Madame Avril de Sainte-Croix  *

Psychologie de la prisonnière 1

La Fronde 13, 14, 15 mai 1899

date de publication : 13/05/1899
mise en ligne : 25/10/2006
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Depuis quelques années, répondant aux préoccupations qui hantent la conscience humaine à l’heure présente, on a beaucoup écrit sur la femme.Ce furent tour à tour les ouvrières, les femmes du monde ou ces courageuses que ne rebutent ni les difficultés, ni les rancunes dont sont hérissées les professions libérales qui, mises sur la sellette, virent autour d’elles se dresser antagonistes et défenseurs. Les uns les exaltèrent outre mesure, les autres les débinèrent sans raison, peu se montrèrent impartiaux, les virent telles qu’elles étaient. Cependant, même s’ils n’y ont pas toujours réussi, d’aucuns ont tenté un effort vers plus d’équité et, de cela déjà, nous devons leur savoir gré.

Après s’être longtemps et exclusivement occupés de la femme du monde, les penseurs et les psychologues se sont, peu à peu, tournés vers la femme qui peine, et ce n’est plus aujourd’hui dans les salons seulement qu’ils vont faire de la psychologie.

Oubliant pour un instant les élégantes et esthétiques douleurs des snobinettes, ils descendent, attirés malgré eux vers celles que débilite l’atelier, qu’abrite l’hôpital, que recèlent les prisons ; et, au fur et à mesure qu’ils avancent, leur étude se fait plus grave, sollicite davantage l’attention.

Depuis quelque temps, la question pénitentiaire semble les intéresser plus particulièrement : uns série d’ouvrages, tous très intéressants, ont paru sur ce sujet, et, dernièrement, dans un livre admirablement documenté : « La Femme en prison et devant la mort », M. Raymond de Rychère2 a condensé les nombreuses observations qu’à travers sa carrière de magistrat il a pu faire, les appuyant d’études analogues puisées ailleurs et très impartialement, croit-il, essaie de nous initier à la psychologie de la prisonnière.

Tout en ne partageant pas sur beaucoup de points les opinions de M. de Rychère, qui, lui, croit à la nécessité et à l’efficacité d’un régime répressif sévère pour les femmes dont le crime n’a été neuf fois sur dix que la résultante des conditions sociales et économiques dans lesquelles elles vécurent, d’une fausse éducation ou de cas pathologique dont elles furent les premières victimes, nous devons reconnaître que cette étude a été préparée avec une sincérité, un désir d’apporter plus de lumière dans la question si complexe des droits et des moyens de répression qui font honneur à celui qui l’a écrite.

Il faut avoir pénétré dans ces maisons pénitentiaires, avoir vu de près les désespoirs et les révoltes qu’elles abritent, les hypocrisies qu’elles créent pour se faire une idée de ces géhennes malgré tous les progrès de la civilisation.

Certes, il y a loin de la prison moderne à l’antique Bastille, à la geôle du Châtelet, ou à l’immonde maison de force de la Salpêtrière. Cependant, il n’est pas téméraire, malgré cela, d’affirmer que sur la route de l’humanité, un tiers du trajet à peine est fait, et que nous ne serons arrivés au terme que lorsque les dernières prisons auront été démolies ou transformées en maison de santé.

« Entre le système pénitentiaire actuel et celui qui était en vigueur sous l’ancien régime, il y a un abîme » dit M. de Rychère.
Entre le système actuel et la véritable justice, il y a plus encore, disons-nous.

Pour se convaincre de cette vérité, point n’est besoin d’aller bien loin ; le dépôt de la Préfecture, la Roquette ou Saint Lazare sont là pour le prouver.

***

Aux siècles derniers, les femmes enfermées dans les prisons étaient jetées dans d’horribles pièces sales, humides et étroites, ne recevaient qu’une nourriture insuffisante, et couchaient sur la paille dont le sol était jonché, d’où le nom de «  pailleuses » à celles qui en sortaient.

