Parité
 Marie-Victoire Louis

Comment obtenir la parité ? Périodisation, méthodes et stratégies

Projets Féministes Nos 4-5
Actualité de la parité
p. 82 à 93
Séminaire en neuf rencontres introduit et animé par Marie-Victoire Louis
Séminaire du 10 janvier 1995

date de rédaction : 01/02/1996
date de publication : Février 1996
mise en ligne : 07/11/2006 (texte déjà présent sur la version précédente du site)
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Marie-Victoire Louis

Les trois personnes qui devaient parler aujourd'hui ne sont malheureusement pas là : Maya Béchard qui a été responsable de la publication du Manifeste des 577 pour une démocratie paritaire paru dans Le Monde du 10 novembre 1993 a été retenue par une "charrette" professionnelle et s'est excusée hier. Je l'avais notamment invitée après avoir lu une phrase où elle affirmait : "La parité est un enjeu global de citoyenneté et pas seulement une problématique féministe" qui me paraissait bien poser le problème que nous devons évoquer aujourd'hui.
Gisèle Halimi est au lit avec une forte fièvre et s'est excusée de ne pas pouvoir être parmi nous.
Et Yvette Roudy. qui a mal compris l'heure et s'excuse auprès des participantes. 1
Nous allons donc discuter, sans préparation, entre nous.

Mais auparavant, je souhaitais vous lire - d'autant que Françoise Gaspard n'est pas là -la déclaration à l'AFP qu'elle a diffusée pour expliquer son choix de refuser la légion d'honneur. D'une part, parce que cela me fait plaisir, car je trouve que c'est un beau texte; d'autre part, parce qu'elle a explicitement posé le lien entre son refus et la revendication de parité et, qu'enfin, seule La République du Centre l'a publié intégralement, tandis que les autres journaux, une fois encore, ont déformé le sens d'une prise de position féministe.

La voici : "J'ai appris par la presse que j'avais été "élevée" au grade de chevalier de la légion d'honneur. Je n'ai pas sollicité cette décoration. Je n'ai pas été informée du fait que l'on entendait me l'attribuer. J'ai toujours été, en ce qui me concerne, allergique aux médailles. Quels mérites a-t-on voulu récompenser ? Mes travaux scientifiques sont modestes. La lutte contre l'extrême droite, à laquelle je suis associée avec beaucoup d'autres, n'a sans doute rien à voir avec cette affaire. Il y aurait quelque qu'incohérence dans la distribution de la légion d'honneur si l'on avait voulu me la décerner pour cette raison. Mon successeur à la mairie de Dreux qui s'est singularisé en faisant alliance avec le Front National vient en effet de se voir remettre la croix de chevalier par Charles Pasqua lui-même.
Je ne pense pas non plus que la bataille dans laquelle je suis engagée en faveur de la parité des femmes et des hommes dans les assemblées élues soit à l'origine de la distinction qui m'échoit.
Je me demande en fin de compte si ce n'est pas parce qu'il faut bien que figure dans chaque promotion au moins quelques femmes que mon nom a surgi. Au dernier moment, peut-être. Lorsque l'on s'est aperçu, une fois de plus que l'on avait oublié que des femmes, aussi, méritent de la République.
Je n'entends donc pas recevoir cette décoration, pour le moment, en tout cas.
J'accepterai qu'on me la remette lorsqu'une promotion de la légion d'honneur comportera, au moins, autant d'hommes que de femmes."

Mariette Sineau

La presse n'avait pas évoqué le passage sur l'extrême droite.

Marie-Victoire Louis

Voici, mis en regard, la présentation tronquée de Libé, du 3 janvier : "Françoise Gaspard, 49 ans, ancien maire socialiste de Dreux ne veut pas de sa Légion d'honneur. Promue chevalier, le 1er janvier, elle a expliqué qu'elle "n'entendait pas recevoir cette décoration, du moins pour le moment" d'autant qu'elle a "toujours été allergique aux médailles". "Quels mérites a-ton voulu récompenser" s'interroge Françoise Gaspard, maître de conférence à l'École des hautes Études."

