Parité
 Marie-Victoire Louis

Parité : Quelles stratégies politiques ?

Projets Féministes Nos 4-5
Actualité de la parité
p.221 à 237
Séminaire en neuf rencontres introduit et animé par Marie-Victoire Louis
Séminaire du 6 juin 1995

date de rédaction : 01/02/1996
date de publication : Février 1996
mise en ligne : 07/11/2006 (texte déjà présent sur la version précédente du site)
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Intervenante : Françoise Gaspard

Marie-Victoire Louis.

Avant de donner la parole à Françoise Gaspard qui a proposé, lors de la dernière séance, de présenter un texte concernant la question posée par notre rencontre d'aujourd'hui, je voudrais vous faire part de quelques informations récentes sur la parité.

J'ai participé à une réunion intéressante de la FIDH (Fédération internationale des ligues des droits de l'homme) qui a eu lieu avec le soutien de la Communauté Européenne et de l'UNESCO.

Il s'agissait de rédiger ce qui a été appelé : "Une plate-forme plus", pour tenter de freiner les reculs des textes onusiens devant être débattus à Pékin.
Il est demandé que ce texte - qui ne traite que de certains points qui sont apparus comme particulièrement régressifs de la plate-forme actuelle - soit signé par des associations afin d'avoir le maximum de légitimé à Pékin.
Cette initiative est d'autant plus nécessaire qu'actuellement 35 % des textes devant être discutés - les plus importants - sont actuellement entre crochets, ce qui concrètement signifie qu'ils sont politiquement contestés.

En ce qui concerne la parité, voici le texte de cette "plate-forme plus" :
" Nous réaffirmons...
4) Notre détermination à lutter pour la reconnaissance des droits politiques à toutes les femmes et pour leur participation effective à la construction de la démocratie politique et économique et de la vie civile. Cela implique la lutte pour le renforcement de la présence des femmes dans tous les lieux de prise de décision, en particulier en exigeant l'adoption de toutes mesures, y compris législatives, nécessaires à la mise en oeuvre de la parité dans les fonctions électives et décisionnelles. "

Cette même semaine, j'ai reçu le dernier numéro de la revue de la Ligue des droits de l'homme : Hommes et Libertés N° 82, intitulé : Les pratiques de la démocratie, consacré, par ailleurs, au compte-rendu du dernier congrès de la Ligue à l'occasion duquel Madeleine Reberioux a laissé la place de présidente à Me Henri Leclerc.

Je me permets de vous présenter rapidement ce que j'ai pu lire concernant la parité et plus globalement les droits des femmes.
Le nouveau président évoquant celle qui l'a précédée - qu'il appelle : "Madeleine" - la présente ainsi, après avoir évoqué cependant "son exceptionnelle carrière universitaire" : "Elle a su être une militante exemplaire tout en sachant préserver la chaleur d'une vie familiale refusant d'être une féministe de spectacle mais, affirmant... la nécessaire égalité et mixité des droits". (p.5)
(Brouhahas....)

En ce qui concerne les rapports de pouvoir entre les sexes, la seule référence faite par Henri Leclerc dans son rapport de nouveau président - lequel peut, d'une certaine manière, être considéré comme le " programme" de la LDH pour les quatre prochaines années, en la matière - est la suivante :
"Comment oublier le nécessaire combat pour l'égalité des femmes ?" (p. 7)
Quant à Madeleine Reberioux, dans son rapport moral, elle parle beaucoup voile islamique et, concernant ces jeunes filles, évoque le "libre usage de leur corps et au marché du travail". Cette formulation - par ailleurs difficilement compréhensible - pose, concernant le premier point, en outre un problème politique important. En effet, cet argument du "libre usage du corps" (A distinguer - pour le moins - avec le droit à la propriété de son corps) est, depuis dix ans, l'argument de ceux et celles qui défendent les thèses en faveur de la légalisation du proxénétisme.
Enfin, dans un paragraphe concernant "la défense des droits économiques et sociaux dans les entreprises", Madeleine Reberioux évoque simplement "1'égalité des droits pour les femmes et les hommes, les jeunes et les adultes, les SDF et les RMIstes"...(p. 12)

Mais, poursuivons la lecture de ce numéro.

Dans un article sur "la représentation démocratique", d'Arlette Heyman-Doat, il est simplement fait état que "les femmes sont sous-représentées dans les instances politiques".
Dans un autre, sur "la démocratie représentative" de Madeleine Reberioux, aucune allusion n'est faite à la critique féministe de la démocratie actuelle, ni a fortiori sur la parité.
Dans un troisième enfin sur "la démocratie locale", d'Alain Fourest, rien non plus.

Enfin, dans la synthèse des travaux (du congrès) par Roland Kessous, on peut lire la phrase suivante : "La somme des intérêts particuliers ne conduit pas forcément à l'intérêt général, à plus de liberté et de démocratie. Le populisme, le communautarisme, la xénophobie peuvent résulter de demandes majoritaires. De même que des revendications fortes comme la parité hommes-femmes peuvent aboutir à des résultats contraires aux objectifs poursuivis si l'on confond les fins recherchées (égalité entre hommes et femmes) et les moyens pour y parvenir (imposer la parité). La représentation "identitaire" n'est donc pas obligatoirement la représentation idéale." (p.23).

