Violences des hommes à l’encontre des femmes
 Marie-Victoire Louis  *

Conclusion du Colloque : « De la femme victime de violence à la citoyenne blessée »
Association "Du Côté des femmes"1
11 décembre 2000

date de rédaction : 11/12/2000
date de publication : 25/10/2001
mise en ligne : 06/09/2009
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Mai 2003: Ce texte a été intégralement censuré. Un important échange de courriers entre les responsables de l’association, notamment sa Présidente, Brigitte Ducloz, et moi–même en atteste. Et c’est ainsi que, dans les actes du Colloque, la pagination passe de la page 64 à la page 72. Une demi-page y a été intercalée sur laquelle on peut lire : "Il ne nous a pas été possible de publier l'intervention de Marie-Victoire Louis".
M-V L


Je tenais d’abord à vous remercier la présidente de sa présentation, tout comme de la confiance que vous m’accordez, en me donnant ainsi la parole.2 Et, pour reprendre vos termes, je vais effectivement, avoir, ce soir, un discours citoyen. Je suis aussi - sachant que ces trois termes sont, pour moi, indissociables - une militante et chercheuse féministe. J'ai donc, comme beaucoup de personnes présentes dans cette salle, travaillé, réfléchi et agi – y compris à l’encontre de divers gouvernements – de manière à faire en sorte que les violences exercées par des hommes sur des femmes soient effectivement combattues et intégrées au sein d’un projet politique qui ne peut être, pour moi, que féministe.

Ceci étant dit, et comme j’en ai déjà fait part aux responsables de l’association « Du Côté des femmes », je ne ferais pas une synthèse de la journée, comme cela est indiqué dans le programme, au côté du nom de Françoise Duroux que l'on m'a demandé de remplacer. Parce que je ne m’en estime pas le droit ; parce que je ne peux concevoir ce que pourrait être une synthèse d'analyses de nature différentes, voire opposées ; enfin, parce que je ne suis pas une femme de synthèse.

Je vais donc, après avoir préalablement réagi à quelques phrases qui ont été prononcées, ce matin, faire une critique de l’enquête ENVEFF qui nous été présentée ce matin, puis poser certains jalons d’une critique de la politique du gouvernement Jospin, en abordant plus spécifiquement la question de la prostitution.

Cette phrase, présentée comme relevant de l’ordre du constat doit nous faire réfléchir. Pour quelles raisons et sur quels fondements, devrions-nous accepter une définition du « réalisme » et donc une politique, alors que celle-ci s’est construite depuis des siècles sans les femmes et contre leurs droits les plus élémentaires ? Pour ma part, j’interprète « le réalisme » auquel nous avons été convié-es, comme une demande d’adhésion à ce qu'il faut bien appeler : la norme dominante patriarcale.
Et ce alors même que la mise en œuvre d'un (effectif) projet de lutte contre les violences masculines sur les femmes ne peut que déstabiliser et remettre en cause ladite norme.

Aussi, si l’on considère qu’il est plus que temps de changer 'les règles du jeu' et de refuser la perpétuation les rapports de domination dont nous, les femmes, sommes tous les jours les victimes, alors nous devons non seulement récuser toute adhésion au « réalisme ». Mais, plus encore, en dénoncer la logique d'oppression que l'emploi de ce terme soutend et conforte.

Être féministe - les divergences portant sur les modalités plus ou moins radicales de la critique - c'est refuser ces rapports de domination et se donner les moyens, aussi divers qu'il y a d'individu-es, de les changer.
Ne pas être féministe, c'est les accepter. Et accepter comme acquis ce qui (nous) est présenté comme relevant du "réel".

Là encore, cette distinction pose problème. Que signifie cette alternative à laquelle, là encore, nous devrions adhérer ?
En effet, le qualificatif « de terrain » censé caractériser le travail qu’effectuent des dizaines de milliers de personnes travaillant dans les associations occulte les personnes y travaillant. Dès lors, celles-ci, déréalisées, sont dépossédées de leur travail, de leur compétence, de l’intelligence des situations qu’elles traitent, analysent et parviennent, au moins partiellement à solutionner, pourtant quotidiennement.
Et ce, alors même que ce sont ces mêmes personnes qui, si souvent non payées, mal payées, ni même dédommagées des frais induits par leurs fonctions, prennent en charge des problèmes fondamentaux dont l’Etat se décharge, sans excès de reconnaissance, sur elles.  

La fonction critique qu’exercent les membres de ces associations – que seule une connaissance concrète de la vie quotidienne peut alimenter, vivifier, et enrichir – est dès lors, en outre, parce qu’elle n’est pas évoquée, de fait, invalidée.

Plus encore, l’emploi du terme « scientifique » (et non pas "compétent" et "rigoureux") confère dès lors aux personnes auxquelles il s’applique le (quasi) monopole de la pensée et de l'expertise. En sont donc exclues "les associations de terrain". Dans ce contexte, le recours à la 'science' fait fonction d'argument d'autorité qui les transforme en (quasi) seules détentrices du discours légitime.

Cette distinction binaire3 exclue donc l'éventualité d’une analyse sur des pratiques critiques, engagées, militantes, politiques, citoyennes,

De facto, dans le contexte, l'emploi de cette expression contribue à délégitimer les associations féministes, ici, en l'occurrence, celles luttant contre les violences faites aux femmes.

Le processus déjà mis en œuvre les transformant en simples "permanences téléphoniques" et les mettant sous la houlette de l'INAVEM (Institut National d'aide aux victimes) risque fort d'être ainsi parachevé.

L'expertise dont elles sont porteuses, les réflexions qu'elles mènent, les publications qu'elles éditent, les critiques qu'elles font, les gênantes statistiques qu'elles produisent, les revendications qu'elles demandent, en vain, à l'Etat depuis si longtemps risquent fort alors ainsi d'être abandonnées. Nécessairement donc, et les constitutions de parties civiles, et leur engagement compétent dans les procès auxquels elles participent, ceux-ci risquent fort, sinon de disparaître, du moins d'être sérieusement diminués.

