Politiques internationales
 Marie-Victoire Louis

Journal d’une féministe française qui tente de résister
aux discours et aux politiques dominantes
11 Septembre / 20 septembre 2001

(À la suite des attaques contre les Twin Towers de New York, le 11 septembre 2001)

Publié sur le site Penelopes.org
01/11/2001

date de rédaction : 21/09/2001
date de publication : 01/11/2001
mise en ligne : 16/10/2006 (texte déjà présent sur la version précédente du site)
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* J’apprends par une amie la nouvelle de ce qui vient de se passer aux Etats-Unis.
Le monde ne sera plus jamais le même.
La troisième guerre mondiale est commencée : sans ennemi connu.

Ce que je ressens d’abord, c’est la stupeur, puis l’horreur, enfin, le sentiment d’impuissance. Le tissu blanc brandi par la fenêtre d’une de deux tours, puis celle de ce corps en chute libre resteront pour moi les images marquantes : à l’horreur vécue par toutes ces personnes, sous le regard du monde entier, personne n’avait de réponse.
Ensuite, je suis moins submergée par l’émotion, par la compassion pour les victimes, que par le besoin que je ressens comme urgent de tenter - ne serait-ce qu’un peu - pour les occidentaux de s’interroger sur le pourquoi de ces attentats.
Ce que je ressens donc d’abord c’est que si les Etats-Unis et l’occident ne remettent pas en cause ce qu’ils osent appeler “ leurs valeurs ” - bien que Bush et Sharon parlent aujourd’hui plus significativement de “ mode de vie ” - alors c’est vraiment l’ère de la barbarie qui va durablement s’installer : terrorismes contre terrorismes.  

Rien de positif ne peut être construit par la haine, ni en réaction à la haine.   

Peut-on espérer maintenant un séisme des consciences ?  

Les causes profondes de la haine que la politique occidentale cause depuis si longtemps dans tant de pays doit d’abord et avant tout être réfléchie. Certes, les Etats-Unis incarnent cette politique, mais les pays européens - nous donc - sommes aussi concernés. Nous sommes du même côté de la barrière qu’eux.  

Nous ne pouvons pas continuer à vivre sans tirer les conséquences de l’histoire, à savoir que la croissance des pays riches, de nos pays, s’est construite sur l’esclavage, l’apartheid, le colonialisme, le pillage des richesses des pays pauvres. Et que les politiques libérales, sans lesquelles nous ne pourrions bénéficier du niveau de vie qui est le nôtre, affament un monde déjà exsangue auquel, en outre, nous vendons nos armes.
Nos pays :
°ont provoqué tant guerres, humilié tant de peuples.
°ont tant bombardé, tant assassiné, tant torturé.
°ont, par anticommunisme primaire, bloqué tant de processus démocratiques et tant soutenu tant de forces sociales et politiques parmi le plus rétrogrades, dans le monde Arabe, en Afrique, Asie, Amérique latine. Partout.  
°ont préparé et fait tant de coups d’état, soutenu politiquement et financièrement tant de bandits, de maffieux, de politiciens véreux, de chefs d’état corrompus.
°ont recyclé tant d’argent sale qui alimentent leur croissance et financent leurs partis politiques, via leurs sociétés écrans, leurs paradis fiscaux, leurs banques.
° sont directement responsables de la création de ces dizaines de millions de réfugié-es.
°ont détruit tant de cultures pour imposer leur mode de vie.  

Les Etats occidentaux ont semé la haine, ils récoltent la tempête.

Ils ont enfin légitimé - quand ils n’en ont pas été à l’origine - toutes les régressions institutionnelles aux femmes du monde, sans réagir, sans la moindre humanité. Ou plus justement, sur ces reculs, ils se sont donné les moyens d’indignations sélectives : les “ viols ” en Bosnie ; les “ crimes d’honneur ” en Jordanie, les “ violences faites aux femmes ” en Algérie, la violence dite “ conjugale ” en Espagne, les “ mariages précoces ” en Afrique… etc , etc, etc..

Mais dans le même temps, la communauté des Etats ont enterré toutes les revendications liées à la suppression des codes de la famille, de statut personnel, coutumiers, religieux qui ratifient, promeuvent et renforcent les droits des hommes à exercer légitimement des violences sur les femmes. Et leur pouvoir sur elles.
La charria, notamment, et son cortège de barbaries dont les femmes sont les premières cibles s’est tranquillement installée comme source légitime de droit dans un nombre sans cesse croissant d’Etats, sans inquiétude pour ses millions de victimes.    
Enfin, la même communauté des Etats a, là encore sans réaction politique, légitimé le système prostitutionnel, mis les sexes, les corps, les êtres humains - femmes, petites filles, adolescentes, jeunes garçons essentiellement - sur le marché mondial.

Et pour parler de l’Afghanistan, comment juger de l’absence de toute réaction politique américaine et européenne à la politique décidée, mise en œuvre par les Talibans qui s’attaquaient à la vie même de la moitié de la population de ce pays, les femmes afghanes ? Et qui se souciait que Ben Laden - le fils unique de la onzième femme de son père - “ aurait quatre femmes ” ? Les femmes, si elles l’avaient su.

La vérité première du féminisme serait peut-être que l’inhumanité des droits des hommes sur les femmes étant entérinée, toutes les autres violences peuvent, sur ce terreau, se perpétuer et se justifier.   

Aussi, si la télévision nous a montré - avec insistance - des images de certains palestiniens, qui n’ont plus grand’chose à perdre et dont la vie est leur seul capital, se réjouissant de ce cataclysme, ce sont sûrement des millions et des millions de personnes dans le monde qui ont sûrement pensé que l’Occident - aujourd’hui les Américains - ne pouvaient pas continuer à rester, simplement parce qu’ils sont les plus riches et les plus puissants, préservés de toutes réactions politiques dans leurs propres pays. Et donc impunis pour leurs crimes.

En tout cas, moi, je l’ai pensé.

Ajout en date du 20 septembre: Je découvre sur le forum des Chiennes de garde une analyse que je partage et que je reproduis car elle m’a aidé à réfléchir :  
“ Je gagne bien ma vie, je vis dans un certain confort, à même pas 24 ans. Je suis française, ingénieure, je fais partie de ceux à qui profite l’injustice. Je suis du bon côté de la barrière. Mais je n’ai pas la bêtise de croire que ceux qui sont de l’autre côté, vont se laisser avoir éternellement sans réagir. Je ne vais pas me dire ‘choquée’ de cela.
Ces gens ne vont pas me regarder manger à ma faim et même plus, changer de voiture, m’offrir des tas de trucs parfaitement inutiles par plaisir, tant qu’ils connaissent une vie épouvantable et, en plus souhaiter que ça dure.
Je ne vais pas être ‘choquée’ de la joie des éternels dindons de la farce politico-économique mondiale. Je comprends leur joie. Pour une fois, ce ne sont pas eux qui se sont fait avoir. Mais quand j’entends d’autres privilégiés dire : “ Ah, c’est affreux ce qui nous arrive et c’est affreux ces gens qui ne compatissent pas. Qu’ont-ils à la place du cœur ? ”, alors là je rigole, je rigole, je rigole ”.
Gaëlle.

* J’appelle des amies aux Etats-Unis pour leur demander de leurs nouvelles et leur dire que je pense à elles. L’une d’elles me réponds :
“  Je vais bien. Nous avons, tous, beaucoup de choses à faire pour nous soutenir l'un et l'autre partout, partout dans ce monde […. ] Je pense souvent à cette petite prière. “ May God bless your going out and your coming in. May He bless each minute and each hour of your day until you are home safe again ” .

* Comment reprendre le cours de sa vie, de son travail ?

* Quelqu’un à la radio refuse, à juste titre, la comparaison avec Pearl Harbour, et parle - plus justement - de comparaison avec une “ bombe atomique ”.

* Pas une seule personne endeuillée, ni une seule victime ne nous a été, pour une fois, montrée. Pourquoi, alors, dans d’autres catastrophes, en sommes nous abreuvé-es ?
Il y a non seulement des morts, mais aussi des cadavres qui valent plus que d’autres.  Certains ont légitimement droit au respect que la mort doit imposer, pas d’autres.
Et si cette règle de conduite devenait la norme à l’avenir ?  