Après le 70e congrès d'Amiens de la LDH de 1990, intitulé : Les femmes et le droit, après des années de commission femmes, après plusieurs années de débats sur la parité, à la veille de la conférence de Pékin, il m'est apparu important d'évoquer ici les positions actuelles de la Ligue des droits de l'homme concernant l'état actuel de la démocratie en France.

Françoise Gaspard

Pour poursuivre sur les informations, j'ai participé au cours des dernières semaines à trois réunions, dont deux importantes, sur la parité ou dans lesquelles la parité a longuement été évoquée.
L'une était à l'initiative de la Division des droits de l'homme du Conseil de l'Europe, en Finlande. L'exercice était assez amusant : contribuer à la rédaction d'une nouvelle Charte du Conseil de l'Europe.
Il s'agissait de définir, à la lumière de ce qui s'est passé depuis la dernière guerre - dans les termes du Conseil - "une démocratie véritable".
Il y existe un groupe permanent et des expert-es consultant-es sont invité-es pour alimenter la réflexion. La question de la parité a été un des enjeux du débat entre les 16 pays du Conseil.
Les femmes qui font partie du groupe permanent ont constaté, depuis un an, un très net recul par rapport à ce concept de démocratie paritaire élaboré en 1989 par le Conseil de l'Europe et une très grande colère d'un certain nombre d'États.
Dès que le terme parité est prononcé, immédiatement, des délégations protestent en disant qu'elles ne veulent pas en entendre parler.
Les Néerlandais y sont particulièrement hostiles, les Anglais et les Français s'abritent derrière eux. Les autres États laissent faire.
Il y a donc une peur des hommes - en gros - et d'un certain nombre de femmes sur cet enjeu et qui s'exprime politiquement clairement.
D'autres termes de substitution sont proposés: "équilibre", "gender balance"...

Marie-Victoire Louis

... "Parité qualitative"...

Françoise Gaspard

Alors que le mot parité a émergé en France pendant la campagne électorale - sans grand contenu, il faut bien le dire - on constate donc, en Europe, une réaction concernant le mot lui-même, un backlash dont on voit les manifestations dans le cadre de la préparation de Pékin...

Par ailleurs, je suis chargée de préparer une recommandation pour le Conseil des ministres Européen sur le "gender balance", au sein duquel j'ai bien évidemment inclu le mot "parité" dans le texte.
Cette commande est le résultat du dernier Conseil des ministres européen sur les droits des femmes, en avril 1995. Sous la présidence française, Simone Veil a fait passer une résolution sur la question de l'égalité des femmes et hommes dans la prise de décision qui place "l'équilibre entre les hommes et les femmes" comme l'un des objectifs centraux de cette fin de siècle.
La résolution demande à la Commission d'élaborer un texte approfondi sur le sujet. Je rappelle qu'une recommandation n'a pas de portée obligatoire pour les États membres. Elle leur recommande un certain nombre de mesures à mettre en oeuvre et leur demande de fournir périodiquement un rapport à la Commission. Elle a pour but de conduire à une directive qui, doit s'inscrire dans le droit positif de chacun des États.

Il y a donc conjointement des poussées et de reculs...

Et, enfin, récemment au Portugal, j'ai pu aussi constater que le débat sur la parité devient assez vif, surtout depuis que la question est abordée dans les autres lieux que le politique.

Je vais maintenant résumer une communication que j'ai présentée lors d'un colloque sur la démocratie à Albi 1que j'ai un peu reprise et résumée par ailleurs pour Parité-Infos.

La question était de savoir quelle était la place pour les femmes dans les partis politiques.
Comment se fait-il qu'il y ait si peu de femmes élues alors que les femmes sont citoyennes depuis un demi-siècle ? Et qu'il y avait des femmes dans les partis, avant même qu'elles n'aient le droit de vote.
Ainsi dans le mouvement socialiste de la fin du 19ème siècle : des suffragettes, des féministes, comme Madeleine Pelletier, Léonie Rouzade, Hubertine Auclert ont pensé qu'entrer dans les partis est le meilleur moyen pour conquérir des droits égaux à ceux des hommes.
Comment cela se passe-t-il donc dans les partis ?
Y a-t-il des stratégies des hommes pour écarter les femmes de la direction et de la représentation ?
Quelles ont été les stratégies mises en place par les femmes à l'intérieur des partis pour essayer d'avoir des responsabilités et poser d'autres questions que celles traditionnellement traitées ?

J'ai repris, à l'automne dernier, une enquête que j'avais déjà menée sans grand succès pour connaître la réponse à la question: aujourd'hui, en 1995, combien y a t il de femmes dans les partis ? Pour le passé, nous avons très peu d'éléments. Le livre de Dogan et Narbonne2 donne des estimations. Le livre de Maurice Duverger3 également. Mais dans l'un et l'autre ouvrage, les auteurs avouent la difficulté à obtenir des statistiques. Pour les grands partis, le nombre semble tourner entre 15 et 20 % de femmes au lendemain de la guerre.

J'avais donc écrit, en 1992, une lettre pour connaître le pourcentage de leurs adhérentes à tous les partis représentés au Parlement national et au Parlement européen - demande qui m'avait été faite par le réseau "Femmes dans la prise de décision" de la Commission Européenne.
Cette demande avait été doublée d'une lettre aux responsables des commissions femmes, quand elles existaient. Deux partis seulement avaient répondu : le Parti communiste et celui des Verts. Les autres n'ont pas accusé réception.

