Pornographie
 Marie-Victoire Louis

La porno est entrée dans les mœurs

date de rédaction : 17/01/2005
mise en ligne : 18/01/2005
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« La porno est entrée dans les mœurs »
  "Le Monde" 1

Ce texte ne peut être que difficile, voire impossible à lire. Je le comprends. J’aimerais simplement suggérer aux personnes qui ne pourront/voudront pas en supporter la lecture, qu’elles pensent peut-être un instant que des millions d’autres femmes - moins sensibles qu’elles ? - vivent dans leur chair tous les jours ce qui est écrit ici.

Ce texte a été rédigé à partir de notes prises pendant deux jours et demi - sans accès à aucun site payant, en tapant sur les rubriques : « sexe » et « pornographie » - sur les premiers sites pornographiques qui me sont tombés sous les yeux. Il s’agit donc d’une goutte d’eau - aléatoire - sur les milliers de sites pornos, accessibles, pour pas un sou, à n’importe qui est connecté.

Chaque ligne de ce texte est - de manière édulcorée - soit la retranscription, soit la description de ce que j’ai vu et lu sur ces sites : lorsqu’il s’agissait d’écrits, ils étaient toujours accompagnés de photos, extraites ou non de films ou de vidéos, représentant des femmes concrètes et des hommes concrets.

Il importe aussi de savoir que sur ces sites, les vidéos peuvent être proposées « par tonnes », les photos, « par milliers » ; les « filles », « par centaines » ou : « tous les jours renouvelées »2.

Au terme de ce travail, j’éprouve le besoin de clarifier pourquoi je l’ai écrit et ce que son écriture m’a apporté.

Ce texte trouve son origine et s’explique par plusieurs colères :

* La première fut provoquée par la lecture de l’article du Monde sus-cité, le 4 novembre 2004.

* La seconde le fut par la découverte de la loi du 18 mars 2003 « pour la Sécurité intérieure », qui modifie le droit pénal français et pose qu’il est désormais plus grave de violenter, violer, agresser une personne du fait de son ’orientation sexuelle’ que du fait de son ’sexe’ 3.

 * La troisième, dans la suite de la précédente, trouve son expression dans le vote de la loi du 30 décembre 2004 « portant création de la haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité », qui, dans son titre III, intitulé : « Renforcement de la lutte contre les propos discriminatoires à caractère sexiste ou homophobe » :

 - fait du discours de violence et de haine un sous-produit de « discriminations »

 - traite à équivalence « le sexe » et « l’orientation sexuelle »

 - ne concerne que la « provocation à la haine ou à la violence à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes » et non pas l’expression même de cette violence et de cette haine

 - ne fait aucun lien entre la « provocation à la haine ou à la violence » et la mise en oeuvre de cette haine et de cette violence.

 * Ces colères ont encore été renforcées par la lecture de deux articles du « dossier Prostitution » constitué par Afrik.com : « Les nouvelles formes de pornographie africaine » 4et « Lolita : Son calvaire commence à Benin City »5 .

 Que m’a apporté l’écriture de ce texte ?

 Grâce à elle, j’ai mieux compris deux choses :

 - Que ce que je décrivais ici s’inscrivait et dans une pensée - car c’en est bien une - du monde et concomitamment le construisait.

- Que l’abandon - revendiqué comme un titre de gloire et une preuve de progressisme, notamment par une fraction importante de la ’gauche’, - de toute référence aux « principes », aux « valeurs », à la « morale »,à l’ « éthique » était aussi un impératif imposé par la défense des intérêts du système proxénète et de la pornographie.

Que les Etats, les proxénètes, les institutions internationales, la presse se taisent sur la gravité de la pornographie, ne la critiquent que concernant ses supposés « excès », ne la dénoncent que si elle concerne les enfants, ne l’analysent qu’en termes de « vice », de « perversion », d’« obscénité », de « déviation », d’« indécence », de « moeurs » et, dorénavant, la légitiment, sans état d’âme, est compréhensible : ils défendent leurs intérêts. Mais je ne comprends toujours pas comment et pourquoi tant d’hommes et des femmes se targuent de défendre, de vanter le bien- fondé de cette abjection.

