Madeleine Pelletier

La lutte des sexes

Le Libertaire
27/05/1921

date de publication : 27/05/1921
mise en ligne : 03/09/2006
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La femme est plus faible que l’homme ; c’est pour cela qu’elle a été réduite en servitude à peu près par toute la terre. Mais la servitude de la femme n’est pas complètement assimilable à celle de l’esclave. La femme est dispensatrice de plaisir sexuel de l’homme. Ce plaisir, elle peut le doser à peu près à sa volonté ; comprenant que là est sa force, elle se sert de son sexe pour asservir l’homme à son tour.

Car toutes faibles que nous sommes
Je prétends que nous les valons
Car nous faisons des hommes
Tout ce que nous voulons

chante t-on dans La fille de Mme Angot

Ce n’est pas vrai ; autrement ce serait les femmes qui domineraient dans l’Etat et l’on voit au contraire qu’elles ont toutes les peines du monde à s’y faire admettre en égales de l’homme. Mais les femmes dominent dans les petites choses et ce sont les petites choses qui remplissent l’existence de la plupart des individus. Car les femmes n’acceptent pas l’esclavage. Faibles, élevées pour la soumission, elles n’entrent pas en révolte ouverte. Mais soumises en apparence, elles s’arrangent de façon à ne faire que ce qu’elles veulent et même de le faire faire à leur compagnon.

Les femmes arabes elles-mêmes qui ne sont que des bêtes de plaisir ont un dicton où elles proclament leur volonté bien arrêtée de n’en faire qu’à leur tête : « Quand sidi est là, je dis oui, mais dès qu’il est parti, ma langue se retourne et je dis non. »

En général, la volonté de la femme ne s’exerce pas pour des buts élevés. Entretenue, elle exploite l’homme, quitte à se faire exploiter à son tour par un autre homme. Elle dose ses bonnes grâces selon la valeur des cadeaux ; elle tire de lui tout l’argent qu’elle peut. Pour mieux le tenir, elle exagère sa nervosité, elle simule un caractère fantasque qui souvent n’est pas le sien. Les hommes sont dupes de ce manège, aussi disent-ils que la psychologie féminine est incompréhensible.

Où l’homme voit la complexité, même la maladie, il n’y a que la volonté bien déterminée d’échapper toujours. Mariée, la tactique de la femme, bien qu’elle revête des formes différentes, est au fond la même. Rare est l’épouse catholique qui n’arrive pas à faire baptiser ses enfants, alors même que le mari est anticlérical. Le ménage Jaurès en est un exemple célèbre. La femme étudie son mari ; elle en a tout le temps, parce que la société ne lui est pas ouverte : elle arrive à connaître ses points faibles, elle sait, comme elle le dit, par où le prendre. Une femme qui ne veut pas que son mari fréquente les réunions arrive toujours à ses fins. Tout au moins elle arrive à le rendre moins actif. Elle ne perdra pas une occasion de revenir sur les déboires que l’homme a dû souffrir, sur les faits d’égoïsme et de malveillance des camarades. À force de souffler sur la petite flamme d’idéal, elle réussit à l’éteindre.

La femme est donc un être vil et inférieure ? Nullement, elle est même plus idéaliste que l’homme, seulement l’homme en a fait une esclave et les esclaves n’ont jamais de caractère noble. On le voyait dans l’Antiquité ; on peut en juger aujourd’hui par les domestiques, les garçons de bureau, tous ceux qui font métier de servir les autres.

La femme a fait preuve de dévouement dans la religion qui si absurde soit-elle représentait un idéal.

Elle sera une militante ardente quand on lui donnera la possibilité de l’être en l’accueillant largement et non pas à moitié ou pas du tout, comme on l’a fait jusqu’alors.

La lutte des sexes n’est que l’effort de la femme pour s’assurer le bonheur en dépit de l’esclavage ; elle disparaîtra quand les sexes seront égaux dans la société.


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