Car ces associations ont certes d'abord pour fonction d'écouter et d'entendre ces femmes, de les aider à défendre leurs droits bafoués et à obtenir justice et réparation, mais aussi de resituer ce que chaque femme a subi dans une analyse globale. Ce qui signifie : analyser, retransmettre, politiser qu'elles entendent et ce qu'elles voient. Et sur la base de cette expertise, dénoncer et proposer. Faute de quoi, ces associations jouent un rôle de goulot d'étranglement et contribuent, elles aussi, à étouffer la parole des femmes.

À cet égard, aucune enquête au monde ne pourra avoir la valeur d’une présentation - certes problématisée - de ce que toutes ces femmes ont effectivement à dire et dénoncent depuis si longtemps. Sans être, ni globalement ni individuellement, entendues.

Aussi, dans cette opposition entre les "associations de terrain" et les "scientifiques", ce qui, politiquement, se joue, c'est la disparition des associations féministes de lutte contre les violences masculines.

Les femmes qui font appel à elles seront (exclusivement) renvoyées aux "professionnel-les" et au secteur privé pour lequel la gestion individuelle de ces violences représente un gigantesque marché.

La "justice" sera ainsi encore un peu plus allégée de ces recours qui - selon l'élégante mais parlante expression - " encombrent" les tribunaux. Tandis que les hommes violents, violeurs, harceleurs, agresseurs de femmes et d'enfants, ils resteront, sinon impunis, du moins encore, pour nombre d'entre eux, encore protégés.

Au-delà de la critique de cette formulation sibylline, il importe, à l'inverse, d'affirmer avec force la dimension sexuée des violences mises en oeuvre.
Je considère plus encore que si l'analyse n'isole pas (aussi conceptuellement difficile cela soit-il) les violences dont l'origine et la signification doivent s'expliquer dans et par la domination masculine, alors celle-ci ne peut que contribuer à la disparition du système patriarcal dont la domination masculine est l'une des manifestations.

Concernant l'emploi de l'expression de "vie privée", il est important de rappeler que :
- Le soi-disant concept de « vie privée » n’a jamais été défini en droit ; pas plus d’ailleurs que celui d' » ordre public » auquel il est indissociablement lié.
- La « vie privée » a été et l’est encore la sphère (avec sans doute la protection de la propriété) la plus codifiée par le droit. Et qu’il n’est donc pas possible de ne pas s’en « préoccuper ».
- cette sphère "privée" - ou du moins ce qui nous était présenté comme tel - fut d’abord et avant tout celle au sein de laquelle les femmes mariées, contraintes de par le droit à l’ » obéissance » (Article 213 du code civil) étaient privées de droits. Cette exigence, dès lors, justifiait, pour les hommes, le bon droit à exercer des violences à l’encontre des femmes.

En tout état de cause, si l'on veut effectivement contribuer à participer à création d'un monde pacifié, c'est donc d'abord et avant tout par l'analyse de la genèse de la domination masculine à laquelle il faut procéder. Ce qui signifie en outre analyser les multiples modalités d'expression de cette domination.
En tout état de cause, ce qui est clair, c'est que la traditionnelle présentation d'une soi-disant opposition entre le "publique" et le "privé" a contribué à occulter le fait que les femmes étaient, dans les deux sphères, dominées par les hommes. Et que cette domination était cautionnée, légitimée, codifiée par l'Etat.   

Là encore, cette affirmation doit être questionnée. En effet, il est historiquement indiscutable que « la démocratie », « la république », « les droits de l’homme », tout comme « la morale », ou " le politique"… ont été pensés, construits, conceptualisés, mis en œuvre en prenant pour acquis la légitimité de la domination masculine sur les femmes. Et tout notre droit – dont « les règles (actuellement) en vigueur » sont encore l’expression - a codifié les modalités de cette domination.

Ainsi la phrase du préambule de la constitution de 1946, reprise par celle de 1958, à savoir : "La loi garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l'homme" a pu y être insérée sans que le constituant n'y ait vu de contradiction avec le devoir d'obéissance de la femme à son mari, toujours inscrit dans le code civil, pas plus qu'avec l'interdiction pour les femmes d'avorter, ou avec le maintien de la garantis pour les hommes de pouvoir avoir accès aux corps de certaines femmes qualifiées de "prostituées", affectées à leurs "besoins"'.

Certes, et c’est fondamental, depuis les années 80, toute une série de lois jugées particulièrement scandaleuses au regard de la conscience collective féministe de l’époque, ont formellement disparu de nos codes, tandis qu’un certain nombre d’elles ont créé les conditions d’une pénalisation de certaines de ces violences, dorénavant judiciarisées. Pour la première fois dans l’histoire, les femmes se sont vues accorder des possibilités législatives de dénoncer certaines violences exercées par des hommes sur elles.

Mais dans la mesure où les fondements patriarcaux (républicains) qui les ont légitimés n’ont pas été analysés, ni formellement dénoncés, les règles de droit qui s'appliquent concernant la dénonciation de ces violences sont toujours tributaires des valeurs et des normes ancestrales patriarcales. Elles ne peuvent donc que - souvent considérablement - freiner l'effectivité du recours à la loi.

Une illustration : Les droits de la défense - acquis par le libéralisme politique pour conférer plus de droits aux hommes-citoyens contre l'Etat absolutiste de l'Ancien Régime - se maintiennent quasiment inchangés dans leur principe même pour défendre les agresseurs contre leurs victimes. Et c'est ce qui explique que les violeurs, les proxénètes, les pères incestueux, les harceleurs bénéficient de (beaucoup) plus de droits que leurs victimes.
Plus encore, faute d'avoir analysé et dénoncé les fondements patriarcaux du concept de "droits de la défense", ceux-ci peuvent continuer à être présentés comme "progressiste", alors qu'ils sont, en l'occurrence, utilisés pas les hommes violents pour se prémunir des dénonciations de leurs victimes. La loi Guigou dite sur "la présomption d'innocence" s'inscrit dans le droit-fil de ce non-dit: de fait, les droits des présumés agresseurs ont encore été globalement renforcés. Tandis que ceux, déjà réduits à leur portion congrue, des victimes s'est limitée à certains domaines de la procédure pénale, strictement limités aux enfants.

Les juges, imprégné-es de toute cette histoire du doit ne peuvent donc que reproduire ce "valeurs", puisqu'ils et elles ont pour rôle et pour fonction de mettre en œuvre les codes. Et ce, sans aucun enseignement critique féministe du droit, ni connaissance de l'histoire des luttes de femmes, du féminisme, sans même évoquer les bouleversements théoriques et politiques actuels qui se mettent en œuvre, en la matière dans le droit européen et international….  

