Politiques publiques France
 Marie-Victoire Louis  *

La politique du gouvernement Jospin est-elle féministe ?1

Bulletin Ruptures. Avril 2000
Les Penelopes. Org. 30 Janvier 2001

date de rédaction : 07/03/2000
date de publication : 01/04/2000
mise en ligne : 03/09/2006 (texte déjà présent sur la version précédente du site)
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La manifestation de samedi 15 janvier organisé par le Collectif national pour les droits des femmes - aussi peu revendicative a-t-elle été à l’égard du gouvernement - a cependant posé des demandes qui prennent le gouvernement en défaut.
En quoi la politique que celui-ci a mené répond-elle aux attentes des femmes vivant en France?   

On pourrait citer à son actif :

* L’insertion dans la Constitution d’un alinéa ainsi rédigé: « La loi favorise l’ égal accès des femmes et des hommes aux mandats et aux fonctions.» Mais il faut rappeler que le préambule de la constitution de 1946, repris dans la constitution de 1958, affirme déjà : «La loi garantit à la femme, dans tous les domaines des droits égaux à ceux de l’homme  » et que le programme électoral du P.S demandait:« L’inscription dans la Constitution de l’objectif de la parité entre hommes et femmes ». Ainsi le terme même de parité a disparu et cette modification de la constitution a été qualifiée de « marivaudage législatif » par le constitutionnaliste Georges Vedel.

* La publication d’une circulaire sur la féminisation des titres et des fonctions. Mais celle-ci était une reprise d’une circulaire du gouvernement Fabius de 1986.

* La campagne « contraception » qui vient de débuter. Mais celle-ci ne répond pas aux demandes très précises des associations de femmes concernant la contraception, l’IVG et l’avortement.

* Le vote de la loi sur le Pacs, dont peuvent aussi bénéficier certaines femmes. On notera qu’elles sont fort peu nombreuses. Mais, pour elles comme pour les hommes, le mariage entre deux personnes de même sexe et l’adoption d’enfants sont toujours impossibles.

De fait, seule Ségolène Royal, ministre de l’enseignement secondaire, met en oeuvre, pour son ministère, certains éléments d'une politique que l’on peut considérer comme positive : lutte contre les violences sexuelles à l’école, contre le bizutage, mise à disposition dans les infirmeries des collèges et des lycées de moyens de contraception d’urgence.

En regard, on attend toujours de Marie George Buffet le lancement de sa politique concernant les violences sexuelles dans le sport.

***

Le passif du gouvernement est, quant à lui, lourd.

Celui-ci a globalement maintenu inchangées les structures et les moyens mis en place par le gouvernement Juppé. Le budget attribué au Service des droits des femmes - 100 millions de francs ! - en diminution constante depuis des années, a été légèrement augmenté cette année. Mais la campagne « contraception » en 'mange' un cinquième. On se souvient, par ailleurs, que Lionel Jospin avait poussé la logique de l’impuissance institutionnelle jusqu’à refuser à Geneviève Fraisse, nommée déléguée interministérielle, l’autorité sur le service « Droits des femmes ». Actuellement, les moyens de ce service lui interdisent la mise en oeuvre de tout projet innovant. Quant à la discrétion de Nicole Pery, Secrétaire d’Etat aux Droits des femmes, elle confine au mutisme.

Les déléguées régionales et aux chargées de mission départementales aux  droits des femmes qui incarnent la politique de l’Etat, n’ont par ailleurs rencontré qu’une seule fois, rapidement, leur ministre de tutelle, Martine Aubry.
Elles sont majoritairement contractuelles ou vacataires; l’une d’elle travaille un après-midi par semaine. Leurs contrats ont été réduits de trois ans à un an en septembre 1997. Elles sont sous qualifiées et maintenues dans les catégories B et C de l’administration, alors que plus d’une dizaine devraient faire partie de la catégorie A. Elles sont mal payées; nombreuses sont celles qui touchent 6.000 fr. par mois. L’une d’elles, embauchée en 1988, gagne 7.000 fr. net. Une autre ne serait même pas payée. Quant à celles qui s’intégreront dans la nouvelle grille de gestion des agents contractuel-les, leur carrière et leur salaire sont définitivement bloqués. Les postes vacants ne sont plus remplacés. Et celles qui « restent » ne reçoivent même plus les circulaires émanant des ministères :« Je regarde, impuissante, les choses se déliter devant moi » dit l’une d’elles, pourtant combative et imaginative.

Concernant la politique de l’emploi - alors que 60 % des 2,5 millions de femmes « au foyer » voudraient avoir un emploi et plus de la moitié des travailleuses à temps partiel voudraient un emploi à temps plein - on retiendra que Martine Aubry a simplement évoqué une « moralisation du temps partiel ».

Et la ministre n’était pas présente, en octobre 1997 au 25 ème anniversaire du CNIDF, Centre national d’information sur les droits des femmes, en octobre 1997, dont le thème était: « Femmes et emploi, quelles perspectives ? ». Pour Annie Junter Loiseau, maître de conférence en droit social : « l’argument de l’emploi du temps surchargé de la ministre n’a fait qu’accentuer le côté ‘violence institutionnelle’ de cette absence à l’égard des associations et des femmes en général ». Et elle poursuit : «Dans les emplois-jeunes à la conférence de l’emploi, on a cherché en vain des mesures d’égalité... Le même silence sur l’égalité règne dans le débat autour de la réduction et de l’aménagement du temps de travail et la loi sur les 35 heures. »

Concernant les inégalités de salaires entre hommes et femmes : 25 %, on en vient presque à regretter Anne-Marie Couderc, membre du gouvernement Juppé, qui avait au moins affirmé que « les situations injustes devaient être combattues », qu’elle était «profondément choquée par les inégalités de salaires entre hommes et femmes » et que «de telles discriminations ne sont pas admissibles à la veille du XXI ème siècle ».

