Mail adressé à Caroline Méchin
Service Droits des femmes
Jeudi 26 avril 2001
Objet : Réactions à la grille d'entretien.
Refus de participer à l'audition du groupe: "Image des femmes dans la publicité".
Caroline,
Après le coup de contact téléphonique en date du 24 avril avec Brigitte Grésy - dont je n'ai pas le mail - et sachant que vous travaillez ensemble dans ce groupe de travail, je t'adresse, après avoir retrouvé mon dossier, et avant le rendez-vous téléphonique de demain matin, ces quelques réactions.
J'ai donc relu votre questionnaire.
Ce qui m'a, à sa lecture, frappé et a donc motivé mon refus, c'est - "en vrac" - que :
1) Vos questions "font comme si" le terrain était quasiment vierge, comme si rien - ou presque - n'avait déjà été publié sur le sujet. Or, concernant la question de la représentation des femmes dans la pub, des tonnes de livres, d'articles ont déjà été publiées sur le sujet. Il en est de même concernant la question des effets de la publicité. Ainsi, l'apparente "naïveté" de la question 2 m'a laissée, pour le moins, étonnée.
2) Vos questions s'adressent essentiellement aux publicitaires, voire aux journalistes, qui ne peuvent vivre que par la publicité. De facto, vos questions - qui concernent essentiellement les agissements, les perceptions, les analyses des publicitaires - sont construites comme s'ils/elles étaient vos seuls interlocuteurs/trices.
Plus encore, faisant là encore, comme si non seulement ils/elles n'avaient pas déjà publié des tonnes de justificatifs des fondements de leurs pratiques, comme si quotidiennement nous n'étions pas inondé-es, submergé-es par les images des femmes qu'ils nous imposent, c'est à eux que vous demandez d'expliquer leurs pratiques : "Quel est votre "registre" (?) ; "Avez-vous des tabous" (?) ; "Avez-vous des débats" ; "les règles existantes (vous) sont-elles adaptées ?"
3) Vos questions s'inscrivent au sein même de la logique et de l'idéologie publicitaire, Vous vous situez au sein même de leur problématique, sur "leur registre". (Question 3) Vous employez leur vocabulaire : "complicité » ,"transgression" , "création esthétique", "créativité", "tabous"...en leur conférant même les éléments de la justification de leurs pratiques.
Plus encore, les questions étant présentées de manière binaire (ou) ou trinaire ne me paraissent même pas adaptées à leurs propres questionnements, qui sont infiniment plus complexes.
Enfin, l'expression: "Avez-vous eu connaissance de publicités..... faisant référence à une situation de violence dont une femme peut être victime" relève du déni de toutes les publicités justifiant ouvertement les violences à l'encontre des femmes. Et exclue même l'hypothèse que vos interlocuteurs/trices et/ou les membres de vote groupe - notamment les membres du BVP - aient pu soit être à leur origine, soit les avoir justifiées. Une caution leur est donc ainsi apportée.
4) Aucune question ne relève de la "critique" du fonctionnement du système actuel qui n'est par ailleurs, ni défini, ni présenté. En employant les expressions "d'encadrement juridique" (et non pas de loi et de règlements) et de "système d'autorégulation", de facto vous ne remettez pas en cause le dit "'système".
En outre, l'hypothèse que des critiques puissent être faites aux publicitaires est quasiment exclue, puisque vous ne (leur) demandez que s'ils ou elles le "connaissent".
Je me permets à cet égard, de dire que je récuse le terme d' "autorégulation", à moins de dire que l'on accepte que les annonceurs continuent eux-mêmes à imposer leurs lois. Ou que la loi du capitalisme devrait dorénavant se substituer à la loi de l'Etat.
Faut-il rappeler que le BVP qui avait par ailleurs a censuré une publicité d'Amnesty International sur la peine de mort, qui n'a jamais pris en compte les nombreuses interpellations des féministes, est financé par les annonceurs ?