C'est dans ce contexte que l'on peut peut-être mieux comprendre ce qu'à dit, récemment une femme victime de violence à une présidente d'association : " Madame, arrêtez de dire aux femmes qu'elles ont des droits". Phrase qui peut difficilement être oublié et ne laisse pas indemne.  

Il faut, à cet égard, rappeler une évidence, à savoir que modifier, voire supprimer un ou plusieurs article-s du code ne suffit pas à faire disparaître les fondements sur lesquels il s'est construit. Ceux-ci nécessairement se prolongent et se perpétuent d'autant plus aisément que la critique féministe, en France au début du 3 e millénaire, n'a toujours pas de légitimité théorique.

Cette formulation signifie que ces violences non seulement relèveraient du passé, mais en outre d’un passé en voie de disparition. Et ce, alors que nous ne sommes qu'au tout début d'une réécriture féministe de l'histoire de ces violences, indispensable.
Car, faute d’être historicisée au sein d'une analyse qui pose sans ambiguïté le système patriarcal comme le référent théorique central, ces violences masculines ne pourront que se dissoudre, être amalgamées, disparaître du champ de l'analyse. Et donc se perpétuer.

Aussi, seul un retour à l’histoire (encore dans les limbes) de la domination masculine nous permettra de donner leur sens à ces violences, de comprendre comment cette domination, comme toutes les dominations, évolue, s’adapte, réagit, brouille les pistes, attaque ses adversaires, noue des alliances en fonction des forces (ici féministes) auxquels il est confronté. 

En ce sens, rien ne nous permet d’affirmer que ces violences seraient en voie de régression. Plus encore, on peut évoquer l’hypothèse selon laquelle dans les périodes historiques – la nôtre en l’occurrence - où la concurrence globale entre les êtres se mondialise et, pour le plus grand nombre, s’aggrave, ces violences, sur les plus dominées, c'est-à-dire les femmes, elles aussi, s'aggravent.

En effet, ces violences ont d'abord et avant pour fonction d'empêcher les femmes de remettre en cause les pouvoirs, les privilèges, les abus des hommes. Aussi, ceux-ci n'ont pu être que profondément déstabilisés par les législations contre ces violences. Et pour mieux encore s'y opposer, font de plus en plus appel aux religions et aux coutumes afin de non seulement valider leurs droits ancestraux, mais, plus encore, de les renforcer.

Aussi, l’hypothèse selon laquelle la mise en oeuvre de ces législations, une plus grande pénétration d’un (petit) nombre de femmes dans les secteurs dont elles ont longtemps été exclues, l’augmentation du nombre de femmes dans les sphères du pouvoir, contribue à la croissance de ces violences ne peut être exclue.

…Voire, encore plus abstraitement de "la violence".
Il m’apparaît essentiel que ces violences soient ponctuellement et génériquement, nommées, identifiées, analysées, dénoncées, formellement condamnées. Car :
Ce qui n’est pas nommé n’existe pas.
Ce qui n’est identifié est occulté.  
Ce qui n’est pas dénoncé est licite.
Ce qui n’est pas condamné est légitime.
Ce qui n’est analysé se reproduit.

En outre, la référence formelle à la dimension masculine de ces violences est elle aussi essentielle. On ne peut pas plus légitimement parler de « violences faites aux femmes » qu’on ne peut parler de « de violences faites aux noirs » en passant sous silence la domination blanche et l’apartheid en Afrique du Sud, ou de « violences faites aux colonisées » sans parler des colonisateurs qui les exerçaient et du colonialisme qui les justifiaient.

En tout état de cause, dans la mesure où ces violences concernent toutes les femmes, sans exception, les considérer comme "un douloureux sujet de société", ou de "sujet dramatique" c'est faire du misérabilisme. Pas de la politique. À moins que le politique n'ait effectivement pour seul projet politique d'instaurer comme légitime cette (seule) vision des rapports entre les sexes.  

Je vais évoquer, dans cette deuxième partie, certaines des raisons pour lesquelles cette enquête n’est pas, pour moi, acceptable.5
Mais auparavant il importe de la resituer dans son contexte.

Cette enquête a été lancée alors que le gouvernement Jospin n’avait pris aucune significative initiative méritant d’être citée, en la matière, depuis son entrée en fonction. Aucun membre du gouvernement n’a dénoncé formellement ces violences. Plus encore, les problématiques sécuritaires dorénavant dominantes, y compris, à gauche, les excluent même du champ du politique.

Dès, lors, cette enquête s’inscrivant dans un contexte de déni de leur réalité – et donc de quasi-légitimation – ne pouvait que fortement en infléchir, à la baisse, les résultats. À l'inverse de l’enquête canadienne de 1992 qui a été lancée à la suite du massacre des 14 jeunes étudiantes de l’école Polytechnique de Montréal en 1989 par un homme qui»  haïssait les femmes et les féministes ». et du grand débat théorique, politique et féministe qui avait suivi cette tragédie. Notons enfin que cette enquête quantitative avait été lancée en liaison avec la création du Comité Canadien sur la violence faite aux femmes. Ce comité avait - pour publier un remarquable rapport de près de 500 pages6 - consulté 4000 personnes en bénéficiant d'un budget de 10 millions de dollars canadiens.

Il est cependant nécessaire de préciser que les conséquences des engagements pris à Pékin, ainsi que le contexte européen ont joué un rôle important dans la prise de décision de cette enquête. Reconnu d'ailleurs.

Madame Perry, a, pour sa part, parlé de "sortir de l'ombre les violences subies par les femmes et de libérer la parole", de "donner de la visibilité à ce phénomène de violence", et "d'avoir une parole publique plus forte pour rendre un sujet de société encore tabou. Plus tabou qu'on ne le pense".   
Tandis que le rapport intermédiaire de l'enquête la considérait comme « la première étape d’une politique de prévention ». 7

Cette enquête n’avait donc pas pour finalité de créer les conditions pour que les femmes soient effectivement défendues dans leurs droits à vivre sans violence.
Elle s'inscrivait dans une politique de seule prévention.

