Syndicalisme
 Marie-Victoire Louis  *

Thomson Angers ou l’échec d’un syndicalisme  moderniste dans une usine nationalisée

Les Temps Modernes
La modernisation : enjeux et questions
Mars 1986. N° 476
p. 117 à 158

date de rédaction : 01/01/1986
date de publication : 01/03/1986
mise en ligne : 16/10/2006 (texte déjà présent sur la version précédente du site)
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« À Angers, Thomson impose le travail en équipes » (l'Humanité).
« Épreuve de force à Thomson Angers » (Libération).
« Qualité de vie contre compétitivité » (le Monde)
« 40 salariés refusent de travailler 35 heures » (France-Soir).
« Des licenciements sans suppression d'emplois » (le Nouveau Journal).
« Thomson Angers licencie les irréductibles » (l'Usine Nouvelle).

Première semaine des vacances d'août 1983. La presse, relayée par la radio et la télévision, fait état d'un conflit qui oppose 40 salariés - en quasi-totalité des ouvrières - à la filiale d'Angers du groupe nationalisé Thomson.

Ces femmes qui fabriquent des téléviseurs dans une des usines les plus modernes d'Europe ont jusque-là refusé toutes les propositions, y compris les plus alléchantes a priori (3 équipes alternantes de 30 heures par semaine), qui les obligeraient à abandonner le travail à la journée (7 h 30 - 16 h 30, soit 38 heures 30 par semaine). "Le travail en équipes, c'est une mort lente", disent-elles. Pas question d'accepter.

Ce conflit, qui avait débuté en avril 1981 par un débrayage de plus de mille personnes affirmant leur refus du passage en équipes, se terminera en octobre 1983 par le licenciement des neuf derniers réfractaires, huit ouvrières et un technicien. Entre ces deux dates, un conflit original : ni grève, ni négociation mais une tentative avortée d'une contre-proposition syndicale CFDT visant à concilier les arguments patronaux sur la nécessité économique du travail en équipes et le refus des ouvrières.
    
Que ce conflit se soit constamment greffé sur les enjeux politiques et économiques des effets industriels et sociaux des nationalisations le rends plus significatif encore.
D'une certaine manière ce qui s'est passé à Angers est révélateur de l'absence - ou de l'impossibilité - d'une politique de gauche à l'intérieur des entreprises.

***

Sans entrer dans la controverse provoquée par les thèses de David Montgomery1 sur le poids respectif du déterminisme technologique et de la volonté patronale d'éradiquer les formes de contrôle ouvrier, il me semble - et c'est d'ailleurs une évidence - qu'il n'est pas possible de dissocier changements technologiques et changement dans la gestion des rapports sociaux.
    
L'exemple d'Angers nous montre cependant :

* Qu'il n'existe pas de déterminisme absolu quant aux formes que devraient prendre les changements technologiques. En effet, l'amalgame constamment entretenu par la direction d'Angers : concurrence internationale accrue//compétitivité insuffisante//sureffectifs et flexibilité//automation//passage en équipes, s'est détruit de lui-même puisque, deux ans après le conflit qui avait provoqué le licenciement de neuf personnes pour refus de travail en équipes, la direction décidait que les ouvrières travailleraient à nouveau à la journée « du fait de la baisse du plan de charge de l'usine et de la nécessité de comprimer les coûts de production ».

* Qu'il existe incontestablement, à l'occasion des changements technologiques (ici, il s'agissait de l'automatisation des chaînes de montage), un processus de renforcement du pouvoir patronal qui s'est notamment traduit ici par :
* une volonté de discréditer le syndicalisme
* le contournement du droit du travail
* le licenciement des récalcitrant-es
* l’atomisation et la division des salarié-es.

À cet égard, la gestion patronale agit à plusieurs niveaux :
* à l'intérieur du collectif de travail en jouant sur les contradictions entre les niveaux hiérarchiques, les rapports entre les sexes et les couples, les différences de travail horaire, les qualifications, les statuts, l'âge et l'état de santé des ouvriers-ères;  
* entre ce collectif ouvrier et les représentants syndicaux.

Il s'agit d'accroître la flexibilité de la force de travail en la précarisant et d'individualiser au maximum les horaires et les contrats de travail.

Dans cette tentative de briser les possibilités de composition de solidarités ouvrières, le patronat chercha à se poser dans un rapport direct mais abstrait - les problèmes « personnels » étant dévolus exclusivement aux services sociaux et à la maîtrise - avec chaque salarié-e. En tout état de cause, il s'agit de rendre inopérantes les médiations syndicales - fussent-elles les plus symboliques - qui pourraient laisser supposer - si elles étaient reconnues - l'ébauche d'un contre-pouvoir.

Le cas de l'usine Thomson d'Angers révèle que le consensus techniciste auquel nous sommes convié-es ne saurait éluder le problème essentiel du pouvoir dans l'entreprise. Et que l'existence d'un gouvernement de gauche rend cet enjeu pour le patronat encore plus fondamental.

L'usine d'Angers s'est engagée, depuis 1980, dans un processus d'investissements lourds pour moderniser son équipement et augmenter sa capacité de production. Cette usine, un des fleurons de la branche Grand Public du groupe, est déjà une des plus modernes d'Europe. En avril 1980 est annoncé le projet de faire tourner « un maximum d'heures par jour les équipements » (Vision, Journal d'entreprise). La direction affirme donc l'absolue nécessité de faire passer progressivement en deux équipes les salarié-es de l'usine qui travaillaient jusqu'alors à la journée. Économiquement, cette réorganisation du travail, dont la gêne était « compensée» financièrement par une prime d'équipe2, était justifiée par la concurrence internationale, et notamment japonaise3, ainsi que par la comparaison du coût du travail à l'intérieur même du groupe Thomson, notamment entre la France et l'Allemagne.
    
Pour les travailleurs et travailleuses de l'usine, le problème des « nouvelles technologies » est posé et vécu comme un problème de sureffectifs, lié à un problème de bouleversement de l'organisation du temps de travail et du travail lui-même. Un débrayage d'environ 1300 personnes, dont une partie de la maîtrise, exprime au début de l'année 1981 le refus par une grande majorité des employés de l'usine du plan patronal.
    
Pour les syndicats, le travail en équipes c'est « détruire notre vie qui est déjà une vie de dingue ». Ils affirment alors vouloir « préserver ce qui est encore un semblant de vie » (tract CFDT - 22 septembre 1980).

Très vite, la résistance ouvrière devient de manière plus affirmée la résistance des ouvrières. D'abord parce que l'usine comporte plus de 70 % de femmes majoritairement concentrées dans la production (donc dans le secteur le plus « touché ») où elles représentent 82 % de la main-d'œuvre non qualifiée. Ensuite parce que l'accès des femmes au travail salarié n'a que secondairement modifié la prééminence qui leur est généreusement reconnue de prendre en charge l'essentiel du travail domestique comme l'éducation des enfants.
    
Aussi, dès l'annonce de cette modification de l'organisation du travail, elles s'affirment les plus vivement opposées à ce qu'elles ressentent comme un bouleversement insupportable dans leur vie. S'il en est ainsi, ce n'est pas, comme le dit la direction d'Angers, par position de principe, par blocage culturel4 ou par conservatisme, mais parce qu'elles sont, comme la majorité des salariées, placées dans un équilibre très précaire entre les contraintes de l'usine et les contraintes de la vie familiale que la moindre modification d'horaire peut détruire. Le temps, pour elles, est un enjeu vital. Dès qu'il n'y a plus coïncidence entre leurs horaires à la journée (7 h 30 - 16 h 30) et les horaires des enfants, parce qu'elles doivent commencer à travailler, alternativement, une semaine très tôt le matin (6 heures) et une semaine tard le soir (21 heures), c'est tout le problème de la conciliation du travail salarié et du travail domestique qui est posé. Or, cette conciliation, si elle s'effectue au prix d'une double journée de travail, n'en est pas moins la condition nécessaire de la permanence d'une certaine vie de famille.

Cette résistance a d'ailleurs montré que la plage horaire ou l'amplitude de la journée de travail était, pour une majorité de femmes, un enjeu qui pouvait être plus important que celui de la diminution du temps de travail. Car le précaire équilibre qu'elles ont dû construire se situe précisément au point d'intersection de leurs horaires de travail et de ceux des autres membres de la famille. Que le système d'organisation du travail brise cet équilibre, et c'est toute l'organisation familiale, dont elles sont le pivot, qui est ébranlée.

Certaines ont raconté comment, alors qu'elles étaient de l'équipe du matin, elles devaient réveiller leurs enfants à 5 heures pour les emmener chez la nourrice et comment « énervés, fatigués, ils ne parvenaient plus à se rendormir et ne tenaient plus debout à l'école l'après-midi ». D'autres ont parlé de leur angoisse de les laisser seuls le soir dans une maison vide: «  Sont-ils rentrés ? » « Font-ils leurs devoirs? » « Font-ils des bêtises dehors avec les copains? » « Ont-ils dîné? » Et, au fond, « pourquoi rentrer dans une maison où il n'y a personne ? »
     
« Je connais une femme, raconte une ouvrière de l'usine, qui a commencé depuis un mois à travailler en équipe. Elle devient folle. C'est une femme fragile mais courageuse et bosseuse. Elle n'a jamais été absente. Son mari l'a plaquée avec deux enfants. Pour pouvoir faire face elle travaillait à Thomson le jour, et le soir elle faisait des ménages. Son fils de vingt ans a quitté la maison. Sa seconde a treize ans. L'équipe du matin, ça passe encore, mais le soir, elle est pendue au téléphone5. Elle ne supporte pas de savoir sa fille seule et sa fille ne supporte pas non plus. »
     
Elles ont parlé « de vie de famille gâchée », « d'enfants élevés comme des orphelins », « des problèmes avec les maris », qui ne supportent pas les contraintes que le passage de leur femme en équipe fait peser sur eux6.
        