À la Salpetrière où le menu fretin était enfermé, on entassait pêle-mêle, dans une horrible confusion, les mendiantes, les idiotes, les folles, les épileptiques, les estropiées, les teigneuses, les filles de joie et les condamnées pour crime et délit.

Michelet, dans une page éloquente et avec sa force d’évocation nous conte ce qu’elle fut : « C’était une ville de sept mille créatures immondes. Énorme entassement de vies malsaines, de souillure de tout genre. Dès l’entrée, une odeur repoussante et nauséabonde. Les dortoirs servant d’atelier le jour, étaient, la nuit, étouffés et fétides.
Dans la règle première des tâches impossibles, excessives en faisaient un enfer de châtiments et de pleurs
. « Qui ne coud demi-chemise aura le fouet dix fois par jour », disait le règlement. Rigueur inapplicable, l’autorité était lassée. Comme en tout hôpital, alors, on couchait six dans chaque lit. Promiscuité cruelle où les fortes régnaient. Nulle protection des faibles. Si l’autorité eût osé s’en mêler, il y eut une révolte, le sang eut coulé tous les jours. Ces terribles madelonnettes s’armaient, au moindre mot, de chaises, frappant de tessons et de pots cassés. On se gardait bien de les troubler dans ces jeux effrénés où elles puisaient leurs forces ».

Au Châtelet, où les prisonnières de la plus grande importance étaient enfermées, elles y payaient un droit, droit de gîte et de geôlage. Une instruction de 1373 dit : «  Un simple homme ne doit que deux deniers et ne les paie qu’une fois qu’il est délivré ; un simple chevalier donne cinq sols ; un chevalier banneret ou sa dame, vingt sols ; un comte ou une comtesse, dix livres ; un écuyer ou une simple demoiselle, douze deniers ; un lombard ou un juif, également douze deniers ». 3

Grâce à ce droit de geôle que crût abolir la révolution, ces prisonnières de marque jouissaient d’une cellule séparée et d’un confort relatif. Aujourd’hui, cette inégalité jusque devant la justice persiste pour ceux ou celles qui ont les moyens de l’acheter.

Dernièrement encore, au sujet d’un procès célèbre, où une femme du monde avait à rendre compte devant ses juges d’une tentative d’assassinat sur la personne d’un journaliste innocent d’une chronique écrite par une autre, on pu voir toute la partialité de l’administration des prisons pour de telles pensionnaires.
Durant les quelques jours d’incarcération que cette dame eut à subir avant sa mise en liberté provisoire, il lui fut permis d’introduire dans sa pistole de St Lazare tous les objets qu’elle jugea nécessaires à sa commodité. Puis, appelée la veille de Noël à se constituer prisonnière au Dépôt, sa cause devant être jugée le surlendemain, elle y arriva avec une véritable voiture de déménagement. Il fallait pendant les deux jours qu’allait dure son incarcération, enlever à sa cellule son aspect rébarbatif. Des ordres venus da la Préfecture qui craignait le scandale firent que l’on n’osa pas laisser la dame s’installer à son gré. Indignée de ce manque d’attention, elle demanda à être immédiatement transférée à Saint Lazare où le règlement se montrait plus élastique à son égard. Ce qui fut accordé. Et cette délinquante de haut vol a pu fuir le Dépôt où sa cellule eût avoisiné celle d’une pauvre vieille de soixante ans, enfermée pour avoir volé un morceau de viande à l’étalage d’un boucher et d’une jeune fille, presque une enfant, arrêtée sur la dénonciation de son maître comme ayant dérobé des dentelles que l’on trouva, du reste, cousues à l’encolure de sa chemise.

Ce qui n’empêche pas M. de Rychère de dire : « De nos jours, tout cela a changé du tout au tout. Le régime pénitentiaire dans tous les pays est devenu humain et doux. Trop humain et trop doux même, ont dit, peut être non sans raison, quelques esprits sérieux ».

Lombroso, qui croit qu’une différence très accusée existe entre la criminalité féminine et la criminalité masculine, affirme que dans les prisons, les femmes sont plus indisciplinées, plus difficiles à mener que les hommes.

