Paris, le 8 septembre 1999
Madame Nicole Notat
Secrétaire générale
CFDT
4 Bd de la Villette
Paris 75019
fax: 01 42 03 81 44
Par fax et par lettre
Madame la Secrétaire générale,
Je prends connaissance, ce jour, d’un article publié dans L’Événement (2 au 8 septembre) intitulé: « Harcèlement sexuel. La fin de la loi du silence? Les victimes sortent de l’ombre ».
À mon grand étonnement, j’ai pu lire, au terme de l’analyse faite par Catherine Battut du service juridique de la CFDT, la phrase suivante: « Le but du syndicalisme n’est pas de se précipiter au tribunal, mais d’offrir aux victimes un lieu d’écoute où on les aide à faire valoir leur version et à régler leurs conflits en interne. »
En effet, affirmer que le syndicalisme (ou, plus précisément, la CFDT) doit « être un lieu d’écoute » c’est, sans doute, jouer un rôle de conseil. «Aider (les victimes) à faire valoir leur version », relève, certes, de la compréhension des plaintes pour harcèlement sexuel. Mais c’est aussi affirmer que la CFDT n’intervient plus à leurs côtés, ne s’engage plus avec elles, les laissant seules dans la défense de leurs droits. Et, enfin, affirmer « (les aider.)...à régler les conflits en interne », c’est aussi signifier que la CFDT transfère de facto aux employeurs la responsabilité de décider du droit.
En outre, sans autre rappel à la loi, cette assertion peut aussi être interprétée comme dissuadant les femmes d’y recourir. L’affirmation selon laquelle « le but du syndicaliste n’est pas de se précipiter au tribunal » ne peut que plaider dans le sens de cette interprétation.
C’est alors aussi affirmer que la défense des femmes salariées - mais aussi plus globalement des « victimes » - ne serait plus alors du ressort de la loi, mais de la négociation, de la « médiation...bref... du rapport de force?
En tout état de cause, cette position est:
- une remise en cause du statut des femmes comme sujets autonomes de droit.
Et ce, en contradiction avec la Constitution française qui affirme dans le préambule de la constitution de 1946, repris dans la constitution de 1958: « La loi garantit à la femme dans tous les domaines des droits égaux à ceux de l’homme »..
- et donc une « discrimination à l’encontre des femmes » défini par l’article 1er du CEDAW comme « toute distinction, exclusion ou restriction fondée sur le sexe, qui a pour but ou pour effet de compromettre ou de détruire la reconnaissance, la jouissance ou l’exercice par les femmes....sur la base de l’égalité de l’homme et de la femme ».
Aussi, si cette position n’était pas officiellement démentie, la politique de la CFDT pourrait alors, à tout le moins, être considérée comme discriminatoire à l’encontre des femmes.
Compte tenu de la gravité de la position exprimée par Catherine Battut dans l’article pré-cité - si tant est que ses propos aient été adéquatement reproduits - je vous serais très reconnaissante de me faire savoir si celle-ci est conforme à celle de la Confédération?
Et dans cette hypothèse à laquelle je ne peux croire, je vous serais très reconnaissante de me faire savoir quand et comment la CFDT compte la démentir. Et réaffirmer son engagement aux côtés des victimes de harcèlement sexuel, comme de toutes les manifestations de violences au travail, lutte sans laquelle aucune politique en matière d’égalité entre les hommes et les femmes, ni aucune lutte contre les discriminations n’est crédible.
Dans l’attente, je vous prie d’agréer, madame la Secrétaire générale, l’assurance de ma considération.
Marie-Victoire Louis
Chercheuse au CNRS
Ex-présidente de l’AVFT.
Copie à:
Caroline Cartéma. Journaliste à L’Événement.
Catherine Le Magueresse. Présidente de l’AVFT.
Madame Yvette Roudy. Députée.
Madame Véronique Neiertz. Députée.