoir de décision dans une hypothèse comme celle-là. S'il tient compte de la position du Conseil Constitutionnel, juridiquement, il n'est pas lié par un tel avis. Et, en outre, on peut imaginer une proposition de loi4.
Par ailleurs, il faut rappeler que si le Conseil Constitutionnel doit être saisi pour pouvoir examiner une loi, une fois qu'il l'est, il se reconnaît le droit d'invalider donc d'empêcher l'entrée en vigueur de dispositions - y compris celles qui n'ont pas été expressément soumises à sa censure. C'est ce qui s'est passé dans ce cas-là ; lors de la saisine, il n'était pas question des femmes... des rapports de sexes.

Le Conseil d'État est saisi sur chaque projet de loi émanant du gouvernement ; dans cet avis qu'il donne au gouvernement, qui n'est pas nécessairement rendu public, il peut à la fois examiner les problèmes juridiques et constitutionnels et les problèmes d'opportunité. Mais, l'avis qu'il donne est simplement consultatif. De fait, si le gouvernement faisait un projet de loi en ce sens, c'est qu'il serait, lui-même, convaincu de l'opportunité de faire ce texte; donc, à la limite, il ne serait pas obligé de tenir compte de la réticence du Conseil d'État.

Par ailleurs, il faut distinguer entre les projets de lois qui émanent du gouvernement - ce qui représente 90 ou 95 % de la législation actuelle - et les propositions de lois qui émanent des Chambres. Et ces dernières, par définition - séparation des pouvoirs oblige - ne sont jamais soumises au Conseil d'État. Dans le cas qui nous intéresse ici, ce qui lui était soumis, ce n'était pas à proprement parler un projet de loi, mais une partie d'un texte concernant les quotas par sexe incluse dans un projet de loi sur le mode d'élection aux élections municipales.

Françoise Gaspard

Je voudrais introduire un élément d'information supplémentaire, à savoir que lorsque les parlementaires sont saisis d'un projet de loi - donc d'origine gouvernementale - ils n'ont pas, au préalable, l'avis du Conseil d'État. Dans la République française, c'est le Parlement qui a le dernier mot. Le Conseil d'État, c'est le conseil de l'État, du gouvernement. J'ai été rapporteure de plusieurs projets de lois et, comme j'ai aussi siégé au Conseil d'État, il m'arrivait de demander et d'avoir en sous-main son avis afin de connaître les points juridiques sur lesquels il y avait des problèmes qui nécessitaient une nouvelle rédaction du texte afin de le faire "passer" ; mais, dans bien des cas, on passait outre. Et on votait. Avec un risque - bien évidemment - c'est qu'après, il y ait une saisine du Conseil Constitutionnel. Il m'est arrivé aussi de voir, notamment sur les lois de décentralisation qui avaient été systématiquement portées devant le Conseil Constitutionnel, que ce dernier n'avait pas du tout le même avis que le Conseil d'État. Il "retoquait" sur certains points que le Conseil d'État n'avait pas vus et il adoptait au contraire l'avis du Parlement sur des points que le Conseil d'État avait critiqués.
Donc, ne nous cassons pas la tête sur ces questions-là.
En ce qui me concerne, la position du Conseil d'État me paraît relativement secondaire, quand il s'agit d'un problème qui est fondamentalement politique.

Françoise Collin

Souhaiteriez-vous faire de la parité un projet ou une proposition de loi ?

Danièle Lochak

Il me semble qu'il n'est pas de bonne stratégie pour un problème important politiquement d'essayer - comme nous avions tenté de le faire avec Jean-Michel Belorgey, Henri Leclerc, en vain, pour le droit de vote des étrangers - de déposer une proposition de loi. Il me semble beaucoup plus sain, pour un débat de cette nature, de proposer un amendement à la Constitution. Même si c'est plus compliqué, cela permet de poser le problème clairement.

Françoise Collin

Ma deuxième question est de savoir si vous demandez au Parlement uniquement ou aussi au gouvernement.

Françoise Gaspard

Nous visons une démocratie paritaire...

Mariette Sineau

Je reprends mon exposé. Le Conseil de l'Europe me demandait de voir s'il y avait incompatibilité entre la mise en oeuvre d'une loi sur la parité en France et la Constitution, et d'aborder, aussi accessoirement la question de la loi électorale.
Pour faire ce travail, j'ai fait le choix d'interviewer un certain nombre de personnalités ou de personnes engagées le combat pour la parité (juristes ou non) afin d'essayer de faire le poil la question.

En ce qui concerne la lecture de la Constitution proprement dite, il y a deux écoles.

* Ceux et celles qui disent que non seulement il n'y a pas d'obstacles, mais que l'on peut même trouver des éléments positifs da Constitution.
Il s'agit notamment de la phrase du préambule de la Constitution de 1946, reprise dans celle de 1958, à savoir : "La loi garantit à la femme dans tous les domaines des droits égaux à ceux de l'homme".
Cependant une querelle d'interprétation sur la force juridique des principes inscrits dans les préambules ; mais en l'occurrence, compte tenu, là, du principe affirmé de l'égalité entre les sexes, les juristes - même les moins laxistes - considèrent que c'est un droit qui est "fort", qui se suffit à lui-même et qui donc est applicable, sur le champ. L'interprétation achoppe sur le terme "garantit".
Certain-es considèrent qu'il faut prendre ce terme dans son acception forte; c'est la position de Françoise Gaspard, de Charles Debbasch. 5
Pour ce courant, cette affirmation ne se réduit pas à un simple droit à l'éligibilité, il faut en garantir les conditions d'exercice.
C'est aussi la position de Gisèle Halimi qui affirme : "Plus qu'un constat, plus qu'une déclaration, voire d'une proclamation, il y a garantie, obligation du passage de la liberté formelle au droit réel".

* La seconde position est de dire que le législateur a simplement voulu prendre acte de l'égalité de statut juridique en 1945 entre hommes et femmes - ce qui est pour la France une chose nouvelle - et de constater ainsi, ni plus, ni moins, que les hommes et les femmes étaient dorénavant égaux devant la loi.
Cette école - qui comprend malheureusement la plupart des membres de "l'establishment" juridico-politique - considère que la Constitution fait obstacle au vote d'une loi sur la parité au motif qu'une telle loi serait contraire à l'égalité, à la souveraineté de l'électeur.
On trouve ici des personnes aussi diverses que Georges Vedel, François Goguel, Olivier Duhamel pour dire qu'une telle loi serait la mort de l'universalisme, seul garant de la République etc. ncore, nous trouvons le thème des femmes-qui-menacent-l'intégrité-de-la-République, argument récurrent à travers l'histoire.

Le second point que j'ai abordé est de dire que, s'il y avait deux lectures de la Constitution, il y avait surtout une jurisprudence, le précédent de 1982 sur lequel je passe vite, puisque Danièle Lochak l'a déjà présentée.
Je suis d'accord avec ce qu'elle a dit : l'obstacle réside donc moins dans la Constitution que dans la jurisprudence du Conseil Constitutionnel.
C'est bien là que cela achoppe, encore qu'il y ait, là aussi, deux lectures.
Certain-es disent que cette jurisprudence bloque absolument toute autre initiative légale sur la parité ; d'autres déclarent, au contraire, que faire une loi 50 % / 50 % ne signifie absolument pas "faire un quota" et que c'est, au contraire, la véritable égalité.
Dès lors, on ne pourrait pas, au nom d'une égalité formelle, censurer une loi qui apporterait, de fait, une égalité réelle.
Là encore, de ce côté-là de l'interprétation, on trouve davantage de militantes engagées dans la parité que de juristes "reconnus" et en position de pouvoir pour soutenir qu'une loi sur la parité, c'est autre chose qu'un quota.

