Violences des hommes à l’encontre des femmes
 Marie-Victoire Louis

Les suites du procès de Jacqueline Sauvage : deux propositions législatives inacceptables

date de rédaction : 17/03/2016
date de publication : 17 mars 2016
mise en ligne : 17/03/2016
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À la suite du procès de Madame Jacqueline Sauvage (1-3 décembre 2015) une floraison de termes a soudainement jailli concernant la « légitime défense », plaidée alors, mais non prise en compte par le jugement, par ses deux avocates.
J’ai noté : « présomption de légitime défense » (demandée par certains syndicats de policiers depuis longtemps), « état de légitime défense », « droit de légitime défense » ; « légitime défense différée », « légitime défense putative », « légitime défense en cas de menace permanente », « légitime défense en cas de menaces réitérée », « légitime défense en cas de réitération d’acte de violence entretenant une menace permanente »…
Peu de débats ont eu lieu pour tenter de clarifier ces indéterminations linguistiques lourdes de significations et de conséquences politiques différenciées. Néanmoins, depuis lors, deux initiatives législatives ont eu lieu qui, en référence au dit procès, affirment s’inscrire dans le cadre de la défense des femmes victimes de violences ayant tué (ou tenté de tuer..) les hommes qui du fait de leurs violences attentaient à leur propre vie, souvent depuis des dizaines d’années.

Pour moi,aucune de ces deux propositions législatives tout à fait compatibles, n’est acceptable. Pourquoi ?

I. La proposition socialiste.

La première, dans l’ordre chronologique, a été proposée par Madame Maud Olivier, députée de l’Essonne et Monsieur Gwendal Rouillard, député du Morbihan (PS). Elle a été déposée à l’Assemblée Nationale le 29 février 2016, en tant que proposition d’« amendement » (N° 460) au projet de loi gouvernemental renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale » 1. Selon « l’exposé sommaire »  des motifs, elle « vise à améliorer l’évaluation de la légitime défense » et a pour finalité de s’inscrire en tant que troisième alinéade l’article 122-6 du code pénal. 2
Ainsi, au texte actuel : Est présumé avoir agi en état de légitime défense celui 3 qui accomplit l'acte : :
1° Pour repousser, de nuit, l'entrée par effraction, violence ou ruse dans un lieu habité ;
2° Pour se défendre contre les auteurs de vols ou de pillages exécutés avec violence.
serait donc ajouté :
« 3° Pour se défendre contre une personne qui a déjà commis à son encontre des actes de violences de manière réitérée, entretenant une menace permanente. »

Pourquoi le critiquer ?

* On ne peut accepter qu’un amendement présenté comme devant mieux défendre les femmes s’inscrive dans le cadre d’une loi ayant pour finalité de lutter contre « le terrorisme organisé [… ] ».

* On ne peut accepter que cet amendement de deux lignes puisse être présenté (en sus tronqué) comme « s’inspirant de l’article 34 du Code criminel Canadien » 4 lui, manifestement longuement pensé, puisse être invoqué pour justifier un texte de loi aussi succinct.

* On ne peut pas accepter que l’« exemple » « des cas de violences faites aux femmes poussant les victimes à se défendre contre leur agresseur » (« Exposé sommaire » des motifs) puisse être utilisé, sinon instrumentalisé, pour en réalité, ne pas formellement désigner les personnes qui seraient concernées (femmes victimes de violences) et qui, du fait de sa rédaction et de son imprécision, puisse concerner tant et tant de situations, d’auteurs, de victimes de violences.

* Enfin, on ne peut dissocier cette initiative PS proposant une réforme du code pénal déposée le 28 février du vote le 2 mars par l’Assemblée Nationale des quatre principaux amendements de la réforme de la procédure pénale. Si eux aussi s’inscrivent dans le cadre de la lutte antiterroriste, ils prévoient « l’assouplissement » des conditions d’usage des armes à feu pour les policiers, gendarmes, douaniers et militaires.

* Dans le cadre de cette grille de lecture, les initiatives de Madame Maud Olivier,  « responsable pour le groupe socialiste de la délégation aux droits des femmes de l'Assemblée nationale », en matière de lutte contre les violences contre les femmes prennent un autre éclairage.

