Algérie
 Marie-Victoire Louis

Les Algériennes, la lutte

Les Temps Modernes
Algérie. Espoirs et réalités
Juillet-Août 1982
p. 152 à 193

date de rédaction : 01/06/1982
date de publication : 01/08/1982
mise en ligne : 03/09/2006 (texte déjà présent sur la version précédente du site)
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Un voyage encore à Alger. Et toujours l'impression, mais chaque fois plus dense, plus massive, plus douloureuse aussi que dans ce pays les femmes s'épuisent, dans la gestion d'un quotidien insoutenable, dans l'exclusion et la violence, à supporter un monde dont elles sont à la fois les piliers et les victimes. La même impression mais cette fois encore plus tranchée, plus radicale. La lutte est passée par là : voilà que tout ce qui était enfoui, toutes les humiliations intériorisées, les brimades assumées se sont un jour transformées en lutte, en mouvement actif de refus. Et là, la vérité de la société algérienne a éclaté : les femmes ont mis en crise cette société, non parce qu'elles étaient organisées, non parce qu'elles avaient un programme défini mais du fait qu'elles opposèrent, dans la rue, simplement et profondément, l'inhumanité fondamentale de leur condition à la condition inhumaine du monde des hommes. En ce sens, la lutte des femmes fut portée au cœur même du politique. Non pas en tant qu'elles acceptaient de dialoguer et de contester le discours dominateur masculin, tel qu'il s'étale, avec sa brutalité nue dans le projet de Code de la famille, mais justement parce qu'elles minèrent ce discours de l'intérieur et de l'extérieur en refusant de le concevoir comme débat simplement juridique et en le révélant surtout comme forme du pouvoir - du pouvoir des hommes sur les femmes en Algérie, aujourd'hui, en 1982.
Jamais je n'avais aussi profondément ressenti, autant qu'à travers les traces encore chaudes qu'avait laissées cette bataille autour du projet de Code de la famille, ce que représente en Algérie la séparation, le fossé, entre le monde des femmes et celui des hommes. Certes, il ne faut pas généraliser. Mais la lutte restituée dans les pages qui suivent, à travers l'expérience encore brûlante de celles qui l'ont faite, atteste de la profonde blessure qui sépare ces deux mondes.

Avant même l'annonce officielle en septembre 1981 du dépôt par le gouvernement d'un projet de statut personnel sur le bureau de l'Assemblée populaire nationale - début de la lutte  - deux événements avaient montré d'une part la réelle capacité de lutte des femmes et d'autre part leur volonté d'autonomie par rapport aux forces politiques et syndicales organisées, qu'elles soient du pouvoir ou de l'opposition.

En février 1979, El Moudjahid annonce qu'une commission au ministère de la Justice avait été instituée pour rédiger l'avant-projet de code de la famille. À ce moment-là, dans certains secteurs, et notamment dans le monde du travail mais aussi dans l'université, des femmes se sont inquiétées et ont tenté au niveau de l'UGTA1 de constituer des sortes de commissions de femmes travailleuses qui ont soulevé et posé ce problème.

Le 8 mars 1979, une assemblée générale réunissant deux cents femmes2 s'est tenue à l'Union territoriale d'Alger-centre lors de laquelle une motion sur le code de la famille est rédigée et portée quinze jours plus tard à M. Demène, alors secrétaire général de l'UGTA, et, ultérieurement au conseil national de l'UNFA3 par l'intermédiaire de sa secrétaire nationale, Mme Djeghroud. Dans cette motion, les femmes demandaient à connaître la composition de cette commission, ce qui s'y faisait, ainsi qu'une participation à la rédaction de l'avant-projet. Aucune réponse ni de l'UGTA, ni de l'UNFA n'a été faite à cette demande.

Ce qui est important dans cet événement c'est la volonté des femmes de l'université de construire une structure, un lieu autonome de femmes : « Ça a duré des semaines la négociation avec syndicat.. sur la possibilité de créer une commission de femmes travailleuses de l'université... parce que nous étions toutes identifiées comme n'étant pas de la même mouvance que les gars du syndicat de l'Université. Nous avions fait le pari qu'il y avait une possibilité… non pas le pari... nous étions acculées aussi puisqu’il n'était pas possible de prendre la parole, d'avoir une salle ou quoi que ce soit si on n'avait pas une structure. Ceci étant, cette commission, on l'a décidée toutes seules quasiment, pas avec le syndicat... qui n'a pas pu nous dénoncer parce qu'on était quand même des travailleuses de l'Université et en même temps il ne nous a pas du tout encouragées. »  (Une participante)

Cette commission décide d'organiser trois jours de réflexion où il "a été possible immédiatement de parler de vie réelle, de nécessité de changements... de se poser des questions sur les façons de changer la vie. Ces trois jours nous ont permis de savoir qu'on pouvait parler sans qu'on nous tabasse, sans qu'on nous ramasse. On faisait le test de ce qu'on avait en face, de l'environnement dans lequel on était. On était sorties de nos maisons, on commençait à tâtonner entre nous."