Une autre étude très intéressante avait été faite en 1991 par l'Union Interparlementaire qui est une vieille organisation qui siège à Genève et qui est un carrefour de tous les éléments. Elle avait mené une enquête auprès des cent cinquante Parlements nationaux qui existaient alors dans le monde sur la place des femmes dans les systèmes politiques des pays considérés.
La France a été pratiquement le seul pays à ne pas répondre à la plupart des questions, ne donnant que le nombre de femmes élues. Il y a donc un silence français sur la question.

Avant le colloque d'Albi, j'avais pris mon téléphone pour renouveler l'expérience. C'était assez amusant parce que l'on me transportait d'un service à l'autre sans pouvoir répondre à ma demande.
À la seule exception des Verts qui donnent des informations très précises et possèdent un listing qui mentionne le sexe des membres du parti. J'ai appris aussi que les chiffres qui m'avaient été donnés par le P.C, il y a deux ans n'étaient que des estimations, à partir de quelques grosses Fédérations. Il n'y a donc pas d'habitude de recensement, de comptage des femmes dans les partis.

D'après mes estimations, le pourcentage des adhérentes tourne, en moyenne, autour de 30 %.  Il semble aussi qu'il y a un turn-over beaucoup plus important de femmes que d'hommes. Les femmes adhèrent mais, très vite, ne supportent pas ce qu'elles trouvent dans le parti et elles s'en vont. Il y a donc beaucoup plus de femmes qui sont passées par les partis qu'il n'y en a, à un moment donné.

Comment expliquer ce phénomène ?

On a essayé d'expliquer cela par l'histoire : les femmes sont entrées plus tardivement dans la citoyenneté. Elles auraient donc à combler un retard.
Il me semble que l'une des difficultés auxquelles se heurtent les femmes c'est qu'elles continuent - même après le droit de vote - à arriver dans des organisations où les règles du jeu, les rites, ont été établies avant qu'elles n'y soient. Autant donc sur les heures des réunions que sur les formes de prises de paroles, il y a un jeu déséquilibré.
La vie dans un parti politique ressemble beaucoup à un club, une sorte de franc-maçonnerie où les hommes ont appris à vivre entre eux.

Ainsi, s'il y a 30 % des femmes, à la base, elles disparaissent dans tous les partis, quand on arrive vers le sommet. Le P.C compte 23 % de femmes dans son Bureau national, qui est son parlement, mais seulement 14%  dans un Secrétariat national de 7 membres.

Au printemps 1994, le P.S n'avait plus du tout de femmes dans son Secrétariat national et 26 % dans son Bureau national. Au P.S, d'ailleurs, on multiplie les échelons et plus les échelons sont nombreux, plus les femmes ont de chances de disparaître à l'échelon le plus élevé.

Le RPR a une assemblée de 45 membres - qui s'appelle le Bureau Politique - dans lequel il n'y a que trois femmes. Dans la direction nationale, il n'y en avait pas du tout.
Au Parti républicain, il y a 10 % de femmes dans son parlement et aucune dans la direction nationale.
Il n'y a que chez les Vert-es que l'on trouve la parité absolue.
Il y a même actuellement une femme de plus que d'hommes dans la direction.

Ginette Lemaitre

Ils disent qu'ils ont beaucoup plus de mal à trouver des femmes à l'échelon moyen.

Françoise Gaspard

Le pourcentage de femmes chez les Vert-es, à la différence des autres partis, est d'autant plus important que l'on va vers le sommet. Il y a plus de femmes au sommet qu'à la base.

Une autre chose qui m'avait intéressée et qui mériterait une étude plus approfondie est la suivante. Philippe Seguin (Président de l'Assemblée Nationale) à l'occasion du cinquantième anniversaire du droit de vote des femmes a publié un "trombinoscope" des femmes élues depuis 1945. Le même document n'existe malheureusement pas pour le Sénat.

Il y a en a eu, de 1945 à 1993, 178 députées. Je ne suis pas encore arrivée à avoir le nombre d'hommes élus en comparaison, car les chiffres qu'on m'a donnés sont construits en multipliant le nombre d'élus par le nombre de législatures. J'estime que ce chiffre d'hommes doit avoisiner les 5.000. Ce que l'on peut noter, c'est qu'à la différence des hommes, les femmes ne font pas de carrière.
Trois femmes seulement ont accompli plus de 20 ans de mandats. Marie-Madelaine Dienesch est celle dont la longévité politique est la plus élevée (23 ans). La plupart des femmes font un ou deux mandats.
Le système du / de la suppléant-e a certes fait entrer quelques femmes de plus; mais le député titulaire se représente, généralement, à l'issue du mandat terminé par sa suppléante. Il n'y a que quelques rares cas de femmes qui ont repris sa place, parce que le député était mort, ou qu'il avait d'autres fonctions. C'est le cas de Denise Cacheux, par exemple. Celles que j'ai rencontré m'ont dit qu'elles n'avaient pas eu envie de se représenter ; alors que les hommes considèrent le mandat électif comme un métier, une carrière. Il y a aussi une logique de la revanche que les femmes ne semblent pas vivre de la même façon.