* Un médecin français:“ Dans les films, on voit ça toute la journée ” ; une étudiante américaine : “ on dirait un mauvais film ”. Le monde semble découvrir l’évidence : “ la culture ” façonne les esprits : la banalisation de la violence la légitime en la normalisant.
N’est-ce pas ce que les féministes, notamment, disent depuis si longtemps ?  
Pour nous, les femmes, combien d’assassinats, de viols, de lapidations…faudra-t-il pour que ce même lien soit effectué entre ces représentations de la violence si fréquentes dans les livres, les films, les publicités, la pornographie, la presse, la culture et la mise en oeuvre effectives de ces violences, dont pourtant pas une femme au monde n’est indemne ?
L’ennui, pour les femmes, c’est qu’on les tue, on les viole, le plus souvent, une à une. Et qu’avec ça, c’est difficile de faire des “ Une ”

* Les Américain-es doivent critiquer la politique américaine :
Non, le monde n’a pas été créé pour que vivent les Etats-Unis.
Non, la destruction du monde n’est pas légitime parce que les Américain-es ont décidé qu’elle leur était nécessaire. C’est-à-dire, rentable pour leurs affaires.  

Une Indienne, Kamla Bhasin, travaillant à la FAO disait lors du forum des O NG  à Pékin en 1995 disait: “ Le rêve américain est devenu un cauchemar pour la majorité des gens de cette terre…on montre aux gens des brioches tout en leur enlevant leur pain quotidien ; on fait miroiter des produits de luxe en les dépouillant de leurs ressources naturelles. ” 1
Tandis que, dans ce même forum, Hillary Clinton évoquant les femmes qu’elle avait rencontrées dans un petit village du Bengladesh  affirmait que : ..“  beaucoup [lui] avaient  raconté comment leur vie avait changé depuis qu’à titre d’emprunteuses, elles avaient adhéré à un programme de création de petites entreprises de la Grameen Bank. ” 2

Les Américain-es doivent donc aussi s’interroger sur l’arrogance, le mépris, l’instrumentalisation des autres dont ils/elles sont, si souvent, coutumiers. Certes, ils/elles n’ont ont pas le monopole. Mais vivre dans le pays qui, par la force, la guerre, la violence, l’argent domine le monde oblige à porter un regard politique spécifique sur le rapport de soi à ce monde.

Les Américain-es doivent donc écouter les critiques qui leur sont faites. De la prise en compte de celles-ci dépends aussi la re-création d’un autre monde.

Pour ma part, je ressens, ici et maintenant, le besoin de rappeler deux souvenirs personnels :

- Je me souviens avec une incroyable précision d’une réaction d’une féministe américaine avec laquelle j’évoquais un texte que nous avions rédigé, lors de la préparation régionale - pourtant intitulée : “ Région Europe ” - de la conférence de Pékin, à Vienne. Elle m’a simplement dit: “ You are not on the mainstream ”. Et elle est partie.

- Une autre, lors d’une rencontre internationale de féministes aux Etats-Unis - à l’origine de laquelle était une féministe américaine, présidente d’une association- celle-ci explique ce que chacune doit “ faire ” à son retour dans son pays. L’un des points par elle proposé était de faire pression sur son propre gouvernement pour qu’il ratifie le CEDAW (Convention sur l’élimination de toutes les formes de discriminations à l’égard des femmes), ou qu’il lève ses “ réserves ” à ce texte.
Ella avait ‘oublié’ que les Etats-Unis ne l’avaient pas, non plus, ratifiée. Elle est donc restée sans voix, lorsque la question de savoir ce que, elle, comptait faire vis-à-vis du gouvernement américain lui avait été posée par une latino-américaine : elle n’y avait pas pensé.

- Enfin, combien de féministes américaines qui sont, sur le plan international à l’avant-garde de la lutte contre certaines politiques, ‘oublient’ d’intégrer dans leurs critiques l’analyse des conséquences que la politique américaine a sur le quotidien du vécu des femmes et  ‘oublient’ la responsabilité des Etats-Unis et du système libéral. Et, dès lors, la cautionnent.   

Ce retour à la responsabilité de chacun-e n’est-il pas le principal moyen en notre pouvoir de participer à la construction d’un autre monde, de sortir de l’impuissance ? Et s’opposer au monde que les criminels qui gouvernent le monde mettent en place qui, chaque jour, nous rapproche un peu plus de la barbarie.  

* Euronews. 11 H 20 : Economie. Titre : “ L’évolution boursière des sept derniers jours” . On voit une succession des tableaux qui concernent l’évolution des marchés sur les places boursières du monde. Aucun commentaire n’est fait, aucune voix ne se fait entendre, alors que tous les indicateurs étaient en baisse dramatique.
Puis, on réentend la voix du journaliste : “ A présent le sport ”….
Et la logorrhée repart…sur le sport.

La situation serait-elle si grave que même la parole deviendrait impossible ?
Ou la parole a t-elle d’ordinaire pour fonction de cacher le réel ?

* Jospin avait l’air indifférent et sa“ tristesse horrifiée ” m’est apparue comme totalement inappropriée. Chirac a lui évoqué, plus justement : “ une épouvantable tragédie ”.

Deux jours plus tard, je ré-entend une - sinon la première - réaction de Jospin: “ Rester attentif, rester calme”, sans émotion. Comme s’il voulait montrer, qu’en gardant son sang-froid, il avait l’étoffe d’un chef d’Etat. L’ennui, pour lui, c’est qu’il est en décalage par rapport à ce que l’on attend des politiques. Dorénavant, ne pas exprimer son émotion n’est plus aujourd’hui considérée comme acceptable ; on attend des dirigeants qu’ils réagissent au diapason de l’émotion collective.
En outre, ses réactions strictement politiques me sont apparues comme inadéquates par rapport aux évènements dont il n’a pas su apprécier, à temps, la gravité.

De tous les chefs d’état, celui qui semblait le plus touché - le seul bouleversé - était Yasser Arafat. Il était sans doute aussi le seul à savoir - lui qui allait devenir le Ben Laden de Sharon - le poids de ses déclarations et de leurs conséquences.

* Sur la 2e Chaine, le présentateur du matin évoque la différence d’analyse politique à la tragédie New Yorkaise en fonction des pays d’où proviennent les mails que la chaîne reçoit. Il en lit un, venant d’Asie : “ Pour une fois, on nous épargne ”.  

* Un journaliste dit : cet “ événement ” est “ dramatique pour le monde occidental, dramatique pour le monde tout court. ” 
Le drame, c’est que c’est cet amalgame qui - ainsi présenté sans autre précaution - est l’une des causes de ces attentats.  
Un autre évoque: “ l’événement qui a touché les Etats-Unis et l’ensemble du monde occidental ”.
Les non occidentaux /ales ne se sentiraient pas concernés et/ou n’auraient-ils/elles pas de sentiments ?

Nombre de concepts, de termes - qui déjà n’en avaient plus beaucoup - n’ont soudainement plus aucun sens :  

° La justice: Il y a sous les ruines du World Trade Center des milliers de victimes et on parle de“ punir les responsables ”. tandis que Bush affirme :“ Nous ne ferons aucune distinction entre les terroristes et ceux qui le protègent ”.    

°La sécurité : interviewé sur le sujet, le responsable de la mairie de Paris évoque en premier lieu, “ l’obturation des poubelles ”. Il est aussi question de “ fouilles des bagages ».
Tandis qu’au plan international, on rappelle les négociations, abandonnées, sur le “ bouclier anti-missiles ”. L’intitulé devient surréaliste.

° La notion même de sens a perdu sens : Sharon, puis Bush parlent de “ la lutte du bien contre le mal ”.

* La symbolique du viol m’apparaît soudain évidente : un, deux pénis vivants, bandants durs, ont pénétré dans un, deux pénis fièrement dressés à la face du monde, “ à la pointe sud de Manhattan ”, dont la rigidité immobile de béton et d’acier faisait la faiblesse.
Ces viols transforment soudainement le World Trade Center en vagins dans lesquels ils disparaissent.
Les pénis débandent.  
Tout s’effondre.

Et tout va - ne peut que - recommencer.   

Un sauveteur : “ Le World Trade Center doit renaître plus haut et plus fort” .  

La désintégration de soi que provoque le viol est devenue la réalité d’une ville entière, New York. Au-delà, des Etats-Unis tout entiers. Et, sans doute, plus loin encore.

Dans le Journal du Dimanche du 16 septembre, un homme dira: “ J’ai été violé ”, tandis qu’on lit dans la presse, les expressions suivantes : “ Ville labourée par les deux appareils”, “ avions encastrés dans les bâtiments ”, “ building tapé en plein centre ”, “ tours gigantesques  effondrées”.
Mais lorsque je lis que la“ ville [est] amputée de ses deux tours ”, je me demande si, à l’image du viol, il ne faut pas ajouter l’image de la castration.