Dans la foulée, trois autres journées de travail sont aussi organisées par des universitaires d'Oran.

En janvier 1981 est mise en pratique une mesure visant à interdire la sortie du territoire des femmes d'Algérie. "À ce moment-là, il y a eu des grands remous un peu partout... Mais, nous basant sur notre expérience passée et sur le fait que des embryons d'organisations indépendantes sans noms précis avaient été créés - même s'ils n'avaient pas subsisté, des femmes commencent à se réunir sur cette question-là. "

C'est ainsi que le Collectif femmes d'Alger qui ultérieurement prendra en charge la lutte contre le code de la famille est né. "Il y avait eu un précédent - un ou deux étés auparavant - où on arrêtait et on refoulait des femmes à l'aéroport, jusqu'à y compris des femmes qui partaient en mission ! Les femmes ne pouvaient plus voyager seules et des centaines et des centaines d'entre elles ont été refoulées. Quand on demandait le texte, ils étaient incapables de le fournir, il n'y avait pas de texte... Seules existaient sans doute des instructions au plus haut niveau, celui des flics et de la DGSM4.

Deux assemblées générales d'environ huit cents femmes se réunissent le 5 et le 8 mars à l'université d'Alger, organisées par un Collectif de femmes qui ne revendiquaient aucun 'chapeau', ni syndical ni politique.
À l'assemblée générale du 5 mars, une pétition est signée exigeant le droit à la libre circulation de tous les citoyens et donc des femmes; par ailleurs, il est décidé d'envoyer un certain nombre de délégations auprès des autorités pour dénoncer ces discriminations «révoltantes ».
Le ministre de l'Intérieur reçut quatre femmes et après avoir reconnu que de telles pratiques étaient anticonstitutionnelles5, affirma qu'aucun texte n'existait en la matière.   
Certaines des femmes ayant demandé un démenti écrit, celui-ci fit valoir ‘l'équivalence des formes’ et déclara : « Il n'y a pas de texte écrit qui dise que les femmes sont interdites de sortie du territoire, je ne peux donc faire un texte écrit dénonçant un texte qui n'est pas écrit... mais cependant je m'autorise à ne pas faire quitter le territoire à des personnes qui ont des dossiers de police. »
À la sortie de la délégation, les divergences éclatent entre celles qui considéraient qu'entériner que l'on arrête à la frontière ceux et celles qui avaient un dossier de police et que faire référence à la constitution, c'était rentrer dans la logique du pouvoir. Et les autres qui considéraient que si, dans la constitution, il existait un article qui pouvait être utilisé par les femmes, il devait l'être et qu'enfin, il était logique qu'un ministre de l’Intérieur fasse valoir des actes de simple police, le problème essentiel étant celui de la discrimination sexuelle sur lequel elles avaient obtenu des garanties orales.
Le communiqué rédigé à la suite de cette réunion exprime des positions qui déjà commençaient à ne plus être unitaires.

Le 8 mars, nouvelle assemblée générale a lieu. Il s'agissait de rendre compte des démarches effectuées par les femmes auprès des autorités mais aussi de se mettre d'accord sur le principe d'une plate-forme d'action sur le statut personnel dont à nouveau on commençait à reparler, sans en connaître autre chose que des rumeurs.