À part un ou deux avis, la majorité des juristes pense donc que le juge constitutionnel censurerait de la même façon une loi sur la parité comme il l'a déjà fait concernant une loi qui avait posé le principe des quotas.

Ce qui est en cause, alors, ce n'est pas une question d'arithmétique mais de refus d'une position selon laquelle les électeurs et des éligibles seraient divisés en "catégories". 6

Une troisième question que j'ai essayée d'examiner est de savoir si l'on peut envisager que le juge constitutionnel évolue dans sa jurisprudence, s'il existe, en la matière, des éléments nouveaux.

J'ai écrit à Robert Badinter qui m'a répondu une fort gentille lettre me disant qu'il était tenu à un devoir de réserve et qu'il ne pouvait me dire mot sur le sujet. 7
J'ai également écrit aux deux présidents des deux assemblées pour voir si, à leur avis, politiquement, il existait des éléments nouveaux susceptibles de "faire bouger" le Conseil Constitutionnel.
Philippe Seguin ne m'a pas répondu. René Maunoury m'a envoyé une longue lettre qui illustre fort bien la position des Républicains de stricte obédience.
Une lettre qui verrouille complètement toute éventualité de modification législative. La voici :

 "J'ai pris connaissance avec beaucoup d'intérêt de votre lettre du 28 septembre relative à la "démocratie paritaire ", c'est-à-dire à un système où les fonctions électives seraient obligatoirement confiées à un nombre égal des représentants des deux sexes. Je suis très profondément attaché à une participation active des femmes dans la vie politique. Toutefois, un mécanisme de "quota par sexe" me paraît difficilement compatible avec les principes qui fondent le droit électoral français, du fait qu'il introduirait un critère de différenciation entre des élus qui, quelle que soit leur condition personnelle, sont tous investis d'un même mandat représentatif.
Vouloir faire coïncider mécaniquement la répartition par sexe d'une semblée élective avec celle du corps électoral conduirait tôt ou tard à envisager la prise en considération d'autres critères tout aussi déterminant que le sexe, l'âge par exemple...

Éliane Viennot

C'est le seul critère qui les intéresse.
(Rires)

Mariette Sineau

...Se poserait dès lors le délicat problème du choix de ces critères, démarche qui, à terme, ne serait pas sans risques de dérives tout à fait contraires à la démocratie et aux valeurs de la République. Dans cette optique, le principe d'égalité devant la loi électorale tel qu'il résulte notamment de l'article 3, alinéa 3 de la Constitution, s'oppose non seulement à l'institution d'un quota par sexe dans la répartition des fonctions électives, mais plus généralement à toute différenciation ou discrimination entre élus ou éligibles.

Aussi, est-il hautement probable que le Conseil Constitutionnel censurerait une loi organique rédigée dans les termes que vous suggérez, comme il l'a déjà été fait dans sa décision du 18 novembre 1982.
En fait, il semble que remédier à la présence objectivement faible des femmes au sein des assemblées électives relève au premier chef de la responsabilité des partis politiques, par une répartition plus équitable des candidats qu'ils proposent ainsi que des électeurs eux-mêmes auxquels revient, en tout état de cause, le choix de leurs élus.
Veuillez agréer..."

Françoise Gaspard

D'après mes souvenirs, Monoury a voté l'amendement de 1982 sur les 25 % / 75 %.
La cohérence de pensée des politiques est intéressante.

Mariette Sineau

Il serait intéressant de retrouver ce vote...
Cette lettre illustre bien ce que je disais précédemment sur les réticences plus que fortes des politiques au vote d'une telle loi. En ce sens, on peut dire que le Conseil Constitutionnel n'est absolument pas poussé par une volonté politique.
On peut cependant faire valoir que l'ordre des choses a été un peu modifié depuis 1982 par des éléments juridiques nouveaux et notamment par le fait que la France a ratifié en 1983 la Convention de New York. Malheureusement, très peu de juristes connaissent ce texte. En outre, en général, ils prétendent que cette Convention ne crée aucune obligation à l'égard de la France. Ce qui est intéressant, c'est que celle-ci pose en son article 2 que : "Les Etats Parties condamnent les discriminations à l'égard des femmes sous toutes ses formes ; conviennent de poursuivre par tous les moyens appropriés et sans retard une politique tendant à éliminer la discrimination à l'égard des femmes... "

Mais surtout, ce texte pose en son article 4, alinéa 1 :" la légitimité du principe d'action positive". Et, cet article prévoit que : "L'adoption par les États parties de mesures temporaires spéciales visant à accélérer l'instauration d'une égalité de fait entre les hommes et les femmes n'est pas considérée comme un acte discriminatoire, tel qu'il est défini dans la présente convention"

 Fort de la ratification de ce texte, certain-es juristes - minoritaires est vrai, et je fais notamment allusion à Éliane Vogel-Polsky, juriste belge qui connaît bien la législation française - affirment que le Conseil Constitutionnel ne pourrait plus prendre la décision qu'il a prise en 1982, dans la mesure où, justement, le principe d'une action positive est déclarée légale.
On ne pourrait plus, dès lors, arguer du fait que c'est contraire à l'égalité pour l'annuler, puisque cette Convention reconnaît que l'on peut prendre des mesures discriminatoires, si le but de cette mesure est d'aboutir à l'égalité.
Le problème est d'apprécier la force juridique de cette Convention.
Danièle Lochak, quant à elle, tend à considérer que la France n'a contracté aucune obligation de prendre des mesures positives pour corriger les inégalités ; c'est également la position de Georges Vedel et de quelques autres. On ne peut donc pas, affirme-t-on alors, "revisiter" la lecture des textes constitutionnels à la lumière de ce texte.

Certains,même, ajoutent - au nom d'une certaine conception de la hiérarchie des textes entre le droit interne et international - que s'ils veulent bien considérer que les normes européennes puissent avoir une force juridique supérieure aux normes juridiques françaises, ce ne peut être le cas des normes internationales, du type de celle de la Convention de New York. L'argumentation d'Éliane Vogel-Polsky est fondée, en revanche, sur Ie fait que cette ratification crée des obligations.

Danièle Lochak

Aucun juriste ne dira que le droit européen est plus fort que le droit international ; cette interprétation est inexacte.

Mariette Sineau

Je n'adhère pas à cette interprétation ; c'est un discours que j'ai entendu.
Ce que cela révèle, c'est qu'il y a, chez certains, une hiérarchie non dite.
Ce que je pense, c'est que cet élément juridique nouveau n'a pas été suffisamment étudié ; on ne connaît pas assez bien cette Convention internationale.
La proposition que je fais est de saisir - je ne sais encore quelle institution - pour dire que cette Convention n'est pas appliquée.