* J’entends à la télévision, je lis dans la presse : “ Des personnes ont préféré se jeter dans le vide ”… La référence à un possible “ choix ” - qu’implique l’usage du verbe : “ préférer ” - s’appliquait à l’alternative suivante : être brûlé vif immédiatement dans son bureau ou sur le rebord de la fenêtre 3 où, affolé-es, terrorisé-es, se jeter par la fenêtre sans aucune chance non plus de survie.
On voit là, concrètement, les dégâts de l’usage des concepts de l’économie libérale : a contrainte donnée (non questionnée), les individus seraient censés faire des choix rationnels, et donc pensés, qui expliqueraient leurs comportements.
Et pour certains, en justifieraient la pertinence.  

* Tout m’apparaît comme dérisoire, tout est devenu dérisoire, ce journal compris.
Pourquoi alors le continuer ?
Je ressens simplement le fait qu’il a pour fonction de refléter - dans un moment historique donné - la réaction d’une femme qui, comme tout le monde, cherche à comprendre ce qui se passe, dans ce monde de six milliards d’êtres plus ou moins vivants.
D’une femme, qui, parce quelle est consciente de ce que la partie du monde où elle vit doit sa richesse et ses incontestables acquis à l’impérialisme occidental se refuse à en être solidaire.
D’une femme qui parce qu’elle est féministe, tente - difficilement - de comprendre pourquoi le féminisme, lui apparaît toujours, comme le combat politique premier.

* “ Le Pentagone continue à brûler ”. On parle de “ 800 à 900 morts ”. Puis de “ 100 à 800 ”

* Daniel Vaillant : “ Il n’y a pas de menace particulière pour la France ” !
Y avait-il eu une “ menace ” - connue comme telle ? - pour les Etats-Unis ?  

* Sur LCI. 11 h 37, la journaliste parle de “ rebonds de la bourse ”. Et Jean-Pierre Gaillard, le journaliste bousier poursuit : “ Le marché est mieux orienté ”.
Le retour de la méthode Coué : Mais si on vous dit que le monde continue comme avant ! Au pire, on évoque le “ risque d’une éventuelle récession ” . (Un analyste financier sur la 3 e chaîne)
Quand les journalistes vont-ils enfin cesser de nous prendre pour des imbéciles ?

* Mais la vraie question est dite dans le même journal par J. P. Gaillard:“ La crainte, c’est la (question de la) confiance des ménages qui pourraient réduire la consommation ”. Dans le même sens, un économiste d’entreprise (Le Crédit Lyonnais !) exprime ses craintes :“ Personne ne va plus vouloir consommer ”. (LCI. 19 h 5)
Tout est dit. La voilà, la vérité du capitalisme : les vies humaines, américaines comprises, la “ démocratie ”, les économistes, les financiers s’en foutent.  
Comment faire pour continuer à nous gaver de n’importe quoi pour que, eux, fassent des profits, c’est ça leur problème.
Notre “ civilisation ” se résumerait donc à la question suivante : comment faire de la capacité de consommer le seul projet politique du monde? Et, incidemment, le seul critère du “ moral des ménages ” ?

Sur le même plateau, Christian de Boissieu, autre économiste distingué, affirme comme relevant de l’évidence, que les débats sur la taxe Tobbin étaient dorénavant “ dérisoires ”.  
Les tenants de l’ordre du monde entendent bien profiter de l’occasion “ en or ” que ces attentats et l’émotion qu’ils ont créé, leur procure : restaurer le profit comme seule norme universelle. Et, pour cela, délégitimer par tous les moyens, la parole, les idées, les projets de ceux et celles qui non seulement, radicalement, en contestent le bien-fondé.  Mais même de ceux (dont Attac est le symbole) qui veulent, à la marge, l’aménager.

* Jean Bernard Raimond, ancien ministres des Affaires étrangères, “ vice-président de la commission des affaires étrangères ” de l’Assemblée Nationale :“Je suis partisan de l’ingérence ”. “ Il faut intervenir ” . Et en plus de “ l’Afghanistan ”, il cite encore trois, quatre, ou cinq pays, je n’en ai pas un souvenir exact. Pourquoi ne pas ajouter la Corse à sa liste ?
Une telle occasion de frapper où on veut, qui on veut, sans avoir à en donner les raisons ne se reproduira pas de sitôt.

* Les Etats-Unis vont avoir à choisir entre ces positions.
Un Américain dit : “ il y a une grande haine qui monte en nous ” ; une Américaine : “ je me rends compte du degré de colère (causé) par notre politique ”.
Si l’on en croit Bush, la première position, catastrophique, a déjà été choisie.
Une troisième Américaine, à Paris, dit : “ Je me sens au bord d’une sorte de précipice .”  
La politique qui se prépare aux Etats-Unis va droit nous y faire plonger.

* J’entends des termes de guerre : “perdus, désemparés, au milieu de nulle part ” ;  “ foule hébétée ” ; “cohue indescriptible ” ; “ champs de ruines ”.

* Un journaliste américain sur le plateau de TV5 : “ J’espère que les Etats-Unis vont (maintenant) comprendre le problème d’Israël, plutôt que celui d’Arafat ”. Un journaliste arabe, qui a, lui aussi, tout compris, sur le plateau de TV5 parle de “ terrorisme aveugle ”, de “gens anormaux ” et d’“ acte de folie ”. Jean-Pierre Pernaud, sur TF1,  à propos des “ possibles représailles des Etats-Unis ” : “  C’est ce que tout le monde attend. ”  
De quel droit ces journalistes donnent-ils leurs positions politiques et non pas des informations ?

* L’évocation du nombre probable de morts est surréaliste. En effet, les journalistes ne considèrent en effet comme “ morts ” que ceux officiellement comptabilisés comme tels par les compagnies aériennes, la police, les pompiers. Alors que le maire de New York dit :“ Tous les New Yorkais vont perdre des amis proches ”, le journaliste déclare, au même moment et avec sérieux - comme si ce chiffre relevait de l’horreur absolue - que le nombre de morts atteint “ le chiffre de 1000 ” !  
Il ne spécifie même pas qu’à ce chiffre, il va falloir ajouter tous les morts, toutes les personnes qui travaillaient dans les deux tours, les quatre étages de sous-sol, le métro, les passants, ceux et celles qui vivaient et travaillaient dans les bâtiments etc…
Sûrement bien sûr des milliers de personnes.
Le tabou du nombre de morts est total : ce qui n’est pas préalablement politiquement reconnu par les officiels n’existe pas pour les journalistes. Un bel exemple de l’indépendance de la presse.  

* La télévision nous “refait le coup ” de la guerre du Golfe : sur les plateaux de télé, nous ne voyons plus pratiquement plus que des ministres, des policiers, des membres des services spéciaux, des ‘experts’ sans doute assez proches d’eux, des  barbouzes….
Les femmes disparaissent des plateaux de télévision.
Des hommes, des hommes, encore des hommes. Partout.  
Nombre d’entre eux nous expliquent avec fierté qu’ils auraient été - bien évidemment - tellement plus intelligents, perspicaces, rapides que les Américains.
Le discours de Pasqua - ancien ministre de l’Intérieur, bouffi de satisfaction mal contenue - nous expliquant comment il avait si bien géré son terrorisme à lui (l’avion d’Air France détourné sur Alger) était vraiment insupportable.  
L’analyse politique de l’événement est, à la télévision, complètement contrôlée.

* À la relecture, le lien avec le traitement de l’information lors de la guerre du Golfe n’est pas juste. Avec un peu de recul, je me rends compte que je n’ai jamais entendu aussi tant de critiques, plus ou moins feutrées, de la politique américaine. Je n’ai jamais entendu tant d’informations, jusque-là cachées, sur leur politique. On voit là les premiers effets politiques de ces attentats : la puissance américaine est atteinte. On sort les cadavres du placard ; on sort les dossiers des tiroirs. On dit (une partie de) ce que l’on ne pouvait pas préalablement dire.
Ainsi, j’apprends ainsi incidemment sur LCI, au cours d’un débat entre ‘spécialistes’ que “ les Etats-Unis bombardent l’Irak tous les jours ”. Puis ailleurs, plus tard, que 25.000 soldats américains sont situés dans le “  sanctuaire de l’Islam ”, en Arabie Saoudite.
Après l’indépendance de la presse, c’est la liberté de la presse que l’on voit aussi sous un autre jour.
Ces bombardements de New York mettent à nu la vérité de notre monde.