Aucune solution, pour ces mères, n'était réellement satisfaisante. Il fallait, si l'on voulait garder son travail, mettre les enfants en nourrice à la semaine et donc ne plus les voir que le week-end (pour mémoire, le prix d'une nourrice pour deux enfants revient à environ la moitié du salaire d'une ouvrière) ou les amener, alternativement, à 5 heures du matin ou les reprendre à 10 heures du soir (au tarif de nuit de la nourrice) chez celle-ci.

Dans l'hypothèse où le mari travaillait aussi en 2/8, une solution était de « faire équipe inverse » avec lui. Dans ce cas, on échangeait les enfants sur le parking de l'usine. Si financièrement cette solution était intéressante car mari et femme gardaient leurs primes d'équipe et pouvaient même supprimer les frais de nourrice (si le mari était de bonne composition), en échange le couple ne se voyait plus.
Autre solution : faire équipe et tenir jusqu'à ce qu'on n'en puisse plus. « Les filles, elles craquent, mais ce n'est pas pour cela qu'elle s'en vont... elles craquent… elles s'arrêtent un mois et puis reprennent... ». (Une ouvrière)
     
Dernière solution : travailler à temps partiel en équipes et abandonner la moitié de son salaire.

Elles ont aussi évoqué les contraintes respectives de chaque équipe dont aucune n'est vraiment satisfaisante : « Quand on est de l'après-midi, le matin on n'est pas fatiguée parce qu'on s’est reposée toute une nuit. Alors, on a envie de faire la cuisine, le ménage. Mais quand on rentre le soir, on est forcément crevée parce qu'on a la journée à la maison et la journée à l’usine dans la même journée. Tandis que lorsqu'on est du matin, on revient fatiguée mais on en fait moins à la maison. Mais on ne peut sortir ni la semaine du matin ni celle du soir. Dans un cas, on est trop fatiguée, dans l'autre on rentre tard. Alors, les amis on ne peut les inviter que le vendredi et le samedi de la semaine où on a le grand week-end, à la limite aussi le dimanche. Mais ça fait trois jours tous les quinze jours ! »
    
Que ce soit sur le plan de la santé7, sur celui de l'équilibre du couple ou des enfants (enfants perturbés, livrés à eux-mêmes, non suivis dans leurs études, privés de présence familiale), le prix à payer pour le passage à un travail en équipes expliquait le refus8 des ouvrières9.

Cependant, au-delà de ces arguments tenant à leurs conditions de vie et de travail, on pouvait percevoir un refus - sans doute plus « viscéral » - de se laisser imposer un autre mode de vie. Était donc en jeu aussi le refus de la soumission. Alors que la direction évoquait des « problèmes à résoudre » et des « efforts à effectuer », les ouvrières voyaient dans le forcing patronal en faveur du passage en équipes une reddition sans condition qu'on leur imposait, où elles n'existaient ni comme individu-e, ni comme ouvrière puisque ni individuellement, ni collectivement, ni syndicalement leur avis n'avait été demandé. « Pour moi, ce fut quelque chose de plus fort que les difficultés familiales réelles que cela m'aurait causées, quelque chose de plus viscéral… même si je n'avais pas eu les enfants, j'aurais refusé. Là, on vous annihilait, on ne vous demandait pas votre avis. S'il y avait eu une négociation qui était une forme de reconnaissance - j'aurais fait un effort. Pour moi, refuser c'était une forme de liberté... Mais c’était un peu suspect... c'était comme se payer un luxe ». (Une syndicaliste CFDT licenciée, mère de deux enfants)
     
Le dialogue suivant entre des syndicalistes, la direction et les dernières ouvrières « réfractaires » venues porter collectivement à la fin du conflit, en Comité d'établissement, leur réponse, est à cet égard révélateur.

Extrait d'une discussion entre quelques ouvrières et la direction
lors du C.E, du 16 septembre 1983

M. J. - Direction - (s'adressant aux ouvrières) : « ... Je n'ai jamais sous-estimé l'effort qu'il y avait à faire pour assurer le travail en équipes... Certaines personnes ont fait l'effort de travailler en équipes, d'autres n'ont pas cru devoir faire cet effort, je le regrette... Nous ne pouvons pas rester à la journée"...
Une ouvrière : "Mais c'est plus qu'un effort, c'est notre vie !"
M. J. : "Mais la vie, c'est aussi s'adapter aux conditions de travail...Je donne jusqu'à lundi., Pourquoi certaines personnes font-elles un effort et d'autres pas ?"
Plusieurs ouvrières : "Faut-il aller pleurer dans votre bureau pour que vous analysiez nos cas ? "
Une ouvrière : "Nous sommes bien obligées d'accepter, sinon c'est la porte ! "
Une autre ouvrière : "Et pour les enfants, vous parlez d'une vie ! On les sacrifie."
M. J. : "Ceci est un vaste débat qui sort de celui qui est le nôtre aujourd'hui. Ce que vous soulevez est une contrainte directement engendrée par le travail des femmes dans notre société actuelle, Je conçois que ce sera difficile. Je vous donne jusqu'à lundi." (S'adressant aux ouvrières qui ont dû « accepter »10 de travailler en équipes) : "Je vous remercie de l'effort que vous faites."
M. M.D. CFDT : "Ne soyez pas ironique 11 ! "
M. J. : "Il n'y a pas d'ironie. Je conçois que si les gens ont tardé à accepter, c'est qu'il y avait des problèmes à résoudre et un effort à fournir."
M. M. : "Et les problèmes de santé ? "
M. J. : "Il y a longtemps que j'ai appris que la santé est quelque chose de primordial. Mais il faut être raisonnable. Vous savez, c'est déjà bien d'avoir du travail... Chez nous les conditions de travail ne sont pas si mauvaises, d'autres voudraient bien les avoir."..
M. H. -CGT : "Hum ! "
M. J. : M. H. "Si vous trouvez mieux, prenez-le".

Lorsque la direction de l'usine annonce en 1980 la nécessité du passage en équipes, la menace était assez éloignée dans le temps et trop peu précise (il n'était encore fait appel qu'aux volontaires) pour qu'une réaction immédiate d'envergure s'exprime.
Ce n'est qu'en avril 1981 qu'un important débrayage, auquel participe une partie de la maîtrise, traduira clairement le refus du travail en équipes officiellement annoncée. Les syndicats affirment un "non" catégorique.
Néanmoins une certaine inquiétude apparaît progressivement chez les responsables de la section CFDT quant à la manière d'aborder le problème. Peut-on balayer d'un revers de main l'argument patronal de la nécessaire rentabilisation des investissements ? Comment sera-t-il possible de s'opposer au travail en équipes si une menace de licenciements est brandie et alors que les chaînes sont déjà installées ? Comment éviter la mise hors circuit des syndicats, déjà pratiquée par la direction lors de la décision d'instaurer le travail à temps partiel12 ?
Aussi les responsables CFDT décident-ils de lancer un sondage dans l'usine pour tester la réaction des salariés à la proposition de travailler en équipes : « Quelles difficultés y voyez-vous ? » « Seriez-vous prêts à l'accepter ? » « À quelles conditions ? »

Le lendemain, un tract CGT dénonce violemment cette initiative comme faisant le jeu du patronat. Le fait d'en discuter, ce n'est pas nécessairement en accepter le principe, rétorque la CFDT.
C'est donc très vite dans un contexte de désunion syndicale que sera appréhendé le problème du refus du travail en équipes.

 En mai 1981, alors que la direction avait déjà annoncé qu'il « y aurait 200 à 300 personnes de trop aux vacances13 », la mise en route de la nouvelle chaîne de conception japonaise LM 8 impose le passage de 250 personnes en équipes.

Menaces de licenciements et passages en équipes renforcent l'effet des pressions de la maîtrise. Celles-ci s'avèrent néanmoins insuffisantes pour contraindre les salarié-es au « volontariat » ; aussi la direction annonce-t-elle, le 2 juin 1981, en pleine campagne électorale, que des dispositions sont prises pour accélérer les « départs volontaires ».
Ceux et celles qui voulaient quitter l'usine pouvaient démissionner avec treize mois de salaire : 350 personnes (ouvrières essentiellement) s'inscrivirent en quinze jours. Mais « psychologiquement ça s'est passé en réalité en deux, trois jours, raconte un syndicaliste, on s'est trouvé totalement dépassé. Il y avait des copines dans la section qui ont pris leur décision tout de suite. On n'en a même pas discuté. Ça s'est fait de façon affolante ! »
Les syndicats, totalement désemparés par le succès de la stratégie patronale, n'ont d'autre alternative que de tenter de gagner du temps, car « on savait qu'on serait nationalisé ». Aussi, par l'identification «gouvernement de gauche = satisfaction des revendications des travailleurs », le succès probable de la gauche aux élections représentait pour beaucoup l'assurance du maintien du travail à la journée. En outre les syndicats escomptaient de la nationalisation de l'entreprise la reconnaissance de leur rôle par une direction qui jusqu'alors n'avait eu avec eux que le strict minimum des relations exigées par le droit du travail.

Le refus ouvrier du passage en équipes et la volonté de voir reconnu le pouvoir syndical furent suffisamment imbriqués pour qu'on puisse se demander si la véritable discussion, par analyses économiques interposées, n'a pas tourné, tout au long du conflit, autour du problème du contrôle du pouvoir patronal dans une entreprise nationalisée.

Face à la violence du conflit entre la CGT et la CFDT, on peut aussi se demander si ne se jouèrent pas à Thomson d’Angers, par syndicats interposés, des batailles entre les partis - voire entre tendances à l'intérieur d'un même parti composant la majorité.

Avec l'arrivée de la gauche au pouvoir, les syndicats d'Angers qui avaient été mis hors circuit et pris de court par les diverses initiatives patronales (travail à temps partiel, en équipes, départs volontaires) tentèrent de s'appuyer sur une légitimité de type politique pour infléchir la pratique patronale dans l'usine. En fait ils n'imaginaient pas qu'une politique « de gauche » puisse être menée avec une direction locale inchangée, dont les liens possibles avec le RPR étaient fortement évoqués.
     
Si, pendant les mois qui suivent les élections, l'atmosphère au sein des CE se détend légèrement, rien ne laisse cependant présager ni un changement de l'équipe dirigeante, ni un changement des rapports sociaux dans l'entreprise.