Cependant, si l'on se réfère au discours de Madame Nicole Perry8 à la Sorbonne, le mot même de prévention peut lui aussi être sujet à caution.
Au terme de la présentation des premiers résultats de cette enquête, celle-ci a en effet affirmé : "Par l'effort de chacun, si nous partageons une volonté commune, par notre capacité à nouer des partenariats au niveau national comme au niveau local, nous permettrons à ces visages flous de femmes blessées (reproduite sur l'affiche des Assises) qui doutent terriblement d'elles-mêmes de s'affermir et de peu à peu reprendre confiance".

En tout état de cause, le slogan de ces Assises, proposé positivement par la Ministre - qui "affirme croire au pouvoir de la parole et des mots" - : "En cas de violences, brisez le silence" peut être légitimement interprété comme une fin de non recevoir politique concernant les demandes faites à l'Etat en la matière.

Alors que l'enquête s'intitule : "Enquête nationale sur les violences envers les femmes en France" (ENVEFF), la présentation qui en a été faite aux personnes chargées d'y répondre ne faisait ni référence à la violence, ni même aux femmes. Madame Péry l'évoquait ainsi: "Les femmes interrogées sont prévenues que nous allons leur poser des questions sur la sécurité dans la vie urbaine d'aujourd'hui". 9

Quant à la présentation que recevaient les (éventuelles) enquêtées dont le nom avait "été tiré au sort". signée par Maryse Jaspard, responsable de l'étude, sur papier à en tête de l'Université Paris I Sorbonne, elle était encore plus sibylline :
…" Les principaux thèmes en sont : les conditions de vie, la santé et la sécurité en France. Étant donné l'importance des sujets traités, cette enquête a été reconnue d'intérêt général…10
Pour des raisons scientifiques, une seule personne de votre foyer sera interrogée.
11 Quelle que soit sa situation, ses réponses seront indispensables pour la réussite et la qualité de cette enquête. Cette étude permettra de mieux définir des actions, à l'échelon national permettant d'améliorer les conditions de tous ceux et celles qui vivent en France".

Seules les femmes (exactement 6970) âgées de 20 à 59 ans12 ont été interviewées, pour des raisons qui n'ont pas été explicitées. Une importante limitation, particulièrement malvenue au moment où l'on évoque tant la violence sexuelle exercées sur les jeunes filles, a de fait ainsi été posée.

En outre, certaines catégories de femmes, particulièrement concernées ont été exclues de l'enquête. On note que la présentation qui en est faite diffère. Dans le pré-rapport, on peut lire : "Malgré notre souci de cerner les phénomènes de violences dans l'ensemble de la population féminine (!), des populations spécifiques (!), marginalisées (!), voire exclues (!) ou stigmatisées (!) qui sont particulièrement confrontées à la violence (prostituées, SDF, femmes en prison par exemple 13 échapperont à cette enquête" . (Note 5, p.4)

Tandis que dans la note du comité de pilotage en date du 9 octobre 2000, il est question de "femmes, placées en institution (?) (foyer, hôpital, prison), dont le chiffre est "estimé entre 14 et 15.000" .
Ces femmes exclues - d'ou vient cette estimation ? - il nous est dit que cette non prise en compte de ce petit nombre ne serait pas signifiante au regard de ce petit nombre. "En pourcentage, cela joue peu" considère la responsable de l'enquête. Une statisticienne peut -elle affirmer cela ?

Faut-il rappeler aussi que les hommes n'ont pas été interrogés? Et donc que la question des relations (de pouvoirs) entre les hommes et les femmes qui, encore une fois, seules donnent sens à ces violences, n'ont pas pu être même abordés.

Enfin, cette enquête a été limitée à la "France métropolitaine". Devons-nous en déduire que la Corse en aurait été exclue ?
Quant aux DOM-TOM, il m'a été dit qu'ils avaient été "oubliés". Quoi qu'il en soit, la note du Comité de pilotage en date du 24 janvier 2000 évoque pour les seuls DOM une "enquête qualitative" pour laquelle un concours financier était à trouver.

Rappelons que 16 % des "ménages" n'ont pas le téléphone.14

Par ailleurs, et c'est beaucoup plus fondamental, alors que l’on sait les infinies précautions qu’il faut prendre pour créer les conditions d’une parole confiante et vraie sur ces violences, qu’il faut souvent des années pour que le souvenir d’une violence revienne dans le champ de la mémoire, il faut être clair-e : ces chiffres ne signifient - pratiquement -  rien.

En outre, le questionnaire comportait 650 questions auxquelles il fallait répondre en 3/4 d'heures. En outre, chacune de ces questions demandait un souvenir extrêmement précis auquel, en outre, les personnes n'avaient sans doute que fort probablement préalablement pas réfléchi.

Plus encore, la plupart d'entre elles étaient en outre plus qu'éprouvantes. Insupportables, souvent.
Pour ma part, je n'ai jamais pu lire ce questionnaire en une seule fois. Et le reprendre m'a toujours été très pénible. Au point d'ailleurs où je me suis toujours demandé comment les enquêtrices et les femmes enquêtées avaient effectivement pu en supporter la lecture.
Dans ma lettre en date du 28 juin 1998, j'avais écrit : " J'ai très vite ressenti que les questions ne prenaient en compte ni vraiment ( ?) la violence, et encore moins s'assignaient d'y remédier ". (p.11)

Il serait à cet égard intéressant de connaître les réponses que devaient donner les enquêtrices, à la fin du questionnaire. À savoir : "Avez-vous l'impression que les réponses de cette personne ont été : très sincères, sincères, pas sincères, pas du tout sincères, ne sait pas".
Enfin, la question de l'utilisation du téléphone pose la question de l'anonymat du questionnaire. Il n'est en effet pas besoin d'insister pour comprendre que lorsqu'une personne est interrogé-e par téléphone, on ne peut pas parler d'anonymat : si elle est appelée, cela signifie que quelqu'un connaît son nom ; dès lors, il n'y a donc, pour la personne interrogée aucune garantie d'anonymat.  
Cette question - non pas sur le fond, mais sur certaines modalités de la mise en œuvre du questionnaire - a cependant posé un "problème" à la CNIL (Commission Nationale Informatique et libertés). On peut en effet lire dans le compte-rendu de la réunion du comité de pilotage en date du 21 janvier 2000 : " Les problèmes relevés tenaient au caractère sensible de l'enquête : utilisation de la liste rouge et absence d'anonymat au sens de la CNIL, dans la mesure où le numéro de téléphone de la personne enquêtée ne s'effaçait qu'en fin d'entretien pour permettre le rappel si nécessaire". Ces " problèmes" n'ont pas cependant été jugés par elle comme suffisamment graves, puisque la CNIL a "donné son autorisation sans passage en commission." (Ibid.)