Concernant la lutte contre les violences masculines - au moment où le gouvernement suédois met en oeuvre avec fierté une ambitieuse politique, la question même est, pour le gouvernement, hors sujet. En France, on peut encore proposer une politique sur la « délinquance des mineurs », sur la « violence des banlieues », et, encore trop souvent, sur « la violence à l’école », sans que la dimension masculine de cette violence, ni le sexisme qui la nourrit ne soit évoquée. Significativement, les statistiques du Ministère de l’Intérieur sur la criminalité ne nous permettent même pas de savoir qui tue qui, qui viole qui, qui harcèle qui....

Quant à Martine Aubry, toujours en charge des « droits des femmes », elle n’a jamais eu un seul mot, ne serait-ce que de compassion, pour toutes les petites filles, adolescentes, femmes adultes, battues, violées, assassinées dont la presse se fait quotidiennement l’écho. Sa seule déclaration à la presse concernant le viol d’une jeune touriste néerlandaise aux Sables d’Olonnes, le 13 août 1997, fût pour dénoncer « qu’à partir d’un fait-divers...dramatique, on stigmatise des jeunes des banlieues. »

Mais ce sont tous les chantiers législatifs du gouvernement qui ont entériné, et sans doute aggravé, les différences entre les sexes.

La loi sur l’exclusion « a exclu les femmes de l’exclusion », commente lucidement une fonctionnaire.

La loi sur les 35 heures, sans correctif d’aucune sorte, en traitant les femmes comme si elles étaient des hommes, perpétue toutes les inégalités.

Quant à la loi sur la présomption d’innocence, elle n’a fait écho à aucune proposition de réformes législatives et de la justice émanant des féministes. Et ce, alors que, devant la police, la justice, dans leur vie quotidienne, les femmes victimes de violences masculines sont encore, tous les jours, considérées comme coupables tant qu’elles n’ont pas démontré leur « innocence ». En cohérence avec l’histoire de notre droit.

Globalement, le propos de Geneviève Fraisse qui affirmait dans le Monde du 7/8 juin 1998 : « Les femmes ne se reconnaissent pas dans les lois qui sont votées » sonne donc toujours juste. Dans la mesure où les femmes représentent la moitié de l’électorat, on peut affirmer que cette réalité est le talon d’Achille du gouvernement. L’écart selon les sexes de soutien à l’égard du gouvernement que révèlent les sondages, non publiés, est là pour en attester.

De fait, le gouvernement n’a pas de politique visant à changer positivement la situation des femmes vivant dans ce pays. La lettre d’invitation de Lionel Jospin à la réception du 8 mars à Matignon, évoquait : « l’occasion de faire le point sur le rôle des femmes dans notre société et, surtout, de rappeler la place qu’elles devraient y tenir. » Martine Aubry, pour sa part, a décidé d’inviter « à l’issue de la manifestation », (du 15 janvier) à une « réception conviviale...pour fêter les 25 ans de la loi Veil et  marquer notre profond attachement aux droits des femmes.»

Mais, plus encore, depuis son entrée en fonction, le gouvernement bloque quasiment toutes les demandes des femmes, des associations de femmes et des féministes. Un seul exemple parmi des dizaines d’autres: Dominique Gillot, Secrétaire d’Etat à la santé, se refuse toujours à répondre clairement aux demandes du comité de défense de la gynécologie médicale dont la pétition a été signée par plus d’un demi million de personnes.

La situation est, de fait, difficile pour le gouvernement qui sait fort bien que c’est l’ensemble de sa politique qui doit être pensée de manière à empêcher, réduire et corriger ses effets différenciés sur les hommes et sur les femmes. Il sait aussi fort bien aussi que l’apport des femmes à la société est sans commune mesure avec ce dont elles bénéficient : « On ne demande pas le remboursement de la dette que l’Etat a à notre égard. On se contenterait du remboursement du capital » disait une féministe allemande.

Mais il doit aussi savoir que s’il n'affirme pas sa volonté de lutter dans tous les domaines, contre les inégalités, discriminations, exclusions, violences, humiliations sexistes de toutes sortes qui sont le quotidien de toutes les femmes, celles-ci sont en droit de dire qu’il les accepte, voire qu’il les cautionne.

Et il ne doit pas oublier, qu’un jour - au terme d’une longue maturation, et sans que l’on sache vraiment pourquoi - une société considère comme « injuste » ce qui, la veille encore, était « normal ».

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Notes de bas de page
1 Texte envoyé au Monde mais non publiée. Texte adressé à Lionel Jospin , Premier Ministre, à la suite de la lettre de refus, en date du 7 mars, de « l’invitation devenue rituelle de Matignon à l’occasion du 8 mars. En tant que féministe, elle conteste fermement la politique du gouvernement socialiste et en fait état dans sa lettre au 1er ministre et dans un article que le journal Le Monde a refusé de publier’. Présentation sur le site des Penelopes.

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