Algérie
 Marie-Victoire Louis ,  Monique Dental  et  Anny Capron

Quelle démocratie pour un colloque ?

Le colloque "Droits des femmes du Maghreb". Institut du monde arabe. 16-18 mars 1990

Paris Féministe, Être femme du Maghreb, N° 102, 1er au 15 juin 1990, p. 20 à 24

date de rédaction : 01/05/1990
date de publication : 15/06/1990
mise en ligne : 02/01/2006
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Le 18 mars 1989 un colloque était organisé au Sénat par le CEDETIM, la Ligue internationale du droit des Peuples, la Ligue des droits de l'homme sur le thème : "Droits de l'Homme, droits des Peuples du Maghreb". Au cours de cette journée, quelques femmes et notamment Nassera M'rah, Monique Dental et Feriel Fates portent l'accent sur ses limites : l'absence de prise en compte des droits des femmes, qui remet en cause la validité même des approches classiques en matière de défense des droits de l'Homme.

La décision fut alors prise d'organiser en 1990 un colloque sur le thème : "Droits des femmes du Maghreb".

Nous souhaiterions dans cet article poser quelques questions occultées lors de ce colloque et proposer une analyse :  

***

1. Le comité d'organisation était au départ composé des représentant-es des associations précitées. S'y joignirent des individualités et des membres d'associations de femmes maghrébines de France et du Maghreb. Mais la reconnaissance de 1'appartenance à des associations de femmes ou féministes fut repoussée.
La lettre du 4 décembre adressée aux participantes précisait bien que la participation au colloque était "à titre individuel". Si une réelle ambiguïté régnait quant à la position de certaines : parlaient-elles au nom de leur association ou en leur nom propre ? -, le comité refusa de prendre en considération le problème de l'appartenance de certaines femmes à des partis dont le projet politique était d'autant plus efficace qu'il n'était pas affiché.

Ce non-dit a eu de lourdes conséquences sur le déroulement ultérieur de ce colloque.
Si beaucoup disaient que ce colloque n'était pas "clair", seule une minorité au courant était à même de décrypter les enjeux politiques qui s'y déroulaient.
La bataille se passait entre initié-es et dans un tunnel.

De fait, les invitations furent limitées, mais surtout les critères de choix, notamment parmi la quinzaine d'associations de femmes algériennes, ne furent jamais posés. Dès lors, les participant-es au colloque étaient en droit de se poser la question des critères politiques ayant prévalu dans ces choix.

Ce qui apparut comme le plus étonnant pour les personnes averties, c'est que la constitution d'une nouvelle association féministe algérienne refusant toute allégeance à un parti politique ne fut même pas évoquée. Un mois auparavant, le 15 février 1990, au sein da l'association pour l'égalité des droits entre hommes et femmes devant la loi, une scission avait eu lieu, donnant naissance l'Association pour le triomphe des droits des femmes.

Dans sa proclamation datée du 15 février 90, cette nouvelle association considère que "c'est aux programmes des partis politiques de répondre aux revendications des femmes (puisqu'ils contiennent un projet de société) et non aux mouvements de femmes de, satisfaire les besoins de stratégies de pouvoirs de ces mêmes partis". Elles affirment qu' "elles refusent de remplacer le monopole FLN par celui d'un tel parti, quel qu'il soit".

À l'appui de sa position, cette association pose cette question : " Lorsqu'un parti politique déclare à qui veut bien l'entendre qu'il est le parrain de telle association de femmes et, comme tel, oeuvre à ce qu'elle ne lui échappe jamais, quelle cause sert-il : la cause des femmes ? La cause de la propre légitimation de sa stratégie de pouvoir par mouvement de femmes interposé "?  

Or c'était justement l'OST, organisation politique d'obédience trotskiste, liée aux Lambertistes, qui - bien que n'étant pas nommée - était accusée de vouloir contrôler cette association de femmes algériennes. Et ce fut lui qui fut le principal bénéficiaire de l'organisation de ce colloque.

Inutile de dire que la démocratie ne gagna rien dans les manipulations auxquelles nous avons pu assister, nous ramenant à des pratiques que l'on voulait croire abolies depuis l'échec des partis staliniens : 'occupation du terrain' pour empêcher que le temps dévolu aux questions ne soit utilisé à la critique, parole donnée aux intervenantes choisies en connaissance de cause, refus de toute dynamique des débats, questions gênantes laissées sans réponse, "synthèses" tronquées ne reflétant pas les débats et, ce, malgré les protestations formelles des Tunisiennes, menaçant de quitter le colloque.