II. La proposition Les Républicains.

La seconde initiative législative, chronologiquement, est une « proposition de loi relative aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants » présentée par Valérie Boyer. Députée des Bouches du Rhône (Les Républicains), celle-ci qui travaille « en collaboration » avec deux avocates de Jacqueline Sauvage, Janine Bonaggiunta et Nathalie Tomasini, a été déposée à l’Assemblée Nationale, le 7 mars 2016.
Cette proposition de loi - dont l’intitulé révèle les larges ambitions - fait explicitement référence, dans son « exposé des motifs » au procès « en appel » de Madame Jacqueline Sauvage, ainsi présenté : « En décembre 2015 a eu le procès en appel de Jacqueline Sauvage en appel. Après 47 ans de violences conjugales à la fois psychologiques et physiques permanentes, le viol de deux de ses filles, des violences répétées contre son fils et le suicide de ce dernier, Jacqueline Sauvage, 67 ans, tue son mari de 3 coups de fusil . En 2013, elle sera condamnée à une peine de 10 ans de prison ferme pour homicide, une peine confirmée en appel. » 5 Puis, on lit : « Depuis, les élans de solidarité auprès de Jacqueline Sauvage et de sa famille se sont multipliés : Pétition en ligne qui a rassemblé plus de 160.000 signatures, manifestations de soutien, demande de grâce présidentielle rédigée par les filles de Mme Sauvage ainsi que le soutien de nombreux parlementaires qui ont abouti à ‘une remise gracieuse de peine’ le 31 janvier 2016 ».

Alors que les deux avocates avaient, lors du procès en appel concernant Jacqueline Sauvage, lequel faisait suite à celui gagné, d’Alexandra Lange, plaidé « la légitime défense », cette revendication de l’inscrire dans le droit pour les femmes violentées a été brutalement abandonnée par elles 6. Explication : c’est « un terrain trop vaste et trop sensible ».7

Aussi, c’est alors dans le cadre des causes d’irresponsabilité pénale que s’inscrit la proposition de loi de Valérie Boyer. 8
Elle propose un ajout à l’article 122-1 du code pénal ainsi rédigé : «  N'est pas pénalement responsable la personne qui était atteinte, au moment des faits, d'un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes. La personne qui était atteinte, au moment des faits, d'un trouble psychique ou neuropsychique ayant altéré son discernement ou entravé le contrôle de ses actes demeure punissable. Toutefois, la juridiction tient compte de cette circonstance lorsqu'elle détermine la peine et en fixe le régime. Si est encourue une peine privative de liberté, celle-ci est réduite du tiers ou, en cas de crime puni de la réclusion criminelle ou de la détention criminelle à perpétuité, est ramenée à trente ans. La juridiction peut toutefois, par une décision spécialement motivée en matière correctionnelle, décider de ne pas appliquer cette diminution de peine. Lorsque, après avis médical, la juridiction considère que la nature du trouble le justifie, elle s'assure que la peine prononcée permette que le condamné fasse l'objet de soins adaptés à son état. »

Cette modification consiste à ajouter (Article 3) dans la première phrase de l’article 122-1 un alinéa 122-1-1, après : « au moment des faits » : « en raison de la répétition de violences conjugales ». Et à ajouter : « La personne poursuivie doit être soumise avant tout jugement au fond à une expertise médicale afin d’évaluer sa responsabilité pénale au moment des faits ».

Cette proposition, largement et positivement présentée par la presse 9, est, elle aussi, pour moi, inacceptable. Pourquoi ?

* Elle confirme l’analyse médicalisante, psychiatrisante, déjà inscrite dans la loi (article 122-1), mais, ici, elle l’accentue et l’aggrave. Elle est en effet présentée comme « un nouveau cas d’irresponsabilité pénale ».
Loin d’établir un lien entre les violences subies (non interrogées) et la réaction à ces violences - bien évidement la question essentielle, toujours non résolue - cette proposition considère les femmes comme n’étant pas « pénalement responsables, au moment des faits ».
Dès lors, si les femmes sont, dans ce cas de figure, jugées irresponsables, comment dès lors penser les liens entre ces violences, leurs innombrables causes, explications, justifications et leurs réactions aux violences qu’elles subissent sans pouvoir s’en libérer depuis des années.
Les violences faites aux femmes sont inscrites dans une logique de santé mentale, et l’appréciation de l’« évalu[ation]» leur état, est transférée à une « expertise médicale ».
Or toutes les femmes ayant été confrontées à la « justice » savent depuis si longtemps, que les expertises, à quelques rares exceptions près, ont démontré leu incapacité, leur inadaptation à juger en la matière, lorsqu’il ne s’agit pas plus simplement de leur transférer la responsabilité des violences dont elles étaient les victimes.
Certes, il ne s’agit pas formellement des « femmes » - pseudo universalité juridique oblige, en réalité réelle universalité juridique patriarcale - mais, sous couvert de « violences conjugales », c’est bien des femmes dont on parle, dont on ne cesse de parler, que l’on ne cesse d’invoquer. Sans cependant exclure les hommes, y compris violents, d’utiliser ce texte en leur faveur.
Alors que jamais, sans doute, le silence, qui signifie consentement, des hommes concernant les violences qu’ils imposent aux femmes, n’est apparu si scandaleux, alors que jamais, sans doute, les femmes n’ont exigé avec tant de force que les hommes violents soient enfin adéquatement c’est-à dire justement pénalisés, ce sont les femmes victimes que l’on déresponsabilise.