On peut aussi invoquer l'arrêt Nicolo8, mais je pense que Danièle Lochack est mieux habilitée que moi à exposer en quoi cet arrêt peut également, en liaison éventuellement avec cette Convention, être un élément juridique nouveau intéressant pour faire évoluer le Conseil Constitutionnel.

La conclusion de cela, dans l'esprit des juristes, est de dire qu'il faut absolument une révision de la Constitution.
Le consensus qui se dégage, en la matière, est plutôt de proposer une révision par référendum pour donner une légitimité politique à quelque chose qui est si vigoureusement contesté par les autorités politico-juridiques.
Ce qu'il faut, c'est donner la parole au peuple souverain, pour "balayer" toute objection de nature juridique.

Certaines propositions ont déjà été faites, en la matière.

Une première proposition émane de Simone Veil, le 21 avril 1994, à l'occasion du 50e anniversaire du droit de vote des femmes9. Elle s'est prononcée pour une réforme constitutionnelle instituant un quota progressif de représentation féminine dans les instances électives.
Autrement dit, elle s'est prononcée en faveur de la parité, mais avec un calendrier progressif de mise en application.
Elle avait fait, en ce sens, rédiger une note juridique, à laquelle elle s'est ralliée. Mais elle est, semble-t-il, assez pessimiste sur la réalisation de cette réforme constitutionnelle; elle a notamment affirmé: "Une telle réforme ne serait concevable que si un large débat national avait permis au préalable de recueillir un consensus de l'opinion sur sa nécessité. "

La deuxième proposition est celle qui a été rédigée par l'association Choisir, présidée par Gisèle Halimi, mais présentée officiellement par Jean-Pierre Chevènement, Georges Sarre, Jean-Pierre Michel et Christiane Taubira-Delannon et déposée au Parlement en mars 1994.

Cette proposition de loi serait soumise au peuple par référendum 10 au terme de l'article 11 qui est la procédure exceptionnelle de révision de la Constitution déjà employée par De Gaulle. Depuis qu'il a utilisé cet article pour réviser la Constitution, on peut considérer qu'il est possible de faire la même chose.
Cette première proposition de loi a été complétée par le dépôt d'une autre proposition de loi ordinaire modifiant certaines dispositions du code électoral en vue de fa respecter le principe de parité.

On sait que depuis, il y a eu de nouveaux développements, dans mesure où Gisèle Halimi, en compagnie de Janine Mossuz-Lavau, ici présente, et de Béatrice Patrie (ancienne présidente du Syndicat de la Magistrature) a été reçue le 3 mai 1994 par le Président de la République. 11

Il n'y a pas eu de communiqué de la Présidence en tant que telle ; il y a eu communiqué de Choisir.
Le Président aurait jugé le choix de cette procédure "astucieux" et aurait fait savoir à Gisèle Halimi qu'il ne ferait pas obstacle à un tel référendum, s'il en était saisi par le gouvernement, en conformité avec la Constitution.

Depuis, le 17 octobre 1994, Gisèle Halimi, en compagnie de Roselyne Bachelot, députée RP.R, a été reçue, en compagnie de Simone Veil et de Colette Codaccioni par Édouard Balladur.
Dans un premier temps, celui-ci avait renvoyé Gisèle Halimi à Simone Veil, en disant, a peu près "Les femmes, ce n'est pas moi, c'est Simone Veil".
Gisèle Halimi a réécrit à Édouard Balladur en lui disant que ce n'était pas un "problème-de-femmes", mais une question d'organisation des pouvoirs publics.
Au terme de plusieurs courriers, il a daigné accorder un rendez-vous. Selon Choisir, Balladur se serait déclaré "partisan d'une mesure volontariste".
Mais, il a exclu de prendre une quelconque décision que ce soit avant l'échéance présidentielle. Il a dit à ses interlocutrices qu'il avait discuté de ce problème avec le Président de la République, dans la semaine précédant le 17 octobre et qu'il avait exprimé sa préférence pour une modification constitutionnelle éventuelle par le Parlement réuni en Congrès.

En ce qui me concerne, je considère que le Premier ministre a fait des propositions à la fois floues et dilatoires, lesquelles, en tout cas, ne l'engagent guère personnellement. 7Si l'on y regarde de près, il a déclaré que parité ne devait pas faire l'objet d'un débat durant la campagne présidentielle. Mais après ? Édouard Balladur ne sera plus là, en tout cas pas comme Premier ministre.
Enfin, proposer une modification de la Constitution par le Parlement réuni en Congrès me paraît une solution plus qu'aléatoire quand on connaît l'opposition virulente du Sénat, sur le fond, à tout projet de mise en oeuvre de la parité.

Janine Mossuz-Lavau

Juste deux mots sur cette entrevue avec François Mitterrand, pour dire que dans un premier temps, nous lui avions parlé d'une loi.
Son argumentation était assez curieuse : il estimait que cela serait imposer leurs représentants aux électeurs ; que ce serait les contraindre.
Ce à quoi nous lui avons répondu que le système actuel imposait de facto aux électeurs leurs représentants, puisqu'on leur impose des candidats masculins, et que dès lors, ils/elles ne peuvent pas vraiment choisir.
Nous lui avons alors proposé un référendum ; là, les citoyen-nes se prononceraient librement.
Il a alors répondu que cela serait plus "astucieux" ; le peuple se prononcerait en toute liberté sur le problème. Il acceptait donc plus facilement l'idée du référendum. De fait, il ne s'engageait pas beaucoup en affirmant que si le Premier ministre le lui proposait, il organiserait volontiers ce référendum.

Lors d'un second rendez-vous avec Monory, toujours à l'initiative de Choisir, celui-ci nous a expliqué qu'il était très favorable à la présence accrue des femmes en politique ; qu'autour de lui, il y avait beaucoup de femmes et qu'il en était très content...

(Rires...)

De ce point de vue-là, il se mettait hors de cause.
Mais il nous a expliqué que tout cela n'était absolument pas possible et qu'il voyait mal comment on pouvait organiser un référendum sur ce sujet avant les Présidentielles.
De fait, il ne raisonnait pas tellement sur le fond, mais sur le fait que, dans le cadre d'un calendrier très politicien, une chose pareille ne pouvait pas avoir sa place. C'était très négatif. En fait, c'était "niet" sur toute la ligne.
Même la proposition faite par Gisèle Halimi d'organiser un débat au Sénat sur ce thème n'a suscité aucun intérêt de sa part.

Françoise Duriez

Je voudrais donner quelques précisions concernant l'entretien avec Balladur auquel j'ai participé.
Il faut préciser que si Roselyne Bachelot faisait bien partie de la délégation de Choisir, Colette Codaccioni était certes là, mais aux côtés de Balladur, de même que Simone Veil qui assistait à l'entretien, accompagnée d'une chargée de mission du cabinet du Premier ministre. J'ai trouvé personnellement cet entretien assez positif.
Visiblement, il avait étudié la question : il s'était posé la question de la mise en oeuvre du principe. Il nous a expliqué que la modification constitutionnelle que nous proposions n'était pas faisable dans l'immédiat, parce qu'elle poserait des problèmes complexes.
Il pensait que l'on pouvait prévoir, dans la Constitution, la possibilité pour le législateur d'appliquer le principe de parité sans être "retoqué" par le Conseil Constitutionnel. Il pensait donc que le législateur pouvait se référer à la parité. Il a dit aussi qu'il ne voyait aucune objection - ce qui est positif - à ce que la parité soit appliquée, d l'immédiat, aux Municipales et aux Régionales où s'applique le scrutin de liste.

