lettres politiques
 Marie-Victoire Louis

Lettre à Marie-Christine Aubin

date de rédaction : 27/01/2006
mise en ligne : 03/09/2006
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Paris, le 27 janvier 2006

Chère Marie-Christine Aubin,


Vous m’avez adressé avant-hier, pour « inform»[ation], la pétition lancée par la Coalition internationale contre la traite des êtres humains intitulée : « Acheter du sexe n’est pas du sport » et je vous en remercie.

Dans la mesure où vous avez accompagné votre envoi de ce commentaire : « Je pense que vous n’êtes pas très favorable à ce genre d’action. Personnellement, je crois qu’il faut se battre sur tous les fronts » [….], j’ai pensé qu’il pourrait être utile de clarifier certains points.

À cet égard, je voulais vous dire que votre envoi personnalisé a créé les conditions d’une critique politique de ce texte, que je n’aurais sûrement pas faite sans cela. Soyez en remerciée.

I. Tout d’abord, quant à la pétition elle-même.
Non je ne le signerai pas. Pourquoi ?

A) Du fait de son titre : « Acheter du sexe n’est pas un sport »

1) Non seulement, il n’est fait référence à aucune condamnation du principe même du proxénétisme - sans lequel aucune politique abolitionniste n’est pensable - mais plus encore, l’emploi du terme d’« achat » cautionne le bien fondé de ce qui relève, dès lors, d’une pratique - commerciale - individuelle non condamnée.

2) Par ailleurs, l’emploi de l’expression : « Achat du sexe » réduit les êtres humains non plus seulement à leur sexe mais plus encore à « du sexe ». 1

3) Enfin, assimiler, y compris pour le récuser, l’ « achat du sexe » à « un sport », c’est entériner une possible, une pensable liaison entre ces deux termes. Ce qui est inacceptable. Il est, à cet égard à craindre qu’une telle analogie n’entre dès lors dans le langage courant.  

B) Du fait de son sous-titre : « Dire non à la prostitution des femmes pendant la coupe du monde de football en 2006 ».

4) Cette pétition qui [nous] demande de dire « Non à…. » s’inscrit dans une problématique de refus personnel, relevant quasiment du domaine de l’expression individuelle.  

5) Cette pétition entérine le fait que « la prostitution des femmes [hors Coupe du monde] » serait légitime.   

6) Cette pétition exclue de son champ de prise en compte « les hommes » prostitués.

C) Du fait de l’analyse du contexte :  Lignes 1 à 13.

7) Cette pétition, en maintenant la fiction d’une Allemagne - seule ? - qui aurait « en 2002, légalisé le proxénétisme et l’industrie du sexe » occulte par là même l’existence des politiques européennes qui ont légalisé et légitimé le proxénétisme au sein de l’Union européenne. Dès lors, elle cautionne toutes les analyses qui persistent à refuser de reconnaître cette réalité, par trop politiquement dérangeante.

8) Cette pétition reprend nombre de termes qui de fait et de droit s’inscrivent dans une politique qui cautionne le bien-fondé de ce à quoi elle [nous] demande de « dire non », à savoir « la prostitution des femmes »  :  

* Il est question de « femmes ‘importées’ d’Europe Centrale et d’Europe de l’Est vers l’Allemagne pour servir sexuellement [.les hommes]  ».

Lemploi du terme d’ « importation » - lui aussi, tout commercial - signifie que le problème est moins le principe en soi de la création de ce « gigantesque complexe prostitutionnel », de « méga bordel », de ces « cabanes du sexe », de ces « cabines de prestation » qui est en cause, que celui du « trafic » de ces femmes, pour reprendre le vocabulaire libéral proxénète.  

Par ailleurs, la stricte et nominative référence à l’ « Europe Centrale et l’Europe de l’Est » passe sous silence toutes les personnes prostituées originaires d’Europe occidentale - non « importées » ? - mais aussi d’Afrique, d’Asie, d’Amérique, d’Océanie.

* Il est question de « clients », mais aussi d’ « acheteurs », et enfin, non dissociés de « touristes sportifs / sexuels ». Aucun de ces termes ne s’inscrit dans une logique de condamnation, bien au contraire.
L’emploi de celui de « Serv[ice]  sexuel » - qui s’oppose par ailleurs à celui d’ « exploitation sexuelle » [ lui-même critiquable ] utilisé douze lignes plus bas - s’inscrit sans conteste dans une analyse fonctionnelle du système proxénète.

* Enfin, après l’emploi de termes déjà évoqués, comme « achat », « importation », ceux d’« afflux », de « boom commercial » sont particulièrement choquants. Faut-il rappeler qu’il s’agit d’êtres humains ? Et que chaque emploi de termes relevant traditionnellement de la sphère marchande contribue à la légitimation du processus de marchandisation les [ nous ] concernant ?  

C) Du fait de son argumentaire : « Nous personnes individuelles et organisations, déclarons que… » Lignes 15 à 25.

