Madeleine Pelletier

De la prostitution

L’Ouvrière
08/03/1924

date de publication : 08/03/1924
mise en ligne : 03/09/2006
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La prostitution est une des plaies de la société capitaliste.

Elle constitue néanmoins, malgré sa hideur, un progrès relatif. Les peuples sauvages et barbares ne la connaissaient pas. Il faut déjà un certain degré de civilisation pour que l’homme consente à payer des complaisances qui dans un milieu plus brutal s’obtiennent par la force.

La civilisation sacrifie un certain nombre de femmes, dévolues à la satisfaction du besoin sexuel des hommes. Grâce à elles ; il y a plus de sécurité pour les femmes dites « honnêtes ». Avec un peu de circonspection, une femme peut, si elle le veut, échapper à l’emprise du mâle ; elle circule à peu près librement. Il n’en était pas ainsi dans les siècles passés ; une femme ne pouvait vivre sans la protection d’une famille ; lorsque cette protection lui manquait, il lui fallait aller s’enfermer dans un couvent.

L’inégalité des salaires dans les deux sexes pousse la femme à rechercher des ressources supplémentaires. Elle prend un amant qui paie le loyer. Il arrive qu’elle tombe mal et que l’amant se trouve être un souteneur qui l’oblige à la prostitution.

Rares sont en effet les femmes qui vont de gaîté de cœur au trottoir. La femme met toujours dans son amour un peu d’idéalisme : la sexualité toute seule, ce que Kollontaï appelait « l’amour sans ailes » lui répugne. Mais une fois accoutumée à son honteux métier, elle en prend la mentalité et devient crapuleuse.

Dans le journal l’En dehors, M.Armand dit qu’être prostitué n’est pas plus vil que d’être fonctionnaire, parce que l’on se vend dans les deux cas. C’est un paradoxe, tous les métiers ne s’équivalent pas et lorsque le métier est malpropre, celui qui l’exerce ne saurait préserver son âme de l’ordure.

Même dans la haute galanterie, la femme qui se fait entretenir richement conserve des allures canailles, stigmates de l’abjection à laquelle le luxe dont elle s’entoure ne la fait pas échapper.

M. Armand voudrait que les femmes se donnent facilement à des camarades pour leur faire plaisir, alors même qu’elles ne les aiment pas. Ce serait là un esclavage pire que celui de la société bourgeoise ; car, dans la prostitution, la femme a l’avantage d’être payée. 

La société communiste devra résoudre parmi beaucoup d’autres le problème sexuel. La solution n’en sera pas facile ; car il ne faut pas oublier qu’il n’y a pas égalité dans les deux sexes au point de vue de l’appel des sens.

Chez l’homme, l’instinct sexuel est impérieux comme la faim ; chez la femme, il est considérablement moindre au point qu’elle peut sans grand dommage supprimer complètement la sexualité de sa vie.

La société future ne comportera pas ce véritable bataillon sacrifié de la prostitution ; il faudra cependant que l’harmonie puisse s’établir sans que personne ait à souffrir.

On y arrivera en réformant complètement les mœurs. Aujourd’hui, les femmes sont élevées de telle sorte que l’acte sexuel lueur apparaît comme un fait grave qui décide de l’existence. Le langage courant, porteur de préjugés séculaires, confirme cette opinion : « se donner », « être subornée, séduite, mise à mal », etc.

Il faudra pénétrer les jeunes filles de l’idée que cet acte n’a pas une telle importance ; qu’il n’entraîne pas le déshonneur et qu’il ne donne aucun droit dans l’avenir sur la personne.

Il sera bon, d’autre part, de ne pas exalter la sexualité masculine comme le fait la société présente avec sa littérature, son théâtre, sa musique, etc. La société communiste reconnaîtra enfin que si la sexualité peut se satisfaire sans honte, elle n’est pas néanmoins le pivot de l’existence. C’est le cerveau et non le sexe qui doit primer.  

L’amour camaraderie que préconise Kollontaï est à mon avis la solution du problème sexuel ; l’homme y trouvera son compte en échappant au cloaque de la prostitution et la femme qui, quoi que moins sexuelle n’est pas cependant dépourvue à cet égard, sera heureuse de trouver des camarades qui lui donneront du bonheur, sans la mépriser, sans la traiter en esclave sexuelle.

« Il ne faut pas, a dit Trotsky, que l’un grignote la vie de l’autre », tout le problème sexuel est là.


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