* Je relis La déclaration des droits fondamentaux de la femme afghane, adoptée à Douchambé, le 28 juin 2000 : les concepts politiques référents me paraissent totalement inadéquats à l’analyse de la situation de l’Afghanistan, et des femmes en général et des femmes Afghanes en particulier. Et, pourtant, elle a le mérite d’exister.   

* Je reçois le communiqué des Pénélopes. Enfin une analyse politique critique pertinente et courageuse.  

Communiqué
Une barbarie peut en cacher une autre

 Des milliers de morts sous les décombres, des populations entières terrorisées. Ça suffit! Non! ce n'est pas de l'anti-américanisme primaire que d'affirmer que les Etats-Unis portent une lourde responsabilité dans la tragédie qui vient de les frapper ! La monstruosité de l'attentat qui a touché les valeurs symboles de l'empire américain n'est-elle pas le fruit des méthodes américaines elles-mêmes?
Ne sommes-nous pas spectateurs-trices d'une de ces attaques militaires en bonne et due forme dont l'Etat major américain a le secret? La guerre est déclarée, nous dit-on. Cela n'est pas une nouveauté ! Les prisonniers des Twin Towers ne sont pas les premières victimes de la barbarie, et la barbarie n'a pas pour unique visage le terrorisme.
Les Plans d'ajustement structurels et la dette font chaque jour des milliers de morts sur la planète, et en particulier des mortes. Quel est donc le prix du sang? Celui d'un Américain est-il plus élevé, financièrement, humainement, socialement, que celui d'un-e Palestinien-ne, une Algérienne, une Congolaise, une Mexicaine, une Philippine...?
Les médias nous serinent en cour qu'à cette heure critique, "nous sommes tous des Américains". Mais de quel " nous " s'agit-il ? Nous, les Occidentaux ? Nous, les habitants des pays riches ? Ces pays du G8 qui, tout en s'engraissant largement sur le dos des pays du Sud, y soutiennent, voire y installent des dictatures et y écoulent des stocks d'armes, sans se soucier un instant des souffrances des populations. Nous n'avons rien à voir avec ces politiques que nous combattons de longue date.
Dans ces moments critiques, le poids des mots et des images est considérable. On parle des Etats-Unis comme les tenants du "monde libre". Mais de quel modèle de démocratie parle-t-on? Celle qui pratique la peine de mort et l'apartheid riches/pauvres? L'histoire de l'humanité, ses doutes, ses rêves et ses utopies, auraient-ils disparu sous les décombres du World Trade Center?
On légitime une "démocratie" israélienne et on incrimine le "terrorisme » palestinien. De quel droit désigne-t-on d'emblée les populations du Moyen-Orient comme responsables de cette horreur? Cet amalgame entre populations et mouvements intégristes et/ou gouvernants est lourd de danger. Quelques jours après l'échec de la conférence mondiale contre le racisme, si Israël et les Etats-Unis voulaient attiser la haine contre une masse hostile que seraient tous les musulmans de la planète, tous qualifiés " d'Arabes ", ils ne pouvaient pas mieux faire. La population planétaire est inquiète. Guette les représailles. Mais les citoyen-nes Américain-es ne font pas tous bloc derrière George W. Bush et son administration, quoiqu'en disent les sondages. Ils ne sont pas tous adeptes du despotisme des multinationales, de la surexploitation  suicidaire des ressources de la planète et de la disparition des lois  sociales. Il y en a qui, plutôt qu'une "vengeance", demandent une remise en question de la politique étrangère des Etats-Unis, et plus généralement des pays du Nord, prônent un partage équitable des richesses et appellent à la solidarité internationale. C'est en elles et en eux que Les Pénélopes se reconnaissent.

* Les questions politiques que je ressens peuvent se résumer ainsi :

° Comment résister intellectuellement et politiquement aux discours dominants et à la politique que nos dirigeants nous préparent ?

° Comment refuser que les hiérarchies d'intérêts - et non pas de "valeurs" - que les dirigeants américains et occidentaux veulent nous imposer deviennent notre horizon mental, intellectuel, sensible indépassable ?

° Comment s’opposer à ce que la politique impérialiste de nos Etats - à laquelle répond une autre barbarie - deviennent la norme universelle ?

° Comment ne pas oublier que les politiques de ceux qui gouvernent le monde - et au nom desquelles toutes ces violences sont exercées - s'expliquent d'abord et avant tout par leur commune légitimation de la première de toutes les barbaries : celle qui confèrent aux hommes dans le monde le pouvoir sur les femmes et les enfants, sur leurs corps, leurs sexes, leurs vies même, légitimant dès lors les violences, les tortures, les assassinats à leur encontre ?

° Et enfin,  comment en est-on arrivé-es là ?
Par quels processus, par quels mécanismes, tant d’incohérences - ne seraient-ce qu’intellectuelles - sont-elles devenues légitimes pour tant de monde ?
Question subsidiaire : comment - dans ce contexte de cynisme érigé au rang de seul horizon de notre pensée - des enseignant-es, des parents peuvent-ils transmettre à des enfants des discours qui fassent appel à la rigueur, à rationalité, à l’honnêteté, à la morale, aux “ valeurs ” civiques ?   

* Une oeuvre de salubrité politique : supprimer le mot “ terrorisme ” du vocabulaire, puisque son seul usage s’inscrit dans le vocabulaire des dominants. Mais aussi, logiquement, supprimer celui de “ démocratie ”  ou “ d’état de droit”. En effet, l’emploi - non critiqué - de ces termes participe à la légitimation du partage binaire du monde qui chaque jour gagne du terrain.  

* Le Monde daté du 14 septembre. En première page, Arthur Miller : “ Notre prospérité a toujours dépendu de l’exportation.”  Ceux et celles qui continuent à parler d’impérialisme n’avaient donc rien compris : les Etats-Unis ne dominent pas le monde : ils font de l’exportation. Et cette phrase terrible - car si juste - du quotidien Yediot Aharonot : “ La liberté d’action de ceux qui combattent le terrorisme va devenir pratiquement absolue. ”

* Où est le principe sacro-saint de la démocratie de “ la présomption d’innocence ” pour Ben Laden ?

*  Émission : 100 % politique. LCI (11 h 45) Débat: “ Lionel Jospin est-il un agité ? ”
Accepter de participer à un tel débat, même pour dire des choses intelligentes, disqualifie, pour moi, les personnes qui, sans critiquer la question, y participent.  

* LCI. Midi: “ Silence sur LCI ” sur fond de marche funèbre : une minute de silence sur les ondes pour “ nous associer à l’émotion qui a saisi le monde ”.
Cette sélectivité dans l’indignation est insupportable.
Plus d’un million de morts en Irak, dont la mort a été, tout au plus, à quelques rares reprises, déplorée. Et si rarement…
Des femmes, des enfants, violé-es, battu-es, prostitué-es, enfermé-es, torturé-es, assassinées par millions tous les jours dans tous les pays du monde sans même que cette réalité soit considérée comme relevant du Politique…  

Ces injonctions me sont apparues comme ayant des fonctions politiques d’une très grande violence ; elles nient la sensibilité et l’autonomie de jugement de chacun-e. Aurais-je eu le courage de ne pas me lever si j’avais été dans un lieu public ? Sans doute non.

* L’image de Bush affirmant: “ I’m a loving guy ” est, là encore, un grand moment d’histoire. Il est en train avec ses conseillers de prendre la décision de tuer des milliers de personnes pendant des années et il croit bon nous informer de sa profonde humanité. Sous la pression sans doute de ses conseillers en communications, les pleurs ont été ajoutés à la prestation.

* Le recours à “ l’islam modéré ” m’apparaît plus clairement comme un argument politique pour mieux conforter le sionisme et/ou la politique d’Israël et des Etats-Unis. Parle-t-on d’un sionisme “ modéré ”, d’un libéralisme  économique “  modéré ”  ?  
Non.
Parce que la politique d’Israël, le sionisme, le libéralisme sont la norme qui, par définition, ne se conteste pas. Tandis que, concernant l’Islam, la norme, est devenue le ‘terrorisme’ commis en son nom, dont il doit alors nécessairement de démarquer. Et aggraver par la même sa situation de faiblesse, sans même évoquer sa dignité.

