Madeleine Pelletier

Fille - mère

La Fronde
15/07/1926

date de publication : 15/07/1926
mise en ligne : 03/09/2006
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Elle était vouée au mépris général. La famille refusant tout secours à celle qui l’avait déshonorée la chassait, les amies cessaient de la voir. Employée, institutrice, elle perdait sa place. Sa seule ressource était de prendre un amant qui voulut bien d’elle. D’abandon en abandon, beaucoup finissaient dans la prostitution.

De quoi donc était coupable la fille-mère pour mériter un tel  châtiment ?
De rien. Ce qu’elle avait fait, les hommes le faisaient couramment et ils appelaient ça satisfaire à la nature. Et la jeune fille était, si l’on peut dire, moins coupable encore, car, le plus souvent, son seule tort était de s’être laissée tromper par un homme qui lui avait promis le mariage.

Aujourd’hui, les idées se sont modifiées. Pas tant que cela. Bien des parents seraient encore capables de mettre à la rue leur fille enceinte, mais le fait est rare, parce qu’on est à peu près maître de la maternité.

Nombre de jeunes filles cependant ne seraient pas du tout peinées d’avoir un enfant.
Les unes, affranchies de caractère, ne veulent pas se marier, parce qu’elles savent que, dans les conditions actuelles, le mariage, c’est l’esclavage. D’autres se marieraient volontiers, mais cultivées à la fois et sans dot, elles sont certaines de ne pas trouver de mari.
Autrefois, la vieille fille, volontaire ou non, était condamnée à la chasteté. Aujourd’hui, elle prend un amant. Cela ne l’empêche pas de se considérer comme une femme honnête et de l’être en effet.

Mais, on n’est pas toujours jeune. L’âge venant, on voudrait bien avoir un être à qui s’attacher, que l’on puisse aimer, élever, voir grandir. Seulement, le préjugé social est là. On ne veut pas se résoudre à être une fille-mère. C’est-à-dire, une femme dépréciée, jugée par le monde, de condition morale inférieure.

Il faut réagir contre ces conceptions périmées de l’honneur féminin. L’honneur féminin n’est pas différent de l’honneur masculin : ce qui est bien, mal ou indifférent pour l’homme, le doit être pour la femme.

Certes, il est louable de secourir la fille-mère pauvre et de l’aider à élever son enfant. Mais la charité ne suffit pas. La femme qui a un enfant doit pouvoir l’avouer hardiment et non être contrainte de le cacher comme une tare.

Il faudrait écrire dans les manuels scolaires de morale que l’enfant conçu en mariage ou hors mariage n’est pas une faute, mais le résultat normal d’une chose naturelle.
Malheureusement, nous sommes loin d’en être arrivés là. C’est surtout en matière sexuelle que l’hypocrisie est reine.

En attendant, l’audacieux directeur de l’Enseignement qui osera écrire dans les livres de classes que la fille-mère n’est pas coupable, c’est la tâche des féministes de réclamer avec toutes les autres libertés – le droit à l’enfant.


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