***

Cependant, M. Guillot, le juge d’instruction bien connu, affirme dans son livre : « Paris qui souffre »4, que l’état moral des femmes détenues est, en général supérieur à celui des femmes.5 Il a noté les inscriptions qui recouvrent les murailles des cabanons de la Souricière. Dans la section des hommes, on ne rencontre que violences, menaces, obscénités ; chez les femmes, au contraire, ce qui se manifeste le plus, c’est une résignation grave, ou le besoin de chercher des consolations dans la religion ou dans l’amour.

Voici quelques-unes de ces inscriptions touchantes dans leur crédulité naïve ou leur affectuosité : « Mon Dieu, exaucez mes prières, je vous ne supplie en grâce ; je vous prouverai combien je suis sincère et vous promets chaque soir et chaque matin, je n’oublierai pas de dire mes prières ».
Ailleurs : « Jean ne m’aime plus, moi, je l’aimerai toujours ».
Et, plus loin, le juge raconte comment une pauvre femme à laquelle il avait reproché son attachement pour un voleur lui répondit : « Je sais tout cela, Monsieur, mais si je n’aime rien, je ne suis plus rien ».

Là est toute la psychologie de ces êtres douloureux et frustres, et notre éminent confrère, M. Henry Fouquier, dans une curieuse étude sur l’homme à femmes, écrivait avec justesse : «  Même en ses déchéances, la femme garde comme une lueur d’idéal au fond de son cœur avili. L’homme à qui elle demande en vertu d’un marché son luxe devenu nécessité par l’accoutumance est au fond son ennemi. Si elle lui est fidèle, c’est par une prudence avisée, parfois par une probité professionnelle résignée. Mais sa revanche, revanche où elle pense se réhabiliter à ses propres yeux, c’est de ne pas lui donner d’amour et de porter ailleurs cet éternel besoin d’aimer qui a ses heures victorieuses chez les pires créatures ».  

Ce besoin d’aimer et d’être aimée s’affirme avec une intensité d’autant plus grande chez la femme en prison qu’il lui est plus impossible à satisfaire.

En Espagne où les prisons de femmes sont voisines des pénitenciers d’homme, des romans se nouent, se vivent ou plutôt se rêvent entre ces pitoyables détenus qui, privés de liberté, ont pour unique joie la pensée de cet autre être, frère ou sœur en disgrâce, dont ils savent occuper sinon le cœur du moins l’imagination. Parfois la raison de cet amour fleur jaillie tel ou lilial nénuphar des fonds vaseux d’un marécage, est étrange et se traduit de façon très poétique. « Purificata, écrivait un détenu à une femme qui s’appelait ainsi, je t’aime pour ton beau nom ».

D’autre fois, leur amour prend pour prétexte un incident futile et même romanesque. Un chiffre, une lettre, plus ou moins marquée sur leur chemise et ils se mettent à aimer sans la connaître celle qui l’a cousue, car, avec une ingéniosité inouïe, les prisonnières arrivent presque toujours à glisser, malgré la surveillance des gardiens, leur nom dans les ourlets ou couture du linge qu’elles savent destinés aux détenus voisins.
Entre eux, une correspondance parfois réussit à s’établir ; dès lors, pour la femme surtout, le poids de la réclusion est allégé de moitié. Jamais, dans de courts billets qu’ils parviennent à échanger, il n’est question du délit pour lequel ils sont enfermés. Ce dont ils s’entretiennent le plus souvent, c’est du temps qu’il leur reste à faire en prison, de leur âge s’ils sont jeunes, des années qui passent et de leur vie qui s’écoule sans joie, des désirs inassouvis qu’emportent leurs missives.

Chez les prisonnières, quelquefois, alors que les épîtres ne leur apparaissent pas suffisamment passionnées, que, vers elles, elles ne sentent pas, cruel[le] et énigmatique volupté venir assez violente et torturée par l’obstacle les concupiscences du mâle, d’étranges jalousies surviennent.