* Ces attaques - qui auraient demandé des années de préparation - n’auraient donc été ni revendiquées, ni analysées par leurs auteurs ? Aucun de ces hommes kamikazes n’auraient laissé d’explications, d’analyse politiques ?  

* J’entends aussi - je ne sais plus où - que dans la mesure où plusieurs de ces hommes vivaient tranquillement une vie de famille avec femmes et enfants, ils n’auraient pas été considérés comme dangereux par les divers services américains.
Voilà le prix du point mort - ici béant - patriarcal: Combien de femmes, combien de féministes à travers le monde croient qu’un homme marié - père ou non - n’est pas un homme violent, ni dangereux ?

Et que sont devenues les femmes de ces hommes Kamikazes ?
Etaient-elles même au courant de leurs projets ?
Sans doute, non.
Et que dire de leurs enfants et de leur avenir?  

* L.C.I. Midi 10. Roland Jaccard, président de l’Observatoire international du terrorisme : “ Ce sont des gens qui n’ont pas la même mentalité que nous : ils sont prêts à se suicider.. ” On est dans l’ère de l’anathème culturaliste.  

* L.C.I. Midi 12 : “  Le destin s’acharne encore sur la ville de New York…(à cause) des trombes d’eau... La pluie et la guerre comme expressions comparables du “ destin ”. Je recherche les significations du mot destin dans le Littré : “ enchaînement des choses considérées comme nécessaire ”, “ sort, issue ”, “ condition que le destin assigne ”; “ vie, existence ”.
Aucun ne s’applique ni à la guerre, ni à la pluie.

* Bush tient la main de sa femme à la sortie d’un hôpital américain, comme s’il avait besoin de montrer qu’il avait besoin de son soutien et qu’elle lui accordait. Une métaphore de rôle joué par les ‘petites’ femmes des ‘grands ‘ hommes ? : conforter la politique de leurs hommes et se taire sur la politique qu’ils incarnent. Et donc, bien sûr, sur la vérité de leur couple.

* J’entends une position politique de Blair : “ Nous devons identifier avec soin les responsables et ce jugement devra être et sera fondé sur de fortes preuves ” 4 - que j’ai interprétée comme distanciée par rapport à celle des Etats-Unis.
Craindrait-il que la Grande-Bretagne soit la première sur la liste des pays qui soutiennent et protègent les ‘terroristes’ ?
Dans le même sens, pourquoi l’Arabie Saoudite n’est-elle jamais évoquée dans la liste américaine des pays apportant leur soutien aux ‘terroristes ‘ ?

* L.C.I. Midi 28. Éditorial de Pierre-Luc Séguillon : “ Notre pays a donné son accord à l’interprétation de l’article 5 de l’Otan ” . “ Le pays ”, nouvelle alternative à “ la nation ” ? Nous sommes en “démocratie ” : quel serait le discours si nous vivions en dictature ?

* Le chiffre d’environ 5000 morts est annoncé comme probable : or, depuis le début, on nous explique ad nauseam que ces tours sont occupées par 40.000 personnes. Le 35.000 personnes manquantes ont-elles pu fuir par les escaliers de secours ?
Les failles de l’information qui nous est donnée sont béantes.

* L’invocation incessante du courage - incontestable - des pompiers de New York a aussi pour fonction d’éviter de poser la question de la responsabilité du risque qu’on leur a fait encourir. Sans doute, ce risque était-il difficile à appréhender, à mesurer, à imaginer ? Mais ce silence total sur la responsabilité des autorités de la ville de New York est difficilement acceptable, pour les pompiers morts d’abord et leurs proches.
Je ressens cette lourde insistance à présenter les pompiers et les sauveteurs comme les nouveaux héros de l’Amérique, aussi, comme un moyen d’éviter ces questions.  

*  LCI. 16h 58 : Jacques Julliard du Nouvel Observateur - qui s’était il y a quelques années singularisé par des attaques scandaleuses contre les femmes dit - : “ Les Etats-Unis…un pays qui fait beaucoup pour les autres, un pays qui, en cas de famine est celui qui apporte les plus gros sacs de blé ”.
Peut-on encore chuter plus bas dans la bassesse intellectuelle ?
J’arrête la télé ; c’est trop.  

* Je reçois un mail d’une amie/universitaire/ féministe, Susan Brison. Elle travaille, publie, enseigne sur la question de la violence masculine, après avoir elle-même été violée, frappée, battue à mort par son violeur/assassin, dans la campagne de Grenoble où elle se promenait :    
“  Has anyone read or heard anything in the media commenting on the gendered aspect of the terrorist attacks?  Print- and broadcast-junkie that I am, I have been reading the NYT and listening to NPR (and ABC) on the radio since Tuesday and, although all the suicide attackers were male, no one I've read or heard has commented on the significance of this.  (I don't have TV reception, but I watched several hours of CNN coverage at friends' houses as well.)

 I suppose I shouldn't be surprised; since wars and terrorist attacks are virtually always initiated and carried out by men, this is not exactly news.  But isn't it noteworthy:  that the three possible suspects who were at a Daytona Beach strip club and sports bar on Monday
night and attracted FBI attention by allegedly saying (acc. to the Fri. NYT) "'Wait until tomorrow, America is going to see bloodshed'" had just "spent a few hundred dollars on lap dances and drinks" (acc. to the Sat. NYT)?  that (again, acc. to the Sat. NYT) young male Muslim suicide bombers "are usually . . . told that they will be greeted by 70 black-eyed virgins in heaven"?  It may seem impertinent, if not downright unpatriotic, to some to raise these gender issues at this time, but why, given all the attention to the apparent religious and
political motivations for the attacks, has no one noted that the perpetrators are all men, some of whom, at any rate, seem to be motivated by the promise of a multi-orgasmic afterlife?

 Of course, I am not suggesting that all men are somehow more culpable than women in this attack, any more than I would suggest that all Muslims are more culpable than non-Muslims.  But perhaps precisely this observation that, although only men are apparently implicated in this attack, it would be, of course, wrong to consider all men suspect could be used in response to those misguided ones who view this attack as justifying hate crimes at home--and waging war abroad--against Muslims.

 I am, as we all are, devasted by the attacks, and I hope that you and your loved ones are safe.  If anyone would like to contact me off-list, my e-mail address is above.

 In sisterhood,
Susan

* LCI. Débat entre le directeur d’Esprit, Olivier Mongin et Dominique Moïsi, sous-directeur de l’IFRI (Institut français des relations internationales). On y parle, dans une émission appelée : Le Monde des idées, de “ civilisation et [de] barbarie ”. Concernant donc lesdits barbares, j’entend cette phrase : “ il peut y avoir des gens comme ça ” ; j’entends aussi parler de  “ sociétés qu’ils ne jalousent même pas, qu’ils haïssent ”. La jalousie relèverait du sentiment dont ils seraient incapables ? À moins qu’ils ne soient pas intellectuellement capables de procéder à une analyse comparative ?
Quant aux sociétés civilisées -“ ouvertes, tolérantes, multiculturelles ” - elles sont, si besoin était, confirmées dans leur incarnation des “ valeurs universelles ” .
Le refus “ du discours facile de la culpabilité occidentale ” qui unissait les deux hommes contre les “ gauchistes ”  qui incarnerait ce discours boucle la boucle : les “ idées ” que cette émission est censée provoquer n’iront pas jusqu’à poser la responsabilité politique du monde “ civilisé ” : Il a tout bon, les autres ont tout mauvais.

L’évidence de la faillite de ceux qui depuis si longtemps s’auto-proclament “ intellectuels ” est, une fois encore, confirmée. En revanche la fonction qu’ils jouent pour mieux déposséder ceux et celles qui ne pourraient prétendre à ce qualificatif de penser par eux-mêmes m’apparaît de manière aveuglante. Il faut qu’ils parlent pour que les autres se sentent moins légitimes pour valider leurs sentiments, leurs jugements, leurs analyses.

Quant au règne des ‘experts’, il se disqualifie en se démocratisant. Ce qu’il nous dise est-il plausible, crédible, probable ? Est-ce vrai ou faux ? Qui peut le savoir ? Pourquoi le croire lui, plutôt que celui qui, invité le lendemain, dira le contraire ?
Une opinion qui n’est pas justifiée n’a aucune signification réelle; tout au plus peut-elle donner matière à réflexion. Mais comment étayer un argumentaire quand on a trois minutes pour présenter son analyse ?
Le règne des ‘spécialistes’ devient celui des prises de positions personnelles.  