Aussi, le 2 novembre 1981 (soit six mois après les élections), les syndicats CGT et CFDT appuyés par un important débrayage, déclarent « en avoir assez des réunions dans lesquelles les travailleurs sont mis devant le fait accompli (et) demandent que s'ouvrent dès aujourd'hui des négociations ». Refus de la direction. « Il y a au moins une chose qui n'a pas changé depuis le 10 mai, c'est le langage des patrons », constatent les syndicats.
Le ton monte, la CGT menace : « Les choses ont changé, il faut que vous en preniez conscience » (CE du 19 novembre 1981), tandis que la CFDT évoque la possibilité qu'interviennent dans ce blocage patronal «des considérations qui ne [soient] pas d'ordre technologique ou économique ». (Ibid.)
      

Le 13 février 1982, Thomson est nationalisé et Pierre Mauroy, Premier ministre, présente à l'usine Thomson d'Esswein, devant les travailleurs de l'usine et le nouveau P-D-G du groupe, Alain Gomez, la nouvelle politique des entreprises nationalisées : « Il ne s'agit pas que, dans le secteur public élargi, les travailleurs travaillent simplement pour un autre patron ; il s’agit désormais que les travailleurs puissent travailler autrement. C'est-à-dire travailler mieux. Travailler moins. Et travailler tous... Ce que nous voulons tous, c'est que le nouveau secteur public industriel devienne le plus vite possible, à la fois un modèle de réussite industrielle et un modèle de réussite sociale. Ces deux ambitions sont liées... La nationalisation constitue une chance exceptionnelle pour le groupe Thomson : un actionnaire unique et puissant, l'instauration d'un large dialogue social interne, une politique nationale ambitieuse. La place des groupes nationalisés dans la lutte pour l'emploi doit être éminente et exemplaire... L'idéal étant que les gains de productivité permettent de financer la réduction du temps de travail...Mais toutes ces questions ne peuvent être réglées que par une négociation sociale plus intense ; c'est branche par branche, voire entreprise par entreprise qu'il faut ajuster les procédures... Au secteur public d'innover en matière sociale, d'anticiper sur cette démocratie industrielle qui doit désormais se réaliser sur les lieux de travail. Le changement, ce sera d'ouvrir aux représentants des salariés l'accès à la gestion de l'entreprise. C'est une exigence de démocratie économique, c'est aussi une garantie d'efficacité économique. »
     
Le jour même où fut prononcé ce discours, la direction annonçait « un sureffectif de soixante à cent personnes ». Quelques jours plus tard, la CFDT de Thomson Angers déclare : « La CFDT, qui pour sa part et à son niveau a permis et se réjouit du changement intervenu le 10 mai, est décidée à jouer tout son rôle de proposition, d'action et de négociation pour réussir ces nationalisations, tant du point de vue économique que du point de vue social... Nous disons que toutes les mutations technologiques, toutes les modifications de fabrication ou de processus de fabrication doivent être étudiées et négociées avec les représentants du personnel et le personnel lui-même. » Et la déclaration se termine ainsi : "Pour cela, faudrait-il qu'il y ait changement des personnes non habituées à un tel exercice ! »

Face à cette déclaration de guerre qui consistait pratiquement à demander, pour qu'une négociation puisse s'engager, à la direction parisienne de Thomson de « démissionner » la direction d'Angers, et face aux exigences syndicales clairement exprimées de quasi-cogestion, la direction maintiendra inchangée sa politique de contrôle exclusif par le patronat de la décision et du pouvoir dans l'entreprise.

Pour les syndicats : « Il y a une position de principe de la direction qui n'est pas dite comme telle puisqu'elle se réfugie dans ou n'utilise officiellement qu'un argument économique, mais qui existe et que l'on ressent comme telle, c'est qu'il n'y a pas de possibilité que les représentants du personnel ou le personnel puissent peser sur les décisions».14 

       Qu'on en juge d'après ces quelques extraits de discussions au sein du Conseil d'établissement :
2 juin 1982 : demande syndicale d'informations sur la nouvelle chaîne ; réponse patronale : « Je n'ai pas de plan ; il n'y a rien de définitif. »
Même jour : demande d'implantation de 'cercles de qualité';  réponse patronale : « Si tout le monde doit donner son avis, cela freinera le dynamisme. »
Même jour : demande syndicale d'améliorer la chaîne LM 8 « car il n'y a aucune possibilité de placer correctement les jambes ». Réponse. Patronale : « Sur les autres chaînes, il n'y a aucune possibilité de s'asseoir, c'est donc un progrès. ».
24 septembre 1982 : demande syndicale d'informations économiques, notamment sur le coût des charges du personnel dans le prix de revient d'un téléviseur ; réponse patronale : « Nous n'avons pas à vous communiquer ces chiffres. »
    
Quant à l'interprétation patronale de la mise en oeuvre des lois Auroux, elle s'avère singulièrement restrictive : « Elle doit se faire progressivement dans le cadre de l'évolution des rapports hiérarchiques et sans perte d'énergie concurrentielle [car] chaque point perdu accroît le risque de domination par des concurrents plus compétitifs15. »

Si la CGT affirme : « Nous sommes nationalisés ; vous n'êtes plus les représentants du grand capital, vous êtes les cadres d'une entreprise publique 16», la CFDT avance concrètement dans le droit-fil du discours de Pierre Mauroy des propositions dont le fondement est ainsi résumé : « Nous ne voulons pas que les choses se fassent sans nous17. »

C'est donc dans un contexte de blocage social inchangé par rapport aux espérances syndicales que le processus du passage en équipes du personnel de l'usine se poursuit.

On peut penser que la position privilégiée de l'usine d'Angers dans le groupe Thomson, due à la réputation d'efficience industrielle de ses dirigeants, n'a pu que les conforter dans leur position, Ils savaient bien que, face aux difficultés prévisibles de la politique économique de la gauche, le discours syndical sur la nécessité de la négociation pèserait d'un moindre poids, auprès du staff d'A. Gomez, que leur argumentation productiviste de dirigeants « performants ».

Si, à la faveur de la politique de départs volontaires de juin 1981, la nouvelle chaîne LM 8 démarre sans encombre, portant à 545 personnes le personnel en équipes alternantes décalées de l'usine, ce passage n'est pas achevé pour autant. La direction annonce, dès septembre 1982, la nécessité d'atteindre le pourcentage de 50 % du personnel en équipes en vue du démarrage d'une nouvelle chaîne, la LM 9, soit environ 250 personnes supplémentaires. Or, un nouvel arrêt de travail parmi le personnel travaillant déjà en équipes révèle que la résistance ouvrière n'a pas cessé.  

Par pressions progressives18, plus d'une centaine de personnes «acceptent » la modification de leur contrat de travail et de leurs horaires. Mais leur nombre s'avérant insuffisant, les menaces de licenciements se précisent.
Le 30 mai 1983, 199 personnes - choisies de manière discrétionnaire - reçoivent une lettre de la direction qui leur donne huit jours pour répondre.  
Le 10 juin, 80 personnes « manquent » encore sur la liste de la direction.
Le 23 juin19, une nouvelle lettre est envoyée à ces récalcitrants (pour l'immense majorité, des femmes), tandis qu'une campagne de presse pose le problème au niveau national et interpelle la direction parisienne du groupe20. Celle-ci, gênée par cette publicité, pousse la direction d'Angers à lâcher du lest, mais ne remet pas en cause le principe selon lequel tous ceux et celles qui n'accepteraient pas le travail équipes seraient licenciés.

Une réduction d'une heure du temps de travail en équipes avait été décidée à la suite de l'accord métallurgique du 23 février 1982 concernant 175000 salariés en production21.
La mesure est appliquée à Angers, sans négociation d'entreprise, en novembre 1982.
Nous sommes ici dans une phase de la politique du groupe où « les gains de productivité sont indissolublement liés avec la réduction du temps de travail22 ».
Mais cette réduction s'accompagne d'une diminution des temps de pause, et de gains de productivité et de flexibilité accrus. Selon un document officiel : « Les contreparties immédiates (qui existent) dans les accords de réduction du temps de travail... visent à en limiter le coût. [Il s'agit] de gains de productivité, par exemple une augmentation d'un pourcentage donné des quantités horaires à produire, ou une accélération des cadences. Il peut s'agir aussi de blocage des salaires, de diminution de certaines primes, mais le plus souvent, les accords prévoient les réductions des temps de pause, y compris casse-croûte pour les travailleurs postés ». 23
Cependant, toujours selon ce texte, outre ces compensations, cette politique présente l'avantage de désamorcer les conflits sociaux : « L'ensemble des observations effectuées dans les sociétés industrielles de Thomson Grand Public met en lumière la place prépondérante qu'occupe la réduction du temps de travail dans les négociations : les entreprises connaissant des difficultés économiques en ont fait un pivot de leur politique. Elle désamorce les conflits sociaux lors de restructurations et, en tant que contrepartie sociale coûteuse, permet aussi à l'entreprise de négocier des contreparties économiques qui seront d'autant plus importantes que la situation financière sera mauvaise »24.
       
Grâce à ce réalisme - à la limite du cynisme - dans la gestion « du social », la direction d'Angers a pu tout au long du conflit refusé tout dialogue.
Ayant anticipé par la réduction du temps de travail les revendications des ouvrières, la direction estimait qu’il n’y avait plus matière à discussion puisque « ce qu'on pouvait donner, c'était ce qu'on avait déjà donné ».  (Un responsable Thomson Paris)

N'y aurait-il pas, en outre, dans ces tentatives de gestion préventive, « à froid», des conflits, une volonté de retirer au syndicalisme, déjà placé en porte-à-faux du fait de la division instaurée entre plusieurs modes d'organisation du travail et profondément affaibli par la crainte du chômage, sa fonction de porte-parole et de relais des luttes sociales ? Il est probable, à cet égard, que la résistance syndicale à Angers a puisé force dans la conscience de cet enjeu.

