Dr Madeleine Pelletier

Obstacles physiologiques

La Suffragiste
Mai 1911

date de rédaction : 01/05/1911
date de publication : Mai 1911
mise en ligne : 03/09/2006
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La revue, les Documents du Progrès a eu dernièrement l’heureuse idée de faire une enquête sur le vote des femmes auprès des gens « arrivés » dans différentes carrières : sénateurs, députés, membres de l’Institut, professeurs, romanciers, etc.

Les réponses sont mêlées ; à l’Institut, comme au Sénat et à la Chambre, il y a des hommes avancés et des rétrogrades.

Rien de nouveau dans les objections faites à notre émancipation : le péril réactionnaire, la mission de charme de la femme, enfin, les obstacles physiologiques qui, s’ils n’empêchent pas, à la rigueur, les femmes de voter, leur interdisent, tout au moins, et de la façon la plus formelle, de siéger à la Chambre.

Heureusement que les hommes sans parti pris connaissent intimement les femmes, ne seraient-ce que leur épouse, leurs filles ou leurs sœurs. Autrement, ils pourraient se demander quel étrange animal peut bien être la femme, pour que des savants autorisés n’hésitent pas à dénoncer en elle des tares si graves qu’elles lui interdisent des fonctions sociales que remplissent d’une manière suffisante des hommes très moyennement doués.

Ne dirait-on pas que les femmes ne sont pas des êtres humains ? C’est en effet ce que, avec une mauvaise foi qui n’a rien de scientifique, certains professeurs voudraient faire croire.

Quels sont donc ces obstacles ? Oh, ils n’ont rien de mystérieux, je vous assure ; les mots terrifiants dont on les recouvre ne visent à autre chose qu’à impressionner les ignorants, les naïfs et les gens qui, leur siège fait contre notre cause, ne demandent qu’à être impressionnés.

Les obstacles physiologiques signifient tout simplement que les femmes, tous les mois, ont leurs règles. Belle découverte, n’est-il pas vrai ?

Lorsqu’il s’agit de faire travailler leurs bonnes, les savants que je critique ne se demandent pas, j’en suis sûre, si elles ont leurs règles ou non. Les patrons qui emploient des ouvrières montrent de même, à cet égard, d’une insouciance parfaite. Mais ce qui n’est pas considéré comme un obstacle au dur travail matériel devient, lorsqu’il s’agit non pas de gagner 3 francs par jour, mais 15.000 francs par an, une fin de non-recevoir absolue.

Loin d’être une infériorité, le fait de perdre chaque mois une certaine quantité de sang constitue, à quelques égards, un avantage. Avec les règles, s’éliminent bien des toxiques élaborées dans l’organisme, et peut-être faut-il ne pas chercher ailleurs la cause de la longévité de la femme qui est supérieure, en effet, à celle de l’homme.

La femme normale ne souffre pas quand elle a ses règles ; seule une sensation d’origine extérieure lui après que « le moise » est arrivé. Certaines femmes, à cette époque, se trouvent un peu fatiguées ; d’autres éprouvent quelques coliques utérines, mais cela ne les empêche pas d’aller à l’atelier ou au bureau. Elles prennent un « cachet », comme lorsqu’on a mal à la tête, et elles travaillent tout de même. Parfois, certaines personnes sont, au moment des menstrues, un peu « énervées » ; elles montrent de l’impatience, font des réponses un peu brusques, mais le plus souvent, cet état nerveux est fugace ; il dure les quelques heures qui précèdent l’apparition des règles et il cesse dès que l’écoulement est établi. Ces symptômes nerveux sont, je le répète, non pas la loi générale, mais l’exception, et les femmes qui en présentent ne les éprouvent pas à chaque période menstruelle.

Aussi, faut-il escompter l’ignorance des lecteurs pour oser parler « d’obstacles physiologiques » à l’émancipation politique des femmes. Comme si les hommes n’étaient jamais fatigués, jamais nerveux ! Avait-il ses règles, Clemenceau lorsqu’il dit, rappelant l’affaire de Fachoda, cette petite phrase malencontreuse qui le précipita du pouvoir ? Et Briand, les avait-il aussi lorsqu’on grand effroi de sa majorité radicale, il parla de dépasser au besoin la légalité ?

La maternité est un obstacle sérieux, non pas à l’électorat, personne ne peut le soutenir avec vraisemblance, mais à l’éligibilité des femmes, encore qu’il ait été exagéré à plaisir.
Jusqu’à quatre mois, une femme enceinte pourrait siéger à la Chambre ; elle vit, en effet, de la vie d’une femme bien portante et seuls connaissent son état ceux qu’elle en informe. Plus tard, ce serait plus gênant, mais que l’on veuille bien songer qu’une partie de la gêne vient, non pas de la nature, mais des préjugés sociaux. Il est admis, en effet, que la grossesse est une situation honteuse en quelque sorte et qu’il n’est pas convenable pour une femme de trop se montrer lorsqu’elle est dans cette situation. J’ai vu, une fois, une femme se présenter à un examen de médecine dans un état de grossesse très avancée ; elle a fait de bonnes réponses et le jury l’a reçue brillamment.

Mais étant donné même que la grossesse soit un obstacle, il faudrait ne pas être bien sérieux pour en conclure à l’impossibilité pour les femmes d’être députées. Les femmes ne sont pas toujours enceintes, heureusement pour elles, et on peut ajouter qu’à l’âge où une femme aura conquis assez de popularité pour se faire élire, les grossesses ne sont plus à craindre. C’est de trente à quarante-cinq ans, en moyenne, que les hommes arrivent à la députation ; il en sera de même pour les femmes, et ce n’est pas à cet âge que l’on assure la repopulation.

En somme, les obstacles physiologiques à l’émancipation de la femme n’existent pas ailleurs que dans l’esprit de quelques médecins, qui comptent sur leurs parchemins pour donner de l’autorité à leurs opinions réactionnaires.


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