9) L’expression déjà critiquée d’« l’achat du sexe » est ici en outre assimilée à « une exploitation sexuelle », ce qui soit mêle des termes relevant de registres théoriques différents, soit cautionne la conceptualisation libérale de la notion d’ « exploitation », à savoir : « mettre en valeur ».

10) Il n’est pas juste d’affirmer que : « traiter le corps des femmes comme une marchandise viole les standards internationaux du sport qui promeuvent l’égalité, le respect mutuel et la non-discrimination ». En effet, de tout temps, la référence à ces trois principes ont pu sans contradiction pacifiquement coexister avec le bien-fondé du proxénétisme et l’existence de bordels. Par ailleurs, il importe de préciser que le système proxénète, étant un système criminel - et non pas « un fléau » - ne relève donc pas des principes sus évoqués.  

11) Par ailleurs, je ne vois pas à quel titre, ni comment, ni pourquoi la Coupe du monde serait chargée de contribuer à « éradiquer […] la traite et l’exploitation sexuelle », dans la mesure où ce sont bien ses instances qui ont sinon décidé, du moins accepté le principe de la création de ce bordel. Sans doute, aurait-il dès lors été plus adéquat de lui demander de revenir sur cette décision et d’arrêter immédiatement les travaux.

12) Le qualificatif « d’honneur » accordé aux «  hommes qui n’achéte[ait) pas du sexe » est inacceptable. Il ouvre en effet la voie à un « honneur » masculin fort bon marché dont les femmes ne peuvent que lourdement payer le prix.

13) Il est pour le moins difficile de lire dans la même phrase faire référence à « l’achat du sexe » - puisque décidément c’est le terme récurent employé dans ce texte - avec l’affirmation « du respect [de] la dignité et de l’intégrité de l’être humain ».

14) Enfin, la demande qui [nous] est faite de « dire non » à l’« organisation de la prostitution » - dont on voit mal par ailleurs ce que ce terme signifie - pose pour le moins problème. Une prostitution « non organisée » serait-elle en effet [plus] légitime ?

D) Du fait de ses «  demand [es] » 

15) Cette pétition en faisant référence aux « 32  pays participants à la coupe de football qui ont ratifié les conventions [….] contre la prostitution et la traite […]  entérine, en ne la nommant pas expressément, l’abandon par la Communauté des Etats de la convention - abolitionniste - de 1949. Et, plus encore, la référence au pluriel à des « conventions » non citées participe de la confusion entre des conventions onusiennes- je pense plus particulièrement à la convention contre le crime transnational organisé, dite de Palerme - relevant de philosophies politique radicalement opposées.  

Ensuite en liant les « conventions » - non citées – « et/ou les protocoles » - non cités non, cette pétition accroît encore la confusion. Plus encre, elle laisse croire que ces, des textes aujourd’hui seraient « contre la prostitution et la traite ».
Ce qui est intellectuellement et politiquement scandaleux.  

16) Cette pétition mettant à égalité de pouvoirs, de légitimité et de statut des instances qui ne sont en rien équivalentes, ni même comparables, pose ainsi la Chancelière d’Allemagne, Madame Merkel, en quatrième position des institutions interpellées, et ce, à égalité avec le président de la Fédération allemande de football. Politiquement parlant, ce n’est pas non plus acceptable.

17) Cette pétition cautionne le principe de la légitimité du bon droit des hommes à être prostitueurs/clients, l’un des quatre desiderata « deman[dés] » étant de « décourage [ment de]  la demande ». « Décourager » n’est pas « pénaliser », tant s’en faut.
Cette pétition s’oppose donc au principe de la pénalisation des clients, en grave régression donc par rapport à la loi Suédoise.

18) Cette pétition emploie, à équivalence de signification, des termes de nature et de signification différentes, tels que « organisation de la prostitution », « promotion de la prostitution », « arrêt de la traite des femmes aux fins de prostitution », « favoriser la prostitution », « promotion publique de la traite et de la prostitution ».

19 ) Je note enfin que cette pétition ne demande tout simplement pas l’arrêt de travaux et la fermeture de ce bordel, ni ne condamne les législations et les politiques proxénètes. Et j’y inclus la législation allemande.  

II. Enfin, pour revenir à votre petit mot, ce n’est pas parce que je « ne suis pas favorable à ce genre d’action », ni parce que je ne pense pas qu’il faille « se battre sur tous les fronts » - ce que j’approuve bien sûr - que je ne signe pas ce texte, c’est parce que je suis en graves et nombreux désaccords politiques avec lui.

Et, plus globalement, et depuis fort longtemps, avec les positions de la Coalition contre le trafic des femmes.

Voilà donc, Marie-Christine, ce que j’ai souhaité répondre à votre envoi.

Cordialement

Marie-Victoire

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Notes de bas de page
1 L’« industrie du sexe » utilisée plus bas s’inscrit dans la même problématique, au même titre que l’expression : « cabane du sexe ».

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