La CFDT, majoritaire dans le second collège « cadre » mais légèrement minoritaire dans le premier collège « ouvrier » après avoir défendu jusqu'en 1981 des thèses assez proches de celles qui seront défendues pendant le conflit par la CGT – à savoir le refus du travail en équipes, sans propositions, alternatives - a progressivement modifié son mode d'approche de cette question. Elle a donc tenté, et le risque était grand, d’aborder le problème des mutations sociales liées aux transformations de la production en rompant avec une longue tradition fondée sur le principe : « Aux patrons la gestion ; aux syndicats, la revendication » .

Elle refuse donc de cantonner le syndicat dans la gestion des conséquences sociales des choix économiques, en échange de sa reconnaissance comme force de proposition dans l'entreprise. La CFDT voulait bien « laisser au vestiaire » la lutte de classes à condition que le patronat lui reconnaisse un rôle de proposition dans l'entreprise.
      
Elle abandonna, en outre, le thème de la réduction uniforme du temps de travail pour proposer une contre alternative syndicale qui posait le problème plus global d'un aménagement différencié du temps de travail. On comprend à quel point ce changement d'approche peut bouleverser l'ensemble des relations sociales dans l'entreprise.
      
La CFDT faisait l'hypothèse qu'il était possible, à l'intérieur des contraintes du travail en équipes dont elle ne conteste plus la justification économique25, de proposer une diversité de types d'organisation du travail qui puisse minimiser ces contraintes en laissant aux salarié-es une possibilité de choix. Elle proposait donc un agencement différent du rapport travail/temps/ salaire qui se fondait partiellement sur la diversité des demandes sociales (lesquelles, bien entendu, reflètent aussi, mais non exclusivement, les contraintes sociales).
Le 25 avril 1983, la CFDT annonce au cours du CE qu'elle a été reçue seule, et à sa demande, le 1er avril, par la direction afin de lui soumettre des contre-propositions concernant l’organisation du travail en équipes et afin que s'engage une réelle négociation sur ce sujet.
      
Le système alternatif qu'elle présente est fondé sur un double principe : celui du volontariat et celui du choix laissé aux salariés entre plusieurs systèmes. « Nous pensons qu'un système unique d'horaires ne peut pas permettre de répondre avec satisfaction aux problèmes posés ». (Tract CFDT, 25 avril 1983) La CFDT propose, à la place des deux équipes de 35 heures 30 chacune prévues par le projet patronal, la possibilité de choisir entre deux équipes de nature différentes :
* Une équipe « longue » qui correspondrait à l'équipe déjà en vigueur dans l'entreprise, mais amputée de 1 heure 30 soit 34 heures. (Amplitude horaire : 6 h - 13 h 18 ; 13 h 18 20 h 35.)
* Une équipe « courte » de 29 heures 30. (Amplitude horaire : 6 h 45 - 13 h 18 ; 13 h 18 - 19 h 12, sans repas.)
     
L'idée de base de cette proposition est à la fois de diminuer l'amplitude de la journée de travail qui gêne particulièrement les ouvrières ayant des enfants et de transformer la prime d'équipes en réduction du temps de travail.
Les travailleuses de l'équipe « courte » auraient donc gagné un salaire moindre que celles de l'équipe « longue » mais un salaire identique à celui qu'elles gagnaient à la journée et ce pour une durée de travail nettement plus courte.

Devant le refus patronal de prendre en compte ces propositions et la menace de plus en plus précise de licenciements, la CFDT fait une nouvelle proposition. Elle atténue le coût financier de sa proposition en minimisant les surcoûts salariaux que la direction avait chiffrés à 8 % pour l'équipe « courte » par rapport à l'équipe « longue » : cette dernière est, dans cette nouvelle proposition, prolongée d'une demi-heure (soit portée à 35 heures), et l'équipe « courte » d'une heure et demie (soit portée à 31 heures), tandis que l'amplitude journalière est elle-même légèrement augmentée.

Le 27 juin, sans qu'aucune dynamique de négociations ne soit toujours enclenchée26, la CFDT fait une ultime proposition : il s'agit de la mise sur pied d'une troisième équipe fixe en soirée (de 19h 30 à 23 h 50), prévue pour une cinquantaine de jeunes chômeurs payés au SMIG pour 20 heures de travail. Cette troisième équipe, qui se surajouterait aux deux autres, représenterait l'avantage économique d'accroître le temps de fonctionnement des équipements (82 heures au lieu de 71 heures dans le projet patronal de deux équipes de 35 heures 30) donc d'éponger partiellement les surcoûts salariaux qui pouvaient apparaître avec le choix de l'équipe « courte »

Cette proposition, faite le matin du 27, est repoussée le jour même à 14 heures par la direction. Raison invoquée: « surcoûts salariaux ».

Tout le travail de proposition syndicale a donc consisté à tenter de calculer au plus faible coût économique et humain les diverses formules et à essayer de les agencer en tenant compte des réactions de la base, des évolutions de la CGT et la résistance patronale.

Idéalement, auraient travaillé en équipe « longue » les personnes qui acceptaient les contraintes horaires de l'équipe ou qui étaient intéressées par l'attrait financier de la prime. Auraient travaillé en équipe « courte » les personnes (des femmes essentiellement, mais aussi des jeunes) qui, soit acceptaient de travailler moins et de gagner moins, soit ne pouvaient faire autrement. Enfin, auraient travaillé en équipe de soirée des jeunes, célibataires, sans doute, que ces hora1res gênaient moins que d'autres ou qui les auraient acceptés dans l'espoir de pénétrer ultérieurement dans l'entreprise sur un contrat « normal »)
« Nous sommes persuadés qu'il est possible de négocier sur base de deux systèmes d'équipes permettant ainsi au personnel un choix. Cela ne veut pas dire qu'un système soit plus intéressant qu'un autre. Les deux systèmes proposés ont des avantages et des inconvénients. Cela veut dire que chaque personne concernée par le travail en équipes peut se déterminer librement en fonction de ses possibilités financières, de son mode de vie, de sa famille, de sa santé ». (tract CFDT - CG du 8 juin 1983)

La question majeure qui se pose - et que se pose la CFDT - concerne les raisons de la relativement faible mobilisation ouvrière sur ce type de propositions, alors même que de l'aveu de tous27, elles pouvaient présenter un intérêt indéniable.

« Chacun a ses problèmes, pour une vraie unité de tous, il faut reconnaître les problèmes de chacun », affirmait la CFDT dans un tract28. Mais comment, concrètement, recomposer syndicalement ces intérêts divers et éviter que les propositions reconstruites ne soient plus les propositions de personne ?
Et pourtant, affirme un responsable CFDT, « même si c’est difficile, c'est ça l'avenir ou rien. Il faut prendre en compte cette atomisation. L'histoire qu'on pointe tous à 7 heures du matin... tout ça c'est fini. Nous, on a encore ce schéma en tête, mais, j'ai le sentiment que les jeunes, les couches nouvelles, ils n'en ont rien à foutre... les thèmes du " travailleur collectif "... " on est tous ensemble "... ; On ne fait pas, vingt ans après, le syndicalisme idéal qu'on aurait dû faire vingt ans auparavant! »

Car, concrètement, si ces propositions pouvaient représenter un choix positif pour certains, elles n'étaient qu'un moindre mal pour d'autres et pour un troisième groupe, enfin, elles ne résolvaient aucun problème (notamment pour certaines femmes chefs de famille ou avec des enfants d'âge scolaire). Comment dès lors trouver un terrain d'entente qui ne sacrifie aucun des intérêts en présence ? Sur quelle base et selon quel mode peut-on articuler ces demandes en une pression uniforme ? Ici tout se brouille et renvoie à des systèmes de valeurs fondés sur des hiérarchies, des contraintes et des contradictions de sexe, d'âge, de statut professionnel, familial, individuel. Et ce n'est pas un hasard si toutes les discussions finissaient par tourner autour de la vie personnelle de chacun-e.
Fallait-il embaucher en soirée des jeunes chômeurs pour faciliter le maintien des femmes sur le marché du travail ? Comment pouvait-on demander aux ouvrières qui auraient dû travailler en équipes d'être solidaires de celles qui refusaient ce type de travail ?29 Fallait-il privilégier la défense de ceux qui acceptaient ces innovations ou défendre les intérêts de ceux qui les refusaient ?
Bref, toutes ces questions renvoyaient très vite à une multiplicité de problèmes personnels qui apparaissent nécessairement dès lors qu'une possibilité de liberté de choix - même relative - laisse entrevoir un desserrement des contraintes.

Les difficultés pour le syndicalisme étaient donc de recomposer les choix individuels et d'éviter qu'ils ne soient vécus comme contradictoires ainsi que de trouver une base sociale de soutien.
Or, la CFDT ne pouvait s'appuyer que sur le soutien actif de la petite minorité de personnes réellement motivées par l'équipe « courte » et sur celui, plus distant et peu enthousiaste, de ceux et celles qui pensaient que, "le dos au mur", cette alternative pouvait représenter "un moindre mal "ou "une porte de sortie honorable". Car, en réalité, il s'agissait moins de lutter pour un acquis positif qui mérite qu'on prenne des risques que de minimiser des contraintes qui, en tout état de cause, sont plus importantes que celles qui étaient vécues jusque-là.
La majorité des travailleurs-euses déjà en équipe n'étaient pas solidaires de celles qui refusaient cette organisation du travail et craignaient, par ailleurs, de perdre leur prime du fait de la proposition CFDT ou de voir s'accélérer le passage en trois équipes.
Quant aux jeunes chômeurs, potentiellement concernés par la création de l'équipe de soirée, ils n'étaient pas présents dans l'usine pour affirmer leur soutien à cette proposition créatrice d'emplois. Il n'est pas étonnant à cet égard, que la section syndicale ait songé à organiser débat sur ce thème, dans la ville même d'Angers, avec jeunes chômeurs, pour tenter d'instaurer un autre rapport force.