Quant à l'article du Monde du 4 janvier, encore une fois particulièrement misogyne, il se termine ainsi : "D'autres femmes, avant elle, se sont montrées réfractaires : Georges Sand, de peur d'avoir l'air d'une vieille cantinière".

Mariette Sineau

C'est scandaleux, parce que le côté politique est complètement gommé, effacé.

Anne Le Gall

Il faut aussi noter que Le Monde n'a citée, comme publication, que son livre : "Une petite ville en France", sans évoquer : "La fin des immigrés", ni celui - en collaboration - sur la parité.

Éliane Viennot

Pour lancer le sujet du séminaire d'aujourd'hui dont les intervenantes sont toutes absentes : comment obtenir la parité ? je voudrais évoquer la question du mouvement social nécessaire pour imposer les réponses institutionnelles.
Les avancées institutionnelles sont toujours le résultat de ce qui passe dans la société. Ce que nous avons eu en 1981, avec l'arrivée de la gauche au pouvoir, est le résultat d'années de luttes, tandis que la dégradation que nous observons est liée à notre silence et à l'état des luttes dans la société, même si beaucoup de choses se passent cependant.

Au niveau national, comme à celui de la mobilisation des femmes, celle-ci n'est plus visible depuis pas mal de temps. Et c'est normal que tout cela se dégrade. Je ne pense pas que s'agiter... C'est bien que tous les gens qui peuvent s'agiter, qui ont un petit pouvoir, qui peuvent faire des pressions, le fassent. Mais, sur le fond, cela traduit un rapport de forces qui est réel. Et on a besoin, à nouveau, si on veut vraiment lutter contre toutes ces reculades, d'un grand mouvement national. Quelque chose qui se voit...
Et je reviens à cette idée que la parité est l'une des rares choses qui, aujourd'hui, peut faire l'unité de femmes très différentes, de milieu très différents.
C'est un projet qui est plus vaste que même une lutte de femmes ; c'est un projet qui participe à la refondation de la démocratie.
La mobilisation sur la parité est, à mon avis, le sujet qui peut permettre des regroupements et des refondations.

Françoise Duroux

Je souhaiterais poser une question. Tu viens d'évoquer la mobilisation sur la parité : je voudrais la voir. Ce que j'ai vu, depuis 1987, c'est l'inverse, une dégringolade de la mobilisation.
Au moment où le ministère des droits des femmes a été supprimé par Rocard, il y avait eu une mobilisation - nous avions fait ce mouvement des Mille et une - une certaine effervescence.
Deux ou trois ans plus tard, au moment des élections municipales, on avait commencé à dire : parité sur les listes municipales. Au niveau de la mobilisation, on a recontacté toutes les femmes, y compris en province, qui avaient signé pour les Mille et une et on n'a eu aucun signe de vie.
Et là, je dois dire que j'ai baissé les bras.

Actuellement, sur la parité, il y a des associations qui perdurent, qui ont 20 ans d'existence, avec toujours les mêmes femmes...

Françoise Picq

Ce n'est pas vrai. Il y a plein d'associations nouvelles ...

Françoise Duroux

Mais, c'est toujours les mêmes personnes que l'on rencontre. Je n'ai pas vu beaucoup de nouvelles "recrues", de jeunes mobilisées. Donc, ce que j'aimerais savoir, c'est quelle est cette mobilisation qui ferait un mouvement social par rapport à la parité. J'ai des doutes.

Marie-Victoire Louis

Je voulais revenir sur ce qu'a dit Éliane Viennot, qui m'a mis un peu mal à l'aise.
Quand tu dis... .."Il y a démobilisation... On peut réagir, c'est bien, mais ça ne sert pas à grand-chose", c'est déjà anticiper sur l'échec d'une réaction politique, au nom du 'constat' : "de toutes façons, on a déjà perdu".
Ce n'est donc pas le meilleur moyen de participer à la - lente - reconstruction d'un mouvement social et féministe.
Et puis, tu as continué - toujours en caricaturant ta pensée - et disant à peu près : "On tire un trait et on recommence... et on va construire un grand mouvement social sur la parité, qui, lui, va être porteur de nouveautés, de recompositions".