Lombroso dans ses « Palimpsestes » des prisons 6cite la lettre d’une détenue écrivant à un de ses amants inconnus : « Je ne m’étonne pas que tu ne cherches pas à m’aimer charnellement car je connais tes habitudes vicieuses avec les autres prisonniers, il ne te reste plus d’amour pour les femmes ».

Lorsque, isolée du monde, enfermée dans sa cellule, la détenue songe au passé, à celui qui l’a souvent poussée au crime, ce sont, à l’encontre de ce qui a été dit, rarement des paroles accusatrices ou des blasphèmes qu’elle prononce contre lui, même s’il l’a trahie.

Pour une inscription comme celle-ci : «  Ne croyez plus à l’amour des hommes ; pour eux, l’amour est un passe-temps ; quand vous aurez sacrifié pour eux honneur, famille, religion, intérêts, jeunesse, ils vous tourneront le dos avec mépris et chercheront d’autres amours. Voilà ce qu’est l’homme », on en trouve des milliers d’autres qui ne parlent que d’amour et de dévouement.

En Italie, une femme enfermée pour adultère, vol et assassinat écrivait sur les murs de sa prison, en songeant à son amant :

Cette feuille, de cœur, je t’envoie
Je l’ai écrite, hier soir, en pleurant
Sans encre et sans plume
La pointe de mon cœur étant la plume
Le sang de mes veines était l’encre.
Si plume et encrier un peu te touchent
Si je mérite pitié, je te prie, une réponse
Adieu ! Adieu !
Adieu ! mon bon,
Adieu ! mon amour
Tu es mon cœur,
Pour toi, je mourrai. [1886] 

Puis, cette autre, relevée par M. Guyot dans une maison pénitentiaire de France. «Dans cette cellule, on languit, mon amour, loin de toi que j’adore, je souffre et je gémis ».
Ou bien : « Que veux-tu que mon cœur te dicte, dans cette sombre cellule si ce n’est la douleur et le déchirement de mon pauvre cœur qui souffre, palpite pour mon bien-aimé ».

L ‘amour à travers tous les naufrages, les douleurs, les deuils, les hontes, surnage et éclaire ces âmes ténébreuses ou tourmentées. Indulgentes pour toutes les fautes, les pires se montrent implacables pour les crimes contre l’amour. D’ailleurs, parallèlement à ce culte de l’amour survit, bien que moindre, chez les prisonnières, le sentiment de la coquetterie, le besoin d’être, de se savoir jolie. Même dans les prisons les moins accessibles aux influences masculines, cette préoccupation subsiste, se retrouve partout.

Il me souvient avoir vu, à la prison de Saint-Lazare, une jeune fille de dix-sept ans arriver, grâce à ce besoin inné chez la femme de plaire, à composer avec sa robe grise, son fichu blanc et son petit bonnet noir, un costume délicieux. Ayant remarqué que je regardais, en lui parlant, les plis si joliment arrangés de son fichu, sa coquetterie en fut satisfaite et, au milieu de la triste histoire  qu’elle me racontait, sa bouche encore enfantine esquissa un sourire qui illumina son visage éploré, comme un rayon de soleil apparu pour un instant entre des nuages lourds de pluie illumine le paysage assombri.

Et, il ne faudrait pas voir, ainsi qu’ont cherché à l’insinuer certains écrivains, plus désireux de faire pittoresque que de dire vrai, dans ce besoin de plaire, même en prison, un indice chez ces femmes de passions contre-nature.

En dehors des prostituées, chez lesquelles, parfois, ces aberrations sexuelles se rencontrent, et qui, séparées des autres, ne sont en définitive que des prisonnières de passage, il est bien rare, je dirai même presque impossible, de trouver chez les détenues de droit commun la pensée même de ces perversités maladives.

***

L’arrestation, le passage au poste, la nuit au Dépôt qui font ordinairement de l’homme un être aussi débraillé physiquement que moralement, n’ont, en général, sur l’extérieur de la femme, aucune influence, quel que soit son délit ou son état d’âme à cette minute. Elles ont toujours, au moment de descendre de la voiture cellulaire, le même geste pour arranger leur robe, le même mouvement pour ajuster leur chapeau.