L'histoire des luttes de femmes en Algérie contre le code de la famille fut grossièrement falsifiée, tandis que l'une des intervenantes invitées (Madame Aslaoui) s'est vue mise publiquement en accusation selon des méthodes inacceptables. Il ne s'agissait plus de débats entre conceptions différentes mais d'un véritable réquisitoire personnalisé, fiches à l'appui, de type "tribunal populaire".  

Le comble fut atteint le dimanche matin, où un dialogue surréaliste de près d'une demi-heure eut lieu entre deux membres du comité d'organisation alors que plus d'une quarantaine de questions étaient en attente de réponse et que le colloque devait être clos une heure plus tard.

Pourtant, une participante avait posé une question à laquelle il ne fut pas répondu :  "Quelle est cette association dont on parle toujours sans la nommer ? ". En effet, celles qui en faisaient partie avançaient sans s'en prévaloir et celles qui dénonçaient l'absence de démocratie de ce colloque ne la nommaient pas non plus.

Dans un deuxième temps, on peut se poser la question de savoir pourquoi les associations organisatrices françaises laissaient faire et que, dès lors, ne serait-ce que par leur silence, elles cautionnèrent ces pratiques ? Les organisateur-trices et plus particulièrement le CEDETIM avaient été mis au courant des risques de contrôle par certaines de ce colloque, mais craignaient - tout au moins était-ce le discours sur - que cette prise en compte n'ait  pour conséquence l'impossibilité de le tenir.
Au nom de et argument, en estimant sans doute que le bénéfice qu'elles pourraient en tirer serait probablement supérieur à ces risques, les trois associations organisatrices ne se sont pas donné les moyens politiques de gérer ce problème.

Ce laxisme - pour certain-es probablement entaché d'un certain paternalisme, accompagné d'une méconnaissance réelle des luttes des luttes des femmes au Maghreb - n'est pas acceptable. Ainsi, une participante française a pu dire à la tribune que ce "colloque avait donné l'occasion à ces femmes de parler pour la première fois en public" (!), une autre que les Françaises avaient " 30 ans d'avance" (!) [sur les Maghrébines]  

On pourrait à cet égard rappeler cette situation avec les moyens politiques réels que s'est donnée la Ligue des droits de l'homme pour gérer les problèmes posés par l'existence de deux associations des droits de l'homme en Algérie.

Faut-il encore rappeler que les questions soulevées par les féministes sont des questions politiques ?

De fait, les problèmes politiques de stratégies vis-à-vis de l'Etat ou des intégristes ne furent ni posées, ni débattues, questions que le Comité d'organisation se refusait d'évoquer.  

Certes, parler de laïcité ou de stratégies à adopter vis-à-vis de l'intégrisme était difficile mais comment évoquer les problèmes des droits des femmes sans les aborder ?  
On a pu aussi - ainsi - constater qu'aucune dynamique de lutte n'a pu sortir de ce colloque et qu'elle fut même formellement rejetée par Feriel Fates, membre le plus influent du comité d'organisation. Empêcher l'émergence de toute dynamique politique et féministes issue directement du colloque n'était-ce pas permettre à l'OST - en liaison avec le CEDETIM - d'en capitaliser, seul, les fruits ?

Il existait de fait une concordance de vues entre les associations organisatrices qui ne souhaitaient pas que la question des femmes du Maghreb soit abordée dans sa dimension politique et féministe et l'OST qui la subordonnait à l'affirmation de son rôle politique dirigeant.

Dès lors, l'analyse des réalités concrètes de vie des femmes prévalant au Maghreb fut largement occultée. Peu fut dit concrètement sur les violences contre les femmes, les violences conjugales, les répudiations, les viols, la prostitution, les infanticides, la remise en cause du droit au travail, à l'enseignement, à la liberté d'expression et de circulation, au droit de vote (par le biais de procurations massives données aux hommes)1 sur les suicides, les mariages forcés, l'obsession de la virginité et les drames en découlant, l'absence d'une véritable politique de contraception, l'enfermement des femmes, les pensions non payées, les enlèvements d'enfants, les jugements de divorce iniques cachant mal de véritables abandons de familles entières sans aucune ressource.