Je ne crois pas qu'il soit possible, et encore moins souhaitable, d'établir une coupure étanche entre deux moments, deux formes de l'expression politique féministe, sans par ailleurs faire un bilan critique des raisons des échecs - relatifs - actuels. 2

Sans évoquer le fait que le mouvement pour la parité doit être un mouvement social démocratique au sein duquel les féministes doivent trouver leur place avec d'autres...

Par ailleurs, mais les deux points sont liés, ce qui me paraît important et qui est sans doute lié à la relativement faible mobilisation actuelle en faveur de la parité - est la question de savoir pourquoi il est si difficile d'articuler politiquement la lutte pour la parité et les revendications qui posent le problème des rapports inégaux entre les sexes au coeur du politique.
Dans les associations qui militent pour la parité, j'ai très fortement ressenti un implicite selon lequel il ne faudrait surtout pas que l'on puisse penser - ou donner l'image - que le mouvement sur la parité puisse être porteur de revendications qui, de près ou de loin, soient perçues comme féministes.

Je suis d'accord pour affirmer, sans ambiguïté, que la revendication pour la parité ne doit être subordonnée à aucune condition. Mais il faut semble-t-il, être très vigilantes au risque que la parité ne devienne progressivement une fin en soi et que sa revendication ne rende caduques - en s'y substituant -les revendications des femmes et des luttes féministes. Le risque que je vois poindre est que la revendication de la parité - et dont je vois déjà les effets - ne soit utilisée comme un moyen d'occulter la dénonciation des dits rapports de domination me semble devoir être analysé, à la mesure du danger potentiel qu'il représente.

Je voulais enfin ajouter un autre élément important pour moi et, ce point, je crois que je ne vais pas être d'accord avec Anne Le Gall.
Il s'agit du problème de la contradiction, au sein de certaines associations féministes pour la parité, entre la fin qu'elles s'assignent et les moyens qu'elles se donnent pour arriver à leur but. Plus précisément, comment peut-on revendiquer la parité en politique, sans interroger le principe fondateur des mouvements féministes : celui de sa non-mixité. C'est une question que j'ai souvent posée ; je n'ai jamais été convaincue par les arguments qui m'étaient opposés.
Au sein des associations féministes luttant pour la parité - puisque c'est bien d'elles que je parle ici - cela me paraissait une contradiction tellement majeure, cela m'était apparu comme tellement aveuglant que je ne comprenais même pas comment on pouvait ne pas l'aborder frontalement et prendre après discussion une décision claire, en la matière.

Éliane Viennot

Je me suis mal exprimée apparemment.
Je voulais dire qu'il y avait un lien très étroit entre ce qui se passe dans les institutions et dans la société ce qui est, quand même, d'une évidente banalité.
Il y a des gens - des femmes - qui, là où ils / elles sont, à tous les niveaux, essaient de faire ce qu'ils / elles peuvent.
Mais s'il n'y a pas visibilité et existence de pressions sociales, cela réduit les marges de manœuvre des femmes qui sont da institutions.
Ce qui ne veut pas dire du tout que c'est "fichu". Cela implique de trouver des thèmes mobilisateurs qui puissent faire l'unité.

Si le mouvement féministe est très éclaté - il l'a toujours été - il peut aussi, par moments, sur des thèmes, se retrouver, se rassembler pour faire voir qu'il y a effectivement - contrairement à ce qui se dit régulièrement dans les médias, contrairement à ce que croient les ministres - beaucoup de femmes mobilisées.
Il y a de vrais problèmes ; les gens sont au courant de ces problèmes
La question, c'est de les faire" sortir", les faire voir, et faire sortir les gens dans la rue.

Monique Minaca

Pourquoi dans la rue ? dans l'action.