Ce nouveau syndicalisme a d'autant plus de difficultés à agir que ses pratiques concernant plus particulièrement des groupes sociaux qu'il n'a pas l'habitude de représenter (travailleurs à statut précaire, chômeurs, personnes acceptant de gagner moins pour travailler moins...) et dont les membres ne sont ni suffisamment nombreux ni assez motivés (puisque par définition l'usine n'est pas leur lieu principal d'ancrage) pour développer un rapport de force qui puisse entraîner une dynamique sociale.

D'emblée, l'approche syndicale en matière de contre-proposition industrielle se situe sur le terrain de la négociation sur celui du rapprochement des positions. Si la stratégie classique des luttes sociales est de tenter, à partir de positions divergentes, d'aboutir à un compromis, il en va tout autrement ici. Car c'est, en effet, très largement le degré de crédibilité économique d'un projet et sa capacité à intégrer les notions de rentabilité et de profit qui décident de la possibilité d'une dynamique de négociation. Ce type de logique s'appuie donc moins sur un a priori de rapports antagoniques que sur celui d'une complémentarité conflictuelle entre le patronat et les syndicats.

De fait, donc, l'interlocuteur premier du syndicat est le patronat ; il faut, pour que la contre-proposition soit crédible, accéder aux données économiques, produire des calculs, confronter des approches statistiques qui ne peuvent être que patronales.

On peut expliquer ainsi que la CFDT d'Angers ait d'abord voulu rencontrer la direction « pour donner un peu d'ossature à notre proposition, préparer le dossier et en parler publiquement après » (Un responsable syndical CFDT d'Angers.)
En cas de désaccord syndical, il est probable que seul le patronat soit en mesure de se poser en arbitre. S'il est sans doute simpliste de présenter cette initiative CFDT comme la preuve d'une alliance objective avec la direction, il n'en demeure pas moins que ce type d'approche porte en lui-même les germes de pratiques syndicales posant le problème de la démocratie ouvrière.

Un certain nombre de comportements technocratiques apparaissent par ailleurs nécessairement dans ce travail de dossier : nécessité du secret, surdétermination de l'économique, technicité de l'approche vite limitée à un groupe restreint de dirigeants syndicaux ainsi que d'experts appelés en renfort pour trancher les enjeux litigieux.  

Certes, en dernière instance, c'est le vote à la base qui fait la décision. Il existe cependant un risque réel que la base finisse par ne plus jouer qu'un rôle de garde-fou à des propositions syndicales élaborées - presque nécessairement - par quelques syndicalistes travaillant sur dossiers. D'autant plus qu'il est très difficile de maintenir la pression ouvrière lorsque des négociations s'engagent.  

C'est ainsi que le thème profondément radical du refus du travail en équipes, affirmé par les ouvrières d'Angers, n'a pas été relayé par la CFDT. Non que les responsables syndicaux locaux30 n'aient été humainement et syndicalement sensibles à ce problème31, mais parce que le refus des deux équipes gênantes pour toutes, insupportables pour certaines et impossibles pour d'autres, n'était pas négociable.

Ce refus était d'autant plus dangereux que des rejets aussi explicites du travail en équipes étaient rares32 et remettaient en cause l'organisation du travail de millions de salarié-es.

Dernier problème enfin, celui posé par la notion de « choix » des salarié-es qui renvoie en réalité au problème du pouvoir dans l'entreprise. Lorsque le patronat propose aux salarié-es de«  choisir » le travail en équipes, il est clair pour tous que ce « choix » s'exerce dans un cadre contraint : l'équipe ou le départ avec prime en 1981; l'équipe ou le licenciement en 1983.
« Il n'y a que la porte qui nous fait peur », dit significativement une ouvrière.
Or, lorsque cette notion de choix est reprise par un syndicat, il s'agit d'un choix encore plus relatif. Pour une majorité de salarié-es, le réalisme de la proposition CFDT pouvait donc apparaître ambigu : pourquoi, au fond, s'inscrire dans le débat syndical : « équipe longue » ou « équipe courte » alors qu'en réalité on ne veut pas du travail en équipes du tout? Où établir la limite entre le : « oui au travail en équipes sur la base d'un choix » (CFDT) et « non au travail en équipes obligatoires » (CGT) ?
Le travail à la journée est-il libre ?

L'évolution des positions de la CGT n'est compréhensible que si elle est resituée dans le contexte de la confrontation d'une culture syndicale ancienne à la nécessité d'une stratégie de conquête du pouvoir politique. « On ne nie pas qu'à un certain moment, il faille faire de nouveaux investissements pour de nouveaux moyens de production, mais on pensait qu'on pouvait continuer à fabriquer des téléviseurs à la journée. » (Interview d'un syndicaliste CGT. Angers. 1984).

Cette culture ouvrière ancienne peut se résumer ainsi : c'est la défense des travailleurs de métier dépossédés de leur qualification, et donc de leur pouvoir, par les progrès technologiques et luttant collectivement pour le maintien de leurs droits acquis (en termes de statut) et l'augmentation de leurs salaires dans le cadre du marché intérieur.
Alors que le problème posé par la direction, et relayé par la CFDT, est celui du progrès technique et de la compétitivité dans la logique d'un groupe industriel multi branche et multinational, la CGT a raisonné, tout au long du conflit, essentiellement au niveau de l'unité économique d'Angers et uniquement dans le cadre du marché français. La solution qu'elle proposait était : augmentation globale des salaires, donc du pouvoir d'achat, donc de la consommation de téléviseurs.

Elle s'est par ailleurs refusée à aborder le problème de la rentabilité et du progrès technique. En 1983, elle proposait : « de faire suer la machine en améliorant la qualité humaine du travail."33   
Elle n'a pas remis en cause sa conception d'une classe ouvrière homogène, aux intérêts radicalement antagoniques à ceux du patronat, et n'a donc, logiquement, pas pris en compte les difficultés des individus pour élaborer sa politique: « Le problème, pour nous, n'était pas de se mobiliser pour les autres, ou autour des choix personnels des filles, c'était de se mobiliser pour qu'on travaille autrement dans cette boîte». (Interview d'une responsable de la Fédération de la Métallurgie CGT chargée du dossier)
Enfin, elle s'est essentiellement battue pour les salaires des travailleurs-euses « normaux-ales », sans prendre réellement en compte le problème du temps de travail.34

Alors que les ouvrières luttaient pour préserver leur vie d'une ingérence jugée insupportable du travail salarié, la CGT voyait dans leur radicalité une tentative de réappropriation de l'usine par les travailleurs. On comprend mieux dès lors, pourquoi, au-delà d'une stratégie que l'on peut juger par ailleurs essentiellement défensive, la CGT ne pouvait pas proposer de débouchés à leur lutte.
En ne se situant pas sur le terrain des enjeux concrets, le risque était en effet grand de n'offrir d'autre débouché à la lutte que le retour au statu quo ante. Certes, lorsque le refus ouvrier est porté par un large mouvement de mobilisation, il peut permettre de négocier au mieux du rapport de force mais, dans l'hypothèse inverse, il risque fort d'apparaître comme une position facile, voire dangereuse. Car, en prenant la responsabilité de situer les salarié-es sur une voie sans issue, sans débouché, ni alternative possible - à moins de considérer que la lutte contre l'exploitation en constitue une en soi -, il n'existe d'autre échappatoire qu'un retournement de dernière minute : finir par accepter une négociation. Si celle-ci réussit, on capitalise un succès ; dans le cas inverse, on proclame l'échec du syndicalisme qui croit à la nécessité du réalisme et de la négociation. Le succès électoral de la CGT dans le premier collège ouvrier de l'usine Thomson Angers après le conflit, en 1984, où elle a gagné 2,5 % des voix, trouve sans doute, partiellement là son explication.    

Mais la position défendue par la CGT est, en outre, révélatrice des difficultés d'un syndicalisme confronté à de nouvelles formes d'organisation du travail (travail en équipes, de week-end, de soirée, en intérim, à temps partiel...) qui font voler en éclats cette homogénéité supposée de la communauté ouvrière en jouant sur la diversité des statuts, des horaires et des rémunérations. La tentation n'est-elle pas, alors, grande de croire qu'en refusant ces nouvelles formes, on pourrait revenir à un des mythes fondateurs du syndicalisme : celui de La classe ouvrière ? Mais le retour au passé, peut-il fonder un projet syndical ?

La CGT se trouve alors prise en contradiction entre l'affirmation de positions de principe qui n'ont que peu de prise sur l'évolution des choses - et ce d'autant moins que cette évolution correspond partiellement à des aspirations de certaines salarié-es - et le problème de la défense de ces travailleurs « atypiques»35.
Comment est-il possible dès lors de se vouloir le porte-parole de tous les travailleurs lorsque l'on affirme : « Nous ne privilégions pas les gens qui travaillent en équipes, car depuis toujours nous sommes contre le travail en équipes. » (Tract CGT novembre 1981)
Il est d'ailleurs à craindre qu'au rythme de l'évolution en cours, ce ne soit le contrat de travail à la journée qui ne devienne rapidement « atypique ». C'est déjà le cas à l'usine d’Angers.

C'est ainsi que la CGT en arrive à défendre des positions totalement contradictoires. Elle présente, par exemple, comme une grande victoire la revalorisation et l'intégration de la prime d'équipe dans le salaire tout en s'affirmant, durant le conflit, comme le héraut de la seule ligne syndicale conséquente contre le travail en équipes...
Dans le même sens, elle pouvait, lors d'une même réunion, refuser fermement le principe des départs volontaires et demander l'augmentation de la prime de départ (15 mois de salaires au lieu de 12 proposés par la direction).36 Tout comme, lorsque les ouvrier-ères de la chaîne LM 9 retourneront au travail à la journée (juin 1985), elle dénoncera le manque à gagner occasionné par l'abandon de la prime d'équipe.

Mais cette culture ouvrière s'est trouvée confrontée à la nécessité d'une stratégie d'action unitaire qui visait, tant à la base qu'au sommet, à conquérir l'hégémonie politique. Aussi, tout en s'appuyant sur sa base ouvrière, la CGT a fondé son action sur l'hypothèse qu'une pression politique empêcherait tout licenciement (le PC est alors au gouvernement, et l'on sait sa volonté de défendre les nationalisations).