* La publicité qui nous est présentée sur LCI est celle de l’eau Saint-Yorre : une métaphore de notre avenir ? : aider les riches à digérer et à maigrir. Et à se purifier ?

* Sur LCI, Alain Richard, ministre de la Défense : “ Nous n’allons pas perdre les pédales ”.
Le lendemain, Elie Cohen, économiste : “ Les politiques eux-mêmes ne savent pas ce qu’ils vont faire ”. D’autant qu’en France, ils ne sont même pas informés de ce que vont faire les Etats-Unis. Hubert Védrine, ministre des Affaires étrangères a même pu dire (Libération.15/16 septembre : “ Je ne sais qu’une chose, c’est que le Président de la République et le Premier ministre décideront le moment venu de l’attitude de la France ”.  

* LCI. 12 H 10. Débat entre la journaliste sur le plateau et Jean-Pierre Gaillard à la Bourse. La première, ragaillardie, attendant de lui confirmation de la bonne nouvelle : “ L’euro est au plus haut ? ” Réponse un peu gênée : “ Disons que c’est le dollar qui baisse ”.

* Bush parle de “ riposte dévastatrice et prolongée ”.

* Je n’ai pas entendu l’hypothèse selon laquelle des mafias liées aux complexes militaro-industriels - ne serait-ce que par leurs liens financiers avec ceux qui ont détruit le World Trade Center - aient pu avoir une part de responsabilité dans ces attentats.  

* Vu à la télé Fidel Castro proposant l’aide de Cuba aux Etats-Unis : pitoyable.
La résistance cubaine depuis toutes ces années devra-t-elle être expliquée ainsi : la demande faite par le fils rebelle au père impitoyable de son ultime reconnaissance ?   

*“ Les combats reprennent en Tchétchénie ” : Poutine devient le fidèle allié des Américains. Quelle est la cause et quel est l’effet ? Et l’on veut nous faire croire que l’alliance sacrée des gouvernements du monde entier serait fondée sur un juste combat ?
Bien sûr je sais que ce type de questions est bête par ce que “ naïve ”. Mais à force de nous répéter que nos questions sont “ naïves ”, on finira par ne même plus poser aucune question qui pourrait interroger le cynisme du monde.

* Une amie journaliste: “ Je fais très attention à ce que je dis ”.

* Un ami québécois : “ Ici, les va-t’en-guerre tiennent le haut du pavé.”

* Je lis sur le forum d’Europe 1 la nature exacte des attaques dont Isabelle Alonso a été l’objet le 11 septembre de Pierre Bénichou et de Gérard Miller et qui lui avaient valu d’autres attaques d’une extraordinaire violence. Elle avait notamment dit, après avoir exprimé sa “ communion la plus totale avec les gens qui sont morts ” :  “ Je suis en même temps un petit peu mal à l’aise devant cette espèce d’uniformité du discours, c’est-à-dire que ma minute de silence, je me la fais un peu tous les jours quand je lis le journal et je n’arrive pas à donner plus d’importance aux morts d’aujourd’hui, parce qu’il sont riche s et américains qu’aux morts de tous les jours. Pour moi, 3000 morts, cela ne veut rien dire : c’est un mort, plus un mort, c’est la juxtaposition de toutes les histoires individuelles…la nuit d’après il y a eu 7 palestiniens tués dans les territoires occupés, il y a eu une israélienne tuée, il y a eu des Algériens. Et tous ces gens -là me font aussi mal parce que c’est à chaque fois un individu tué par l’histoire et tué par des choses qui les dépassent ”.

Pierre Bénichou qui l’avait déjà interrompue rétorque : “ Quand il arrive une catastrophe aussi atroce, on peut pleurer leurs morts. ”

Quant à Gérard Miller, sur un ton péremptoire et méprisant, il la tance : “ On ne peut absolument pas dire ce que tu as dit, Isabelle ”. Il lui pose alors ce que doit être la bonne norme, la sienne : “ Il ne faut pas faire de nuances ; il y a un moment où il faut dire ; c’est abominable, point FINAL... De quel droit Gérard Miller impose-t-il ses positions politiques ? Et ce alors, qu’à  à l’inverse d’Isabelle Alonso, non seulement il ne procède à aucune analyse, mais il s’y refuse même formellement : “ Je n’ai pas envie de faire la moindre nuance sur ce qui vient de se passer ».
Comment qualifier ces impositions ? Tous les totalitarismes ont été fondés sur cette simple affirmation : Comme j’ai, seul, raison ; tu as tort et donc tu dois te taire.  

* Isabelle Alonso, toujours, sur la 2e chaîne, dans l’émission de Laurent Ruquier, à propos de la fête de l’Humanité : “Par les temps qui courent ! Quel beau titre ! ” Des mots qui reprennent leur sens : un souffle d’air frais.  

* On nous dit, démonstration non convaincante à l’appui, qu’il existe déjà un «  œil (techniquement) capable d’identifier les terroristes » .

* Un mot d’ordre totalitaire :Il faut “ choisir son camp”. Nous devrions donc tous et toutes choisir entre Bush et les Talibans ?  Considérer comme identique la défense de leurs intérêts et des nôtres ? C’est-à-dire penser à travers leurs propres catégories mentales, politiques ?

Justifier, préalablement à toute prise de position politique, son américanophilie - comme le fait José Bové dans Le Monde du 18 septembre - devient obligé.

* Publicité Evian entre deux journaux télévisés: “ Evian invente le code-barre détachable ; vous n’aurez plus à soulever les bouteilles à la caisse ”. Notre avenir devient moins sombre…

* Image d’une ville Afghane “ vidée de la moitié de ses habitants ” : pas une femme. Puisque déjà elles n’existaient plus, auraient-elles été assassinées, laissées sur place comme bouclier humain ? Qui aujourd’hui, pourrait même le savoir ? L’horreur…

* Madame Rutzetski de SOS attentats - dignement, en colère contre le discours hégémonique sur les traumatismes des victimes rappelle, sur LCI, que les passagers d’un vol détourné - il y a plusieurs années - n’ont toujours pas vu leurs traumatismes reconnus comme tels, faute (d’après ce que j’ai compris) d’un certificat médical adéquat.  Qui aurait alors démontrer….qu’ils et elles n’étaient pas tous mythomanes ?

* Comparer le nombre de morts a-t-il un sens ? Oui. Absolument.

J’ai le droit - et le devoir - de dire, parmi tant d’autres exemples, qu’il y a deux fois plus de femmes qui décèdent par an du cancer du sein en France (11.000 femmes meurent par an en France du cancer du sein) que d’Américain-es qui sont décédé-es dans l’attaque du World Trade Center.
En réalité, ceux qui veulent nous en empêcher de poser la question, veulent nous interdire de voir - ou plutôt de dire et de dénoncer - l’inhumanité radicale de notre monde. Oui, il y a des morts qui comptent plus que d’autres. Parce qu’il  y a des vies, des pays, des continents qui comptent plus que d’autres.
Il y a même - beaucoup - des vies qui ne comptent pas. Voire qui relève - ou que l’on voudrait faire relever - de l’animalité. Bush évoquant les ‘terroristes’ que l’armée américaine va faire “ sortir de leurs terriers ” leur enlève même toute prétention à l’humanité.    

Cependant, en elle-même, cette comparaison de chiffres ne peut faire fonction d’analyse politique qui, seule, donne leur signification au nombre de morts.

* Sur Paris Première, Le pain de ménage de Jules Renard : “ Laissez donc en paix la force armée ”.  Où peut-on entendre les discours pacifistes ?  

* Et si les Talibans livraient Ben Laden aux Etats-Unis ? : le présumé coupable étant retrouvé, justice pourra être rendue et les guerres évitées ? Non, mon scénario s’effondre : la nouvelle politique ne relève plus de l’“ action préventive ” mais de “ légitime défense ”.Préventive, elle aussi ?  

Le concept même de “ justice ” a disparu dans l’effondrement des tours du World Trade Center : la vengeance est re-devenue légitime. La vengeance légitime, c’est l’abandon formalisée de toute référence à la loi comme principe régulateur des sociétés ; c’est aussi l’abandon de la loi comme porteuse d’éthique.
Peut-on imaginer pire régression de nos déjà si fragiles valeurs ? Nous sommes revenus à la préhistoire de “ la démocratie ” : en ce sens, que Bush se réfère au “ Wanted, dead or alive ” du far West américain doit être analysé à sa juste signification historique. 