Deuxième question : Est-ce que les hommes mettent en oeuvre des stratégies pour écarter les femmes de la désignation à la candidature, comme du sommet ? Je ne pense pas que l'on puisse parler en termes de stratégies élaborées. Malgré tout, on voit un certain nombre de phénomènes qui sont en oeuvre dans tous les partis et qui fonctionnent de la même façon. Le premier - c'est la règle générale, sauf lorsqu'il y a des poussées de féminisme dans la société - les hommes disent qu'ils considèrent les femmes comme des hommes. Et donc que des règles particulières ne sont pas nécessaires. Il y a une très belle lettre d'Henri Emmanuelli à Odile Krakovitch, lorsque nous avions protesté l'année dernière sur l'absence de femmes au Secrétariat national, où il disait : " J'ai toujours estimé que les idées m'importaient davantage, parce qu'elles participaient au progrès et à la justice que parce qu'elles émanaient d'une femme ou d'un homme".

Marie-Victoire Louis

…ce qui signifie donc que les [idées des] femmes ne sont pas bonnes puisque le PS ne les choisit pas.

Françoise Gaspard

On constate aussi une tendance à instrumentaliser les femmes. Cela a été le cas dans l'entre-deux-guerres, lorsque les partis se sont rendu compte qu'à un moment ou un autre, il y aurait le suffrage universel. Ils ont eu vraiment peur du vote des femmes.
L'une des stratégies a été de créer des associations féminines à l'extérieur du parti, mais contrôlées par les femmes du parti. Cela a été le cas du MRP, avec l'UFCS et l'Association Générale catholique. On met les femmes entre elles et on essaye de faire passer des messages politiques. Ce fut aussi le cas de l'UFF (Union des Femmes Françaises) qui fêtait son cinquantième anniversaire cette année, qui est issue des Jeunes filles de France créées par le PC en 1936. Et cela a été aussi le cas de Femmes Avenir crée dans l'orbite du gaullisme en 1947.

En revanche, le PS n'a jamais eu ce type d'organisation, et, comme pour les jeunes, a toujours eu peur des mouvements qui n'étaient pas véritablement contrôlés par le parti où il puisse y avoir des personnes qui ne soient pas encartées. Il est assez amusant de voir que le PS, en 1992, s'est réveillé très tard et ce, à un moment où il n'y a plus de grands mouvements sociaux, en disant qu'il serait peut-être utile d'aller chercher des femmes ailleurs que dans le parti, pour les amener au socialisme. À l'occasion de la création de l'Assemblée des femmes, il y a eu un débat difficile parce que la direction ne voulait pas créer une organisation de femmes dans laquelle on n'était pas obligées d'être adhérentes. La décision a été prise par la direction, mais à la condition que la direction de ce mouvement ne soit composée que de femmes socialistes, et cette, à la proportionnelle des courants existants.

En sus de cette instrumentalisation, une autre stratégie a été mise en place. Lorsque les femmes bougeaient dans la société, il y a eu la création à deux reprises, en 1947-1948 au RPF, comme plus tard au Parti Socialiste, de "commissions femmes", qui disparaissent lorsque le mouvement féministe retombait. Ces commissions renaissent dans le milieu des années 70, dans toutes les formations. Et, à la différence d'autres commissions, elles sont toujours étroitement contrôlées. Ainsi, les convocations qu'elles envoient doivent être contresignées par un membre de la direction ; c'est le cas à la SFIO et au RPF. Et elles n'ont en général pas ou très peu de moyens financiers.
Comme Denise Cacheux l'a bien expliqué lors de la dernière réunion, il fallait que ces commissions fournissent aux leaders des argumentaires pour les campagnes. Et des éléments pour "attraper" le vote des femmes.

Comment les femmes ont-elles réagi ?
Pourquoi, ne se sont-elles pas révoltées ?
Pourquoi n'ont-elles pas réussi à dépasser ce "plafond de verre" qui explique qu'il existe ainsi un quota d'hommes au Parlement ?

J'ai tenté de faire une typologie des stratégies qui ont été mises en place par les militantes féministes.
La première - on la rencontre dans les périodes où le système politique est affaibli ou dans les périodes de renouveau - c'est de prendre contact avec des femmes d'autres partis politiques. Elles essaient de faire quelque chose ensemble, dans l'intérêt des femmes. Il y a eu plusieurs tentatives de ce type. Par exemple au lendemain de la guerre, alors que les partis ne sont pas encore recomposés, restructurés et que l'idéal de la Résistance est toujours présent. Les femmes élues viennent toutes de la Résistance. Pendant quelques mois, elles déposent, ensemble, des propositions de lois. Ce fut le cas de la proposition de loi qui ouvre la magistrature aux femmes et qui est signée par des femmes qui viennent du P.C, de la SFIO et du MRP.
Ces jonctions ont laissé peu de traces ; on en trouve quelques éléments dans la thèse de William Guéraiche.
Il faut noter qu'il est très rare dans la vie parlementaire de trouver de textes signés par des député-es de plusieurs formations.
On trouve d'autres exemples de ce type de stratégie. Au Sénat, d'après ce que m'a dit Marcelle Devaud, les femmes se réunissaient entre elles, se voyaient, travaillaient ensemble. En 1947, des sénatrices ont tenté autour de Marie-Hélène Lefaucheux (MRP) et de Gilberte Brossolette (SFIO), du MRP au PC, de former un intergroupe parlementaire. Cela n'a duré que quelques mois. La SFIO est venue récupérer "ses" femmes arguant que l'on ne pouvait pas "frayer" avec l'adversaire. C'est une attitude que l'on va retrouver ; dès que des femmes se réunissent venant de différents partis, elles sont rappelées à l'ordre par leur direction au nom du "patriotisme" de parti.