En attendant leur jugement, époque qui dure quelquefois jusqu’à dix mois et qui suffit à démoraliser les hommes de nature les mieux trempés - la majorité des prisonnières conservent leur coiffure compliquée, frisent, avec Dieu sait quel peine ! leurs cheveux, essaient de se distinguer par tous les moyens des autres détenues. Beaucoup se pommadent ou s’ébouriffent suivant que leur esthétique réclame des cheveux luisants ou une crinière ondulée.

Un des grands chagrins pour les prisonnières de droit commun est, alors que leur condamnation est prononcée, de devoir renoncer aux artifices de la toilette.

Une revue anglaise a publié, il y a trois ans, les mémoires de Mrs Watson, une surveillante de prisons de femmes qui, pendant de longues années, a vécu au milieu des détenues et a pu les observer de près. Cette dame qui fut, selon le terme consacré « Matrone », raconte que le désir d’être jolie est tellement tenace chez la plupart des prisonnières qu’elles ont recours aux moyens les plus étranges et les plus répugnants parfois pour suppléer aux artifices de la toilette qui leur font défaut. Elle vit, par exemple, de ces femmes lécher patiemment le plâtre des murs de leur cellule et se procurer ainsi, en recueillant leur salive, un affreux cosmétique, tant la privation de poudre de riz et de fard semblait à ces femmes, qui pour la plupart avaient vécu dans les villes, la pire des punitions.  

Ce besoin d’être jolie quand même, qui n’est au fond que la résultante du besoin de savoir qu’on peut encore être aimée, arrive à leur suggérer les moyens les plus extraordinaires pour arriver à leur but.
Ayant remarqué qu’une prisonnière se fardait régulièrement comme une actrice, les surveillantes cherchèrent vainement où elle pouvait prendre le rouge dont se fleurissaient ses joues chaque matin. Fouilles et interrogatoires restèrent sans résultat.
Ce fut le hasard qui fournit la clé de l’énigme. Avec l’ingéniosité d’une femme dont toute la volonté, dans le vide lamentable d’une existence de recluse  est concentrée sur un même objet, aussi futile soit-il, elle avait inventé d’effiler brin à brin, les lisières rouges de l’étoffe avec laquelle les prisonnières de Milbank fabriquent leurs chemises, de détremper cette charpie dans un peu d’eau et de se procurer ainsi cette couleur rouge qui excitait la convoitise de toutes ses compagnes.

Une autre, hantée par la crainte de voir se déformer sa taille était arrivée à se fabriquer un corset, véritable instrument de torture. Après être parvenue, en trompant la surveillance de ses gardes, à allonger le corsage de sa robe par je ne sais quel moyen afin de paraître plus gracieuse, elle avait fini par se confectionner avec des fils de fer enlevés un par un aux fenêtres des cellules, un étroit corset qui l’emprisonnait si bien qu’un jour à l’église elle s’évanouit, à moitié étouffée par cette cuirasse de fer. Pour arriver à s’emparer de ces fils de fer, elle s’était fait infliger de nombreuses punitions et avait supporté de gaieté de cœur des aggravations de peine.
« Le moment le plus terrible pour les prisonnières, dit Miss Weston, est celui où, après leur arrivée dans la maison de détention, on coupe les cheveux. Des femmes, ajoute t-elle, qui se sont placées au-dessus de toutes lois, qui ont affronté par des crimes quelques fois la vindicte des hommes, faiblissent ordinairement devant cette flétrissure qui va les enlaidir et porter atteinte à leur coquetterie. Elles supplient, tombent à genoux, se relèvent furieuses, et la plupart du temps, nous contraignent à recourir à l’assistance des gens de police ».
Un déchirement se fait alors dans l’âme de ces malheureuses, cette ablation de leur dernière parure féminine leur semble une mesure qui les mets hors leur sexe, et c’est pour elle le châtiment le plus redoutable. On vit même une femme de soixante ans, qui cependant semblait avoir abdiqué tout désir de plaire, s’emparer, après une résistance désespérée, des ciseaux de la surveillante et s’en porter un coup mortel au cœur, aimant mieux mourir que de supporter cette mutilation.