Effectivement, il semble exclu que quoi que ce soit fait avant les présidentielles, car cela aurait un caractère "politicien" ; c'est cela qui a dit.

Ce qui me paraît important, c'est que le principe de parité fait dorénavant partie du vocabulaire politique et juridique. Dans la classe politique, on n'a pas besoin d'expliquer pendant 20 minutes de quoi il retourne lorsqu'on parle de parité.

Mariette Sineau

Je ne suis pas d'accord. Ce n'est pas du tout une notion acquise.

Anne Le Gall

J'ai été très intéressée par tout ce qui vient de se dire parce que cela illustre d'une façon frappante ce que je m'efforce de faire comprendre puis longtemps, c'est-à-dire, qu'en fait, il n'y a pas d'obstacle juridique. Il suffit de parler la langue française.
C'est conceptuellement facile, c'est même une des choses les plus simples à concevoir: "autant de femmes que d'hommes".
C'est véritablement un des projets de lois les plus simple à adopter.
En matière constitutionnelle, il y a des concepts, des mots autrement plus obscurs qui, eux, sont presque d'usage courant.
Ce sur quoi il faut insister, c'est sur la force exceptionnelle des résistances institutionnelles en France.
La France, contrairement à ce que l'on pense est un pays profondément réfractaire à toute évolution. C'est cela la vraie clé de l'histoire institutionnelle française : la Révolution dont on se gargarise a été une explosion par incapacité d'adaptation de l'Ancien Régime.
Songez qu'entre 1614 et 1789, les États Généraux n'avaient pas convoqués.

Je voulais aussi dire que, s'il n'y a pas eu, lors de la Révolution française, d'argumentaire plus convaincant et plus exhaustif en ce qui concerne l'universalisme que celui de Condorcet, lorsqu'il a évoqué la question de la citoyenneté des femmes, cela n'a pas empêché - bien que nous prétendions que l'universalisme soit la pierre fondatrice et angulaire sur le plan idéologique de la République - que cette dernière mette 150 ans pour que les femmes obtiennent le droit de vote.

Si Olympe de Gouges a posé le principe de la légitimité de ce droit, Condorcet a admirablement fondé l'idéologie républicaine, mais cela n'a servi à rien.

Donc, il faut croire que la résistance est ailleurs.
Pour moi, la grande difficulté de la parité est là. Et c'est cela qui me préoccupe.
C'est de me rendre compte que nous ne cessons de nous poser des questions sur la faisabilité de la parité, alors que le principe en est fort simple et possible et que nous n'osons pas dire que c'est au plan du souhaitable que se trouve la vraie difficulté.
Songez qu'entre les deux conflits mondiaux, en une vingtaine d'années, quatre fois, la Chambre des députés - dans des formes différentes, j'en conviens - a voté en faveur du droit de vote des femmes et que, quatre fois, la loi a été repoussée par le Sénat.

Le deuxième point qui me frappe, c'est que, lorsqu'il s'agit des femmes, tout est toujours très compliqué.
J'en donnerai un élément, que j'ai d'ailleurs entendu à ce séminaire.
Nous parlions, la dernière fois, du critère biologique, au nom duquel Josette Trat refusait la parité.
Mais tout le droit est fondé sur un critère biologique, puisqu'il s'applique - pour une partie - à des personnes physiques.
Ne peut-on pas imaginer quelque chose de plus biologique que le fait de naître, d'avoir une identité, une possession d'état ?
Je ne vois pas pourquoi le fait que l'on mentionne que ce sont des femmes nous poserait plus de problèmes que le fait de dire, s'agissant de l'humanité, qu'il s'agit des êtres vivants.
La naissance, la mort, la majorité sont des critères physiques. Lorsqu'on parle d'abaisser la majorité à 16 ans pour les municipales ; c'est un critère physique. Pour poser sa candidature, au Sénat, on a abaissé l'âge de 35 à 30 ans ; c'est un critère physique.
La validité de votre candidature dépend de ce critère-là.
Ainsi, certains génies âgés de 20 ans peuvent être écartés du Sénat, tandis que la gérontocratie nous enlève la possibilité de choisir des personnes jeunes et dynamiques. Et cela ne nous choque pas !

Autres exemples : dans des conseils municipaux, deux membres de la même famille ne peuvent pas siéger en même temps, au nom d'autres garanties ; certaines personnes sont inéligibles parce qu'elles ont exercé des fonctions administratives ou autres.
Mais, ce qui me frappe le plus, c'est le critère territorial : Y-a-t-il contrainte plus forte que le fait de devoir élire tant d'électeurs en Corrèze et tant ailleurs ?
Je cite toujours la Corrèze, parce que c'est le territoire de Jacques Chirac et qu'il avait sans doute de bonnes raisons de se faire élire, là où il ne vit pas.

De plus, je commence à en avoir assez qu'on nous parle du critère physique lorsqu'il s'agit des femmes.
Et pour l'universalisme, c'est la même chose.
Il n'y a que la détermination politique qui est fondamentale.

Quand on nous dit que l'on ne peut pas séparer les citoyens qui vont êtres élus ; c'est faux.

Quand il s'agit des femmes - dont on prend la place - on nous raconte n'importe quel bobard, sur le plan juridique notamment, parce que c'est l'habillage qui fait le plus "chic".
C'est un problème de volonté politique et nous n'avons pas trouvé les moyens de faire sauter ce levier-là. C'est un des plus durs au monde.

Or, nous mésestimons - nous ne le connaissons pas, nous le tenons dans un mépris qui nous éloigne de sa connaissance et de ses rouages - la question du fonctionnement institutionnel. Et ce, alors qu'il va falloir déstabiliser ce pouvoir.

Dernier point, déjà évoqué lors de la dernière séance: à propos de la commémoration du 200e anniversaire de l'École Normale Supérieure - où, en l'occurrence, on n'a pas parlé que de fort peu de choses - un point ne m'a pas échappé.
En 1986, cette école a formé un grand ensemble qui a regroupé l'École de Sèvres et celle de la rue d'Ulm. À cette occasion, on a doublé ses effectifs, qui sont passés de 400 à 800. Donc, là, la parité a été rigoureuse.
Que se passe-t-il aujourd'hui : il n'y a plus de femmes qui au concours parviennent dans les sections scientifiques. On a dépossédé les femmes de leur droit à concourir, dans le cadre des lois de la République, à l'éducation de la nation.
Auparavant, elles faisaient des carrières honorables, même si ce n'étaient pas les plus prestigieuses.
De fait, on leur a pris leurs places, parce que ceux qui les leur ont pris n'en avaient pas autant avant.
En 8 ans, les femmes ont été laminées.

C'est la raison pour laquelle je pense que cette histoire de mixité qu'on nous oppose à la parité est véritablement un scandale, sur le plan argumentaire. On recule, on régresse.  

Un article a paru dans le Monde de l'Éducation où une femme disait : "Oui, cela nous pose un problème, c'est ennuyeux. Il faudrait que les classes préparatoires, où tout se passe, changent. Car elles préparent plutôt les garçons". Cela tombe sous le sens ! Et le débat est clos !