Ces tentatives recommencent en 1960, dans le contexte de la guerre d'Algérie, où des élues fondent un Comité féminin de la gauche démocratique qui rassemble autour de Marcelle Kremerbach (radicale), Irène de Lipowski (gaulliste) et Jeannette Brutel (socialiste). Mais ces initiatives font généralement pas long feu.

J'ai personnellement vécu cela. Au moment de l'aventure du courant 3 du PS des dîners ont réuni des femmes du PS et des femmes de droite (S.Veil, M. Pelletier...), des femmes du PS, et des communistes. J'ai été convoquée par François Mitterrand qui avait eu vent de ces rencontres et qui avait eu cette formule extraordinaire : "Mais, au nom de qui négociez-vous ? ".La question montrait que ce que le premier secrétaire du PS redoutait que des femmes fassent de la politique, sans détenir un mandat de leurs chefs...

La deuxième stratégie des femmes pour sortir de leur grande misère dans les partis a été l'auto-organisation des femmes à l'intérieur de leur organisation. Je ne reviens pas sur le courant 3, sauf pour dire que les raisons de l'échec de ce courant à l'intérieur du PS a été l'épuisement, à la fois physique et affectif, parce qu'on s'use dans ce type de luttes, on en prend plein la tête.

Les autres stratégies sont celles qui sont menées par des femmes qui ont envie de faire de la politique, mais qui, ou bien sortent du parti parce qu'elles s'y sentent mal, ou parce qu'elles s'en sentent exclues, n'ont jamais voulu mettre les pieds dans un parti, parce qu'elles ont une répugnance à leur égard, c'est de tenter de fonder un parti de femmes, féminin, féministe.

La première tentative date de 1945. Marcelle Devaud et Irène de Lipowski projettent de créer un parti des Françaises Libres. Elles n'y parviennent pas.
Dans les années 60 au sein du Comité féminin de la gauche démocratique dont j'ai parlé plus haut, certaines femmes nourrissent aussi l'idée de former un parti qui ne verra jamais le jour. Mais on possède un certain nombre de documents préparatoires à la création de ce parti.
Dans les années 70, un front féministe voit le jour autour de Suzanne Blaise et de Claire Jourdan. II tente de rassembler des femmes de diverses opinions politiques. Très vite cet embryon de parti échoue en raison justement de ces divergences.  Finalement, Suzanne Blaise crée le Parti Féministe Unifié, qui se situe à gauche. II ne s'imposera jamais sur la scène politique.
Un parti vient de se créer, le parti des femmes dirigé par Françoise Champetier de Ribes, avec Jeanne Vidal et un autre serait en gestation, avec Geneviève Pastre.
En tant qu'historienne, ce que l'on peut voir c'est que tous ces partis ont été des échecs.

Monique Minaca

Des épiphénomènes... Pour l'instant...

Françoise Gaspard

La dernière stratégie que j'évoquerai, ce sont les listes de femmes ou des candidatures féminines sur une base féministe à des élections.
En avril 1945, il y a eu des listes composées uniquement de femmes. Et, on voit réapparaître des avatars de cette stratégie, à chaque municipale.
En 1978, c'est l'opération de Gisèle Halimi, où des femmes se sont présentées dans une quarantaine de circonscriptions.
On a revu cela lors des Régionales de 1992, avec deux listes femmes, l'une à Marseille, soutenue par Antoinette Fouque, l'autre en Alsace : "Femmes d'Alsace" totalement indépendante qui a franchi la barre des 5 % qui permet d'avoir une élue.

Pour conclure, je dirais que les femmes se sont beaucoup "démenées". Elles ont témoigné de leur volonté de faire de la politique, de participer à la direction des partis. Mais pour reprendre l'expression de Christine Bard, qu'elle-même reprend à Marc Bloch : on constate que, malgré cette énergie, il y a "une étrange défaite des femmes en politique".
Les stratégies et les tactiques ont globalement échoué depuis un demi-siècle.
La revendication de parité peut être vue comme une issue à ces problèmes.
Demander l'égalité absolue, c'est d'abord faire émerger la rareté des femmes...

À cet égard, Madeleine Pelletier a écrit un article, absolument ordinaire, écrit en 1908, il s'appelle : "La tactique féministe"4 paru dans la Revue Socialiste5, qui est, par ailleurs, le seul article à propos duquel précisé que les propos n'engageaient que leur auteur.
(Rires...)
Et dans cet article, on voit ses qualités d'observation de sociologue, de politologue. Elle explique aux femmes comment il faut faire : c'est d'abord de s'engager dans les partis ; c'est, ensuite, de créer un grand mouvement féministe, à côté...
Parce que, dit-elle, s'il n'y a pas l'un et l'autre, on n'y arrivera jamais. Et elle explique aux femmes qui rentrent dans les partis comment elles doivent faire ; ce quelles doivent dire, comment elles doivent parler, dans quel courant il faut aller, minoritaire ou majoritaire.
La lire aujourd'hui, c'est un guide ...