Ce choix méthodologique est en lui-même révélateur de la valeur que l'Etat - qui a financé cette enquête pour plus de la moitié de son coût - accorde à la parole des femmes.

Une question ouverte a cependant été posée : sans doute, saisies d'une certaine gêne à ce propos, après 650 questions, les responsables de l'enquête ont ajouté une dernière question : "Nous sommes à la fin de l'entretien. Souhaitez-vous ajouter autre chose ?" Trois lignes étaient laissées à la dernière page pour y répondre. Cependant, là encore, le relevé des réponses ne devrait pas manquer d'un certain intérêt.

Et ce, alors que Madame Pery avait, en juin 2000, à la tribune de l'ONU, lors de la session dite "Pékin plus 5" affirmé que la prostitution était "une violence contre les femmes".

Par ce terme, j'entends l'analyse de la portée et de la signification du questionnaire.   

Alors que l’on sait depuis si longtemps que le domicile est le lieu le plus dangereux pour les femmes, cette enquête a été menée au domicile des femmes interrogées. Plus encore, les appels avaient lieu»  tous les jours en semaine de 17 heures 3à à 20 heures 30 et le samedi de 10 heures à 20 heures », c'est-à-dire, au moment où la présence des hommes était la plus probable.

Ainsi, des femmes ont pu avoir à répondre sous menace d'une arme, sous contraintes, sous violences, puisque l’éventuel agresseur de ces femmes pouvait se trouver à leurs côtés.

L'enquête se termine en effet par la (dernière) question posée par l'enquêtrice: « Y a-t-il quelqu’un dans la pièce quand je posais les questions ?"  Rien n'exclut donc qu'une femme ait eu à répondre un revolver braqué sur la tempe.
Et là encore, les responsables de l'enquête en étaient conscientes. Puisque la question Q.40 demandait explicitement : " Y-a-t-il chez vous ou dans la voiture une arme à feu ?" et que j'avais déjà abordé explicitement ce 'problème' dans ma lettre en date du 28 juin 1998 (p.6).

Je considère donc que les responsables de ce questionnaire ont :

1) Entériné le fait que les femmes pouvaient vivre sous la menace de la violence et donc en danger, et ont laissé des femmes menacées par la violence sans protection et sans assistance. Et ce alors que les questions qui leur étaient posées étaient des délits et des crimes, au regard du droit. Celles-ci devaient ainsi répondre à ces questions :  
* C.13. "Au cours des 12 derniers mois, est-ce que votre conjoint ou ami(e) vous a giflée, frappée ou exercée d'autres brutalités à votre égard ? " .
* C 16. …" a proféré des menaces de mort à votre encontre ? "
* C 17. … " vous a menacé à laide d'une arme ( couteau , outil, revolver) ?
* C.18. …" a tenté de vous étrangler ou de vous tuer ?"

À chacune de ces questions, la personne qui répondait "oui" devait alors répondre à la question : "Cela est arrivé plusieurs fois, et si oui, combien" ?  
Ces questions posées faisaient donc des enquêtrices des personnes responsables de non-assistance à personne (actuellement) en danger.
Deux exemples :
* F.13 A. …"Considérez-vous que ces faits (agressions)…se poursuivent actuellement ? "
* F 14 A. « Depuis combien de temps subissez-vous ce type d’agressions ? »
La réponse devant être donnée en" mois" ou en " années".     

2) Leur ont donc fait courir le risque d’une aggravation de cette violence.

3) Etaient conscientes du danger quelles faisaient courir aux femmes. On peut en effet lire, dans le rapport intermédiaire : « une formation de deux heures est dispensée au sujet de ces phénomènes (!), des risques spécifiques de mises en péril de l’enquêtée au cours de l’entretien téléphonique et des recours possibles ». (p.12 du rapport intermédiaire)

4) N'ont pas donné de réponse qui aurait permis aux enquêtrices de savoir comment réagir dans l'hypothèse où elles se rendait compte de l'existence d'une menace. On peut ainsi lire : "Les enquêtrices ont pour instruction d'interrompre immédiatement l'entretien en cas de difficulté rencontrée par l'enquêtée, de lui transmettre les coordonnées téléphoniques d'associations venant en aide aux femmes, de prévenir l'encadrement, de ne pas interrompre brutalement le dialogue". (p.13 du même rapport).

On note donc dans cette phrase - outre l'euphémisation de la menace, qualifiée de "difficulté" - des injonctions contradictoires révélatrices de l'impossibilité de "résoudre" la situation de violence provoquée par l'enquête. À savoir : "Interrompre immédiatement l'entretien", sans doute pour ne pas aggraver la violence, pourtant enclenchée et "ne pas interrompre brutalement le dialogue", du fait de l'intrusion dans le dialogue - qui ne l'était donc plus d'un tiers violent. Afin de transmettre à cette femme dorénavant battue du fait de ses réponses aux questions le numéro de la Fédération Nationale Solidarité Femmes ?

Comment les institutions concernées : INSEE, CNIS, CNIL, Université Paris I., sans même évoquer le Secrétariat aux droits des femmes, commanditaire de l'étude ont-elles pu prendre une telle responsabilité ? Et comment, dès lors, croire à leur volonté de lutter contre ces violences ?

La batterie de questions concernant les violences contre les femmes ont été posées après de nombreuses questions qui :
1)Ne différenciaient pas les responsabilités en matière de violences, voire leur en transférait la coresponsabilité. Ainsi :  
Q.34 : " Au cours des 12 derniers mois, vous est-il vous êtes vous disputée avec votre conjoint(e)";
Q. 46 :" Au cours des 12 derniers moins, vous est-il arrivé de crier très fort ou de dire des insultes lorsque vous étiez en colère; de gifler, donner une fessée  ou une tape à un enfants, de gifler ou de frapper une personne adulte".