Bref, je voulais simplement dire que, si nous ne sommes pas confrontées au mépris, tel qu'on l'a connu dans les arguments développés par les Chambres dans l'entre-deux-guerres, celui-ci est remplacé par la bienséance des arguments juridiques.

Mais ces arguments ne dissimulent pas, à mes yeux, le mépris, le cynisme, l'injustice et le scandale politique que représente le fait que nous, femmes, citoyennes, si nous ne sommes pas élues, ce n'est pas du fait de problèmes de représentativité, mais de structures politiques et organisationnelles de la société.
Et que, quelque part, en ne les dénonçant pas, en n'ayant pas de volonté politique suffisamment forte de faire valoir nos droits, nous acceptons cette situation.
En ne récusant pas la logique de ces arguments juridiques, de fait, nous acceptons un argumentaire qui ne fait qu'habiller un refus d'une manière à peine courtoise.

Françoise Gaspard

La façon dont le débat juridique a été lancé, en France, l'a été, tactiquement, à travers la revendication d'une loi qui posait le principe selon lequel les assemblées élues devaient être composées d'autant d'hommes que de femmes.
Il faut bien savoir que toutes les analyses que l'on peut faire aujourd'hui, à partir de ce que disent des juristes ou des instances juridiques institutionnelles, s'inscrivent dans un rapport de forces.

Mais s'il n'y a pas un mouvement social pour réfléchir autour de cette notion de démocratie paritaire, pour montrer qu'il y a des femmes et des hommes qui travaillent sur cette question, et qui, à la limite, peuvent sortir dans la rue pour réclamer une transformation des institutions, rien ne bougera dans la sphère politique.
Dans l'entre-deux-guerres, lorsque les femmes qui ne pouvaient pas s'inscrire sur les listes électorales sont allées protester, elles se sont trouvées confrontées exactement aux mêmes arguments que ceux que nous rencontrons aujourd'hui.

La question est socio-politique et doit être envisagée comme telle.
Il est cependant évident que, stratégiquement, il faut pouvoir dire si c'est juridiquement possible.
À partir de là, cela ouvre un débat, y compris entre juristes.

Danièle Lochak évoquait le problème du droit de vote des étrangers. Que n'a-t -on pas entendu sur cette question, pour justifier, en droit, que les étrangers ne pouvaient pas voter ! Or, personne - ou à peu près - ne s'est aperçu, qu'aujourd'hui, des étrangers peuvent voter en France, sans changer la Constitution.
Mais ce fut décidé sans bruit et sans débat.
Quand on dit la loi ne peut pas faire de "catégories", elle en a fait en distinguant les étrangers européens et non européens.

Si l'on suit la décision du Conseil Constitutionnel, si l'on refuse la notion de "catégories" ne faudrait - il pas alors changer la Constitution ?
Les mots : "hommes" et "femmes" sont effet dans la Constitution.
Lors d'un débat que j'ai eu avec Philippe Vasseur12 - qui était un peu déstabilisé lorsque j'ai évoqué le préambule Constitution cité tout à l'heure - celui-ci n'a eu pour seule réponse : " Eh bien, changeons la Constitution, supprimons son préambule !"

Françoise Collin

Pour le droit de vote des étrangers, ce n'est valable que pour les élections européennes.

Françoise Gaspard et Danièle Lochak

Non, pour les Municipales. Certes, la décision a été reportée, c'est inscrit dans les textes.

Mariette Sineau

Le principe d'égalité a effectivement une valeur constitutionnelle et une valeur politique. Des juristes aussi le reconnaissent.
Guy Braibant a notamment écrit, dans un article intitulé : "Le principe d'égalité dans la jurisprudence du Conseil Constitutionnel et du Conseil d'État 13: "Les assemblées juridiques ne sauraient s'opposer aux évolutions nécessaires et entraver la marche vers l'égalité réelle au nom d'une conception de l'égalité juridique. Des discriminations considérées aujourd'hui comme justifiées ne le seront peut-être plus demain, par exemple à l'égard des étrangers.
D'autres seront au contraire considérées comme fondées mieux assurer l'égalité des chances et des conditions".

On peut progresser dans le débat en soulignant que l'égalité n'est pas seulement une notion juridique inscrite dans la Constitution, mais qu'elle est aussi une notion politique qui, comme telle, varie en fonction de l'histoire et des circonstances.
C'est cela l'argument qui me paraît déterminant ; l'égalité est également un concept politique.

Danièle Lochak

Je voudrais réagir par rapport aux analyses juridiques que Mariette Sineau ne reprenait pas à son compte, mais dont elle s'est faite l'écho même que par rapport à ce qu'a dit Anne Le Gall.

Sur le plan juridique d'abord.
Il n'est pas possible de parler "des juristes", "du droit".
Les juristes ne sont pas une catégorie figée.

En fait, on peut considérer qu'il existe deux catégories de juristes.
Ceux qui vous disent : "C'est absolument impossible parce que le droit français, la tradition constitutionnelle interdisent que... ». Et ceux qui disent, de façon très pragmatique : "Cette décision existe. La seule façon de sauter l'obstacle est de le sauter par le haut"...
En ce qui me concerne, en tant que juriste, je peux vous dire : "Compte tenu de la jurisprudence actuelle, voilà où cela peut bloquer sur le plan juridique". Mais on peut très bien prendre les choses en amont et dire : "S'il n'y avait pas cette décision du Conseil Constitutionnel - qui, qu'on en dise, a figé l'interprétation - on pourrait argumenter, prendre appui sur le préambule de la Constitution, sur la convention de New York."

On peut parfaitement, en droit, construire un raisonnement montrant que la revendication de la parité n'a rien d'inconstitutionnel.
Mais nous sommes dans un contexte où il y a eu cette décision.
Si l'on propose de modifier la Constitution, c'est bien que l'on admet qu'il y a blocage juridique, à Constitution constante.
Quant au préambule de la Constitution, il est clair que sa valeur juridique est certaine. C'est une règle qui oblige le législateur ; là-dessus, il n'y a aucun doute.
Le problème est de savoir si cela oblige le législateur de traiter les femmes de façon égale.
La réponse est : oui.
La deuxième question est de savoir si cela oblige le législateur de prendre des mesures positives ? Non pas pour arriver à l'égalité de droit qui est aujourd'hui a peu près consacré - car celle-ci, j'en suis désolée, est complètement quasiment faite (sauf sur un point sur lequel les féministes sont aujourd'hui très muettes, celui de la transmission du nom patronymique) - mais pour arriver à l'égalité de fait.

Or, en France, le Conseil Constitutionnel - jusqu'à présent - (alors que c'est la situation dans d'autres pays) n'a jamais considéré que le législateur était tenu d'instaurer des différences de traitement pour réparer des différences de situation de fait.
C'est la seule discussion qu'il peut y avoir.

Quant aux conventions internationales, je suis extrêmement ferme - et je m'engage pour tous les juristes, même les plus bornés - aucun d'entre eux ne peut sérieusement contester aujourd'hui que les traités ont une valeur supérieure à celle des lois.

Mais il existe plusieurs problèmes.