* Le vocabulaire employé devient effrayant :
À propos de :
- la guerre programmée : « On voit mal comment on pourrait bâtir quelque chose »
- des militaires américains envoyés pour attaquer l’Afghanistan “ des équipes travaillent d’arche pied sur le terrain” 
- la Tchétchénie : « Poutine va finir ce conflit »
- des prochaines attaques :  “ On espère  que seront visés des objectifs précis ”  

La guerre devient la norme positive : on bâtit ; on travaille ; on espère  son efficacité ; on la commence ici, on la finit là...
Mais ces “ opérations ” ne relèvent même plus de la guerre ; c’est du “ travail ”, c’est un “ job ”, qui, parce que nécessaire, doit être fait, au mieux, sans discuter donc. On parle de “ travail de nettoyage ” en Afghanistan.

Nous sommes entré-es dans l’ère du triomphe politique des économistes utilitaristes. Bientôt, on parlera formellement d’“ investissements ” dont on jaugera les avantages financiers comparés. En attendant, on reconnaît déjà la chance que “ la riposte ” aux attentats procure. On parle ainsi d’“ effets d’aubaine ”, auxquels certains ‘humanistes’ préfèrent, sans doute par délicatesse de sentiment, l’expression d’“ effets d’opportunité ”.
Prosaïquement, « opportunité » signifie : profiter de l’occasion offerte pour attaquer qui l’on veut – (on entend même parler de la Colombie !) - quand on veut (“ plusieurs années ” a dit Bush) et avec n’importe quels moyens. J’ai même entendu parler à la télévision - certes une seule fois - d’un projet de vote aux Etats-Unis d’une loi qui supprimerait une autre loi qui l’interdisait de tuer des chefs d’état étrangers !  

* Un général russe :“ l’Afghanistan, c’est dix fois pire que le Vietnam ”.
On prend sa revanche sur l’histoire comme on peut.

* Bush  parle de “ croisade contre le terrorisme ”. Ce qui n’empêchera pas Le Monde du 20 septembre de titrer en première page :“ Guerre sainte à Kaboul ”.  

* La Cinquième Chaîne. Une journaliste turque évoque “ les intégristes turcs appuyés par les Etats-Unis ”. Une certaine gêne du présentateur...

* Je lis sur le forum des Chiennes de garde, la reproduction d’un message diffusé par Cybersolidaire.org. Je le reproduis, une troisième fois, donc.

Le point de vue d'une femme arabe

Je suis une femme arabe vivant en Europe et je suis, comme tout le monde,  très touchée par ce qui s'est passé, par le nombre de victimes et par la terreur de l'attaque. Sans vouloir justifier l'injustifiable, je dis simplement que ce sentiment d'horreur qui touche aujourd'hui tout le monde mais, surtout, le monde occidental, ce même sentiment nous l'avons vécu nous les Arabes pendant l'attaque guerrière et les bombardements qui ont ébranlé Bagdad durant un mois, il y a exactement maintenant 10 ans. C'est exactement ce même sentiment de frustration, d'humiliation et d'injustice qu'on a éprouvé en voyant des milliers d'Iraquien-nes civils mourir sauvagement sous les bombes et sous l'applaudissement, l'encouragement, la "gaieté" et la haine de l'occident.

Ce même sentiment de frustration et de douleur, nous le vivons tous les jours en voyant des palestinien-nes mourir, impuissant-es devant l'indifférence du monde et la détermination des USA d'empêcher que l'ONU envoie des observateurs et des troupes internationales pour protéger les palestinien-nes. C'est ce même sentiment de frustration et de douleur de constater que toute la région du monde arabe est touchée par les malheurs et les conspirations des régimes occidentaux - démocratiques à l'intérieur et despotiques à l'extérieur. Bombardement et embargo de la Libye, Soudan, Irak, Palestine... sans compter la guerre médiatique continue que livrent les médias occidentaux sans cesse sur les pays arabes, leur culture, leur population, etc...

Qui fait la guerre à qui? Une question à laquelle il faut répondre avec courage et sincérité: nous n'avons pas occupé des territoires occidentaux, nous n'avons pas colonisé, nous n'avons pas pillé les richesses et les territoires occidentaux, nous ne nous sommes pas accaparés de ses richesses naturelles ni de son pétrole, nous n'avons pas la bombe atomique ... alors
pourquoi tant de haine vis-à-vis du monde arabe?

Cette analogie que je fais est loin de justifier un acte condamnable et sauvage comme celui de l'attaque de New York il y a deux jours. L'analogie est établie afin que les occidentaux sachent qu'il y a des peuples entiers qui souffrent jusqu'aujourd'hui en raison de l'injustice des USA, de sa politique basée sur la violence et la suprématie du pétrole qui apparemment coûte beaucoup plus cher que la vie de millions de personnes.

Les Arabes veulent que l'occident nous laisse tranquilles, qu'il nous laisse vivre en paix... qu'il n'occupe pas nos terres, qu'il ne mette pas ses soldats au Golfe pour sucer son pétrole, qu'il cesse d'appuyer les extrémistes religieux qu'il a bien entraînés (Massaoudi, Afghanistan, Ben Laden) et qu'il cesse d'appuyer les gouvernements autoritaires du monde arabe et les dictatures des pétrodollars au Golfe. Qu'il nous laisse vivre en paix, reconstruire notre vie terriblement marquée par la guerre et les conflits tout au long de plusieurs générations.

Depuis plus d'un siècle, nous vivons sous le règne de l'occident. Après la colonisation militaire, qui n'est pas encore terminée (Palestine) vient la colonisation pétrolière.Il y a un sentiment de frustration très grand qui s'est accumulé chez les populations arabes et dont il serait erroné de déprécier l'importance ou de dévaloriser ses revendications vitales de justice.

En ce jour de deuil, je me joins avec mes profonds sentiments de solidarité et de compassion à toutes les familles des victimes civiles qui ont succombé sous les bombardements barbares de New York, Palestine, Bagdad, Koweit, Rwanda, Hiroshima, et la liste est longue...

* France-Musique . 7 h 10. Une responsable du Haut Comité aux réfugiés : “ il y a déjà cinq millions de réfugié-es en Afghanistan, six millions sont attendus ”.
Et c’est ce pays à genoux, presque totalement détruit qui n’a plus que ses montagnes et les armes américaines et celles prises sur les Russes pour se défendre, qui va recevoir l’essentiel du déluge de feu américain ! Quel rapport y a-t-il entre ces paysan-nes affamé-es, ces femmes emmurées vivantes et les hommes, moyen-orientaux, pour la plupart d’après ce que l’on sait - qui ont attaqué le World Trade Center, dont aucun n’est Afghan?

Et quant aux talibans, pourquoi ni les Etats-Unis, ni l’Union Européenne n’ont-il pas soutenu - d’après ce qu’avait confirmé assez clairement Nicole Fontaine, présidente du Parlement européen - celui qui le combattait et qui vient d’être assassiné, le commandant Massoud ? Dans le même sens, le 19 septembre, un ‘expert’ dira, d’un ton catégorique, sur LCI : “ Si on avait aidé Massoud, il aurait vaincu les Talibans. C’est clair. ” 

* La politique américaine - qui suit lâchement l’Europe - est claire : seuls les intérêts directs des Etats-Unis sont pris en compte quant à leurs prises de décisions politiques et militaires. Et pourtant le monde entier va en subir - plus ou moins, il est vrai - les conséquences.

* LCI. Midi : “ Jacques Chirac va exprimer ”  à Georges Bush “ la solidarité de la France ”. À quoi ?   

* TF 1. 13 heures 10. Émotion devant les photos des victimes, les messages, apposés sur un mur devant un hôpital, devant les fleurs, les bougies, les objets déposées sur le sol. Enfin, des images humaines qui nous lavent l’esprit de toutes ces horreurs que nous voyons et entendons toute la journée.
Une femme explique sa présence : “ Exprimer son émotion, être là, pour être ensemble ”.
La gravité des visages silencieux qui nous sont montrés dévoilent l’inanité de tant de discours, le mien compris. Et pourtant, en écrivant cela, je me pose la question : si nous ne croyons même plus à la parole, à la tentative  d’analyse de ce chaos - aussi nécessairement partielle et partiale soit-elle - que nous restera-t-il ?

* Interview d’un Afghan : “ Pour attraper une personne, ils vont en tuer des milliers ”.  
Les pauvres, les derniers sages ? Non. Je lis sur Village.voice.com une lettre d’un Américain, Bill Holmes de Californie : “ Stop making ennemies and we won’t have to worry about terrorism ”.  