À la Fédération CGT de la métallurgie, la responsable parisienne suivant ce conflit rappelait avec force que la CGT « demandait la garantie de l'emploi dans les entreprises nationalisées ». Et en mai 1983, soit quatre mois avant les licenciements, un tract de la CGT d'Angers affirmait : « A notre connaissance et contrairement à ce qui a été écrit, personne n'a été licencié pour avoir refusé le travail en équipes. »
Elle a donc interpellé A. Gomez, président de Thomson, en tentant de le mettre en porte-à-faux par rapport aux déclarations de Mauroy (Lettre sans réponse du 11 août 1983), demandé des rendez-vous dans les ministères (seul le ministère des Droits de la Femme a accepté, mais selon une syndicaliste CGT présente «elles ne semblaient pas avoir beaucoup de pouvoir »), et a fait intervenir la Fédération des métaux CGT auprès de la direction des Affaires sociales de la branche Grand Public de Thomson.  

Mais, à la base, derrière une apparence de refus pur et dur, elle a maintenu, tout au long du conflit, une position ambivalente37 qui a fluctué au gré des rapports de force. Ces glissements ont été rendus possibles par l'interprétation ambiguë de la notion de « travail obligatoire ».

La CGT a, en effet, défendu la thèse du «refus du travail en équipes » (2 mai 1983), puis du «refus du travail obligatoire en équipes » (30 mai, 10 août 1983...), pour rejoindre les analyses de la CFDT (2 juin 1983)38, pour finalement, en septembre, après les licenciements et l'échec de la proposition CFDT, se retrouver seule sur une position «dure » de refus réaffirmé du travail en équipes.

La direction de l'usine d'Angers, qui n'avait pas caché avant l'arrivée de la gauche son opposition aux nationalisations, a voulu présenter tout au long du conflit l'image d'une direction soucieuse avant tout d'efficacité industrielle.
Mais cet argumentaire strictement économiste cachait mal une volonté farouche de refuser toute ingérence ouvrière et syndicale dans les affaires intérieures de l'usine.

L'enjeu était bien dans la reconnaissance du pouvoir syndical dans l'entreprise. Accepter d'engager une dynamique de négociation, qui plus est sur la base d'un rapport de force politique, c'eût été, de fait, accepter que les syndicats puissent se prévaloir ultérieurement d'un droit de regard sur la gestion de l'entreprise.
Il n'en était pas question avant l'arrivée de la gauche, et ce sera clairement refusé après celle-ci.

Mais pouvait-on laisser la presse et l’opinion sur cette image d’un patronat de choc refusant toute discussion syndicale dans une usine nationalisée, d’autant plus difficile à justifier que les propositions syndicales CFDT - celles qui avaient focalisé l’attention - évoquaient les notions de responsabilité, de participation, de possible conciliation entre les intérêts patronaux et ouvriers…
     
Devant le blocage de la situation, d’autant plus difficile à assumer par la direction centrale du groupe que la branche Grand Public de Thompson voulait présenter d’elle-même une image de force socialement novatrice (des pressions politiques à gauche comme à droite commençaient en outre à s’exercer), la direction des Affaires sociales de cette branche suggère - pour ne pas dire impose - à la direction d’Angers une contre-proposition CFDT.

Il s’agissait d’un système de 30 heures par semaine en 3 équipes alternantes (6H – 11H ; 11H – 16H ; 16H – 21H), soit 5 heures par jour, sans pause repas, 6 jours par semaine. Mais ce système (présenté au CE) ne « s’adressait en aucun cas aux gens qui travaillaient déjà en équipe » et était proposé « pour une durée d’un an, voire de deux ans, aux femmes exclusivement39 » « à titre expérimental » et uniquement pour un sous-ensemble de 30 à 40 personnes (Cf. PV du 17 juin). Les réserves, on le voit, étaient grandes. Et, dans l’hypothèse où le nombre de volontaires dépasserait le chiffre prévu, la direction leur « demanderait de patienter et d’accepter de travailler dans les équipes actuelles ». Quant à l’amplitude horaire, elle ne s’était pas modifiée.
Sur le plan financier, enfin, le salaire de base, sans prime d’équipes, bien entendu, était diminué de 6,7 % pour un temps de travail réduit cependant de 22 %.
Les personnes qui ne retiendraient aucune des trois possibilités ouvertes par la nouvelle proposition patronale (équipes continues de 35 h 30 ; mi-temps en équipes ou nouvelles équipes de 30 h), « seraient portées sur la liste des licenciements »

Les dirigeants de Thomson Paris, qui reconnaissent que la direction d'Angers n'y était pas favorable, considèrent cependant que « les syndicats ont raté le coche » en ne saisissant pas cette solution présentée comme une position de compromis.

Les syndicats refusent, quant à eux, cette interprétation : « Nous venions de rentrer depuis trois semaines dans une période d'unité syndicale ce qui ne s'était pas vu depuis deux, trois ans. Cette unité était fondée sur deux points : refus des trois équipes alternantes et donc refus du travail du samedi et refus de perte de salaire ; or, ces deux points étaient inclus dans la proposition patronale ! "

C'est ainsi que la proposition « parisienne » fut rejetée le lendemain quasi instantanément par les syndicats et par la base, au grand soulagement de la direction d'Angers. La procédure de licenciement pouvait se poursuivre.

À partir du mois d'août 1983, la CFDT a, de plus en plus précisément, tenté de contrecarrer les arguments patronaux en se situant sur leur propre terrain, celui des analyses économiques. Elle partait naturellement handicapée, dépendant totalement de la bonne volonté patronale ; pendant deux mois, la direction d'Angers refusa de lui procurer les éléments chiffrés dont elle avait besoin et ce n'est que sur pression de la direction des Affaires sociales de Paris qu'elle dut les lui fournir.
Jusqu'au mois de septembre, les modalités du calcul de base étaient différentes : la CFDT ne prenait en effet en compte que l'impact de ses propositions sur la variation du prix d'une télévision sortant d'usine, tandis que la direction ne calculait qu'en fonction de la notion de surcoût salarial.

La CFDT chiffra ensuite les deux méthodes.

Évolution du coût salarial :
2 fois 35 h 30 (proposition patronale) : base 100
Travail à la journée, sans équipes : 93,3
3 fois 30 heures (proposition « parisiennes ») : 100
Dernière proposition CFDT : 109,7.

Évolution du prix d'une télévision, en tenant compte des salaires et des investissements :
2 fois 35H30 (proposition patronale) : base 100
Travail à la journée, sans équipes : 102,1
3 fois 30 heures (proposition « parisiennes ») : 102,1
Dernière proposition CFDT : 100,6.
 
Que conclure ? Ces chiffres, discutés et précisés avec la direction, montrent que le seul surcoût salarial n'est pas représentatif du surcoût et qu'il faut tenir compte des deux approches : le coût salarial augmente avec la réduction du temps de travail tandis que le coût de l'amortissement des équipements diminue si l'amplitude de leur utilisation augmente.

Il est clair cependant que la proposition CFDT représente un surcoût par rapport à la proposition patronale. La question de fond qui se pose est de savoir dans quelle mesure ce surcoût pouvait être mis en relation avec la prise en compte de la nature des relations sociales (bonnes ou mauvaises) dans l'entreprise. Jamais le problème n'a été posé en ces termes par la direction d'Angers, car disait-elle "où mettre la limite ?" 40 Paradoxalement ou non, c'était la CFDT qui vantait les avantages économiques pour le patronat d'une « saine » ambiance sociale. 41

Devant cette bataille de chiffres, les syndicats se mettent d'accord pour demander une expertise comptable, conformément à l'article L 434-6 du Code du travail, en cas de licenciement économique.

Le cabinet Masson, proche de la CGT, fut choisi et dut être accepté par la CFDT parce qu'il intervenait déjà au niveau du Comité central d'entreprise, à majorité CGT. L'enjeu était de taille puisqu'il s'agissait, selon les termes mêmes de la CGT, de : « permettre au CE de vérifier si les arguments chiffrés de la direction entraînés par les propositions des organisations syndicales étaient fondés ».
Symboliquement - tout le monde en était conscient - l'expert devait trancher entre les propositions de la CFDT, qui avait porté quasiment seule sa contre-proposition, et celles du patronat.
Or, l'expert-comptable du Cabinet Masson n'a pas du tout abordé la question sous cet angle et a ignoré l'approche CFDT. De fait le patronat avait gagné la partie. Celui-ci a d'ailleurs exprimé très clairement sa satisfaction au CE sans être démenti par l'expert : « Je remarque que si vous acceptiez qu'on travaille en équipes, cela coûterait moins cher que le travail à la journée. Il n'y a rien d'autre à dire. Je n'ai pas vu d'éléments nouveaux permettant de dire que le travail en équipes ne va pas dans le sens de la réduction des coûts. Vous faites la démonstration inverse. » (PV du CE du 16 septembre 1983, p. 12).

Extraits des débats entre la CFDT, la direction et M. Signorino lors de la présentation de son rapport au CE du 16 septembre 1983

M. Signorino présente son rapport...
M.T. - CFDT - : "Je souligne que ce que vous venez de dire n'est appuyé par aucune argumentation chiffrée".  
M. Signorino : "Ceci pourquoi je donne une explication... La question est : faut-il ou non imposer un travail en équipe sur la LM 9 ? Les éléments d'appréciation n'existent pas actuellement"...
M.C. - CFDT - : "Le sentiment de la CFDT est que vous avez perdu beaucoup de temps sur les questions de politique générale de Thomson"...
M. Signorino : "Vous avez le droit de me faire des reproches".
M.C. - CFDT - : "Je répète que vous avez pris le parti de ne pas répondre à la mission demandée par le CE. Vous n'êtes pas industriel et cependant vous vous permettez de faire une étude complète sur les produits grand public. Conclusion, nos questions ne sont pas résolues"...
M.T. - CFDT - : "Il nous apparaît surtout que l'expert-comptable est opposé aux conceptions syndicales."
M.B. - CGT - : "Pour nous CGT, ce rapport nous convient."  
M.C. : "Pour nous CFDT, ce rapport ne nous convient pas. Montrez-moi à quel endroit il est question de l'analyse des surcoûts présentés par la CFDT."
M.J. - Direction - : "Les surcoûts horaires apparaissent page 15."
M.C. - CFDT - : "Bien sûr ce sont les mêmes que les vôtres. "
M. J. - Direction - : "Si M. Signorino arrive aux mêmes chiffres, ce n'est sans doute pas un hasard"...
M.T. - CFDT - : "Vous aviez pourtant une analyse syndicale chiffrée. Vous auriez pu indiquer, si vous l'aviez voulu, le mode de calcul. Vous pouviez nous demander comment nous avions fait nos comptes."..
M. Signorino : "Dans votre calcul syndical, il n'y a pas de tentative de chiffrer les gains de productivité."
M.T. - CFDT - : "On a fait avec les moyens du  bord et en travaillant le soir, on pensait qu'on serait aidé à ce niveau-là. On voulait avancer et comprendre."..