II y a cependant une faiblesse dans ce papier, c'est que, à aucun moment, elle ne songe à changer la politique. Elle la prend comme elle prend comme elle est. Et, en particulier, elle dit que l'une des difficultés pour les femmes dans les partis, c'est que c'est un champ de bataille dont l'arme est la parole. Donc les femmes doivent apprendre à parler comme les hommes.
Mais elle ne songe nullement à une transformation du jeu.

Je parlais, au début, de la rage que suscite la parité aujourd'hui dans un certain nombre de réunions internationales. Le sentiment que j'ai, c'est que ce que sentent sûrement, confusément, les hommes, c'est que dans les réunions, les directions, les assemblées, où il y aurait la parité, il faudrait changer un certain 6

Nombre de règles du jeu. Peut-être pas dans un premier temps où ce seraient les hommes qui choisiraient les femmes, mais, à terme, en raison du nombre, il y aurait certainement des transformations qui se produiraient et que les hommes dans leur ensemble redoutent. Il y aurait aussi des questions qui seraient mises à l'agenda politique, qui n'y sont pas aujourd'hui.

De fait, on assiste à travers cette résistance vis-à-vis de l'entrée des femmes dans les partis à un réflexe conservateur des dirigeants, en règle générale et des politiques en particulier, qui ne veulent pas que les choses changent, qui ne veulent pas changer leurs habitudes. Des questions qui sont de l'ordre du privé émergeraient peut-être. Or elles sont de nature à remettre en cause la séparation entre le public et le privé.7

Marie-Victoire Louis

Juste un point concernant Madeleine Pelletier : si elle ne songe à changer les règles du jeu, c'est aussi parce qu'elle attendait, dans vision très messianique, tout ou du moins beaucoup de "la Révolution".

Par ailleurs, je pense profondément que l'une des résistances à la parité, c'est que les femmes en entrant massivement en politique risquent de dévoiler ce qui est considéré aujourd'hui comme "privé".
Et comme chacun sait, il n'y a pas de grand homme pour son valet de chambre

Ginette Lemaitre

La question à se poser, c'est pourquoi ces femmes politiques penchent toujours du côté des hommes et pourquoi elles partent sans laisser de traces, de structures derrière elles.
Je n'ai pas vu les mécanismes de résistance de ces femmes, par rapport à la société masculine, à laquelle nous participons.

Françoise Gaspard

Le fratriarcat, ça existe. Et nous trouvons relativement peu cela chez les femmes.

Mariette Sineau

On ne peut pas psychologiser…
J'ai fait des interviews de femmes communistes, députées ou sénatrices, qui ont eu leur bâton de maréchal âgées et qui ont été complètement instrumentalisées par l'Union des Femmes Françaises (U.F.F.).
Elles étaient, à l'époque, complètement aliénées - ce sont elles qui le reconnaissent. Mais elles étaient contentes, c'était des lieux d'apprentissage politique pour elles ; elles ont obtenu des fonctions dirigeantes au sein des ces groupes, et tout ceci, sans voir que le parti les avait exclues des fonctions de pouvoir pendant des années. C'est seulement sur le tard que leurs yeux se sont dessillés, lorsqu'elles ont vu combien le pouvoir était ailleurs et qu'on leur avait donné un os à ronger. C'est comme cela que cela fonctionne, en réalité. Et, dès que quelques minoritaires veulent ruer dans les brancards, elles n'ont pas les moyens de leur politique.
Toute stratégie est vouée à l'échec tant que le rapport de pouvoir ne sera pas inversé au bénéfice des femmes.
II ne faut pas dire : les hommes sont méchants. Il s'agit de dire que le pouvoir est du côté des dominants, qui sont bien des hommes.

Marie-Victoire Louis

Il faut aussi être bien conscientes que les hommes ont, en tant que tels, des intérêts phénoménaux à défendre. Et la question essentielle est de savoir comment nous pouvons nous donner les moyens de créer un rapport de forces alternatif.

Mariette Sineau

Ce que tu viens de dire me gêne un peu. Que veut dire ce "nous" ? Tu parles en tant que militante d'association ou dans le cadre du devenir du séminaire ?

Marie-Victoire Louis

C'est un "nous" tripal, un "nous" féministe. Mais tu as raison, on ne devrait jamais employer ce mot sans préciser à quel titre on parle et de qui on parle. Et je suis d'autant plus d'accord avec ta critique que je pense que cette impossibilité de définir le "nous" est au coeur de tous les blocages théoriques et politiques féministes.8

Évelyne Serdjenian

Est-ce que Françoise Gaspard peut nous dire ce qui s'est passé lors des dernières élections ?