* Résurgence du discours religieux et de ce qui a justifié toutes les guerres de religion : “ Dieu ” opposé au “ diable ”, le “ bien ” opposé au “ mal ”. Et la “ croisade ”, la “ guerre sainte ” pour - logiquement -  couronner le tout.  

* Le plus grand golfeur du monde refuse de venir au trophée Lancôme qui devait avoir lieu en France : “ Le temps n’est pas au golf mais au recueillement ”, tandis que Lancôme refuse de cautionner la rencontre. Quelles que soient leurs motivations, un principe est posé.

* LCI. 14 h 40 : “ 10.000 tonnes de débris (seulement ) évacués sur 400.000 estimés ”.  

* LCI 14. 45. Le sort du monde - et donc des femmes - dépend, aussi, de la réaction des “ théologiens afghans” .  
Ceux-ci demandent avant de se positionner sur son extradition, à tout le moins, des preuves de la responsabilité de Ben Laden dans les attentats.
Commentaire du journaliste : “ On peut toujours attendre ” !
Se rend-il compte de ce qu’il vient de dire ?

* Je tente de résister au déluge d’informations qui nous écrasent tous et toutes.
J’arrive à peine à penser aux femmes, à tenter de poser quelques jalons pour une analyse féministe. Et pourtant, depuis quelques jours, le monde tel qu’il nous est présenté n’est plus composé que d’hommes - même les foules sont souvent exclusivement mâles - tandis que ceux qui ont dorénavant le monopole de la parole sont les plus acharnés à défendre les intérêts de ces derniers.
Comment arriver à maintenir une pensée et une action féministe alors qu’elle n’a jamais été si nécessaire ?

* Euronews. 16 h 10. Un cinéphile à propos de la réaction d’Hollywood qui semble se poser des questions sur sa responsabilité : “ Y aura-t-il encore des scènes violentes dans les films ? ” Enfin, une vraie question qui nous permet de penser positivement l’avenir.

* Libération titre en pleine page : “ Sondage. Les Européens face à la riposte. Sont d’accord pour participer à une action militaire aux côtés des Etats-Unis. Royaume-Uni : 79 % ; France : 73 % ; Italie : 66 % ; Espagne : 58% ; Allemagne : 53 % ”.
Une première dans l’histoire ? : Des gouvernements, des personnes seraient d’accord pour participer à une guerre, alors que le lien entre la cause de la décision de faire la guerre et les pays qui vont être attaqués n’est pas démontré. Et que les pays qui risquent d’être attaqués ne sont même pas connus.
Je tourne la page : “ Les Etats-Unis soupçonnent plusieurs pays ”.

* Je relis mes notes prises à la suite du colloque organisé à Philadelphie : “ Women, sexuality, violence ” en mars-avril 1995.
Plus précisément ce que disaient des femmes qui arrivaient de Yougoslavie:
“  Nous ne savons plus ce que c’était de vivre avant la guerre ”
“  Nous n’avons plus aucune illusion ”
“ Nos ennemis sont invisibles ”
“  Comment survivre ? ”
“  Maintenant tout est possible, guerre civile, religieuse...
“  Mon identité, c’est que j’ai peur ” …
“  La solidarité nous a aidé à survivre ”

Et si nous avions déjà réfléchi, pris en compte, adapté et modifié les politiques en fonction de ce que ces femmes disaient - et de manière à empêcher la reproduction de ce  qu’elles nous disaient alors - l’attaque du World Trade Center n’aurait peut-être pas eu lieu ?  

* LCI. 11 h 30. Un magistrat. “ Les paradis fiscaux sont un peu des territoires gangsters ”. Thierry Jean-Pierre, député européen, parle d’“ effet-domino ”. Ce qui signifie que si l’on recherche les réseaux financiers Ben Laden, on risque d’aborder la question du financement des partis politiques dans des pays - les nôtres - qui s’y refusent. Le risque est pour eux beaucoup trop important.  

* “ Les Etats-unis cherchent une guerre prétexte contre l’Islam ”, dit un politique pakistanais.  

* 11 h.35 : On apprend aussi que “ les réseaux Ben Laden auraient des ramifications dans les Balkans ”. La guerre va-t-elle reprendre, là-bas, aussi ?

* 12 h. 54. LCI. Une journaliste pose à un ‘expert’ la question suivante :“ On dit que l’Afghanistan est revenu à l’âge de pierre ”. Heureusement, celui-ci réagit. Il affirme par ailleurs que “ les Américains brillent par leur méconnaissance de ce pays ”.

Je dois arrêter ce journal…

En guise de conclusion :

* Les bourses américaine et européennes baissent encore très fortement, tandis que l’armée américaine “ se met en ordre de marche ”.  
Les femmes, à nouveau, pleurent sur les quais, au départ de leurs proches, embarqués pour faire la guerre à des gens qui ne leur ont rien fait et dont ils ne connaissent même pas la nationalité.

* Ma dernière pensée sera pour les huit membres de l’organisation Shelter now qui sont dans les prisons afghanes. Je revois leurs photos publiées la veille de l’attaque contre les Etats-Unis, le 10 septembre, et plus particulièrement le visage voilé des deux femmes, américaines. L’une des deux était totalement cachée par le vêtement-prison - le burka - imposé aux femmes afghanes.

Quel va être leur sort ?
Qui, à l’exception de leurs proches, se soucie encore d’eux et d’elles ?
La guerre a des exigences qui interdisent la sensibilité.

* Et si on changeait de paradigme ?
Et si on affirmait comme principes fondateurs de nouveaux droits de la personne humaine, que :
- Les êtres humains ont, seuls, une valeur ; tandis que les objets n’ont qu’une valeur marchande.
- La vie d’une femme a la même valeur que celle d’un homme.
- Les Etats sont au service des citoyen-nes et non pas l’inverse.
- Le projet politique des sociétés est le bonheur et la réalisation de soi et non pas la consommation.
- Aucun Etat n’a le doit d’en attaquer un autre.

On pourrait aussi ajouter que toutes les politiques mises en œuvre soient jugées, appréciées, jaugées à l’aune de la défense des intérêts des plus faibles et des plus dominé-es.  
En attendant qu’on leur donne la parole, ne pourrait-on pas, dans un premier temps, au moins essayer d’imaginer comment eux et elles voient ce monde ?
Par exemple :
- les compagnes et les enfants des Kamikazes 
- les parents des occidentaux et des occidentales qui sont dans les prisons afghanes 
- les femmes palestiniennes et afghanes
- les paysannes sans terre
- les féministes arabes, israëliennes, américaines,  
- les condamné-es à mort 
- les harkis
- les réfugié-es de Sangate
- les prostituées, d’ici et d’ailleurs…

Puissions-nous aussi ne jamais oublier que ces guerres sont, depuis l’aube de l’humanité, de guerres qui se décident entre hommes, par des hommes, pour des hommes. Et donc que la primaire logique patriarcale n’en est jamais absente : Tu m’as baisé, tu me baises encore, tu baises nos femmes, notre peuple, notre religion…Je vais te montrer que je suis, moi aussi - et même plus que toi - capable de te baiser, toi, ta mère, ta sœur, ta fille, ton pays, ta religion, ton argent et tous les tiens…“ Nique ta mère ”  à l’infini de notre horizon…

Puissions-nous donc ne jamais oublier ce que disait à sa petite fille yoruba sa grand-mère, veuve, âgée de 70 ans, paysanne analphabète : ….“ Dans mon temps, on nous élevait en nous faisons croire que les hommes étaient plus importants que les femmes  et que nous étions nées pour les servir jusqu’à la fin de nos jours. Je sais maintenant que  ce n’est pas vrai. Il n’y a rien qui soit dur qui ne devienne mou éventuellement. Il n’y a rien dans le pantalon d’un homme qui soit plus important que ce qu’il y a dans la tête d’une femme. Rien n’est impossible.”. 5

22 septembre 2001
Site : Penelopes.com

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Notes de bas de page
1Voir le monde avec des yeux de femmes. Allocution des Plénières du forum des ONG sur les femmes. Beijing. 1995. Sous la direction d’Eva Friedlander. Préface d’Irène Santiago. p. 216.
2Ibid. p.272.
3J’ai vu ultérieurement dans le recueil de photos publié par Le Monde une photo bouleversante où l’on pouvait voir qu’ils étaient nombreux à être sur le rebord extérieur des fenêtres du WTC.
4Libération. 15/16 septembre.
5Voir le monde à travers les yeux des femmes. Op.cit. p. 180.

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