Éliane Viennot

Faire une mobilisation.
Mon idée, c'est que, depuis deux ans, je me dis que la parité, c'est l'action qui nous engage dans les dix ou vingt prochaines années.
C'est un problème mondial ; ce n'est pas une spécificité française.
Il va falloir arriver à partager le pouvoir dans les années à venir.
La situation actuelle devient un scandale de plus en plus manifeste ; avant, on justifiait le fait que les femmes étaient écartées du pouvoir, parce qu'elles étaient écartées de l'éducation, de la vie économique.
Maintenant, ce n'est plus possible. Le risque d'une explosion est réel.

C'est vrai qu'il y a des problèmes entre féministes : nous avons fait partie des mêmes groupes.
Mais cela ne veut pas dire qu'il faut perdre espoir et ne pas réfléchir à la question de savoir comment construire une mobilisation large et nationale.
Ma peur est qu'en dehors des périodes électorales, il soit très difficile de maintenir la pression sur la parité.

Françoise Duroux disait tout à l'heure : "la mobilisation sur la parité, je voudrais la voir".
Lors de la journée annuelle organisée par l'Association Nationale des Études Féministes3 intitulée : "Pouvoir, parité, représentation politique", à Reid Hall à Columbia University, j'avais fait le point - non exhaustif - sur le nombre de réunions, de meetings publics, d'articles depuis deux ans. Bien entendu, on voit toujours midi de sa porte : lorsqu'on n'a pas été dans ces réunions, on ne les a pas vues ; et quand on y est allé, on n'a vu qu'elles.
J'ai fait, pour ma part, nombre de réunions où il y avait deux cents, mille, deux mille personnes.
Je pense que, depuis 10 ans, la parité est ce qui a fait le plus de bruit sur la question des femmes.
Cette mobilisation existe; il y a eu un sondage national en avril paru dans Le Parisien qui montre que plus de la moitié des français-es sont pour la parité.
L'idée est passée ; cela rien à voir avec la question de l'avortement avant 1973 : alors, les gens fuyaient lorsqu'on leur en parlait ; jamais ils n'auraient osé dire qu'ils étaient pour...

Là, on est dans une situation tout à fait différente : on a blocages institutionnels, politiques, médiatiques, mais l'opinion publique est d'accord sur l'idée du partage du pouvoir entre les hommes et femmes.
Ce sont vraiment des fractions réactionnaires qui sont contre ce partage.

On a en outre une situation qui est relativement bonne : il y a beaucoup de femmes qui ont fait beaucoup de choses depuis deux ans.
Notre problème est de construire une stratégie et de construire un mouvement.
Le problème n'est donc pas de dire : "Montre-moi ton mouvement, j'irais peut être" ; c'est à nous de le construire.

Il faut faire avec la réalité du mouvement des femmes, parce que c'est d'abord lui qui va le porter, même si doit être un mouvement beaucoup plus large et un mouvement mixte - j'en suis bien persuadée.
Ce qui ne veut pas dire de mélanger les deux : le mouvement pour la parité est une chose, le mouvement féministe est autre chose.

C'est le mouvement féministe qui va sans doute surtout porter ce projet, encore que, en ce moment, il semble que ce soit surtout les femmes politiques qui le portent. L'Union féminine civique et sociale (U.F.C.S) organise depuis plusieurs mois des réunions sur ce thème, à l'occasion des municipales Il y a beaucoup de femmes dans les petites communes ; sont surtout elles qui sont mobilisées.
Notre problème, si on a un projet un peu plus politique, c'est d'arriver à fédérer tout cela. Dans les six moins à venir, il y a deux échéances électorales qui seront un tambour de résonance.
Cela commence d'ailleurs, puisqu'il y a plusieurs associations féminines qui se sont associées en ce sens.
Seulement, il faut y travailler.  

Danièle Haase-Dubosc

Je voulais préciser certaines choses par rapport à ce qu'a dit Eliane Viennot.

On va un peu trop vite lorsqu'on parle de l'échec du mouvement pour la parité ; on ne peut parler d'échec que si on a une vision à très court terme des difficultés que nous avons en ce moment par rapport au "magnifique élan" d'il y a plus d'un an et demi. 4
C'est un long processus.