En outre, alors même que l'on arguait de la dimension juridique de ce colloque pour en évacuer la dimension politique, les débats strictement juridiques se sont révélés tout à fait insuffisants. Quant à la problématique de l'égalité, elle ne fut abordée, comme l'a justement fait remarquer Anne Le Gall, que sous l'angle du droit de la famille et non pas sous l'angle politique.

Les débats sur l'autonomie des femmes du Maghreb qui auraient obligé à se poser le problème de la solidarité internationale des femmes ne pouvaient donc avoir lieu au nom d'un double argument :

- Les problèmes entre associations au Maghreb n'ont pas à être mis sur la place publique
- Elles risquaient d'être accusées dans leurs pays respectifs d'être instrumentalisées par les féministes françaises.

L'argumentation aurait été légitime si elle n'avait été utilisée comme alibi. On ne peut certes évacuer les problèmes politiques que pose ce choix d'alliance, compte tenu de la dramatique histoire coloniale française, notamment en Algérie. Il faut cependant remarquer que cet argument "nationaliste" ne recouvrait qu'une partie da la réalité des choix faits. L'enjeu n'était-il pas, plus réellement que l'affirmation de la revendication d'autonomie des organisatrices du colloque par rapport aux Françaises, celui d'un refus d'une dynamique féministe qu'aucune de ces associations ne souhaitait ?
Que cache cet éternel amalgame : féministes maghrébines = inféodation aux féministes françaises? Ne peut-on pas être féministe sans être inféodée ?

On ne peut donc que regretter que cette rencontre n'ait pas suffisamment contribué face aux dramatiques attaques dont les femmes sont l'objet au Maghreb - un renforcement de leur capacité de lutte.

Une fois encore on peut déplorer que la mise en avant au sein du mouvement des femmes d'intérêts d'organisations politiques ne contribue en rien au renforcement da l'autonomie des femmes. Et l'on peut en prendre pour preuve que l'une des dirigeantes de l'OST, si ferme lors de ce colloque sur ses positions féministes et si accusatrice à l'égard de celles qui ne l'étaient pas, n'a même pas évoqué le problème de la défense des droits des femmes lors d'une interview télévisée en Algérie de près d'une heure et s'est montrée on ne peut plus compréhensive envers le FIS (Front Islamique du salut). Il est vrai qu'elle parlait alors officiellement au nom de son parti dans le cadre de la campagne électorale nationale.

***

Heureusement, une réunion ultérieure tenue à Tunis les 26, 27, 28 mars, à l'appel de l'association tunisienne des femmes démocrates s'avéra nettement plus positive.

Elle évoqua dans sa déclaration finale la nécessité de "renforcer nos liens, échanger informations et expériences, conjuguer nos efforts en vue de :
* Élaborer une stratégie de lutte commune
* Organiser la solidarité agissante et effective des femmes du Maghreb en vue d'œuvrer ensemble pour :
- Une citoyenneté entière pour les femmes maghrébines
- L'égalité effective entre les femmes et les hommes (abolition de la polygamie et de la répudiation, droit au divorce pour les femmes, droit de tutelle sur les enfants, égalité en matière de responsabilité familiale, droit inconditionnel au travail, etc.)
- L'abolition de toutes les pratiques discriminatoires à l'égard des femmes
- La ratification sans réserve de la Convention de Copenhague.

Notre devise est Le Maghreb se fera avec la citoyenneté effective des femmes maghrébines ou ne se fera pas. Pas de démocratie réelle dans le Maghreb sans la reconnaissance de tous les droits des femmes."

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Notes de bas de page
1 L ‘APN (Assemblée populaire nationale) vient de voter un nouveau code électoral. Comme amendement, les députés ont proposé, hors commission, de porter le nombre de procurations de vote de une (proposition du gouvernement) à trois : «  Un homme polygame peut-il décemment emmener ses quatre femmes et toutes ses filles au bureau de vote ?», expliquait un député. Un journaliste écrivait justement devant cette remise en cause du droit de vote des femmes : «  Pour avoir une chance d’abroger le code de la famille, il faudrait au moins que toutes les femmes aient le droit de choisir leur député ». Algérie Actualités, 29 mars 1990.

Cet article fut finalement voté en ces termes : « Peuvent également, et à titre exceptionnel exercer, sur leur demande, leur droit de vote par procuration, certains membres de la famille ». Algérie Actualités, 12 avril 1990.  


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