Un petit groupe de femmes - qui avaient néanmoins pu se procurer un avant-projet du statut « par un membre du gouvernement » décide - après l'avoir fait tirer clandestinement à 50 exemplaires - de le distribuer, « moins pour informer, parce que avec 50 exemplaires, ne peut pas vraiment informer, que pour dénoncer l’anti-démocratisme du régime par un acte concret. »

Au cours de cette assemblée générale, deux courants apparaissent, celui voulant dégager une plate-forme d'action " parce qu'on ne peut pas réunir huit cents personnes en AG tous les mois"et celui émanant du bureau de l'AG tenu par les femmes du Collectif de l'Université:  celles-ci proposant de sortir dans la rue protester contre l'interdiction de sortie du territoire faite femmes. Un premier vote dans l'AG décide, majoritairement, de sortir dans la rue tandis qu'un groupe de femmes s'y oppose en arguant que cela ne correspondait à rien dans le mouvement des femmes, qu’elles se serait retrouvées au maximum 50 ou 100, que les femmes venues à l'AG n'étaient pas venues pour cela, que le mot d'ordre au nom duquel on voulait nous faire sortir : « l'interdiction de sortie du territoire des femmes» n'avait plus d'objet et qu'enfin ce serait organiser leur rupture avec toutes les autres femmes.

Dernier argument : « Il suffisait aux flics de ramasser cinquante femmes, de photographier les passeports avec le nombre de tampons de visas de sortie, de les montrer à la télé pour nous couler définitivement... Quelle catégorie sociale de femmes sort autant que nous - et seules - à l'étranger ? Aucune. C'était alors montrer aux autres femmes : cela ne vous concerne pas, elles veulent sortir, elles en ont les moyens. »

En définitive, les femmes ne sont pas sorties manifester dans la rue, mais la revendication était déjà posée. Pour les unes, ce 8 mars fut une grande victoire parce qu'il avait sensibilisé de nombreuses femmes et établi un rapport de forces en leur faveur, et pour les autres, ce 8 mars, par les dissensions qu'il avait révélées, avait discrédité le mouvement.

Un certain nombre de femmes du Collectif - qui s'étaient notamment opposées aux groupes organisés du pouvoir ou d'opposition - avaient établi comme principe que chacune faisait les analyses politiques qu'elle désirait à la seule condition qu'elle ne soumette pas le Collectif à la discipline de son parti.
Certes, cette position n'était pas intégralement partagée, mais elle représentait néanmoins une rupture dans les pratiques militantes.
De même, revendiquaient-elles, que toutes les décisions partent des AG : « Ça prend plus de temps peut-être, ça va infléchir, peut-être ralentir le mouvement, mais c'est la seule voie. Sinon, ça va être comme on fait depuis des années à la Fac, dans le monde politique en Algérie, c'est-à-dire des petits comités qui fonctionnent abstraitement, qui parlent au nom d'ouvriers qu'ils n'ont jamais vus et qui s'érigent en lieu de parole, en lieu et place de ceux dont ils prétendent rendre compte des problèmes. »

Mais alors même que des femmes proposaient de manifester dans la rue, la capitale et la Kabylie étaient touchées par des manifestations visant à obtenir la libération des étudiants Kabyles encore détenus. Si certaines femmes se sentaient parties prenantes des deux combats, d'autres, tout en se déclarant solidaires du Collectif culturel pour revendiquer la démocratie et dénoncer la répression6 refusaient de se soumettre aveuglément et de jouer, une fois encore, le rôle d'appoint.
« Moi, la tradition berbère - dit l'une d'elles - je suis bien placée pour la connaître et pour savoir ce qu'elle a réservé aux femmes, en tout cas en Kabylie. »

Fait révélateur : au cours d'une assemblée devant la bibliothèque Universitaire, une marche avait été décidée sur le rectorat où le recteur avait accepté de recevoir une délégation d'étudiants : "Brusquement, nous voyons une délégation composée de huit personnes, sept hommes et une fille, elle aussi membre du Collectif [culturel]. Alors, on a commencé à crier en disant que ces types qui venaient de tenir un meeting de deux heures sur la démocratie et qui nous empêchaient de passer sous prétexte qu'il y avait une femme qu'ils avaient désignée, ne nous laissaient pas exprimer nos revendications. Alors, on a fait envoyer un message au rectorat en disant que les femmes - puisqu'il en était ainsi - voulaient être reçues toutes - en tant que Collectif et non pas en tant que huitième membre désigné par un monsieur qui était devant la porte. Alors là - bien sûr - ces messieurs nous ont traitées de sexistes primaires et on a fait notre délégation quand même. On a vu le recteur qui nous a accordé ce qu'il avait accordé aux autres collectifs, c'est-à-dire un droit de réunion reconnu par l'administration. Bien sûr, il avait aussi trouvé la partie belle pour continuer la division… »

Ces femmes donc deviennent parties prenante des luttes politiques en Algérie, revendiquent dorénavant le droit d'être traitées sur un pied d'égalité et refusent de laisser la solution de leurs problèmes aux mains des hommes. Comme l'écrivait une lectrice d'El-Moudjahid : « Si les femmes doivent passer par les hommes pour régler leurs problèmes, elles ne seront jamais que des ombres »7.