En ce qui concerne cette mobilisation que Françoise Duroux ne voit pas, il faut aussi aller dans les petites villes et les villes moyennes ; des réunions ont eu lieu sur la parité.
Dans un mois, à Dôle et à Besançon, deux réunions sont prévues par une des associations qui s'est déclarée en faveur de la parité ; il ne s'agit pas d'associations féministes, ni même politiques : il s'agit de l'Association des femmes françaises diplômées des universités (A.F.F.D.U.), des Jeunesses catholiques, de l'U.F.C.S., des femmes ingénieures de France, de WIZO, du mouvement protestant Jeunes Femmes.

Toutes ces associations représentent beaucoup de femmes.

Si, pour moi, le féminisme représente un fer de lance, une façon de réfléchir, je n'ai jamais cru que, parce que j'étais féministe, je pouvais représenter toutes les femmes ; je travaille en fonction des autres femmes, mais je ne les représente pas nécessairement.

Je ne vois pas le mouvement pour la parité comme étant un mouvement féministe, bien que je pense parfois avec beaucoup de déceptions - que les féministes devraient y avoir leur place.

Mais il est évident que c'est un mouvement qui n'a pas rallié les féministes, autant qu'il a rallié beaucoup d'autres femmes.

Cela ne veut pas dire que nous devons minimiser le rôle des associations féminines ou des femmes politiques qui, elles, ont pu s'investir sur cette revendication sans doute parce qu'elles y voient leur avantage - mais aussi parce qu'elles ont un vécu, une pratique politique et ne sont pas toutes d'accord avec le fait qu'il y ait si peu de femmes en politique.

Je conçois, dans certains moments et dans certains contextes, que le féminisme ne soit pas mixte - et j'en suis même très contente - mais cela ne signifie pas qu'il ne faille pas y avoir pour la parité, un mouvement mixte. `

Le féminisme peut et devrait apporter quelque chose au niveau théorique, pratique, comme d'un certain militantisme. Nous connaissons l'existence du problème du militantisme féministe.

Pour conclure, je veux dire que c'est une idée qui fait vraiment son chemin : les gens savent ce que l'on veut dire lorsqu'on parle de parité, maintenant. Il y a beaucoup plus de gens qui en discutent. Si ces associations au niveau national réussissent - et, encore une fois, ce ne seront pas les associations féministes, au moins dans les six mois à venir - à mobiliser pour un grand rassemblement ou par l'intermédiaire de pétitions, certaines d'entre nous seront avec elles. On devra être ouvertes aux demandes qui pourraient nous être faites.

Françoise Duriez

Je poursuis sur la mobilisation, car je pense que c'est un problème majeur.
Une des difficultés les plus importantes du mouvement des femmes, c'est l'éclatement : ce sont des luttes soricides qui mériteraient une réflexion approfondie.
On est dans un tel état que l'on ne peut que constater la déperdition d'une floraison d'intelligences et d'énergies.
Il faut se mobiliser sur le projet de la parité, en liaison avec une analyse du pouvoir ; c'est cela qui permet une mobilisation.
Et on ne mobilise pas les gens dans l'abstraction. Les luttes symboliques, c'est fini. Cela a un côté dérisoire. Nous sommes majeures. On ne peut plus se contenter de faire du spectacle.

Je vous donnerais des exemples : aujourd'hui, on parle du financement des partis politiques.
On pourrait, nous, en tant que citoyennes, avoir des propositions.
Par exemple, on pourrait imaginer que l'on distribue, chacun-e des citoyen-nes inscrit-es sur les listes électorales cent francs qui leur permettent de financer l'organisation politique de leur choix et qui permettent de faire progresser les associations "hors-jeu", aujourd'hui comme les nôtres.
Les élections, aussi, doivent être un moyen de mobilise pour la parité.

On peut aussi avoir recours à la grève de l'impôt : on ne représente que 5 % des représentants dans les Assemblées ; on ne paie que 5 % des impôts sur le revenu.