2)Les traitaient comme des coupables, y compris pénalement, voire comme des délatrices.
- Q.36 "Au cours des 12 derniers moins, avez-vous été confrontée à des problèmes d'alcoolisme (de votre conjoint, d'un de vos enfants); de consommation de drogue (de votre conjoint, d'un de vos enfants)
- S.34 "Au cours de votre vie, avez-vous consommé "du cannabis, ecstasy, amphétamines, la cocaïne, LSD, acide, champignon hallucinogène, coupe –faim ( ?), codéine, produits à inhaler ( éther, colle, solvants) et autres substances ( crack, héroïne, opium par exemple). Et "En avez-vous pris au cours des 12 derniers mois ?"
- F.14 B.." Lorsque ce fait (cette agression) s'est produit…
À votre avis
15, votre agresseur avait-il pris de l'alcool, de la drogue"  
Et vous-mêmes
16, aviez-vous pris de l'alcool, de la drogue."

Plus globalement, toutes les questions sur le sida, les MST, la consommation d’alcool, les drogues, sont inacceptables, en la matière. Poser ces questions à des femmes qui sont violentées ne peut en effet que les confirmer dans une identité de coupables, renforçant ainsi des siècles de mythes patriarcaux sur la responsabilité des femmes des violences masculines dont elles sont les victimes.

Concernant l’alcool, il faut noter qu'il fallait comptabiliser, pour soi même et son conjoint, « le nombre de verres par jour, si l’on en prend tous les jours». Tandis que les questions S 36 et S 37 étaient les suivantes: « Au cours des 12 derniers mois, vous est-il arrivé de boire beaucoup à l’occasion d’une fête ? ...» à l’occasion de moments difficiles ? »

Poser à des femmes violentées des questions (Q.28) évoquant leur "foyer" - outre la connotation idéalisée du terme dans la conscience collective - alors que tant de femmes violentées ont dû le quitter pour échapper à la violence, et si souvent en laisser la jouissance à celui qui les a violentée est inacceptable.

À cet égard, même l'apparente évidence de la présentation de la question E 6 .2 : " Est-ce que ces agressions ont eu (pour) conséquences" : "vous avez dû déménager" s'inscrit dans une problématique - jamais remise en cause dans le questionnaire - de l'acceptation de cette violence.  

Je ne prendrais qu'un seul exemple concernant "l'enfance et l'adolescence" (Q.64 à Q.79)
Il est question de "problème qui ont pu vous affecter vous-mêmes et votre famille ", au sein des quels trois items sont proposés : "alcoolisme, drogue, sévices et coups répétés" ; de "conflits très grave avec vos ou l'un de vos parents" ; de "graves tensions ou (de) climat de violence, entre vos parents" ; de "conflit familial" .   
Il n'est donc pas possible de savoir si le père a exercé des violences ni sur la mère, ni sur la fille, ni sur les autres enfants. Quant aux violences incestueuses, aux violences sexuelles, elles ne sont même pas évoquées.

Dans tous les modules concernant les violences, les questions concernant les auteur-es de ces violences comportent 5 items. Et sur ces cinq items, 3 concernent l’éventualité que des femmes ( » une femme », « plusieurs femmes », « un groupe d’hommes et de femmes ») soient les auteures des violences exercées à l’encontre d’autres femmes.

Cette pseudo équivalence est encore aggravée dans le module "famille et proches", du fait du nombre de personnes de deux sexes citées : "votre mère, votre fille ou la fille de votre conjoints, votre belle-mère, conjointe de votre père, votre belle-mère (femme de votre fils), votre belle-sœur, une autre femme de votre parenté ( y compris mère du conjoint), une femme parmi les proches, plusieurs femmes parmi les proches)".

Ce questionnaire, faute d'avoir donc voulu aborder la question en elle-même des violences exercées par les hommes, a donc considéré - au mépris de l'histoire et du réel - que toutes les violences pouvaient être exercées par des hommes et par des femmes, ainsi donc posés à " égalité" comme acteurs/trices de violences.

Ainsi, il est demandé (p.3) à des femmes si "plusieurs femmes", "adolescentes" auraient "exhibé devant (elles) (leurs) organes sexuels ou sont déshabillé" (es).
Il en est de même concernant les violences exercées dans un endroit public, (p.4) "braquage, prise d'otages" inclus (p.6). La possibilité que ces "attaques" puissent être le fait de "plusieur-es adolescentes" est ainsi posée à trois reprises.  

On est donc en droit de considérer que la présentation du projet de l'enquête de : "considérer que la violence subie par les femmes n'est pas exclusivement d'origine masculine" (p.3 de rapport intermédiaire) n'est pas acceptable. Car il s'agit bien d'une surestimation systématique de la possibilité que ces violences par des femmes sur les femmes, cette hypothèse étant posée à toutes les questions concernant les auteurs/trices de violences.
Le constat de l'importance de ces violences exercées par des femmes a d'ailleurs été présentée par les responsables de l'enquête comme l'une de ses premières conclusions. Il a aussi été affirmé concernant les " violences féminines ( !) à l'égard des enfants" que "les chiffres étaient très importants".

Sous la présentation de " questions plus intimes", les femmes, après des questions sur leur logement, leurs revenus, leur possession à la banque ou à la poste d'un compte courant ou d'épargne personnel18, leur religion, devait en outre répondre à des questions qui relèvent, au regard de la loi, de la "vie privée". Et qui, en tout état de cause, sont considérées comme telle par la conscience collective. En France, comme dans le monde entier.

Ces interrogations, en outre, mêlaient indistinctement des questions sur :
L'homosexualité. (Q.80) "Au cours de votre vie, avez-vous été attirée par des hommes, surtout par des hommes mais aussi par des femmes, autant par des hommes que des femmes, surtout par des femmes mais aussi par des hommes, uniquement par des femmes". Question suivie par une autre, (Q.81) concernant " les rapports sexuels", elle-même suivie d'une curieuse autre question,5Q 82) "Etait-ce avec un homme ou une femme " ?
Les rapports sexuels : Avec qui ?, combien de partenaires ?, combien de rapports sexuels au cours des 12 derniers mois, ainsi qu'au cours des quatre dernières semaines, et avec combien de "partenaires" ? (Rappelons qu'il peut s'agir de violeurs), ainsi que les refus d'avoir des relations sexuelles.
L'"amour" porté au conjoint (Q.96) : "Vous êtes très amoureuse, amoureuse, plus amoureuse, vous n'avez jamais été amoureuse".  
La contraception, "méthode - sans guillemets - naturelle et Ogino" incluse)s
La ménopause : "Actuellement, êtes-vous ménopausée"?
La contraception et l'IVG. Et, concernant cette dernière, les deux questions qui la concernent (Q 102 et Q 103) évoquent la possibilité d'avoir "été contrainte par quelqu'un de (son) entourage "?