Or, il s'avère qu'à la CGT Thomson Angers, comme à la Fédération CGT de la Métallurgie les conclusions de ce rapport sont présentées comme faisant la preuve que « le passage en équipes était une solution parmi d'autres et qu'en fait on pouvait très bien revenir avec une productivité meilleure à un travail en non-équipes».42

Sans vouloir aborder le problème de sa méthode de travail, comment l'expert voyait-il la solution de ce problème ?
Voici ses réponses : « Pour résoudre les problèmes dans l'usine, il faut passer à une taille différente et à des produits différents... protéger le marché, diversifier le produit, produire en France les outils de production... refuser de copier des matériels conçus à partir des normes sociales du travail au Japon... favoriser les aspirations du personnel à intervenir dans la gestion de l'entreprise.» (PV du CE du 16 septembre 1983)
Plus précisément, il propose de faire « comprendre aux clients qu'il est tout à fait possible de payer une télévision Thomson un peu plus cher » (ibid.), car « le consommateur, français qui n'est autre chose lui-même qu'un salarié, peut fort bien accepter de donner la différence, même avec un écart de coût, à un produit fabriqué sans larmes » (Rapport de l'expert-comptable, page 10). Et si la bonne volonté du consommateur ne s'avérait pas suffisante, que Thomson – nationalisé - utilise les vecteurs de communications nationaux pour expliquer le bien fondé de ces analyses aux téléspectateurs : « Signalons enfin, écrit M. Signorino, que comme toutes les industries de biens d'expression, le comportement des acheteurs est largement déterminé par la nature des programmes. Sur ces bases, pour reconquérir le marché national il est indispensable de s’interroger parallèlement sur l'offre des programmes et celle des terminaux de réception et d'intervention. » (Rapport p. 11)  

De fait, le conflit était terminé. Il ne restait plus qu'à procéder aux licenciements.

Le 2 août 1983, une conférence de presse donnée la direction des Affaires sociales de la branche Grand Public de Thomson avait donc annoncé le licenciement de quarante personnes, « pour refus de travailler en équipes ».

Mais de quel type de licenciement s'agissait-il ? En cas de licenciement collectif, les salarié-es bénéficiaient d'une priorité de réembauche pendant un an43. En affirmant sa volonté de réembaucher autant de salarié-es qu'il y aurait de licencié-es44, la direction créait un nouveau cas d'espèce quant à la distinction instaurée par le Code du travail entre licenciement individuel et licenciement collectif. Le ministère des Affaires Sociales considérait pour sa part qu'il s'agissait d'un licenciement individuel parce qu'il n'y avait pas suppression d’emploi. Que la Direction départementale ait décidé de trancher dans le sens préconisé par la direction : « licenciements pour restructuration sans suppression d'emploi », alors que le ministère lui avait demandé, sur la base de sources convergentes, de se déclarer incompétente, fait à cet égard jurisprudence.
Le 9 août, cette décision est annoncée au CE, tandis que le dossier est envoyé, comme le veut la loi, à l'inspection du travail.
Jusqu'en septembre, la direction a tenté de faire baisser ce chiffre. C'est ainsi que sur la proposition du médecin du travail et de l'assistante sociale, un certain nombre de personnes avaient été retirées de la liste. Pour beaucoup, il s'agissait des femmes ouvrières ayant souffert de dépressions nerveuses45 tandis que certains problèmes de transports difficiles étaient temporairement réglés. Mais le chef du personnel n'a eu personnellement aucun contact avec les salarié-es.

Le 16 septembre, date limite donnée par la direction, la CFDT précise aux dernières ouvrières qui avaient jusque-là toujours refusé l'équipe, qu'au-delà de cette date, le licenciement serait réel.              
Une quinzaine d'entre elles font irruption collectivement dans la réunion du CE pour donner leur réponse définitive, dernier symbole de la résistance ouvrière. Parmi celles-ci, dix d'entre elles annoncent qu'elles ne peuvent être licenciées et qu'elles se voient donc contraintes d'accepter le travail en équipes. (Cf. Dialogue page 9).

Parmi les neuf dernières (que les syndicats considèrent comme des « otages », puisqu'on n'a pas contacté tous les salariés et que parmi ceux qui ont accepté de travailler en équipes, certains en août 1985 n'avaient toujours pas reçu proposition d'un tel poste), plusieurs ont refusé de justifier individuellement leur « cas » à la direction dans une réaction de dignité 46.
L'inspecteur du travail retire pour sa part trois personnes sur la liste des douze qui lui avait été adressée. Bref, en octobre, il restera neuf personnes officiellement licenciées. On peut d'ailleurs se demander encore une fois si l'enjeu, au-delà du cas de figure, n'était pas essentiellement situé au niveau d'une volonté patronale de casser toute tentative ouvrière de s'opposer à une modification de l'organisation du travail. En ce sens, l'accord de l'inspecteur du travail est lourd de conséquences. Et L'Usine Nouvelle, organe patronal, ne s'y est pas trompé, lorsqu'elle écrit: « … Neuf licenciements, dont ceux des deux délégués qui avaient animé le mouvement du refus sont autorisés. Et qu'ainsi l'Inspection du travail donne entièrement raison à l'entreprise. Des salariés ne peuvent donc s'opposer au passage d'un horaire de jour au travail d'équipe en 2/8 sans risquer de rompre d'eux-mêmes leur contrat de travail47. » (3 novembre 1983)  

Au comité d'établissement du 26 juin 1985, du fait de difficultés économiques, la direction annonce que la fameuse chaîne de montage LM 9, au centre du conflit de 1983, reviendra au fonctionnement à la journée. La mesure est effective depuis le 15 août 1985.

