Le programme du PS a mis en lumière ce que les féministes dénoncent depuis longtemps : ce parti n'a rien à proposer en matière de droits des femmes.
Léon Blum déclarait le 23 mai 1937 : "En prenant deux femmes au sein du gouvernement, la SFIO a virtuellement réalisé l'égalité des sexes"1, tout en reconnaissant il est vrai " le paradoxe qui voulait que des femmes puissent être ministres, sans [pouvoir] être députée".
Cinquante ans après, cette assertion prête à sourire. Et pourtant !
Le gouvernement Jospin comporte six femmes ministres, dont la plupart sont féministes2.
La question que nous devons poser dans un premier temps - et leur poser - est : En quoi leur présence va t-elle changer la vie des femmes ?
Si l'on s'en tient strictement au programme du PS, les seuls engagements du parti sont les suivants :
- "Inscription dans la constitution de l'objectif de la parité hommes-femmes", c'est-à-dire sans obligation de résultat, ni précisions sur les moyens. Et sans que le terme ne soit défini.
- "La lutte pour l'égalité professionnelle entre les hommes et les femmes" qui n'est que le rappel symbolique à la loi Roudy de 1983 qui a révélé depuis longtemps son inopérationalité.
Ce programme, diffusé à des millions d'exemplaires, a au moins le mérite de mettre en lumière ce que les féministes dénoncent depuis longtemps : à quelques exceptions près l'appareil du PS [qui n'a partiellement évolué qu'en matière de représentation des femmes dans la sphère politique] n'a rien à proposer en matière de défense et d'avancées des droits des femmes. Et ce, alors que ses alliés Verts et communistes, au moins au niveau de l'appareil, non seulement se revendiquent féministes, mais sont effectivement présents dans les luttes de femmes. 3
Il n'est donc pas étonnant qu'aucune structure ministérielle propre chargée de la défense et de l'avancée des droits des femmes - que Dominique Voynet, féministe conséquente et engagée avait revendiqué 4- n'ait été acceptée par Jospin.
Ce choix politique est même symboliquement une régression par rapport au gouvernement Juppé : aussi catastrophique son bilan ait-il été, Anne-Marie Couderc était néanmoins ministre déléguée à l'Emploi, chargée des droits des femmes.
Plus signifiants encore, tous les signes donnés, à ce jour, sont négatifs.
Ainsi, selon le décret du 12 juin qui donne la liste impressionnante de ses attributions, c'est Martine Aubry, ministre de l'Emploi et de la Solidarité qui est : "également compétente en matière de famille et d'enfant, de droits des femmes, de personnes âgées, de personnes handicapées, d'immigrés, de naturalisations et de lutte contre la toxicomanie".
Compte tenu de cet embrouillamini conceptuel, il eût été préférable que disparaissent totalement de ses fonctions les "droits des femmes".
Le gouvernement aurait dû alors expliquer au monde entier comment la France avait pu régler tous les problèmes posés par les relations entre les sexes.
Et comment, après s'être auto proclamée la patrie des "droits de l'homme", elle pouvait revendiquer fièrement son statut de [premier ?] pays post-patriarcal.
Faut-il rappeler :
- Que les enfants, les toxicos, les handicapé-es, les immigré-es, les personnes âgées sont composées de garçons et de filles, d'hommes et de femmes ?
- Que, depuis des siècles, "la famille" est une structure sociale qui fonctionne sur le modèle patriarcal ;
- Que c'est au nom de la défense de la famille que les droits des femmes ont toujours été sacrifiés ;
- Que l'absence de discrimination formelle dans le droit n'est pas synonyme d'égalité ;
- Que les violences masculines contre les femmes, justifiées pendant des siècles par la séparation entre la "sphère publique" et la "sphère privée" fait littéralement, voler en éclats la notion même d'égalité entre les sexes ?
Deuxièmement, aucune décision n'a été prise de remplacer la responsable du service "Droits des femmes", nommée par un gouvernement particulièrement misogyne et antiféministe. Faut-il en déduire que ce poste n'est pas assez politique, ou pas assez important ? Aussi, ce service, ainsi que les déléguées départementales et régionales chargées des droits des femmes continuent de naviguer à vue, sans projet clair, sans soutien politique d'aucune sorte.
