lettres politiques
 Marie-Victoire Louis

Lettre à Monsieur l'ambassadeur de Belgique

date de rédaction : 25/09/1998
mise en ligne : 18/10/2006 (texte déjà présent sur la version précédente du site)
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Paris, le 25 septembre 1998

Monsieur l’Ambassadeur
Ambassade de Belgique
9 rue de Tilsitt
Paris 75017.

Par télécopie et par lettre

Monsieur l’Ambassadeur,

Citoyenne d’un pays membre de l’Union Européenne, je tenais à vous faire part de mon indignation à l’annonce du décès de Semira Adamu.

Agée de 20 ans, celle-ci refusait le destin que l’on voulait lui imposer, celui de devenir la quatrième épouse d’un sexagénaire.

Elle croyait qu’elle trouverait en Belgique un moyen d’échapper à cette négation de sa liberté que représente un mariage forcé, comme à cette humiliation insupportable de la polygamie. Elle croyait que la Belgique pourrait lui offrir un autre horizon que celui d’être régulièrement violée, et ce en conformité avec la loi; de travailler sans salaire pour entretenir un homme et sa «  famille »; d’être quotidiennement mise en concurrence avec d’autres femmes et contrainte à agir de manière à ne contrarier ni le maître ni les (autres) esclaves.  

Elle exerçait en venant en Belgique, son droit le plus absolu, celui de vivre libre.
Elle aurait donc dû être accueillie comme une femme luttant pour faire avancer les droits des femmes et saluée pour son courage et sa ténacité par tous les défenseurs des droits de la personne. À plusieurs reprises, elle s’était réfugiée au Togo, tandis que cette dernière tentative pour vivre en Belgique était la cinquième. Elle n’a connu que le refus d’accès au territoire, l’enfermement dans un centre pour « étrangers illégaux », les coups, les injures, l’emploi de la force, le bâillonnement, l’étouffement et la mort.

Monsieur l’Ambassadeur, je souhaiterais, comme nombre d’Européen-nes, savoir:
- quelles mesures le gouvernement de votre pays va - pénalement - prendre à l’encontre du représentant du Parquet et du Ministre de l’Intérieur, qui ont légitimé la pratique de l’ « étouffement » et justifié l’assassinat d’une femme.  
- quelles décisions vont être prises de manière à ce que la violence, sous quelle forme qu’elle soit, ne soit plus utilisée par la gendarmerie.
- quelles initiatives seront prises - avec les autres gouvernements Européens - de manière à modifier la convention de Genève qui ne fait aucune place aux violences à l’encontre des femmes.

Monsieur l’Ambassadeur, la loi belge votée, le 13 avril 1995, « contenant des dispositions en vue de la répression de la traite des êtres humains » définit les conditions qui justifient la poursuite des trafiquants, à savoir : « faire usage à l’égard de l’étranger de façon directe ou indirecte, de manoeuvres frauduleuses, de violence, des menaces ou de toute autre forme de contrainte ». (1° de l’article 77 bis inséré dans la loi du 15 décembre 1980 sur « l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers »). Or, votre gouvernement use de méthodes qu’il prétend combattre chez les trafiquants des êtres humains. Comment, dès lors, peut-il, alors maintenir la fiction que représente, sa volonté de lutte à leur encontre?
À cet égard, la réforme de la législation sur le droit d’asile, évoquée hier par le ministre de l’Intérieur démissionnaire ne sera pas suffisante.   

Par ailleurs, le 2° de ce même article précise que peuvent aussi être poursuivis ceux qui « abusent de la situation particulièrement vulnérable dans laquelle se trouve un étranger, en raison de sa situation administrative illégale ou précaire, d’un état de grossesse, d’une maladie, d’une infirmité ou d’une déficience physique ou mentale ». Comment le gouvernement belge peut-il justifier qu’il accorde certaines  « protections » - fort relatives, il est vrai - aux présumées victimes de ces trafics, sur les fondements sus-cités, alors que la situation des femmes qui devraient bénéficier d’un droit d’asile politique - du fait des discriminations et violences qui leur sont imposées du fait de leur sexe - n’est pas prise en compte par la législation belge ? Et ce alors que celle-ci est présentée comme un « modèle pour l’Europe ».

Monsieur l’Ambassadeur, la vie et la mort de Semira Adamu sont malheureusement emblématiques de la situation faite aux femmes qui, à travers l’émigration, tentent, légitimement, à chercher, ailleurs que dans leur propre pays, les conditions d’une vie qui ne les condamne pas, à priori, à la déchéance.

Est-il encore possible d’espérer que ce drame et le - légitime - scandale qu’il provoque dans votre pays ne restera pas pénalement impuni?

Est-il encore possible d’espérer que des décisions politiques fortes seront prises de manière à ce que l’Europe ne devienne pas le cimetière de personnes assassinées, en toute légalité, par les diverses polices des frontières ? Mon propre pays, la France, qui défend une politique et pratique des méthode comparables, étant, bien entendu aussi, concerné. Le Monde en date du 25 septembre nous apprend, en effet, la mort d’un homme de nationalité Sri Lankaise dans des conditions quasi identiques.

Je ne peux, pour ma part, accepter de vivre dans une Europe qui, pour ‘préserver le niveau de vie de ses resortissant-es’, banalise le meurtre avec préméditation. Et considère comme un problème « privé », les luttes des femmes contre leur assujettissement.

Dans l’attente, je vous prie de croire, Monsieur l’Ambassadeur, à l’expression de mes sentiments distingués.

Marie-Victoire Louis
Sociologue au CNRS.

Copie au Collectif contre les expulsions.
Copie à Monsieur Jospin. Premier Ministre. France.

Marie-Victoire Louis.
71 rue Saint Jacques. Paris 75005.

***

Paris, le 25 septembre 1998


Monsieur Lionel Jospin
Premier Ministre
Hôtel Matignon
57 rue de Varenne
Paris 75007

Par télécopie et par lettre


Monsieur le Premier Ministre,  


Veuillez trouver, ci-joint, de la lettre adressée ce jour à Monsieur l’Ambassadeur de Belgique en France.

Veuillez accepter, monsieur le Premier Ministre, l’expression de mes sentiments distingués.


Marie - Victoire Louis


Marie- Victoire Louis
71 rue Saint Jacques. Paris 75005
Tel/Fax: 01 43 29 86 52.


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