Concernant la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discriminations à l'encontre des femmes - et ce n'est pas parce qu'elle concerne les femmes qu'on ne s'en préoccupe pas - elle oblige à supprimer les discriminations juridiques.
Or, en France, il n'y en a pas beaucoup qui restent et, en ce qui concerne les discriminations positives, la Constitution ne les impose pas.
Ce qu'elle dit, en revanche, c'est que si l'on met en oeuvre des discriminations positives - sur le même modèle que la Convention relative à toutes les formes d'élimination de discriminations raciales, cela ne sera pas considéré comme contraire à la Convention elle-même. Je ne vois donc pas comment on peut s'appuyer sur la Convention de New York, pour dire que si l'on veut appliquer cette convention, on est obligé de proposer des discriminations positives.

Le deuxième problème est un problème plus technique de hiérarchie des normes. Certes, les traités ont une valeur supérieure à celle des lois, mais le Conseil Constitutionnel a dit - et, là, ce n'est peut-être pas une fois pour toutes - que ce n'est pas à lui de vérifier qu'une loi est contraire non à une Convention.
Il renvoie cette tâche au Conseil d'État.

Je suis d'accord en revanche pour dire avec Anne Le Gall qu'il y a pas de véritable obstacle juridique.
Ce que l'on considère comme tel, c'est quelque chose qui est, à législation - ou à Constitution - constante. C'est dire que, s'il y a un consensus, on peut donc la changer.
Il est vrai que droit est soit le maquillage, soit l'expression - plus simplement - de choses beaucoup plus profondes.
C'est en cela qu'il n'est pas vraiment un obstacle et qu'il faut jouer sur les mentalités.
Je n'ai pas dit que j'étais contre le fait de tenter de faire passer l'idée de parité.
Anne Le Gall a parlé de résistances institutionnelles ; je parle pour ma part, de résistances idéologiques. Bien sûr, parmi ceux qui évoquent l'universalité, il y a des gens qui sont de mauvaise foi et que cela arrange.
Mais d'autres sont de bonne foi.

J'ai été invitée aux États-Unis à faire un exposé sur les étrangers. À son terme, une Américaine lève la main et me dit : "Vous n'avez pas parlé des femmes"....

Anne Le Gall

Eh bien oui, elle avait raison.

Danièle Lochak

Je suis désolée, lorsqu'on me demande de parler du statut des étrangers, c'est ce dont je parle. Je n'avais rien à dire sur les femmes. Certes, les femmes étrangères sont éventuellement victimes d'une double discrimination, mais qui n'est pas de nature juridique.
Il y a une espèce d'obsession aux États-Unis - mais ce n'est pas seulement sur les femmes, c'est aussi sur les noirs - je ne dis pas que ce n'est pas bien, mais...

Je dois dire que, là, la résistance idéologique n'est sans doute pas perpétuelle.
Mais il y a sans doute quelque chose qui est profondément ancré dans une tradition française : une résistance fondamentale à prendre en compte les catégories. Je ne la défends pas forcément, mais je demande que l'on soit prudent-es, parce que l'antithèse n'est pas forcément extraordinaire.

Anne Le Gall

Comment expliquer qu'en 150 ans les femmes n'aient pu obtenir le droit de vote, alors qu'il n'y avait aucun obstacle sur le plan de la citoyenneté ?

Danièle Lochak

Je suis d'accord. Mais je n'ai pas dit que tout le monde était cohérent. Duguit14 - qui n'était pas un grand progressiste - avait montré que cela n'était pas cohérent.
Certes, le droit français prend tout le temps en compte des catégories, mais se méfie des catégories. Il préfère le problème d'âge. Et là , je ne suis pas d'accord avec ce qu'a dit Anne Le Gall : l'âge est peut-être biologique, mais c'est évolutif. Ce n'est pas identique : nous passerons tous et toutes par tous les âges. Donc, ce n'est pas vrai que ce soit une catégorie biologique, comme le sont les différences de sexes. 15
En ce qui concerne l'aspect biologique, je trouve que c'est le dernier argument à utiliser pour "faire passer" la parité ; à savoir que les femmes et les hommes ne sont pas des "catégories" comme les autres, mais c'est ce qui est au fondement de l'humanité - ou je ne sais quoi.
Là, cela nous renvoie 30 ans en arrière...

Et, enfin, en ce qui concerne cette histoire de l'École Normale Supérieure, cela signifie défendre la thèse : "égal mais séparé". Les femmes étaient plus égales lorsqu'elles étaient séparées...

Anne Le Gall

C'est quelque chose sur laquelle je ne me suis pas exprimée.

Danièle Lochak

Ce à quoi cela me fait penser, c'est que maintenant que l'on a mis les femmes en concurrence avec les hommes, de fait, il apparaît qu'elles ont été lésées dans l'histoire.
Je veux bien le reconnaître, mais cela veut que l'alternative est "égal mais séparé".
Je n'en vois pas d'autres. Or, on s'est battu toutes ces dernières années pour faire supprimer les concours d'accès différents dans la Fonction Publique pour les hommes et pour les femmes ; le seul qui a été maintenu presque jusqu'au bout, c'était pour les instituteurs et les institutrices et c'était pour protéger une espèce en d'extinction, les instituteurs, qui doivent se maintenir, car, que l'école un lieu où il n'y a que des femmes, c'est déplorable pour tout le monde.

Régine Dhoquois

J'ai toujours la même impression dans ces réunions autour du "Droit" : d'une part, il y a une demande de résolution des problèmes instamment au droit, d'autant plus forte que le mouvement social - dans notre cas, le mouvement féministe - est faible (mais ce désengagement n'est pas propre aux luttes de femmes). D'autre part, il y a une sorte de condamnation implicite ou explicite du droit patriarcal, des nantis, etc

Mais d'une part, cette critique du droit ne s'accompagne pas d'une critique (marxiste, pourquoi pas ?) du mode de production qui le sous et d'autre part, cette critique tombe dans le piège que nous dénonçons souvent. À savoir, la désignation : LES femmes, LES juristes. Il y a des juristes qui ont prouvé que l'on peut critiquer le droit et le faire évoluer16. Il a d'ailleurs évolué à un tel point que nous sommes parvenues à une parfaite égalité de droit entre hommes et femmes en France.
Alors, même si je ne suis pas encore sûre d'être pour la parité, il reste que se pose la question de la construction d'un mouvement social, de la constitution d'un lobby, mixte si possible.
La question que nous devons nous poser est alors : pourquoi ce lobby n'existe-t-il pas en France ? Quelles sont les raisons internes et externes de cette discontinuité du mouvement féministe en France ? Qu'en est-il pour la mixité ? etc.