Mais, pour terminer, je voulais dire qu'il n'y a pas de mobilisation sans une action précise. Et, c'est sans doute ce qu'il nous faut inventer.

Monique Minaca

En 1993, lorsque nous avons fait ce travail et cette action militante qui a contribué à lancer, d'une part la table ronde à l'Assemblée Nationale 5en pleine campagne politique et ensuite, le Manifeste des 577 signatures, c'était le fruit d'un groupe de femmes qui n'était pas très grand, qui comportait, en gros, une trentaine de personnes, mais que je percevais comme un groupe à très fort potentiel.

 Il y avait, là, des possibilités d'aller très loin et nombre de personnes avaient des capacités en ce sens.

Il faudrait pouvoir analyser le pourquoi du "grand patatras", pourquoi il n'a pas été possible de savoir gérer, à mon sens, le succès et de n'avoir pas pu perdurer et aller plus loin.
Maintenant, c'est le passé.
On n'a pas fait cette analyse ; je suppose qu'il faudrait la faire et je m'attacherais bien à la faire, en groupe.

Moi, j'ai choisi une autre façon de travailler sur la parité : je suis revenue dans mon champ habituel professionnel qui est l'aménagement du territoire et l'urbanisme. Il s'agit d'un lieu de pouvoir monumental et dont les femmes sont totalement absentes. J'ai fait une proposition à la Communauté Européenne qui a été retenue dans un programme et nous avons bâti, à six pays, une "Charte européenne des femmes dans la Cité" 6dont l'objectif est de dégager du pouvoir paritaire.
S'appuyant sur des études sur le genre, elle demande aux professionnel-les de l'aménagement du territoire de prendre en compte quelque chose de neuf: toutes les implications dues au genre dans ce domaine. En outre, elle propose une nouvelle politique et une nouvelle philosophie de l'aménagement qui s'appuie sur la sécurité dans les villes, pour les femmes en particulier.

L'enjeu était d'entreprendre la lutte pour la parité dans un autre champ de pouvoir, et ce, au niveau européen où il existe notamment une structure qui s'intitule : "Les femmes dans la prise de décision".

Nous nous sommes beaucoup inspirées des actions des pays Nordiques ; les femmes de ces pays ont envie d'infléchir le cours des choses au niveau de la parité, même si elles n'emploient pas ce terme, pour montrer ce que c'est qu'une démocratie paritaire.
Ce qui est merveilleux, c'est que les femmes qui lancent ces actions sont des féministes de longue date, qui sont devenues ministres.
C'est le cas de la ministre finlandaise de l'environnement qui a pris le leadership de ce projet et que j'ai rencontrée.
La Norvège était d'accord pour participer à ce groupe, mais comme elle n'est pas dans l'Europe, nous avons "perdu" les Norvégiennes.

Je crois que nous avons intérêt à nous soutenir à travers les expériences des autres pays. Puisqu'en France, nous n'avions pas réussi actuellement à former un groupe fort qui aurait pu jouer ce rôle d'entraînement, je crois que l'on peut s'appuyer sur une instance européenne. L'Europe fait pas mal de choses pour les femmes - ce qui n'est pas le cas en France - afin de promouvoir un champ d'action nouveau, celui des pouvoirs dans la vie civile, en essayant d'impliquer le maximum de personnes, sur des objectifs précis.

Anne Le Gall

Il est en effet de notoriété publique qu'en France, qu'il s'agisse du plan politique ou d'autres champs, les choses ne bougent pas, en concerne le statut des femmes.
Aussi, comment les politiques français peuvent-ils/elles défendre la position selon laquelle "on ne peut plus rien obtenir en ce qui concerne le statut des femmes" ?

Éliane Viennot

Malheureusement, en France, cela ne se démontre pas, que la France est supérieure au reste du monde.
C'est décrété. En France, "c'est mieux qu'ailleurs".
C'est bien connu....

Françoise Picq

Si on compare avec l'Iran ou l'Algérie...

