On me l’a volée à la crèche
Ma fille, et vendue au marché,
Vendue à un prince débauché,
À l’ogre qui sent la chair fraîche.
Il me l’a prise, ce voleur,
Ma jenny, si drôle en sa moue ;
Cueillir cette églantine en fleur
Pour la piétiner dans la boue !
Elle a dû, pour les attendrir,
Joindre ses deux menottes blanches.
Ah ! l’on m’aurait moins fait souffrir
En me sciant entre deux planches.
C’était ma joie et mon orgueil,
Tout l’orgueil de la pauvre veuve ;
On l’admirait sur notre seuil
Le cou nu dans sa robe neuve.
L’adorer me semblait si bon !
Pauvre petite, ils l’ont trompée
Et séduite par un bonbon ;
Ils l’ont prise avec sa poupée.
Gens obscurs seraient condamnés,
De lui, ce n’est que babiole,
La police me rit au nez,
les juges me traitent de folle,
Et l’Eglise admet le viol ;
Moi, j’en fournirai l’eau bénite :
D’une jatte de vitriol,
Je veux sacrer cet hypocrite.
On me l’a volée à la crèche,
Ma fille et vendue au marché,
Vendu au prince débauché,
À l’ogre qui sent la chair fraîche.
Juillet 1885