Troisièmement, aucune réponse n'a été donnée à toutes celles qui avaient exprimé inquiétudes et desiderata. Une association a reçu un aimable accusé de réception de Matignon, transmettant son courrier à Martine Aubry, chargée du "sujet". Une de mes amies à qui j'évoquais mon étonnement concernant l'emploi de ce terme a ainsi réagi : "Tu vas voir, bientôt, nous [les femmes] serons un problème. "
Aucun engagement n'a été donné d'augmenter le honteux budget de la structure administrative chargée des droits des femmes, soit 103 millions de francs (incluant les frais de personnels, de fonctionnement et les crédits d'intervention à hauteur de 79 millions) soit 0,005 % du budget de l'Etat. Il n' a pas non plus été proposé de rétablir les crédits des "campagnes de communication" supprimés, ou la ligne budgétaire : "emploi-formation-égalité professionnelle" drastiquement diminuée dans le budget 1997.
Enfin, aucune discussion n'a eu lieu avec les associations de femmes ou féministes ; aucune demande de rendez-vous n'a été honorée.
Rappelons que, dans ce même budget 1997, les subventions à ces associations atteignaient le mirifique 5chiffre de 20 millions de francs. 6
Qu'aurait l'Etat français à évoquer positivement dans les réunions internationales concernant les droits des femmes s'il n'avait à mettre en valeur le travail, les actions, les publications des associations qu'il a - quelques fois - l'intelligence de traduire politiquement ?
Et aucune proposition de rétablissement de leurs subventions n'a été transmise aux associations combattues par le gouvernement Juppé et soutenues dans leurs luttes (pas si lointaines) par les Verts, les communistes, et même par les socialistes...
Sans faire injure aux femmes, aux féministes remarquables7 nommées ministres, la politique ne se résume pas à l'addition de " bonnes volontés". Il faut en outre noter qu'aucune d'entre elles n'a repris à son compte - solidarité gouvernementale oblige - leur identité politique de féministe.
Et si l'histoire a un sens, nous devons nous souvenir du triste bilan féministe du premier gouvernement Blum qui comportait trois femmes ministres de grande valeur intellectuelle, politique, militante : Irène Jolliot-Curie, Suzanne Lacore et Cécile Brunschvicg. Et plus particulièrement de l'abandon par cette dernière nommée sous-secrétaire d'Etat à l'Education nationale, de la revendication du suffrage universel, alors qu'elle était l'ancienne présidente de l'Union pour le suffrage des femmes !
La question d'ailleurs n'est même pas là. Car n'évoquer que la présence des femmes ministres ou députées signifierait que la domination masculine, serait un "problème-de-femmes"; que seules les femmes de lutter pour les droits des femmes, déresponsabilisant ainsi et les hommes et le système.
Devoir rappeler une telle évidence donne - me semble-t-il - plus que toute analyse féministe sophistiquée, la vraie mesure de l'extraordinaire blocage intellectuel français à toute remise en cause de cette domination.
Les femmes paient très cher le prix des deux mythes fondateurs de la société française - à l'élaboration desquels elles n'ont jamais conceptuellement participé - :
* "L'universalisme" révolutionnaire puis républicain qui laisse croire que les hommes et les femmes sont égaux en droits et
* "La séduction à la française" qui occulte toute prise en compte de la violence en œuvre dans la relation de pouvoir entre les sexes.
Pourquoi poser la question de la domination masculine puisque les hommes vous ont "déclaré" égales à eux et que les rapports entre les sexes relèvent de "l'exquise distinction" que tous les peuples nous envient.
C'est sur ce double mensonge que fonctionne la société française.
À la fin du mois, le gouvernement va décider des décrets d'avances budgétaires. Souhaitons que les choix pris alors démentent cet article et que l'absence d'un ministère chargée des droits des femmes soit enfin l'occasion d'une politique qui concernerait tous les ministres sans exception.
Il suffit de le vouloir politiquement.
Pour ne prendre en compte que les violences masculines envers les femmes - qui concernent quelques millions de personnes - ce sont des dizaines de propositions de réformes qui existent, qui sont prêtes et qui pourraient - et qui doivent - être mises en œuvre durant les cinq prochaines années.
Mais, pour cela, une réouverture, au sein de la "société civile" des questions posées par les féministes, c'est-à-dire sur la nature des rapports à construire entre hommes et femmes , entre chacun-e d'entre nous - est incontournable.
Mais, c'est sans doute là où le bât blesse. Car, c'est ouvrir la boîte de Pandore qui voudrait que l'exigence de morale en politique concerne aussi la vie dite "privée".
Et, ça, c'est vraiment changer d'avenir.
L'ennui, c'est que c'est vraiment subversif…