Anne Le Gall

Eh bien, désormais, je vais demander que cela se démontre !
Parce que si nous acceptons cela comme un préalable de bonne compagnie…

À cet égard, la Norvège a su comprendre -les femmes notamment - que rentrer dans l'Union Européenne n'améliorerait pas leur situation. Je suis d'accord avec elles ; une fois que l'on s'intègre dans un ensemble plus vaste, avec tous les autres pays, on ne fait que reculer.
Le principe de subsidiarité a pour résultat de freiner les avancées ou de remettre en cause des droits qui semblaient acquis.

En ce qui concerne la parité, je dois reconnaître, pour ma part, qu'il n'y a pas de mobilisation actuelle pour la parité ; est-ce pour autant un "bon" ou un "mauvais sujet"? je ne sais pas.
Mais ce que je voulais dire, c'est que nous devons êtres très précises ; s'il y a, peut être, une majorité dans l'opinion publique qui y serait favorable, le sondage du mois d'avril évoqué par Eliane Viennot n'était pas à proprement parler sur la parité. Il montrait que l'opinion était acquise au fait que les femmes devaient plus participer à la politique. La parité en elle-même n'a pas fait l'objet d'un sondage.

Ce qui est très intéressant, c'est que la parité, à part la liste Tapie, a été acquise, pratiquement, aux Européennes, sur les listes de gauche. En revanche, aucun parti n'en a fait - ils en sont été incapables ou s'y sont refusé - un projet politique.
Un projet politique n'a rien à voir avec un mouvement social.
Cela ne veut pas dire que toutes les actions qui vont y mener ne sont pas indispensables, mais qu'il n'y a pas encore de légitimité institutionnelle du projet.

En ce qui concerne la mixité des mouvements féministes, je termine en disant : oui, il y a des mouvements revendicatifs qui doivent rester non mixtes. Il n'est pas d'exemple dans l'histoire où ce ne sont pas les personnes directement concernées qui ne soient pas d'abord mobilisées.
C'est une erreur de croire qu'un mouvement doit être mixte parce qu'il tend à la parité.
Certains hommes suivront, mais on casserait le mouvement sur la parité, si on ne comprenait pas qu'il est d'abord et essentiellement non mixte/
Mais, sur ce sujet, nous devons avoir un vrai, long et grand débat.

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Notes de bas de page
1 Il n'a pas été possible de trouver une autre date comme elle l'avait proposée.
2 Cf Louis M-V. - "Éléments pour une critique des rapports des féministes françaises au pouvoir". ln : La démocratie à la française ou les femmes indésirables. (Sous la direction d'Éliane Viennot). - Paris: Publications de l'Université Paris VII. Denis Diderot. Collections des Cahiers du CEDREF. Janvier 1996.
3 A.N.E.F. 3 rue du Professeur Martin. 31 500 Toulouse.
4 Note de l'Éditrice : A l'initiative notamment du Réseau "Femmes pour la parité". La disparition de ce réseau comme force politique ne peut pas ne pas faire l'objet d'une critique. Faute de quoi, les mêmes échecs se reproduiront nécessairement.
5 La parité hommes-femmes en politique. Manifestation organisée à l'initiative du Réseau "Femmes pour la parité". 8 mars 1993. Salle Colbert. Assemblée Nationale. Introduction et animation des débats : Françoise Giroud. Avec la participation de : Michèle Barzach, Françoise Gaspard, Gisèle Halimi, Marie-France Mendez, Florence d'Harcourt, Yvette Roudy.
6 Proposition d'une Charte européenne des femmes dans la cité. Vers un "droit à la cité pour les femmes". Une plate-forme commune de réflexion sur le plan européen. Pour une démocratie paritaire, visant à l'amélioration du cadre de vie. Recherche / Action subventionnée par l'Unité pour l'égalité des chances de la Commission des Communautés Européennes. 1994.

 Cf., pour la France : Groupe Cadre de vie. 60, avenue Jean Jaurès. 92190. Meudon. France.


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