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Notes de bas de page
1 David Montgomery, Worker's Control in America, Cambridge University press, 1979, 189 p.
2 Cette politique de compensation salariale dans le groupe, d'après une étude officielle, « évolue dans le temps mais toujours vers une moindre compensation ». (P. Charpentier février 1985). En janvier 1984, à l'usine Lesquin (électroménager) du groupe Thomson, le travail en équipe sera « proposé » sans aucune prime
3 Selon la direction d'Angers, le prix d'un téléviseur vendu à Tokyo correspond au prix de revient d'un téléviseur fabriqué en France.
4 « Parmi les O.S,  ... certains travaillent dans notre établissement parce qu'ils ont des possibilités limitées ou parce qu'ils n'ont pas de projet professionnel plus ambitieux. C'est par exemple le cas de nombreuses femmes qui sont à la recherche d'un salaire d'appoint pour le couple... À toute transformation, on note une résistance au changement qui est peut-être spécifique aux salariés français. Mais une fois adopté le nouveau mode d'organisation du travail, les gens s'y habituent... et ne souhaitent pas en changer." Interview du directeur de l'usine d'Angers, L'usine Nouvelle, 3 novembre 1983.
5 Vers 18 heures, on pouvait effectivement voir une file d'attente devant les cabines téléphoniques situées à l'intérieur de l'usine
6 On connaît certains cas de maris menaçant leur femme de les quitter si celle-ci "passait en équipe".
7  «Le mercredi, je commence à  être  fatiguée, raconte une ouvrière, le jeudi je me traîne et le vendredi, je suis crevée »
8  «Le nombre de personnes qui résistaient nous a toujours surpris. Cela doublait nos prévisions à chaque fois» . Interview d'un syndicaliste C.FD.T.)
9Pour une vision idyllique où la flexibilité des entreprises s'adapte sans contradiction à la mobilité des travailleurs en évacuant les problèmes de la division sexuelle du travail dans la famille, voir « La presque véridique histoire de Gaëlle et de Loïc », prologue du rapport Taddéi : « Gaëlle et Loïc travaillaient dans la même entreprise non loin de Saint-Brieuc ; c'est là qu'ils se rencontrèrent et commencèrent à s'aimer. A ce moment, le patron - l'heureux homme - ne pouvait satisfaire toute sa clientèle; aussi proposa-t-il à son personnel de travailler en 2 équipes successives de 32 heures par semaine, plutôt qu'en une seule de 39 heures, comme tout le monde, ou presque. L'augmentation des ventes lui permettant d'offrir une bonne compensation salariale, le personnel finit par accepter, oh !, après bien des discussions et des péripéties ! il fallut même créer un syndicat - il n'yen avait pas jusque-là - pour pouvoir signer un contrat de solidarité; et puis cela créait des emplois : comment refuser ?
  Gaëlle et Loïc choisirent donc - pour ne pas se quitter - de travailler dans la même équipe du matin, celle qui commence à 6 h 30 et cède la place à 13 h ; toutes les après-midi, rien que pour eux, sans parler des week-ends ! Leur amour s'épanouit, ils se marièrent (ils eurent même droit comme cadeau du patron à un réveil matin !) et eurent assez vite ce qu'ils désiraient le plus, des enfants. Le bonheur... et des problèmes de garde. Pour y faire face, Loïc demanda à passer dans l'équipe de l'après-midi : il finissait ainsi à 19 h 30 ; un peu tard sans doute, mais à temps tout de même pour ses programmes préférés de télévision
.
 Ils pouvaient ainsi alternativement materner et « paterner» et se répartirent équitablement (ou presque !) les soins du ménage. Les enfants grandirent, allèrent à l'école. Grâce à une collègue et voisine, qui proposa de les garder avant « la classe », Loïc revint, dans l'équipe du matin, travailler avec Gaëlle comme aux temps de leurs premières amours.
  Mais le temps passe, les enfants grandissent, les couples mûrissent… Ils n'avaient plus trop envie, ni l'un ni l'autre, d'avoir toujours le conjoint « sur le dos » comme ils disaient : ils voulaient cependant sauvegarder leur couple pour les enfants bien sûr, mais pour eux deux tout autant. Cette fois c'est Gaëlle qui demanda l'équipe de l'après-midi.
  Aux dernières nouvelles, le couple se porte bien... et l'entreprise aussi : le patron se demande même, s'il ne va pas proposer la mise en place d'une équipe supplémentaire, en fin de semaine !  Il embauchera peut-être leur fille aînée qui termine ses études d'ingénieur... » Pour une nouvelle organisation de la production : allongement de la durée d’utilisation des équipements, aménagement et réduction des heures de travail. Rapport au Premier ministre. Septembre 1985.
10 La lettre qu'elles avaient rédigée montrait bien qu'elles refusaient l’humiliation de la justification individuelle, comme l'alibi de leur «accord» : « J'ai été contrainte et forcée de donner une réponse affirmative au travail en équipes parce que je ne veux pas perdre mon emploi. »
11 «Parce que vraiment on avait l'impression qu'il se foutait de nous, à ce moment-là, le directeur...» (une ouvrière).
12 Cette expérience qui n'eut que peu de succès (29 personnes seulement employées à temps partiel en 1982) nous intéresse néanmoins par ce qu'elle révèle du type de rapports instauré dans cette entreprise entre le patronat - le même qui  «gérera» le passage en équipes -, les syndicats et les salariés : syndicats informés le jour même du Comité d'établissement de l'initiative patronale proposant le travail à temps partiel; distribution à l'ensemble des salariés, une demi-heure après la fin de ce C. E., d'un livret explicatif vantant les mérites de cette proposition et accompagné d'un coupon réponse «à rendre le plus rapidement possible» à la maîtrise; informations erronées sur le salaire (64 % du plein salaire au lieu de 50 %); menaces orales de licenciements en cas d'un nombre insuffisant de volontaires; refus de répondre aux syndicats sur le nombre de personnes dont il est souhaité qu'elles travaillent à temps partiel...
13 Procès-verbal du C. E. du 27 mai 1981
14 Interviews de responsables syndicaux, Angers, 1984.
15 Vision, Journal d'entreprise, Angers, octobre 1982.
16 C.E 24 septembre 1982.
17 Interview d'un responsable C.F.D.T.
18«Dans un atelier, vous aviez un poste de réglage plus intéressant qu'un poste à la chaîne, alors les contremaîtres nous disaient : "Si vous passez en équipes, vous conserverez ce poste ». Des filles ont accepté pour garder leur travail. Aujourd'hui, elles ne sont plus au réglage, mais elles sont en équipes! ». (Une ouvrière)
19 Dans la lettre du 23 juin, le chef du personnel, M, B, écrivait : « Suite à notre courrier du 30 mai, nous vous rappelons que le poste de travail sur lequel vous allez travailler fonctionnera en horaires d'équipes alternantes (deux équipes de 35 h 30 hebdomadaires) à compter du 1er août... Nous vous demandons de nous faire part de votre décision au plus tard le mardi 28 juin. En tout état de cause, passé ce délai, une non-réponse de votre part équivaudra à une réponse négative. Nous espérons que ce nouveau et dernier délai qui vous est proposé vous permettra de comprendre l'intérêt que nous avons tous à ce que la compétitivité de notre établissement - par voie de conséquence l'emploi - soit au moins maintenue, et si possible améliorés. Dans le cas contraire votre silence ou votre refus nous amènerons à déposer prochainement un projet de licenciement pour motif économique auprès de l'administration compétente ».  «On leur faisait comprendre que c'était eux qui refusaient et que la rupture leur serait maIheureusement imputée » (Interview d'un fonctionnaire de la Direction Départementale du Travail, Angers). Les syndicats réagirent immédiatement en précisant qu'en aucun cas une non-réponse pouvait être considérée juridiquement comme une acceptation.
20 Ou, plus précisément la direction des Affaires sociales du groupe, greffe «de gauche» sur la direction industrielle.
21 Liaisons sociales, Législation sociale, n° 5 467. Voir « Thomson Grand Public ».
22 Entretien avec le directeur des Affaires sociales de Thomson Public, Service des affaires sociales du plan, juillet 1984.
23 Pascal Charpentier, Présentation synthétique de la recherche 'les conséquences économiques de la réduction du temps de travail dans  les liliales industrielles de Thomson Grand Public, février 1985. p. 4.
24 lbid. p. 8.
25 «Depuis de nombreuses années, le syndicalisme s'est battu pour améliorer les conditions de travail, et quand arrive le travail en équipes, c'est normal qu'il y ait un rejet de la part des organisations syndicales. Or, on arrive à une époque où il y a un bouleversement complet qui se fait en production à travers la généralisation du travail en équipes. Et on constate que les boîtes qui fabriquent des télévisions, en Europe, il y en a de moins en moins. Donc, on voit très bien qu'il y a des enjeux économiques importants. On n'est quand même pas dupe ! Et la nouveauté, c'est qu'on le prend en compte. Dans l'économie internationale où on est placé, il faut que les équipements travaillent plus longtemps. Or, la seule chose que l'on connaît actuellement, c'est le travail en équipes. On admet la réalité, mais on veut qu'il y ait discussion et qu'on puisse allier les impératifs économiques et humains ». (Interview d'un responsable C.F.D.T. d'Angers. Novembre 1983).
26 «On a vraiment été au maximum de ce que 1'on pouvait proposer pour que cela réussisse.»  (Un syndicaliste C.F.D.T.).
27  «Il faut reconnaître qu'ils avaient bien travaillé » (C.G.T Angers). «La section C.F.D.T. maîtrisait bien le problème ») (Fédération des métaux C.F.D.T.). «Ils ont fait un effort assez important.» (Direction des affaires sociales, Paris).
28 5 décembre 1983.
29 On a entendu ce discours de la part des personnes travaillant déjà en équipes: «Vous voyez, vous y êtes! Maintenant, chacun son tour ! Vous n'avez pas voulu ! Vous allez voir ce que c’est ! ».

30 Que ceux-ci soient essentiellement des hommes, ne soient pas membres du collège ouvrier et participent de longue date aux instances représentatives du personnel en tant que syndicalistes mérite cependant d'être pris en compte. Néanmoins la vie de la section syndicale est intense et ancienne et les débats  « très durs» , qui y ont eu lieu en sont la preuve.
31 Au niveau fédéral, par contre, cette réalité n'était pas perçue : « il s'agit d'un problème qui se résume à une réorganisation du travail et à une mise en équipes des gens ». Interview d'un responsable de la Fédération des métaux CFDT 1984.
32 Dans les années soixante aux Etats-unis, « 187 ouvrières de chez Ford se mirent en grève demandant l'égalité des salaires (et ce faisant obligèrent 40.000 ouvriers à débrayer). Elles eurent gain de cause sur ce point précis, mais Ford insista pour que femmes travaillent ainsi que les hommes en équipes de 8 heures. Les femmes répondirent que cela les gênerait considérablement dans leur rôle de ménagère et de mère et que leurs maris ne seraient pas d'accord ». ln Partisans, «  Libération des femmes année zéro », Juillet Octobre 1970, p. 19.

33 Tract CGT. 30 mars 1983
34 « Ce que l'on a regretté le plus (dans la proposition C.F.D.T)c'est l'idée qu'il pouvait y avoir perte de salaire.» (Interview d'une responsable de la Fédération de la métallurgie C.G.T. 1984).
35 Cf. Sur ce problème appliqué au travail à temps partiel : J. Loos et M.V. Louis, «Femmes, travail et temps partiel », Les Temps Modernes, juillet 1982.

36 P. V. du C. E. du 2 juin 1981.
37 L'analyse de ces évolutions, dues à la dynamique des rapports de forces intersyndicaux et politiques, ne sera pas présentée ici.
38 «Soucieuse de l'unité d'action (la C.G.T.) se rallie à l'expression de la majorité ».
39 Le moins qu’on puisse dire est que la loi sur l’égalité professionnelle entre hommes et femmes aurait été dès lors sérieusement mise à mal !
40 Interview du Directeur du personnel d'Angers.
41 "Vous ne voulez pas comprendre qu'un consensus dans cette boîte améliorerait la situation, y compris au plan économique. " ( Un responsable CFDT au directeur de l'usine. PV du CE du 6 septembre 1983). Pour une position nettement plus ambiguë : " Les travailleurs doivent être placés au cœur du redressement industriel, économique en général. C'est dans la réforme des rapports de travail dans l'entreprise que gisent les réelles réserves de productivité et de compétitivité des entreprises françaises." P. Héritier, Secrétaire général et P. Venturini, Secrétaire confédéral CFDT. Futuribles. Octobre 1983. P. 116
42 Interview d'une responsable syndicale CGT. Fédération de la métallurgie.
43 Peut-on mettre en relation cette difficulté juridique avec la décision prise ultérieurement par la direction d'Angers de ne plus embaucher de salarié-e- même sur chaîne - non titulaire du baccalauréat ? (ce qui n'était le cas d'aucune des licenciées]
44 Ayant publiquement annoncé cette décision de nouvelles embauches, la direction a affirmé aux syndicats avoir reçu plus de 500 coups de téléphone à l'usine.
45 13 retirées pour raisons familiales par l'assistante sociale, 18 pour inaptitude médicale au travail posté, 5 pour maternité.
46  «Ce n'était pas à nous de lui exposer nos raisons, c'était à lui de nous les demander.» (Une ouvrière C.F.D.T.)
47 Or, en 1981 encore, la direction d'Angers considérait qu'il s'agissait «d'une rupture du contrat de travail par l'employeur » (PV. du C. E. du 26 juin 1981).

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