Émile Pouget

Riches bougresses

Le Père Peinard

date de rédaction : 06/03/1892
mise en ligne : 15/10/2010
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Eh, les bons bougres, je vas vous conter une histoire qui va vous faire honte.

Nous autres, les hommes, on se croit des malins ; à nous entendre, y a que nous qu’on a coupé la patte à Coco. Y a que nous qui savons rembarrer et mornifler un contrecoup ou un patron.

Pour ce qui est des femmes, c’est des pisseuses qui n’ont pas deux liards de poil au ventre ; elles ne sont bonnes qu’à faire la tambouille et à laver nos chaussettes (quand on a la veine d’en avoir, nom de dieu !...)

Tralala, faut en rabattre, mille tonnerres !

Y a des moments ousque je me dis que les bonnes bougresses sont moins avachies que les hommes.

À preuve, le riche flanche en question dont je vas accoucher illico : c’est à la manufacture d’allumettes de Trélazé que ça s’est passé. C’est un peu vieillot, vu que ça remonte au 18 février, mais foutre ! les bonnes histoires, c'est quasi comme le bon vin : ça devient meilleur en vieillissant.

Ne voulant pas tourner trente-six heures autour du pot, je vous dis de suite qu’il s’agit du contremaître d’un atelier mixte, nommé Plaçon, qui s’est fait foutre à la porte par les ouvrières.

Eh, ceux du sesque fort, qui avez du biceps comme des pommes de terre, je ne vous gourre pas : oui, nom de dieu, ce que j'ai dit est bien dit ! Les bonnes bougresses ont agriché le contrecoup par la gargamelle, et l’ont sorti, kif-kif un paquet de linge sale.

Dames, c’est des girondes que les ouvrières en allumettes : quand elles prennent feu, c’est pas pour des prunes. Et, foutre ! J’espère bien qu’elles sont moins dures que les allumettes de la régie !

Maintenant, que je dégoisse les tenants et les aboutissants : Depuis longtemps, le sale birbe de contremaître en faisait voir de toutes les couleurs aux bonnes bougresses. Pour des couillonades de rien du tout, il leur foutait des mises à pied temporaires ; il les débinait auprès des ingénieurs en racontant une chiée de menteries.

Quoi ! sa journée se passait à inventer des salauderies....

Ces temps derniers, il avait foutu le comble à la mesure, en guignant l’entrée et la sortie du personnel : à six heures précises du matin, il était là, une lanterne à la patte. Malgré que la direction accordât dix minutes de retard, le Jean-foutre collait des punitions quand on n’était pas là à l’heure juste. Kif-kif le soir, il ne voulait pas qu’on se trotte avant que la cloche ne sonne, tandis que y a, comme le matin, dix minutes de rabiot – de sorte qu’on peut lâcher le turbin à ce moment.

Autre chose, c’est un ancien troubade, y en a même qui dise ancien roussin... Conséquemment il est très fort sur le fricotage. C’est surtout à la caserne où avec un tas d’autres vices, on vous inculque cette sale habitude de voler les inférieurs ou les pauvres.

Ainsi, à certaines heures de la Manufacture, y a des distributions de café au personnel; le contrecoup trouvait simple comme un bonjour d’en faire passer à l’as le plus possible. Tout ça et bien d’autres crapuleries de ce Jean-foutre avaient bougrement monté les ouvrières contre lui : Or donc, l’autre jeudi, les bonnes bougresses engagèrent une de leurs camarades, mises à pied pour quatre jours, à continuer de travailler le lendemain, comme si rien n’était.

C’est ce qui eut lieu. Crédieu, fallait voir la colère du Plançon ! Il s’amène vers la bonne bougresse :

« - Pourquoi, travaillez-vous ?

- Parce que ça me plaît et ça plaît également aux amies.

- Vous allez sortir immédiatement ! »

Le salopiaud croyait épouvanter la copine, mais va te faire lanlaire ! Voilà qu’une ouvrière se lève, et venant se carrer bien en face du Plançon – juste assez loin pour ne pas recevoir ses postillons – elle te lui a débité un riche chapelet :

« - Ah, tu crois ça, vieux dégoûtant, qu’on t’obéira toujours ? ... Eh bien, c’est moi qui te le dis, la camarade ne sortira pas... Et sais-tu, qui c’est qui va sortir, plus vivement qu’il n’y est entré ? c’est toi, grigou ! Y a assez longtemps que tu fous les autres à la porte, aujourd’hui, c’est ta charogne qu’on va y foutre...

- Et qui osera m’y mettre, à la porte ? rogne le galeux.

- Moi !... »

Et sans plus d’étapes, la bonne bougresse l’empoigne au collet et le secoue dare-dare.

Pardine, le Jean-foutre ne voulait pas se laisser faire, mais les amies ont vivement donné un coup de main à la bonne bougresse. Si bien que, qui par une patte, qui par un abattis, elles te l’ont trimballé dans la cour.

Turellement, ça ne s’était pas fait sans pétard, si bien qu’il y avait trois ou quatre cents prolos – tant hommes que femmes – qui suivaient par-derrière huant le contrecoup.

Le Plançon se débattait kif-kif un asticot qu’on fout à l’hameçon.

N’importe, bon gré, mal gré, il a fallu qu’il y passe ! Les bonnes bougresses lui avaient promis de le foutre dehors – elles l’ont fait. Elles l’ont porté à la rue et l’ont collé sur le trottoir plus pâle qu’un macchabée ! Nom de dieu, voilà du rupin !

Et sûr, le contrecoup va baisser un peu son caquet : les ouvrières lui ont prouvé de quoi elles sont capables.

Pétard du diable, voilà qui devrait faire honte aux bons bougres... afin que l’envie leur vienne de faire mieux.

Oh, les riches femmes ! Nom de dieu, si c’était pas si loin, avec quelle jubilation j’aurais été trouver les bonnes bougresses, histoire de frotter ma couenne contre leur museau – qui doit être gentil comme un sou neuf, j’en jurerais. Surtout à celle à qui je poserais deux bécots, un sur chaque joue, foutre ! C’est la gironde copine qui a agrippé le contrecoup à la gargamelle.


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