Quoi qu’il en soit, le monde aujourd’hui, le monde de demain est aussi celui qui est, ici, vanté, vécu, mis en oeuvre : le monde de « la porno ».

 Tant qu’il sera légitime, tant qu’il sera légal, aucune lutte contre les propos et les actes violents n’aura de sens. M.-V. L.

Dans la pornographie

Les femmes avalent, les hommes décident
Les femmes ont mal, les hommes attaquent
Les femmes obéissent, les hommes recrutent
Les femmes trinquent, les hommes culbutent
Les femmes subissent, les hommes s’amusent
Les femmes attendent, les hommes choisissent
Les femmes gémissent, les hommes ordonnent
Les femmes étouffent, les hommes transpercent

Les femmes sont des trous, les hommes sont sans pitié
Les femmes ont tout de la salope, les hommes, des méga-bites
« La porno est entrée dans les mœurs »

Dans la pornographie

Les femmes sont soumises, les hommes sont les chefs
Les femmes se font mettre, les hommes se font plaisir
Les femmes sont foutues, les hommes y vont en force
Les femmes sont culbutées, les hommes sont bien servis
Les femmes sont très gentilles, les hommes sont honorés
Les femmes éveillent le mâle, les hommes en redemandent
Les femmes sont disponibles, les hommes doivent les mater
Les femmes sont toujours prêtes, les hommes toujours en rut

Les femmes sont des putains, les hommes, des saligauds
Les femmes ont des têtes de connes, les hommes ont des queues d’ânes
« La porno est entrée dans les mœurs »

Dans la pornographie

Les femmes acceptent tout, les hommes ont toujours plus
Les femmes doivent plaire, les hommes doivent les baiser
Les femmes doivent se coucher, les hommes, les bombarder
Les femmes donnent ce qu’elles ont, les hommes, leur dard à sucer
Les femmes sont prêtes à tout, les hommes, toujours prêts à l’attaque
Les femmes ont un corps de rêve, les hommes sont là pour être servis
Les femmes obéissent au regard, les hommes réalisent leurs fantasmes
Les femmes sont affamées de sexe, les hommes le leur donnent à bouffer

Les femmes sont des bonasses, les hommes, des brutes épaisses
Les femmes ont des vagins d’enfer, les hommes, des engins monstrueux
« La porno est entrée dans les mœurs »

Dans la pornographie

Les femmes sont des expertes, les hommes les auditionnent
Les femmes ignorent leur sort, les hommes décident de leur usage
Les femmes doivent être utiles, les hommes sont là pour les dresser
Les femmes font ce qu’elles ont à faire, les hommes ont à en décider
Les femmes se plient aux exigences, les hommes n’en ont jamais assez
Les femmes sont là pour eux, les hommes commandent tout ce qu’ils veulent
Les femmes doivent se montrer très gentilles, les hommes vont devoir les punir
Les femmes prennent une giclée, les hommes les prennent comme un pack de bière

Les femmes sont très dociles, les hommes, des pervers graves
Les femmes ont des grosses miches, les hommes, des matraques toujours dressées
« La porno est entrée dans les mœurs »

Dans la pornographie

Les femmes sont en manque, les hommes remplissent les trous
Les femmes vident les couilles, les hommes forcent les passages
Les femmes sont des garages à foutre, les hommes leur marchent dessus
Les femmes ont droit à être giflées, les hommes ne doivent rien à personne
Les femmes sont mises à quatre pattes, les hommes savent admirer le spectacle
Les femmes avalent ce qu’on leur donne, les hommes les souillent après usage
Les femmes sont traitées comme des bêtes, les hommes se font livrer des putes
Les femmes sentent le sexe, les hommes sentent tout de suite qu’elles aiment ça

Les femmes sont des fourre-tout, les hommes, des machines à baiser
Les femmes ont des langues de putes, les hommes, des gueules de vicieux
« La porno est entrée dans les mœurs »

Dans la pornographie

Les femmes se taisent, les hommes admirent leur harem
Les femmes ne discutent pas, les hommes hurlent pour être entendus
Les femmes pompent, avalent, en silence ; les hommes éjaculent sur elles
Les femmes n’ont rien à dire, les hommes n’ont qu’une parole : ’la ferme’
Les femmes sont des grandes filles, les hommes n’ont pas de compte à rendre
Les femmes lèchent sans broncher, les hommes aiment leur cracher à la gueule
Les femmes ne veulent pas se laisser faire, les hommes n’en ont vraiment rien à foutre
Les femmes ont des paroles de soumises, les hommes les traitent comme leurs esclaves