À ce propos, j'aimerais que l'on débatte plus autour du livre consacré à la mixité et paru chez l'Harmattan en 1993, dirigé par Claude Zaidman. 17

Marie-Victoire Louis

Pour moi, l'égalité n'a de sens que par rapport à la finalité qu'elle s'assigne. Par ailleurs, j'ai du mal à accepter que l'on affirme sans ambages qu'il n'y a quasiment plus de problème juridique en matière d'égalité entre les sexes parce que le droit français serait formellement égalitaire. L'égalité des sexes devant la loi n'est pas synonyme d'absence de discrimination entre les sexes et ne suffit donc pas à instaurer une égalité des droits entre les hommes et les femmes. 18

On sait très bien les mécanismes d'origine napoléonienne - dont les soubassements sont patriarcaux - reproduisent des logiques qui font de notre droit un droit structurellement sexué.
Je récuse la problématique qui consiste à dire : il n'y a plus, en matière d'égalité, de problèmes juridiques.
Tous les jours, les femmes paient un prix très élevé de la mise en oeuvre de ces valeurs et de ces normes juridiques et politiques structurellement masculinistes. 19

Danièle Lochak

Il y a beaucoup de femmes dans la justice...

Marie-Victoire Louis

Ce qui est en cause ce n'est pas le problème du sexe de la personne qui rend le droit, c'est celui de la critique des catégories sexuées fondatrices de notre droit. Ce sont elles qui doivent être radicalement interrogées.

Mariette Sineau

Je voulais juste vous soumettre l'idée qui a été émise par certains selon laquelle il serait bon de profiter de la présidentielle pour s'en servir comme d'une tribune, étant donné que c'est une élection très médiatisée, très personnalisée afin de lancer une candidature pro-parité qui pourrait être de facto un référendum. Certain-es sont farouchement contre cette idée ; mais ce serait bien d'en débattre.

Françoise Gaspard

Des esprits pervers, sûrement, ont lancé cette idée...

Mariette Sineau

C'est Georges Vedel 20qui a suggéré cette idée ; je le cite parce qu'il m'a dit qu'il tenait à la paternité de cette idée.
(Rires)

Françoise Gaspard

Entendre que cela constituerait de facto un référendum me sidère.
De quoi parle-t-on ? À un référendum, on répond oui ou non. On risquerait de se trouver avec 10 candidats et un-e pauvre candidat-e qui se battra la parité ; c'est le meilleur moyen pour ridiculiser une idée qui est une idée forte.
En revanche, qu'il y ait un puissant mouvement dans ce pays pour interpeller tous les candidats et toutes les candidates sur ce qu'ils et elles pensent de la création d'une véritable démocratie paritaire, c'est autre chose. Est-ce qu'il y aura la capacité pour cela ? Je commence à penser que oui. Mais, il faut des troupes et des gens convaincus.

Maya Béchard

Il y a eu, par exemple, le mouvement qui a émergé à partir du Manifeste pour la parité paru dans Le Monde;  je voudrais demander à Françoise Gaspard ce qu'est devenu ce mouvement.

Françoise Collin

Quelles sont les stratégies les plus efficaces ? C'est cela le problème. Elles peuvent être diverses d'ailleurs.

Françoise Picq

Je trouve que nous sommes parties sur une idée formulée par ce sur la parité ; cela fait des mois et des mois que nous débattons des avantages, des inconvénients et des oppositions entre ces thèses. Je trouve que nous sommes bloquées sur cette idée de la loi et que nous refusons d'envisager d'éventuelles autres façons de contourner le problème. L'argument de Monoury selon lequel le problème peut se gérer dans le cadre de partis comporte certains éléments que nous pouvons partager.
Nous pourrions envisager cette éventualité.
Dans les autres pays européens où les choses ont bougé, ce fut dans le cadre de quotas dans les partis.

Mariette Sineau

Ce n'est pas juste. En Italie, il y a eu des lois sur les quotas.

Françoise Picq

Oui, mais on ne peut pas dire que ce soit un succès.

Mariette Sineau

Il y a quand même 16 % des femmes à l'Assemblée Nationale.

Françoise Picq

Il faudrait voir concrètement. Mais, en Allemagne, en Scandinavie, partout où cela a marché, c'est passé par les partis. 21 Les partis structurent la vie politique ; qu'on le veuille ou non, c'est comme ça. Donc, je ne sais pas si nous avons intérêt à nous boucher les yeux par rapport à cette réalité et à vouloir aller tout de suite à un stade légal qui, lui, pourrait être le résultat d'un processus.
Il y a quelque chose qui me choque dans cette obligation de résultats.
Je suis en revanche favorable à ce que les choses changent au niveau de l'égalité des chances.

Françoise Gaspard

Je crois qu'il faut penser une société où, dans l'espace public, il y ait enfin égalité entre femmes et hommes. Donc, tout peut être envisagé.
Je reviens sur mon idée de rapport de forces : il ne se passera rien, nulle part, y compris dans les partis, sans rapport de force.
Au sein du Parti Socialiste, des femmes se sont battues, pendant des années, pour des quotas.
J'ai toujours voté contre, parce que j'étais déjà "programmée" sur ces 50 %.
10 %, 30% , pour moi, c'est insupportable...
Elles ont cependant obtenu l'inscription de quotas, dans les statuts. Qu'avons-nous vu ? Le parti socialiste présente une liste paritaire aux élections Européennes. 8 ou 15 jours après, Rocard est "débarqué" et se constitue une nouvelle direction du parti.
J'ouvre Le Monde : pas une femme !

Nous avons été un certain nombre à réagir. Nous avons notre carte au parti socialiste;  nous n'y militons plus, pour telle ou telle raison, mais nous avons réagi en tant que "consommatrices".
Mais nous allons être très vigilantes avec la nouvelle direction. Nous demandons que les quotas inscrits dans le règlement du parti soient respectés. En l'état actuel des choses, c'est la seule stratégie que nous ayons trouvée, faute d'une capacité de mobilisation interne. Car, en son sein, il n'y a plus de mouvements, plus de mouvements de femmes, notamment.
Il ne faut pas croire que les décisions, les quotas, ou la parité soient une panacée, s'il n'y a pas en même temps, dans la société, une demande des femmes à participer de la décision.
Je pense qu'il se passe actuellement quelque chose, une sorte d'agacement réel des femmes confrontées à la masculinisation excessive du pouvoir. Rien ne bougera sans un mouvement... Regardez l'avortement, comment cela s'est -il passé ?

Marie-Victoire Louis

Sur des siècles de cadavres...

Françoise Gaspard

Je crois, en plus, que cette mobilisation n'est pas néo-féministe, mais post-féministe.
Le fait qu'elle se fonde sur la revendication d'une société cogérée par les femmes et par les hommes nous oblige à repenser tout l'ensemble du mouvement féministe.

Éliane Viennot

Pour rebondir sur ce que disait Françoise Picq, je pense aussi que plus il y a aura de stratégies mises en oeuvre, mieux cela vaudra.
Je ne pense pas pour autant qu'il faille changer notre fusil d'épaule, dire qu'une loi semble trop difficile et qu'il faudrait faire autre chose. Je ne crois qu'en un front de femmes à l'intérieur et à l'extérieur des partis politiques. Les femmes de l'intérieur des partis ne peuvent quasiment rien et ne bougent pas s'il n'y a pas un mouvement à l'extérieur. Et les seules pressions extérieures de personnes sans position de pouvoir ne seront pas suffisantes. Il faut construire un mouvement sur cette question-là, Et, plus il y aura de lieux d'investissements, plus il y aura de stratégies de lobbies, mieux cela vaudra. Mais ce mouvement doit être pensé dans l'unité et dans la permanence des projets.