Françoise Gaspard

II faut noter que presque toutes les têtes de listes éprouvent le besoin de dire : "Je ne suis pas tout à fait arrivé à la parité, mais...", sur un mode de justification. Il y a eu dans beaucoup d'endroits, notamment les petites communes, il y a eu un effort important pour "prendre" des femmes. Le nombre d'élues a sûrement beaucoup plus augmenté que le nombre de femmes maires. Et dans différentes régions, des femmes se sont organisées (Rhône-Alpes, Dijon, Bordeaux) ; des associations se sont réunies, ont fait des conférences de presse et ont envoyé des courriers à toutes les têtes de listes, sur la nécessité de la parité.
Nous allons faire une revue de presse de tout ce qui a été fait, notamment par l'intermédiaire de l'association Demain la parité. Cela ne s'est pas vu au niveau national, mais beaucoup de choses se sont passé au niveau local.

Ginette Lemaitre

Je suis sur Montreuil. Sur la liste des Verts, trois hommes étaient en tête de liste. En fait, il y avait beaucoup de femmes, mais elles ne voulaient pas être sur la liste dans les conditions où elle a été présentée. Et là j'ai vraiment compris les mécanismes de l'exclusion des femmes. Comme leurs conditions n'ont pas été prises en compte, elles sont toutes parties. Et alors, les hommes pouvaient dire : "On ne trouve pas de femmes"...

Monique Minaca

À Meudon, où il y a une grande bagarre droite / gauche, même la droite a mis des femmes sur leurs listes ; elles sont presqu'à la moitié, mais elles ne sont pas bien placées, c'est-à-dire pas dans les 10 premières. À gauche, au P.S, ce n'est pas vraiment paritaire. Et nous avons fait une liste extérieure - je suis 9 ème sur la liste -, à la tête de laquelle il y a une femme, Régine St Cricq, composée de 27 femmes sur 43 noms.

Odile Krakovitch

Je voudrais poser une question : "Jusqu'où on peut aller dans la concession ?"
Et je prendrais comme témoignage Garches. II y a eu un grand progrès, en ce sens que la parité de la liste a été exigée à l'intérieur du P.S. et ce, à la demande des hommes. Je n'ai pas eu besoin d'insister. Du coup, notre maire s'est excusé, lui, de n'avoir que 30 % de femmes. Le problème, c'est que le PS a noyé le poisson en ne présentant qu'une femme (sur 5) parmi les éligibles. Jusqu'où faut-il faire scandale et démissionner ?
(Brouhahas)

Françoise Gaspard

En Finlande, les femmes aux dernières élections législatives sont passées de 39 % d'élues à 33 % du Parlement. Ce qui provoque une agitation dans le pays. Les femmes élues ont eu alors une loi sur les quotas : 40 % pour tous les conseils et comités consultatifs. Mais elles vivent très mal ce recul.
Tous les partis, sauf un petit parti, avaient participé à la publication d'une affiche qui disait que la victoire pour la Finlande serait qu'il y ait 101 femmes élues. (II y a 200 député-es)
Pour elles, il y a deux conditions pour parvenir à l'égalité : la solidarité entre femmes des différents partis, et entre femmes des partis et en dehors des partis.
Leur analyse était aussi que les femmes des partis s'étaient coupé des mouvements de femmes.

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Notes de bas de page
1 Paru dans : Démocratie et représentation (sous la responsabilité de Michelle Riot-Sarcey), Paris, Kimé, 1995,
2 Dogan et Narbonne. - Les Françaises face à la politique. - Paris: Armand Colin, 1955.
3 Duverger Maurice. - La participation des femmes à la vie politique. - Paris: Unesco, 1955.
4 Pelletier Madeleine. "La tactique féministe". - La Revue Socialiste. Avril 1908. p.318 à 333.
5 Note de l'Éditrice. Voici quelques phrases clés de cet article qu'il faudrait publier intégralement. [Ajout. Octobre 2006. Ce texte est dorénavant lisible sur le site]

P. 319 : La suffragiste n'a pas qu'à donner à un parti, elle a aussi beaucoup à en recevoir. Il ne pas se dissimuler que la plupart de nos adeptes sont en politique d'une ignorance presque cornplète.

 P. 320 : Au parti socialiste, en pratique, la femme qui vient au bras de son mari, de son père son frère est accueillie sans objection.

P. 322 : En politique plus que partout ailleurs, il faut, pour être considéré des autres, savoir se considérer soi même...

Si on élimine les femmes, ce n'est pas parce qu'on les redoute, c'est parce qu'on les dédaigne. Leur tâche doit donc être de s'affirmer le plus possible afin de faire éclater aux yeux de tous qu'elles ne méritent pas le dédain...

P. 322 : (Certaines), dès leur entrée dans les partis, se répandent en récriminations contre l'injustice des hommes à l'égard des femmes. Critique-t-on le fonctionnement d'un rouage social quelconque  que, vite, elles s'empressent d'affirmer que tout le mal vient de ce que la collaboration féminine repoussée. Enfin, elles croient n'avoir rien de mieux à faire que de caser leur féminisme à propos de tout. Hâtons-nous de dire que ce point de vue ne vaut pas mieux que la précédente (attitude timorée) ; car s'il est indispensable d'affirmer sa personnalité, il ne faut pas vouloir substituer son point de vue, surtout lorsque le point de vue est visiblement tendancieux, d'un point de vue général.

P. 323 : Dès que l'égalité sexuelle sera conquise, la femme, au combat de la vie, contractera dureté de coeur, apanage jusqu'ici de l'autre sexe. Frappée, elle frappera, blessée, elle blessera, liée, elle spoliera. Ce n'est. n'est pas sur l'allégation d'un bien social plus grand que doivent s'appuyer les revendications sociales féminines, leur justification n'a pas besoin d'être recherchée en de d'elles; elles la portent en elles-mêmes.