Après avoir constaté cette coquetterie persistante de la femme jusque dans la prison, M. de Rychère, qui, je crois, en cela, à négligé de sonder l’âme masculine, parle de la dissimulation, du mensonge féminin. Là, comme partout, dit-il, la femme ment et, à l’appui de ce qu’il avance, il cite Zola, Lombroso, Flaubert, Mmes Mayo, Tarnowska, qui tous et toutes parlent de ce besoin de mentir inhérent à notre sexe.

***

Hélas, je voudrais, pour l’honneur des femmes, dire qu’en cela M. de Rychère, ainsi que les illustrations qu’il cite, se trompe. Malheureusement, il faut, pour être sincère, reconnaître que, tout en exagérant, ces écrivains n’ont fait que constater une vérité sans avoir eu la loyauté toutefois d’ajouter que si la femme ment, ce sont les hommes surtout qui l’ont rendue telle, en faisant ce qu’ils en ont fait : tour à tour, un jouet ou  une esclave, cette dernière, le plus souvent.

Vis-à-vis d’êtres brutaux et égoïstes contre lesquels elle était sans défense physique, la femme dut se servir, dès l’aube de l’humanité, de l’arme des faibles et des opprimés : la ruse et le mensonge. D’ailleurs, ce ne fut pas toujours pour se défendre contre eux qu’elle farda la vérité. Ce fut, plus souvent encore, pour leur plaire, les conquérir. Car il est bien à remarquer que, même les hommes qui reprochent la plus à la femme son insincérité, aiment en elles le mensonge, et inconsciemment le lui laissent deviner.

Ce sont près d’eux, à beauté égale, rarement les natures franches et droites qui réussissent. Ils aiment à sentir à leurs côtés de petites âmes indécises et tortueuses et, plus ils sont instruits, plus la civilisation les a rendus compliqués, plus ils se plaisent à voir en leur compagne un être énigmatique, pervers et dangereux.

D’ailleurs, si la cause première de la dissimulation féminine fut la faiblesse de la femme en face de la brutalité du mâle, les religions, en général, mais le catholicisme plus particulièrement, s’entendirent pour aggraver cette tendance prise vers le mensonge. Ce fut la religion qui, au nom de prétendues vertus, leur commanda de farder leurs pensées, de dissimuler leurs sensations, les désirs physiques que la nature avait mises en elles ; qui leur appris, enfin, à se mentir à elles-mêmes autant qu’à mentir aux autres. Et il en fut de même pour ce manque de solidarité qu’on leur reproche envers leurs complices, fussent-ils leurs amants ou leurs époux.

« On arrive toujours au criminel par la femme » dit-on. Eh bien, oui, quelques-unes, mais non la majorité vous trompent, vous trahissent au moment du péril. Mais si cette trahison a lieu, n’est-ce pas  là encore un des effets de cette religion qui leur dit : « Venez vous décharger par la confession du péché qui écrase vos âmes et je vous en donnerai l’absolution ». Comme si d’avoir raconté à un homme l’injustice ou le crime commis envers un autre suffisait pour le réparer ; comme si la conscience pouvait être libérée autrement que par la réparation effective du mal commis. Depuis des siècles, elles ont pris l’habitude, au lieu de s’interroger et de suivre ses conseils, de la remettre entre les mains des prêtres, cette petite conscience de fillette. Et, il l’a si bien manipulée, si bien pétrie à ses fins que, plus l’enfant grandit, plus cette conscience se fait débile et malléable et que, lorsque la femme enfin majeure est livrée à elle-même, il ne lui reste plus rien que le confesseur ou l’amant qui le remplace, pour la conduire à travers l’existence.