Plus encore, il est demandé aux enquêtées de répondre au lieu et place d'autres personnes, connues d'elles, quelles engagent donc. Le questionnaire les présente ainsi :" Nous sommes amenés à vous poser certaines questions qui ne vous concernent pas forcément". Ainsi :
Q. 98: " Au cours des 12 derniers mois, votre conjoint ou ami a-t-il refusé d'avoir des rapports sexuels avec vous ? "
Q.99 : " Au cours des 12 derniers mois, votre conjoint ou ami a t-il eu des rapports sexuels avec d'autres personnes que vous? "

Je précise enfin que ces questions peuvent être croisées avec les deux questions Q.72 et 73 posées sur la religion des enquêtées : "aucune, catholique, musulmane, protestante, juive, autre religion".  

Au regard de ces critiques, je récuse donc le constat - qui en outre n'est pas crédible - selon lequel : " Il s'est opéré au fur et à mesure que l'entretien avançait une sensibilisation des enquêtées favorable à la déclaration des actes de violence qu'elles auraient ( !) subies". (p.9)

Je considère donc que la question de la responsabilité du CNIS (Conseil national d'information statistique (CNIS) qui l'a reconnue "d'intérêt général" et de la CNIL (Conseil national Informatique et Libertés) qui, "eu égard à la méthodologie retenue et aux garanties offertes aux personnes interrogées" l'a "dispensée d'accomplissement de formalités". 19 est posée.

Pour évoquer des crimes de viols ou des délits, il est question de » faits », d '« actes », de « situations », d '« évènements », de»  problème...
À cet égard, même le mot « agression » (mis entre parenthèse, après le mot "fait" ) peut être interprété comme pouvant contribuer à minimiser la violence. En effet, dans la hiérarchie de gravité posée par le code pénal, les agressions sexuelles sont situées après les viols qui sont pénalement qualifiés de "crimes".    

Les responsables de l'enquête ont d'ailleurs tenté de justifier leur décision. On peut ainsi lire dans le pré-rapport : " Parler de fait" permet de ne pas introduire des termes forts qui peuvent réveiller des souffrances dans certains cas récents et ne pas induire une hiérarchie entre les violences".
Ce à quoi il serait possible de demander comment il serait possible de procéder à une enquête sur les violences, "sans réveiller des souffrances". Par ailleurs, c'est indubitablement en nommant pas des violences que l'on contribue à les occulter.
Quant à l'argument selon lequel il ne faudrait pas "induire de hiérarchie entre les violences", il repose sur un double déni ; celui du réel et celui mis en œuvre par le questionnaire lui-même.  
En réalité, si le questionnaire ne nommait pas ces violences, c'est qu'il ne le pouvait pas. Car alors la question de la mise en œuvre de l'article 223-6 du code pénal était explicitement 20posée. Voici cet article :
" Quiconque pouvant empêcher par son action immédiate, sans risque pour lui ou pour un tiers, soit un crime, soit un délit contre l'intégrité corporelle de la personne s'abstient volontairement de la faire est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 500.000 frs d'amende". Sera puni des mêmes peines quiconque s'abstient volontairement de porter à une personne en péril, l'assistance que, sans risque pou lui et pour les tiers, il pouvait lui prêter soit par son action personnelle, soit en provoquant un secours".    

Il en est de même de la mise en œuvre de l'article 40, alinéa 2 du code de procédure pénal, que voici :
…"Toute autorité constituée, tout officier public ou fonctionnaire qui, dans l'exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d'un crime ou d'un délit est tenu de donner avis sans délai au procureur de la République et de transmettre à ce magistrat tous les renseignements, procès verbaux et actes qui y sont relatifs".

Dès lors, en outre, les qualifications pénales qui sont le principal référent que nous ayons, disparaissent de l’enquête. Et avec elles, les signifiant symboliques et politiques qu’elles incarnaient.
Il faut cependant noter que l'équipe a dû dès lors retraduire, avec toutes les imprécisions et l'arbitraire qu'une telle opération nécessite, les résultats en qualification pénale. Plus encore, concernant les violences au travail, l'équipe a même pu isoler le "harcèlement sexuel" et le "harcèlement moral", alors que la loi - qui inclue une définition - n'est toujours pas votée.

Je considère que le fait qu’un numéro de téléphone d’association de lutte contre les violences soit « communiqué à chaque enquêtée en fin d’interview » sans que la responsabilité des responsables de l'enquête n'ait été posée et réglée a transformé ces associations en service-après-violences.

En outre, il n'est pas juste de dire que « ces associations peuvent assurer un relai (?) auprès des femmes, pendant l’enquête, en cas de problème"  (!) comme il est possible de le lire dans le rapport intermédiaire. (p.13)
Quant à la "formation" des enquêtrices évoquée par madame Grésy, 9 octobre, "avec l'appui des trois principales association de lutte contre les violences", elle a été limitée à une demi-journée.

Il n'est donc pas un hasard si les résultats procurent des chiffres si évidemment sous-évaluées qu'ils se disqualifient d'eux-mêmes.

Un seul exemple : le premier tableau présenté lord de la conférence de presse du 6 décembre 2000 "21 est le suivant :

Tableau N° 1.
Proportion de femmes ayant subi des violences au cours des 12 derniers mois, quelle que soit la sphère, selon l'âge
:
Ensemble :
Agressions physiques : 4%;
Agression sexuelles : 1,2 % dont viol et tentative de viol: 0,5 % .

Ainsi, si l'on devait croire cette enquête, en France en 2001, seules 5, 2 % des femmes, dans la rue, au travail, du fait de leur conjoint auraient été l'objet de violences au cours de l'année.

Je dois m'arrêter ici, faute de place et de temps. Mais l'essentiel est dit.