Les femmes sont des pouffiasses, les hommes, de vrais malades
Les femmes ont des têtes à claques, les hommes, du jus à revendre
« La porno est entrée dans les mœurs »

Dans la pornographie

Les femmes font tout pour du fric, les hommes n’ont peur de rien
Les femmes font des pipes à la chaîne, les hommes, collection d’anus éclatés
Les femmes sont fouillées à fond, les hommes se les échangent après services
Les femmes doivent sucer des pieux, les hommes leur enfoncent leurs engins
Les femmes sont des accros du sexe, les hommes toujours aptes à les satisfaire
Les femmes doivent être calmées après emploi, les hommes, les inonder de foutre
Les femmes avalent les sexes les plus gros, les hommes doivent leur boucher le nez
Les femmes sont prêtes à être défoncées, les hommes enfournent tout ce qu’ils trouvent

Les femmes sont des sales garces, les hommes, des gros cochons
Les femmes ont des gorges profondes, les hommes ont des marteaux piqueurs
« La porno est entrée dans les mœurs »

Dans la pornographie

Les femmes aiment la défonce, les hommes aiment leur faire mal
Les femmes se délectent de sperme, les hommes, de les voir avilies
Les femmes sont fières d’être déchirées, les hommes, de leur cheptel
Les femmes adorent être enfermées, les hommes, jouer les bourreaux
Les femmes séduisent tous les mecs, les hommes méprisent toutes les femmes
Les femmes aiment la brutalité, les hommes font tout ce qui leur passe par la tête
Les femmes raffolent des grosses bites, les hommes savent comment les contenter
Les femmes sont ravies qu’on leur crache dessus, les hommes satisfaits d’eux-mêmes

Les femmes sont des chiennes en chaleur, les hommes, des singes en rut
Les femmes ont des orifices, les hommes ont des fantasmes
« La porno est entrée dans les mœurs »

Dans la pornographie

Les femmes sont ravagées, les hommes rentrent partout
Les femmes bouffent de la merde, les hommes leur pissent dessus
Les femmes sont attachées, les hommes, libres de leurs mouvements
Les femmes sont torturées à sec, les hommes en terminent avec elles
Les femmes sont sans défense, les hommes n’en font qu’une bouchée
Les femmes découvrent leur douleur, les hommes font leur apprentissage
Les femmes ont des culs trop serrés, les hommes, des bâtons trop gros pour elles
Les femmes se tordent dans tous les sens, les hommes apprennent à serrer les liens

Les femmes sont des lécheuses d’anus, les hommes, des bouffeurs de cons
Les femmes ont des boules dans la gueule, les hommes, des instruments de tortures
« La porno est entrée dans les mœurs »

Dans la pornographie

Les femmes sont brûlées à la cire, les hommes les marquent au fer
Les femmes sont évanouies, les hommes continuent leurs ravages
Les femmes sont crucifiées, les hommes ont des désirs de meurtres
Les femmes hurlent de peur, les hommes se délectent de leur jouissance
Les femmes se tordent de douleur, les hommes savent bien les emballer
Les femmes ont les seins transpercés, les hommes enfoncent les aiguilles
Les femmes crient comme des folles, les hommes disent : ’on voit qu’elles aiment ça’
Les femmes sont des bombes, les hommes leur mettent des grenades dans leur vagin

Les femmes sont des déchets, les hommes, des psychopathes
Les femmes sont du sexe, les hommes sont le sexe
« La porno est entrée dans les mœurs »

Dans la pornographie

Les hommes ne perdent pas de temps en préliminaires, bousculent les femmes, histoire de les décider, les prennent, les agrippent, leur tirent les cheveux, les giflent, les frappent, les violent.

Les hommes baratinent, bâillonnent, n’entendent pas, ne répondent pas aux femmes, n’en ont rien à foutre de ce qu’elles pensent, disent, manifestent ou expriment.

