Madeleine Pelletier

De la prostitution

L’Anarchie
Novembre 1928

date de rédaction : 01/11/1928
date de publication : Novembre 1928
mise en ligne : 03/09/2006
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Peut-être me reprochera-t-on de faire un paradoxe, si je dis que la prostitution a constitué un progrès.

C’est cependant à mon avis un fait, les peuples primitifs ne connaissaient pas la prostitution ; l’homme, plus fort que la femme, la prend et ne lui donne rien en retour.

Cet état, on peut même ajouter, n’est pas limité aux premiers sauvages ; il est commun chez les paysans. La femme, la jeune fille évitent les endroits peu fréquentés, parce qu’elles ont peur, elles ont peur qu’on les viole ; il faut dire les choses telles qu’elles sont.

Aussi, est-ce un progrès lorsque l’homme est fait à l’idée de ne plus imposer à la femme l’acte sexuel, mais à le lui payer. C’est déjà un premier degré d’affranchissement de la femme qui n’est plus violable à merci, mais exige de l’argent contre le prêt de son corps.  

À vrai dire, très souvent, la femme ne se vend pas elle-même ; c’est un homme qui directement ou indirectement, la vend à d’autres hommes. Ce n’est pas du jour au lendemain que l’esclave quitte son esclavage.

Dans les pays civilisés et notamment dans les villes, la prostitution constitue un métier plus ou moins toléré. Ce sont en général les filles du peuple qui deviennent prostituées. Souvent, elles y sont poussées par un amant qui veut vivre en parasite à leurs dépens.

Parfois, c’est la paresse ou la débilité intellectuelle qui pousse la femme à faire commerce de son corps. Il est dur de se lever tous les matins de bonne heure pour aller à l’atelier ou à l’usine ; il est dur aussi de travailler du matin au soir comme bonne, de subir les brimades d’une patronne énervée.
Et quand on a goûté à cet argent gagné si facilement en une nuite à faire le trottoir, on y revient et on se laisse aller à en vivre.

Mais le plus souvent, c’est la misère qui pousse la femme au trottoir. La société n’est pas encore arrivée à comprendre que la femme doit, tout comme l’homme, gagner sa vie en travaillant.
Elle doit pour vivre compter sur l’aide de ses parents, d’un mari et d’un amant. Quand elle n’a ni les uns ni l’autre, il ne lui reste de choix qu’entre la prostitution et la mort.
Ce n’est pas exagéré. J’ai eu à examiner le cas d’une jeune fille qui s’est suicidée par misère, et sa concierge m’a dit, inconsciente, ces mots révoltants :
- «  Elle était sage, Madame, bien trop sage » !

Trop sage ! c’est-à-dire, qu’avant le suicide, il lui restait, comme elle était jeune, le trottoir, et qu’elle n’avait pas su ne profiter.

La prostitution n’est pas toute sur les trottoirs et dans les maisons de tolérance ; elle a hôtel et automobile. Qui l’alimente ?
Des bourgeois parfois qui ont perdu leur fortune, des divorcés dont le divorce a amené la ruine, des femmes de petits-bourgeois qui vont chercher à la maison de rendez vous de quoi boucler le budget du ménage, et aussi les filles du peuple attirées par le mirage du luxe. «  Pourquoi ne porterais-je pas les robes que je couds pour les autres ? »  se dit la midinette de la rue de la Paix.

Désir légitime en somme, il faut avoir pour les blâmer un mauvais naturel. Malheureusement pour les pauvres filles, la prostitution, comme tous les métiers, a beaucoup d’appelées et peu d’élues. On croit avoir le palace et on a la chambre d’hôtel des boulevards extérieurs.

***

On soutient aujourd’hui que la prostitution est un métier comme un autre et qu’il n’a rien de déshonorant.

J’accorde, l’honneur est évidemment une chose dont le territoire est difficile à délimiter. En réalité, on peut dire que l’honneur aujourd’hui, se confond avec l’argent ; honorable avenue des Champs Elysées, la prostitution est déshonorante boulevard de Belleville.

Ce qu’on peut dire de la prostitution, c’est que c’est un sale métier. Il faut se livrer à n’importe qui, souvent à des ivrognes ; subir des ….caresses répugnantes. On attrape obligatoirement la syphilis qu’il faut soigner toute sa vie et dont on meurt : on gagne en outre toutes espèces de maladie sexuelles ou non. On est conduit forcément à une vie désordonnée dans un milieu crapuleux ; et on meurt prématurément, on peut dire toujours. 

Que penser de la réglementation ? Que c’est une législation barbare. Les hommes pour se préserver des maladies vénériennes, ont imaginé de traiter comme du bétail une catégorie de femmes.

Ces femmes ne commettent aucun délit, car enfin personne n’oblige l’homme à suivre la prostituée ; on l’arrête, on la traite abominablement et elle passe en prison un temps variable.

C’est un état de choses indigne d’un pays civilisé ; et notez que l’arbitraire ne frappe que la prostituée pauvre ; celle qui demeure à l’Opéra ne va jamais en prison. 

La prostitution est -elle utile ? Oui, dans l’état actuel de nos mœurs.
La femme a moins de besoins sexuels que l’homme et le peu qu’elle en a, la société l’oblige à les réfréner ; la femme pratique le refoulement freudien qui, parfois, cause des maladies nerveuses.

L’homme a l’habitude de trouver très aisément la satisfaction de sa sexualité pourvu qu’il ait un peu d’argent. Si l’on supprimait la prostitution, il n’y aurait plus que la ressource du viol. Et les femmes condamnées à la réclusion revivrait l’ancien esclavage.

La société future rendra inutile la prostitution. D’abord parce que la femme, admise dans la production, pourra vivre de son travail ; ensuite parce que les préjugés sur la vertu féminine qui consiste à refouler la sexualité quand on n’a pas de mari aura disparu .

C’est l’autorité en la matière qui fait tout le mal.

Lorsque la sexualité sera considérée  par la femme comme pour l’homme à l’égal d’une fonction naturelle, il n’y aura plus de prostitution ?


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