P. 323 : Dès son entrée dans le parti, la suffragiste ne devra avoir de cesse avant... d'être pris considération, compter pour quelque chose, en un mot, être une force. La tâche ne sera pas aisée étant donné que les hommes mettent tout en oeuvre pour éliminer les femmes...

P. 324 : Dans un groupe politique, qui ne parle pas n'existe pas.

P. 325 : Quant au féminisme, on n'en parlera peu; et surtout, on n'en parlera pas hors de propos. Que l'on s'attache avant tout à être un bon militant, un membre dont l'opinion compte; on  acquerra par suite que plus d'autorité pour défendre les revendications spéciales à son sexe. Il va de soi néanmoins que si le féminisme vient en discussion, la militante doit le soutenir et de toute énergie. Sous aucun prétexte, une féministe ne doit préférer le parti, dans lequel elle est entrée au féminisme lui-même, car si elle sert le premier, elle appartient au second et rien qu'à lui.

6 P. 326 : ( Pour choisir une tendance), que devra-t-elle faire? Agir selon le plus grand intérêt du féminisme et, pour ce faire, aller à la tendance qui l'accueillera le mieux. Si on se sent peu renseignée, si on est timide, ou si on ne s'exprime pas aisément en public, on fera bien, toutes choses égales d'ailleurs, de se ranger du côté de la majorité ; car on se trouvera fortifiée de sa force; la militante ne brillera pas, mais pourra, au besoin, trouver de l'appui soit pour elle-mêmes, soit pour le féminisme. Si, au contraire, on croit à son talent, il sera préférable d'aller à la minorité ; car l'antiféminisme du groupe ferait que la majorité négligerait de vous apprécier et que vous resteriez dans l'obscurité. La minorité, au contraire, surmontera ses répugnances et fera appel à notre adepte qui pourra acquérir ainsi très vite une certaine influence dans l'organisation. Tout cela n'est vrai qu'en général... (Et) dans le choix d'une tendance, on devra, toutes les fois que possible, en référer à son opinion et surtout ne pas aller contre elle, car on perd le plus clair de ses facultés lorsqu'on les fait agir en contradiction avec sa pensée.

P. 326 : La grande affaire n'est pas de convaincre, mais de vaincre : une assemblée politique n'est pas une académie, c'est une bataille.

P. 328 : Que nos adhérentes se disent bien, une fois pour toutes, que celui qui prétend assurer le rôle de promoteur des lois et des moeurs doit faire passer sa raison au premier plan et refouler au dernier des sentiments résultant d'une éducation reçue de personnes qui n'avaient pas les mêmes responsabilités.

P. 328 : La militante ne doit pas seulement se demander où est le bien, mais, où est la plus grande somme de bien. Elle comparera donc la petite somme de bien pouvant résulter de sa moralité individuelle, à la somme beaucoup plus grande apportée par le succès de la cause féministe et elle n'hésitera pas. Elle sacrifiera la morale au triomphe de cette cause.

P. 329 : La militante doit savoir que la rapidité est souvent tout le secret du succès. Cette rapidité est facile à acquérir, car elle est faite, avant tout, de l'inertie de l'homme...

P. 330 :La militante ne ménagera pas sa peine, elle se souviendra qu'il vaut mieux avoir fait un effort inutile que d'être, par sa négligence, cause d'un échec... Mais tout en étant rapide, il faut être prudent. Tous les préparatifs doivent se faire dans l'ombre, l'adversaire ne doit pas les voir ; il faut tomber sur lui à l'improviste et le vaincre avant qu'il ait eu le temps de se reconnaître.

7 Suite et fin :

P. 330 : Une collectivité, surtout une collectivité de culture médiocre, telle que les organisations politiques est essentiellement versatile. Sans le moindre amour-propre, elle défait le lendemain ce qu'elle a fait la veille et le refait le surlendemain. Cependant les résolutions prises impressionnent quand même en quelque mesure, il ne faut donc pas les négliger.

P. 331 : On a objecté à notre tactique le manque de loyauté. La militante ne doit pas s'embarrasser de ce reproche ; d'autant plus que la plupart des politiques, ou plus généralement des personnes agissant en collectivité, pratiquent tout ou partie des conseils que nous avons donnés dans ce travail. La supériorité de nos adhérentes tiendra seulement à ce qu'elles font consciemment ce que les autres font d'instinct ; ses résultats en seront meilleurs, mais la tactique des autres pour en donner de moindres, n'en sera pas plus morale... P. 332 : L'homme comme la femme d'action doit faire passer le triomphe de ses idées avant toute autre considération quelle soit-elle; si, par de vains scrupules, on compromet la victoire de ses convictions, c'est qu'on n'en a pas de sérieuses.

P. 332 : Il ne faut pas craindre d'être taxée d'ambition.

8 Cf. Louis Marie-Victoire. - "Éléments pour une critique du rapport des féministes au pouvoir", in La démocratie "à la française ", ou les femmes indésirables. - Paris: Publications de l'Université Paris VII. Denis Diderot. Sous la direction d'Éliane Viennot. Janvier 1996.

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