Pour reprendre le bilan que Madame Perry faisait à la Sorbonne de son action, le 2001, il est difficile de considérer que :
Le lancement de l'enquête sus-évoquée
Une circulaire
Un groupe de travail interministériel
La création d'un comité d'expert
L'organisation (très contrôlée) d'Assises sur les violences qui s'est tenue en une seule journée
Une convention avec deux ministères
Le soutien extrêmement faible de l'Etat à quelques associations eu égard au travail effectué et à l’immensité des besoins…
relèvent d’une politique.
Ces actions relèvent, pour moi, de la gestion du quotidien d'une administration. Sans projet affirmé.

Or, les associations de lutte contre les violences, depuis des années, font des critiques et des propositions. Or, force est bien de reconnaître que celles-ci lorsque leur disparition n'est pas programmée (comme ce fut le cas pour l'AVFT) ne sont ni entendues, ni reçues, et, lorsqu'elles ne sont pas instrumentalisées, souvent méprisées. Les rares hommages qui leur sont rendus ne remettant pas en cause cette appréciation.

Pour revenir à ces propositions, et pour ne prendre que deux exemples, il est possible - et je parle ici en présence d'un membre du gouvernement - d'insister sur la demande :

- D'une loi anti-sexiste. Sachant que celle-ci ne serait par ailleurs qu’une petite avancée et qu'elle ne nous permettrait pas de dénoncer nombre d'attaques dont les femmes sont si banalement et quotidiennement l’objet.
Je dois dire, à cet égard, mon étonnement lorsque – travaillant au sein des Chiennes de garde – j’ai découvert qu’une femme ministre a fait appel à nous en nous demandant de la soutenir par rapport à une attaque sexiste dont elle estimait avoir été l’objet. Et ce, alors qu’elle avait les moyens politiques de faire voter une telle loi. Et que certaines de ses collègues avaient déjà été soutenues par l’association.
Il faut à cet égard, être clair-e : refuser une loi anti-sexiste, c’est considérer le sexisme comme légitime. Par ailleurs, il est impossible d’accepter que le sexisme - qui est l'une des manifestations de la domination masculine - et qui donc concerne toutes les femmes devienne un sous-produit de l’homophobie.

- Du vote de la proposition de loi concernant le harcèlement sexuel, rédigée par l’AVFT et fruit de plus de dix années de pratique judiciaire. Là encore, et pour ne prendre qu’un des éléments de cette proposition, il faut être clair-e : refuser la réforme que intègrerait dans le champ de la loi le harcèlement sexuel entre collègues, c’est reconnaître qu’il est légitime.

- Par ailleurs, la proposition de loi visant à pénaliser le harcèlement moral ne peut - faute d'avoir été pensée concomitamment, tout au moins publiquement - qu'affaiblir encore un peu plus l'incrimination de harcèlement sexuel.

Enfin, il m'apparaît plus qu'urgent que notre système judiciaire s’attaque à un certain nombre de principes sur lesquels il s’est fondé. À savoir :

- La prééminence du principe de la défense des personnes sur celui de l’atteinte d’ordre public et au droit de propriété.

- La prééminence du principe de la défense des droits des présumées victimes par rapport au droit des présumés agresseurs.  

Je considère aussi – de manière moins ambitieuse - que le gouvernement doit formellement poser le principe de refus formel de toute médiation pénale dès lors qu’une violence est dénoncée.

Je pense, enfin, que les assassinats et les viols pourraient êtres légitimement exclus du champ des délits et des crimes amnistiables. Ou, à tout le moins, que la question soit posée, ce qui aurait pour mérite de nous permettre de débattre des critères de la gravité d’un crime.

Je vous remercie.

 

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Notes de bas de page
1 En partenariat avec la ville de Cergy
2 Sur la base de l’enregistrement des propos que j'avais tenus, mais en en reprenant la teneur, ce texte a été partiellement réécrit. MVL. Mai 2001.
3 Il est intéressant à cet égard de noter que cette opposition se retrouve, mais inversée, dans le discours actuellement dominant sur la prostitution. Là cette distinction a pour fonction de conférer aux seules associations dites « de terrain », le monopole de l’analyse en la matière.
4 Y compris par moi-même
5 Je tiens à préciser que j’avais refusé de faire partie du Comité scientifique de cette enquête pour des raisons que j'avais explicitées par écrit à Dominique Fougeyrollas, dans une lettre de 15 pages, en date du 28 juin 1998. Dans ce texte, j'avais en outre, déjà procédé à une critique du projet de rédaction de l'enquête dans sa mouture en date du 30 mai 1998. Ce texte la reprend partiellement.

Cf., aussi, Assemblée Nationale. Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes. Compte-rendu N° 30. 6 février 2001. Présidence de Madame Lignères-Cassou.

6  Comité canadien sur la violence faite aux femmes. Un nouvel horizon: Éliminer la violence. Atteindre l'égalité. Rapport final . 1995.
7  ENVEFF. Rapport intermédiaire. Juin 2000 . p. 2.  
8 Intervention de Nicole Perry, Secrétaire d'Etat aux droits des femmes et à la formation professionnelle. Assises Nationale contre les violences envers les femmes. Jeudi 25 janvier 2001.
9 Assemblée Nationale. Rapport d'information. Contraception d'urgence. Première lecture. Onzième législature. Document N° 2593. Délégation aux droits des femmes. p.33.
10 En gras, dans la lettre.  
11 Il n'est donc pas précisé qu'il s'agit d'une femme.
12 Coût: 3.247 585 Frs  au 9 octobre 2000.
13 Souligné par moi
14 Ce pourcentage dont je ne me souviens plus de la source est à vérifier et donc à prendre avec précautions.
15  Souligné par moi.
16  Ibid.
17 Cf, article 8 du code civil : "Chacun a  le droit au respect de sa vie privée".
18 Je me suis perdue en conjecture pour savoir à quelle fonction devrait répondre cette question (Q.29, Q.30 ), déjà posée dans le questionnaire de 1998.
19 Relevé de conclusions. Réunion du comité de pilotage du 9 octobre 2000 sur l'enquête nationale sur les violences envers les femmes en France. Présentation par Madame Grésy. p.1
20 Souligné par moi.
21 Université Panthéon -Sorbonne . Enveff. Premiers résultats. Conférence de presse du 6 décembre 2000. P. 2.

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