* En aucun cas, il n’est possible de considérer que cette proposition législative puisse être présentée comme étant « relative aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants. »

* On lit, en sus, dans cette proposition de loi, un article 4 qui demande « dans un délai de trois mois ( ! ), la remise par « le gouvernement d’un rapport au Parlement qui étudie l’efficacité du dispositif de l’ordonnance de protection et la création d’une juridiction spécialisée ». En d’autres termes la proposition de Valérie Boyer, en sus de faire des femmes des irresponsables, de laisser les « experts médicaux » juger de leurs « troubles psychiques ou neuro psychiques », et donc de les jeter dans les bras des psychiatres, les exclue du droit commun et les enferme dans des juridictions spécialisées.
En évacuant les rapports de domination patriarcaux qui seuls les expliquent, le risque est grand que les violences patriarcales re-deviennent des « problèmes de femmes ». 10

* On lit, enfin, dans un article 5 ceci : «  La charge qui pourrait résulter de la présente proposition de loi pour l’Etat est compensée, à due concurrence, par la création de textes additionnelles aux droits prévus aux articles 375et 375 A du code général des impôts » ? En sus, et en d’autres termes, une proposition législative présentée comme une avancée concernant « le droit des femmes battues à se défendre » est considérée en sus comme une « charge » et financée par l’impôt, excluant donc toute augmentation du budget de la Justice sur fonds publics. 11

***

Utiliser des jugements aussi iniques que fut celui de Madame Jacqueline Sauvage qui, à lui seul et après tant d’autres, aurait dû condamner et l’institution judiciaire et le droit, la société française et l’État ; présenter, sans débats, ses propres initiatives plus largement, comme des réponses proposées « aux femmes désorientées en terrorisées qui peuvent aller jusqu’au meurtre de leur mari » 12 ne sont pas acceptables.
Ces manipulations politiques, avançant masquées, sont insupportables. 13

Rappelons, après « la remise de peine », ce qu’en a dit Madame Sauvage : « Et oui, je regrette ce geste, d’avoir tué, mais pendant cet instant très bref où j’ai tiré, je ne me contrôlais plus. C’est dans cet état que m’avait poussée la violence perpétuelle de mon mari.»14Où, dans ces deux textes, cette « violence perpétuelle » du mari est-elle prise en compte ? est-elle dénoncée ? est-elle condamnée ? est-elle présentée comme devant être éradiquée ? Elle ne l’est dans aucune de ces deux initiatives législatives.

NB. Ce texte n'aurait pas été écrit sans les nombreuses, longues et fructueuses discussions - depuis notre présence à Blois au procès en appel de Madame Jacqueline Sauvage - avec Catherine Le Magueresse. Qu'elle soit ici remerciée. 

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Notes de bas de page

1 « À insérer avant l’article 32 A »

2 Europe 1 . Le lab politique. Jacqueline Sauvage : Deux députés PS proposent un amendement  pour reconnaître l’état de légitime défense en cas de menace permanente. 1er mars 2016

3 On peut noter la signification politique de l’emploi du masculin dans le cadre d’une loi censée défendre les femmes et le dévoilement qu’il effectue des fondements patriarcaux de tout le droit.

4 Le voici : Article 34. [1] N’est pas coupable d’une infraction la personne qui, à la fois :
a) croit, pour des motifs raisonnables, que la force est employée contre elle ou une autre personne ou qu’on menace de l’employer contre elle ou une autre personne;
b) commet l’acte constituant l’infraction dans le but de se défendre ou de se protéger — ou de défendre ou de protéger une autre personne — contre l’emploi ou la menace d’emploi de la force;
c) agit de façon raisonnable dans les circonstances.
Note marginale : Facteurs
(2) Pour décider si la personne a agi de façon raisonnable dans les circonstances, le tribunal tient compte des faits pertinents dans la situation personnelle de la personne et celle des autres parties, de même que des faits pertinents de l’acte, ce qui comprend notamment les facteurs suivants :
a) la nature de la force ou de la menace;
b) la mesure dans laquelle l’emploi de la force était imminent et l’existence d’autres moyens pour parer à son emploi éventuel;
c) le rôle joué par la personne lors de l’incident;
d) la question de savoir si les parties en cause ont utilisé ou menacé d’utiliser une arme;
e) la taille, l’âge, le sexe et les capacités physiques des parties en cause;
f) la nature, la durée et l’historique des rapports entre les parties en cause, notamment tout emploi ou toute menace d’emploi de la force avant l’incident, ainsi que la nature de cette force ou de cette menace;
f.1) l’historique des interactions ou communications entre les parties en cause;
g) la nature et la proportionnalité de la réaction de la personne à l’emploi ou à la menace d’emploi de la force;
h) la question de savoir si la personne a agi en réaction à un emploi ou à une menace d’emploi de la force qu’elle savait légitime.
Note marginale : Exception
Le paragraphe (1) ne s’applique pas si une personne emploie ou menace d’employer la force en vue d’accomplir un acte qu’elle a l’obligation ou l’autorisation légale d’accomplir pour l’exécution ou le contrôle d’application de la loi, sauf si l’auteur de l’acte constituant l’infraction croit, pour des motifs raisonnables, qu’elle n’agit pas de façon légitime.