Une loi, à cet égard, permet de ne pas dépendre du rapport de force interne aux partis. J'en ai assez de penser qu'il faut toujours être sur la brèche, nous féministes ; que nous devons toujours être vigilantes.
Bien sûr, on peut toujours revenir sur une loi, mais moins vite que dans le cadre des régressions auxquelles on assiste en ce moment.
Il faut essayer toutes les stratégies et les mener ensemble.
Une élection présidentielle peut s'avérer un bon moment pour faire entendre cette revendication.
Mais nous ne sommes pas encore assez nombreuses et nombreux pour être d'accord pour se battre pour la parité.

Ginette Lemaitre

Il est important que cette revendication de parité dépasse les enjeux strictement politiques. Récemment ont eu lieu les Assises du Métaphore, sur la culture, à Aubervil1iers, chez Jacques Ralite. Il y avait 17 hommes à la tribune et pas une seule femme ! Lorsqu'on a évoqué le problème, on nous a répondu qu'ils ne s'en étaient pas rendu compte !

Anne Le Gall

Pour revenir aux questions juridiques, le fait que les quotas étaient un amendement à une loi nous a beaucoup desservi auprès du Conseil Constitutionnel. Si cela avait été une loi, il y aurait eu un exposé des motifs ; cela aurait été plus discuté.
L'intérêt d'une proposition de loi serait d'en faire quelque chose de très argumenté, qui répondrait aux arguments du Conseil Constitutionnel, concernant notamment la notion de "catégories" parce que c'est fondamental.

La deuxième chose c'est qu'en France, la relance d'un débat, dans un milieu politique bloqué, se fait souvent par le livre. Et je pense qu'il faudra un livre ayant plus d'audience que le nôtre. Je conclurai sur l'École Normale Supérieure, en disant clairement que ce que j'ai dit ne signifie pas que je demande des concours séparés.
Ce que je veux, c'est la parité, mais dans un processus d'intégration.
Ainsi, ce n'est pas difficile, lorsqu'on a toutes les copies corrigées anonymes, de "sortir" autant de femmes que d'hommes parmi ceux qui seront intégré-es à l'École.
Et c'est cela qui change tout.
Certes, il y a l'anonymat à la correction, mais il y a bien un moment où les personnes sont désignées par leur nom pour décider qui va intégrer l'École.

Danielle Lochak

On prend les 50 premières et les 50 premiers ? Moi, je suis contre.

Anne Le Gall

Je suis étonnée que les femmes soient contre. Nous sommes suicidaires.

Françoise Picq

Dans le cas inverse, combien as-tu de concours où l'anonymat à l'écrit est respecté, où il y a plus de femmes que d'hommes qui sont bien placées à l'écrit, et où, à l'oral, ce sont des hommes qui sont choisis ? Tu peux donc pas revendiquer une telle chose qui peut se retourner contre les femmes.

Maya Béchard

La parité a été utilisée dans l'autre sens à l'École Supérieure de la Magistrature, où, sous réserve de vérifications, elle a été instaurée pour limiter un déséquilibre en faveur des femmes.

Anne Le Gall

Je pense que ces concours ont été très mal préparés et que cela a déclenché quelque chose de fallacieux qui n'est pas l'égalité. Tant que nous accepterons comme acquis, qu'en France, il n'y a pas de discrimination, alors n'y aura jamais d'incitation positive. Au nom de l'argument selon lequel cela heurterait nos principes idéologiques, nous renonçons nous-mêmes à ce qu'il y a de plus important concernant l'évolution du droit. Un droit, dont les résultats sont ce qu'ils sont, doit être remis en cause.
Il y a quand même une obligation de résultats dans un système juridique dans lequel, depuis 50 ans, il n'y a toujours que 5 % de femmes au Parlement. Il me semble que c'est une question politique majeure.

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Notes de bas de page
1 Lochak Danièle. , "Les hommes politiques, les 'sages' ..., et les femmes" ( A propos de la décision du Conseil Constitutionnel du 18 novembre 1982). - Droit Social, N° 2. février 1983, pp 131-137.
2 N° 82-146 DC du 18 novembre 1982.
3 Sineau Mariette. - Mise en oeuvre de la démocratie paritaire en France : obstacles juridiques, voies et moyens pour les contourner. - Conseil de l'Europe. Comité directeur pour l'égalité entre les femmes et les hommes. Octobre 1994. 19 p. A paraître.
4 Note de l'Éditrice : La déclaration péremptoire de Madame Colette Coddaccioni, Ministre de la solidarité entre les générations du premier gouvernement d'Alain Juppé : "Aujourd'hui, tout est dans la loi. Il n'y a plus qu'à appliquer les textes" (Le Figaro, 26 septembre 1995) peut être interprétée comme un blocage de cette éventualité. Cette affirmation, par ailleurs, nie - implicitement - le rôle législatif du Parlement.
5 Professeur de droit à l'université d'Aix-en-Provence. Cf., son intervention au colloque organisé par Gisèle Halimi à l'UNESCO et publié dans le livre issu de cette rencontre. (voir bibliographie).
6 Note de l'Éditrice : L'histoire française abonde de propositions législatives concernant l'octroi partiel du droit de vote à certaines "catégories" de femmes. Cet argument donc largement idéologique.
7 Il était alors Président du Conseil Constitutionnel.
8 Recueil Dalloz. - Sirey, 1990, n° 10,8 mars 1990. Jurisprudence, p. 135-136. Cf., aussi le commentaire de l'arrêt Nicolo par Paul Sabourin: "Le jardin à la française". - Ibid., p. 136-141.
9 Note de l'Éditrice : L'article 17 de l'ordonnance du 21 Avril 1944 posait que: "Les femmes sont électrices et éligibles dans les mêmes conditions que les hommes".
10 Cf Halimi Gisèle. - "Un référendum pour les femmes". -Le Monde diplomatique, octobre 1994.
11 Cf Le Monde, 19 octobre 1994.
12 Secrétaire général du Parti Républicain.
13 In: "La déclaration des droits de l'homme et du citoyen". Colloque des 25 et 28 ] Conseil Constitutionnel. Paris, PUF, 1989, p. 97 à 110.
14 Professeur de droit public. Auteur notamment d'un Traité de droit constitutionnel en cinq volumes, publié en 1921.
15 Note de l'Éditrice : sous les codes Napoléoniens, le statut juridique des enfants mâles était transitoire, celui des femmes était définitif.
16 Cf. l'expérience de la revue "Actes. Les Cahiers d'action juridique"pendant près de 20 ans.
17 Égalité entre les sexes, Mixité et Démocratie (sous la direction de Claudine Baudoux et Claude Zaidman). - Paris: L'Harmattan - Collection Logiques sociales, 1992. 18 -
18 Cf., Louis Marie-Victoire  - "L'absence de discrimination suffit-elle à fonder l'égalité ?". ln La lettre de l'AVFT. - n° 4. Nouvelle série. Automne 1994.  
19 Cf., Louis Marie-Victoire. - "La violence masculine : responsabilité des hommes ou enjeu politique", in: La lettre de l'AVFT. - n° 6, Printemps 1995.
20 On pourra se référer à son article : "Les 20 % de femmes et la Constitution", Le Monde, 3 février 1979.
21 Note de l'Éditrice: On pourrait aussi évoquer l'expérience très intéressante du  S.P.D. allemand.

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