Quant au CSA, son mode de fonctionnement, les "principes" sur lesquels il agit, les textes qu'il est censé utiliser sont complètement dépassés. Même les personnes qui en font partie le reconnaissent.
5) Aucune question ne considère la pub "du point de vue des femmes", comme si celles-ci :
- N'étaient pas à même de les juger, de les analyser.
- Nombre d'entre elles (soutenues par quelques hommes) n'avaient pas, elles non plus, déjà fait connaître leurs colères, leurs critiques, leurs analyses, leurs exigences de changements.
- Elles ne les avaient pas déjà dénoncées, à de nombreuses reprises. Et n'avaient pas, non plus, obtenu - dans nombre de campagnes - satisfaction de leurs revendications.
6) Aucune question ne s'inscrit dans une réflexion féministe. Dès lors, celui-ci est de fait invalidé.
7) Aucune référence n'est faite aux luttes féministes. Dès lors, celles-ci disparaissent dans le néant.
8) Le mot "sexiste" n'est même pas prononcé. L'hypothèse même d'une loi anti-sexiste est donc de facto évacuée. Plus encore, le concept de "discrimination" lui-même est auto-délégitimé puisqu'il est attribué indifféremment aux deux sexes. À l'encontre du concept de discrimination raciale, qui lui est maintenu dans sa spécificité.
9) La question fondamentale du lien entre publicité/prostitution/pornographie est évacuée.
10) Le vocabulaire employé est masculin : "consommateurs".
11) Compte tenu de ce qui précède, l'expression d'" amélioration de la situation" est-- à tout le moins - maladroite. Elle peut en effet, tout aussi bien, être entendue comme pouvant encore renforcer le pouvoir des publicitaires. En tout état de cause, elle évacue toute critique (radicale) du système libéral capitaliste patriarcal.
12) Aucun projet politique émanant de l'Etat n'est évoqué.
13) Intellectuellement, politiquement parlante, aucune question ne permet d'ouvrir et/ou de prolonger et/ou d'enrichir les débats.
Voilà, j'espère que vous ne m'en voudrez pas de ma franchise. Et que ces critiques pourront vous être utiles. Nous pouvons donc, comme évoqué, continuer ce débat, demain matin au téléphone.
Cordialement
Marie-Victoire Louis
Annexe.
AUDITIONS
"IMAGES DES FEMMES DANS LA PUBLICITE"
GRILLE D'ENTRETIEN
(Reçue le 23 avril 2001)
1. Quelle est votre perception des représentations des femmes véhiculées par les publicités en France ? Ces représentations vous semblent-elles différentes dans les autres pays de l'Union européenne ?
2. La publicité. qui a pour vocation première de vendre un produit, peut-elle avoir selon vous des effets directs ou indirects sur les comportements sociaux ?
3. Pour vendre un produit, sur quel registre vous placez-vous : la complicité, la transgression, la création esthétique ?
4. Avez-vous des tabous ou des interdits pour l'élaboration et la mise en scène de messages publicitaires : mort, pauvreté, protection des enfants, religion, sexualité, violence, discrimination raciale, discrimination entre les femmes et les hommes…
5. Avez - vous connaissance de publicités ayant transgressé certains de ces interdits, et plus particulièrement manifestement discriminatoires ou faisant référence à une situation de violence dont une femme peut être victime ?
6. Avez-vous connaissance de l'encadrement juridique et des systèmes d'autorégulation s'appliquant en France ?
7. Avez-vous des débats sur ces éléments, les prenez-vous en compte dans le cadre de votre activité ? Les considérez-vous comme une contrainte ou un élément de créativité ?
8. Les règles existantes vous semblent-elles adaptées aux besoins de votre profession, des demandes des consommateurs, des exigences des annonceurs et plus largement sont-elles adaptées aux réalités sociales ?
9. Quelles seraient vos propositions pour améliorer la situation ?