5 Concernant cette présentation, définir les violences du mari de Madame Sauvage à son encontre, comme des « violences conjugales à la fois psychologiques et physiques permanentes » peut être considéré comme insuffisamment pénalement défini et fort limitatif. Quid, par exemple, des menaces de mort dont elle n’a cessé d’être l’objet ? Sans évoquer la question du consentement aux relations sexuelles dans le cadre du mariage…Enfin, il faut corriger : Jacqueline Sauvage a été informée du suicide de son fils après qu’elle ait tué son mari.  

6 Dans leur interview publié par le Nouvel Obs, du 3 au 9 mars 2016, elles affirmaient encore « travailler à intégrer le concept de légitime défense différée au code pénal ».

7 Le Monde. Valérie Boyer. Débat sur le droit des femmes battues à se défendre. La députée Valérie Boyer déposer la 8 mars une proposition de loi instituant une atténuation de la responsabilité pénale. 8 mars 2016

8  Lors d’une question orale au gouvernement, à l’Assemblée Nationale, le 10 février 2016, sous la présentation « violences faites aux femmes », Valérie Boyer, après avoir évoqué « la situation à Grande-Synthe et à Calais » déclara notamment : […] « pour notre pays, défendre le statut de la femme est un message fort d’unité nationale mais c’est aussi un message fort que nous envoyons au monde, et notamment aux barbares. » (Lisible sur son site)

9 En sus de l’article du Monde sus cité, cf., Affaire Jacqueline Sauvage, Avocates en état de grâce. Les deux juristes ont défendu cette femme condamnée pour avoir tué son mari violent ont perdu au procès mais gagné face à l’opinion publique. Elles veulent faire de la lutte contre la violence conjugale une grande cause nationale. L’Obs. Édition n° 2678 bis du 3 au 8 mars 2016. p.12, 13. Cf., aussi Le Figaro, La députée Valérie Boyer propose ‘l’immunité pénale’ aux femmes battues, 8 mars 2016. On peut aussi se référer, sous l’intitulé : Faut-il une nouvelle loi contre les violences faites aux femmes ? à un article signé par elle, toujours dans le cadre du procès de Madame Jacqueline Sauvage et des initiatives législatives censées remédier à la condamnation pénale dont elle a été victime, dont le titre est : Il est important de légiférer ! L’Humanité. 21 février 2016

10 Pour des critiques toujours valides, et toujours non contestées, cf., Marie-Victoire louis, Marilyn Baldeck et Catherine Le Magueresse, La proposition de loi cadre du CNDF (Collectif national pour les droits des femmes) contre les violences fautes aux femmes est inacceptable, notamment la partie intitulée : « La création de tribunaux spécialisées : « Le tribunal de la violence à l’encontre des femmes ». http://www.marievictoirelouis.net/document.php?id=1026&themeid=331

11 Concrètement, procéder à une augmentation d'impôts spécifique à chaque proposition une réforme, c’est, à terme, la mort de l’État. 

12 « Exposé des motifs » de la proposition de loi Valérie Boyer

13 Il n’est sans doute pas un hasard que, parmi cent autres, la question de la « légitime défense » fut posée à François Hollande le 8 mars 2016 par Elle, symbole féministe, sans doute pour le président de la République qui revendique ce qualificatif (ainsi que celui de « socialiste )». À la fin de sa réponse, on lit : « Néanmoins, avant de modifier la légitime défense, mieux vaut prendre d’infinies précautions. Je sais que des parlementaires y réfléchissent avec des associations. J’attends leurs conclusions. » Elle. François Hollande. Il n’y a de bonheur que dans l’égalité. 3 mars 2016

14 Le Parisien, Jacqueline Sauvage, symbole des violences faits aux femmes, malgré elle. 13 février 2016


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