Aussi, lorsque enfermée entre les murs d’une prison, désemparée par un arrêt brusque de son existence habituelle, séparée de ceux qu’elle aimait ou de ce qui constituait son appui, la femme se trouve seule en face de celui qui vient, avec la voix du confesseur d’antan, lui demander de se soulager par l’aveu, d’aider à l’autre comme à elle-même, en confessant leur crime mutuel, elle va, inconsciente de son acte, à l’odieuse délation.

***

De reste, ce sont ces mêmes causes, ces mêmes superstitions, ces déformations de la conscience qui, après avoir fait la femme menteuse et délatrice, la font encore parjure et infanticide.

Combien d’entre elles eussent évité le crime si les circonstances de la vie eussent été différentes pour elles, et si une fausse conception de l’honneur ne leur avait pas montré comme une tare ce qui toujours devrait être envisagé comme une gloire : la maternité.

Paul Mimande7 dans un volume très intéressant sur les prisons raconte comment, après avoir visité à Bourail la maison de correction pour femmes, il revit une jeune infanticide de trois mois plus tôt avait été déportée en Nouvelle-Calédonie et qui s’était mariée avec un cessionnaire. « Assise sur un banc, à côté du seuil que protégeait un auvent, la jeune femme, proprement habillée allaitait un baby, tandis que son mari, un peu plus loin, bottelait les fourrages. L’homme vint à nous, le chapeau à la main. Le commandant l’interrogea sur ses travaux, sur ses projets. Il répondit que les affaires n’allaient pas mal, qu’on s’accordait bien avec Catherine qui était réellement une bonne femme et que tous deux n’avaient qu’une idée, amasser une dot pour le « petiot ».
- Alors, hasardais-je, votre femme l’aime bien, le
« petit » ?
- C’est-à-dire, Monsieur, qu’elle en est quasiment folle. Elle me répète souvent en pleurant :
« Vois-tu, ce gosse, je l’aime en double ».  
Délivrée de l’étreinte de la misère, l’instinct maternel avait enfin parlé chez Catherine, elle était redevenue une femme comme les autres femmes, depuis le premier jour où la société lui avait permis d’avoir un enfant et donné la possibilité de l’élever. »

Il faut le dire très haut : par la situation économique qui lui est faite, par son éducation, par ses préjugés, par une infinité de choses enfin, la femme est, plus que l’homme, poussée vers le crime. Et si ce que prétendent les misogynes était vrai, à savoir que son sens moral est inférieur à celui de l’homme, ce serait vers les prisons de femmes que se dirigeraient les convois les plus nombreux, tandis que c’est le contraire que l’on remarque.

Du reste, ceux-là même qui la condamnent, qui se montrent le plus injustes à son égard, sont obligés de reconnaître qu’au moment décisif, alors que l’heure tragique s’approche, la femme se révèle supérieure en force morale à l’homme, fait preuve d’une énergie plus grande.

***

Que ce soit à l’infirmerie de la prison, que ce soit sur l’échafaud, la femme voit venir la mort et l’attend avec une sérénité généralement très grande.
Le docteur Corre qui a réuni les dessins historiques et judiciaires de vingt-quatre condamnées à mort reconnaît à la femme une supériorité remarquable sur l’homme au moment de l’expiation. Ici, le docteur Corre attribue cette sérénité aux principes religieux ; là, Lombroso l’explique par la bonté paradoxale que l’on remarque chez certaines criminelles, un altruisme intermittent et transitoire ; ailleurs, un directeur de prison soutient que ce calme leur vient du désir qu’elles ont, pour la plupart, de mourir en beauté. Les moins instruites, les plus frustres comprennent la solennité de la mort et cherchent à s’harmoniser avec elle.

Chez nous, l’histoire de la criminologie n’enregistre presque que des exécutions de femmes restées dignes sur la guillotine.