Les hommes passent leur temps à leur mettre, leur enfoncer des sexes, des gods, toujours géants, monstrueux, dans tous les trous, toujours plus loin, toujours plus fort ; ils passent en force, martèlent, culbutent les femmes, rentrent partout où ils le peuvent, leur doigt, leur main dans le vagin, dans l’anus, à un, à deux et plus. Plus c’est violent, meilleur c’est.

Les hommes prennent, testent, inspectent, matent, vérifient, enfoncent, plantent, perforent, dilatent les femmes, seuls ou à plusieurs, ensemble, ou à tour de rôle. Plus ils sont nombreux à pénétrer une femme, plus celle-ci est satisfaite.

Les femmes sont clouées au sol, retenues par des chaînes, ont des harnais dans la bouche, sont coiffées de masques à gaz, ont des poids au bout des seins, des lèvres de leur sexe, sont flagellées, subissent toutes les ignominies.

Les femmes poussent des cris déchirants, crient, hurlent, gémissent de terreur, de douleur ou de plaisir, « Peu importe », là n’est pas le problème :« Elles adorent ça, les salopes », « C’est bon pour elles ».

Dans la pornographie

Les hommes attaquent, attachent, bombardent, défoncent, démolissent, détruisent, dressent, éclatent, endommagent, étouffent, explosent, humilient, noient, transpercent, ravagent, souillent les femmes. Jusqu’à ce qu’elles n’en puissent plus. Jusqu’à ce qu’elles soient finies.

Dans la pornographie

Les femmes sont achevées, détruites, massacrées, torturées, assassinées. Les hommes achèvent, détruisent, massacrent, torturent, assassinent les femmes.

Les hommes font faire par d’autres femmes ce qu’ils ne peuvent, ne veulent, n’osent pas faire eux-mêmes.

Dans la pornographie, l’amour, la bonté, la compassion, la culture, l’empathie, la grandeur, la pitié, la pudeur, le respect, la sensibilité, le sentiment, la tendresse, le scrupule n’existent pas.

Il n’y a ni conscience, ni esprit, ni libération, ni loi, ni morale, ni pensée, ni raison.

La pornographie, c’est la barbarie, la bestialité, la brutalité, la cruauté, la force, la grossièreté, la lâcheté, le mépris, la peur, le sadisme, la torture, la violence, la veulerie.

C’est l’expression, le sentiment, la jouissance, la réalité, la mise en œuvre du pouvoir. À la portée de tous. Ouvert aux femmes. Démocratisé.

Dans la pornographie, tout est permis.

La pornographie, c’est le droit du plus fort, c’est la domination du pénis fait arme, c’est la haine, c’est la guerre, c’est la mort 6.
Mises sur le marché.
« Entrées dans les mœurs ».

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Notes de bas de page
1 Cette phrase est le titre d’un article du "Monde" du 4 novembre 2004. Il est inséré dans la page Médias consacrée aux vingt ans de Canal Plus. Présenté sans guillemets ni sous titre, il confère à cette affirmation - reprise d’une citation de Brigitte Lahaie, « ex-star du porno, animatrice sur RMC-Info » reproduite dans le texte lui même - un statut de tranquille évidence.
2 Je me suis exclusivement centrée ici sur les relations entre hommes et femmes. Je n’ai donc traité dans ce texte ni de la pornographie homosexuelle, ni de celle concernant les enfants - sachant que la frontière entre la porno dite adulte et celle qui concerne les enfants est quasi impossible à établir - ni du racisme constitutif de la porno.

3 Cf. Marilyn Baldeck, Catherine Le Magueresse, Marie-Victoire Louis, « Le projet de loi du gouvernement Raffarin ’relatif à la lutte contre les propos discriminatoires à caractère sexiste et homophobe’ est indéfendable » sur les sites de l’AVFT, des Pénelopes, de Sisyphe, de Marie-Victoire Louis.
4 Texte de Arnold Sènou.
5 Propos recueillis par Amely-James Koh Bela, auteure de « La prostitution africaine en Occident ».

6 La première page d’un des sites montre trois photos de jeunes filles, l’une a un revolver dans la bouche, l’autre, un sur la nuque, la troisième en a un sur la tempe, et ce, accompagné de photos de viols et de jeunes filles terrorisées, en pleurs.


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