La fameuse Du Barry se débattant entre les mains de ses gardes et demandant à Samson d’attendre encore un instant, peut être envisagé comme une exception, et, à l’étranger, où ces exécutions sont encore fréquentes, les mêmes choses se remarquent.
Que ce soit Hegima Blagner, la servante espagnole ; que ce soit Mina Verkman, la paysanne suédoise ; que ce soit Katarina Stankowicz, l’empoisonneuse turque, ou Amélie Zulliman, l’épouse criminelle allemande, toutes meurent avec le même stoïcisme. « Il semble que la femme soit plus que nous sujette aux destinées, dit Maeterlinck. Elle ne lutte jamais sincèrement contre elles...Elles habitent aux pieds mêmes de l’inévitable et en connaissent mieux que nous les chemins familiers… C’est pourquoi, elles ont en face de la mort des certitudes étonnantes et des gravités admirables ».

Cette supériorité face à la mort, M. de Rychère la constate aussi et, comme nous, il attache une grande importance à la dignité qu’elles montrent. Malheureusement, ce n’est pas sur cette dernière et bonne impression qu’il veut les juger. Après un chapitre éloquent, il se retourne contre elles et termine avec mélancolie en citant les paroles de Droz, trop superficiel pour comprendre Nora : « Avant un siècle, les femmes joueront un rôle étrange dans cette société sans traditions ni croyances où toutes choses seront au plus adroit. »

Moi, au contraire, j’attends sinon tout du moins beaucoup de l’avènement de la femme.
En tout cas, j’espère qu’elle ne sera jamais « le juge autrement sévère et autrement dur que ne l’est actuellement l’homme ; plus intelligemment dur et sévère sans doute, mais aussi plus perspicace et plus impitoyable et par lequel la justice gagnera » que M. de Rychère voit poindre en elle.

Je crois, au contraire, que les trésors d’amour qui sont au fond de son cœur la rendront, si elle accepte cette fonction tant orgueilleuse, plus indulgente que ne le furent les hommes jusqu’ici.

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Notes de bas de page
1 Note de l’éditrice : Il est essentiel de lire ce texte - comme les autres d’ailleurs - dans son contexte historique et notamment celui, évoqué par Madame Avril de Sainte Croix, de la publication du livre évoqué par elle d’Edmond de Ryckère, mais aussi celui de la parution en 1895 du livre de Cesare Lombroso, La femme criminelle et la prostituée.  Dans ce dernier texte réédité par Pierre Darmon en 1991, on peut lire : « Nous avons dû prouver que la femme est intellectuellement et physiquement un homme arrêté dans son développement ». C'est l'une des conclusions auxquelles parviendra Cesare Lombroso au terme de La Femme criminelle et la prostituée. Encore ne s'agit-il là que de la femme « normale », ou « honnête », dans les termes mêmes du célèbre fondateur de l'anthropologie criminelle. Bien pire est, comme il se doit, le sort fait à la femme criminelle : armé de sa « méthode d'observation à outrance des faits ». Lombroso mesure sans relâche le corps féminin, en fouille les moindres indices pour nous livrer un véritable bestiaire de la criminalité féminine, dérivé de Darwin et des théories de la dégénérescence de la deuxième moitié du XIXe siècle.
2 Ibid: Edmond de Ryckère, La femme en prison et devant la mort. Étude de criminologie. Paris. A. Stork. Masson, 1898. 247 p. J’ai conservé dans ce texte l’orthographe de Mme Avril de Sainte Croix.
3 Les prisons de Paris par Albert Laurent.
4 Note de l’Editrice : Adolphe Guillot. Paris qui souffre. - La basse geôle du grand châtelet et les morgues modernes. 1887.  Ce livre est une description et plaidoyer en faveur de réformes dans les hôpitaux et prisons.
5 Ibid. Dans le contexte, il faut-il sans doute lire : « des hommes détenus » .
6 Ibid : C. Lombroso, Les Palimpsestes des prisons, Paris, Maloine, 1905
7 Ibid. : Paul Mimande, Au bagne, In : La Revue des deux mondes, mai 1893 ; Criminopolis, Paris, Calmann-Lévy, 1897, Forçats et proscrits, Paris, 1897.

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