La lutte des femmes ne peut plus dorénavant être présentée comme un problème second, hiérarchiquement dépendant de la solution du problème politique.

En septembre 1981, El Moudjahid annonce l'adoption par le gouvernement d'un projet de statut personnel qui devait être soumis à l'Assemblée populaire nationale. Lorsque cette information est donnée, à quelques individualités près, le texte était totalement inconnu. Néanmoins, et parce que périodiquement depuis l'indépendance, des projets ressortis des tiroirs du ministère de la Justice avaient paru très inquiétants, immédiatement des femmes se mobilisent : « Nous sommes les héritières de quelque chose d'ancien - précise une militante. Toujours quand il y a eu un mouvement de femmes... épisodique... dans l'UNFA ou aiIIeurs... le code de la famille a été une ligne de fond... il est toujours en sourdine dans les assemblées générales... il est toujours présent, comme une épée Damoclès. »

Voici quelques extraits du projet de loi gouvernemental :

Projet de loi relative au statut personnel
- Extraits
8 -

ARTICLE PREMIER - Le mariage est un contrat passé entre un homme et une femme dans les formes légales, dans le but de procréer et de fonder une famille basée sur l'affection et la mansuétude...
ART. 3 - La capacité de mariage est réputée valide à dix-huit ans révolus pour l'homme et à seize ans révolus pour la femme.
Toutefois le juge peut accorder une dispense d'âge pour une raison d'intérêt ou dans un cas de nécessité.
ART. 4. - Nul ne peut contracter mariage avec plus d'une épouse que sur une dérogation qui ne peut être accordée à celui qui est réputé incapable d'assurer l'équité dans la fourniture du logement et de l'entretien légal ou faute d'un motif légal ou si l'épouse s'y oppose...
ART. 6 - Le mariage est contracté par le consentement des futurs conjoints, du tuteur matrimonial et de deux témoins ainsi que de la constitution d'une dot...
ART. 8. - La charge de marier la femme incombe à son tuteur matrimonial qui est soit son père soit l'exécuteur testamentaire de ce dernier, soit l'un de ses parents de proche en proche selon l'ordre successoral...
ART. 13 - La dot est ce qui est versé à la future épouse en numéraire ou d'autres biens qui soient légalement licites. Cette dot lui revient en toute propriété et elle en dispose librement...
ART. 20 - Les empêchements permanents au mariage légal sont : la parenté, l'alliance, l'allaitement...
ART. 26 - Les femmes prohibées temporairement sont : la femme déjà mariée, la femme en période de retraite légale à la suite d'un divorce ou du décès de son mari, la femme répudiée par trois fois par le même conjoint, la femme qui vient en sus du nombre légalement permis...
ART. 27 - Le mariage de la musulmane avec un non musulman est prohibé.
ART. 30. - Tout mariage contracté avec l'une des femmes prohibées est déclaré nul avant et après sa consommation. Toutefois la filiation qui en découle est confirmée et la femme est astreinte à une retraite de vacuité.
ART. 32 - Le mari est tenu de :
Subvenir à l'entretien légal de son épouse à la mesure de ses possibilités et selon la condition de celle-ci, sauf lorsqu'il est établi qu'elle a abandonné son domicile conjugal.
Partager équitablement son temps s'il a plusieurs épouses et pourvoir au logement de chacune séparément.
ART. 33 - Le mari ne peut interdire à son épouse de :
Visiter ses parents, de les recevoir conformément aux usages et coutumes.
Disposer de ses biens en toute liberté.
Travailler en dehors du domicile conjugal si elle a, pour ce faire, stipulé une clause dans le contrat de mariage, si elle travaillait avant le mariage, ou si elle a travaillé après le mariage avec son autorisation formelle ou tacite.
ART. 34 - L'épouse est tenue de :
Obéir à son mari et de lui accorder des égards en tant que chef de famille.
Allaiter sa progéniture si elle est en mesure de le faire, et de l'élever.
Respecter les parents de son mari et ses proches.
ART. 35 - La filiation est établie par le mariage valide, la reconnaissance de paternité et la preuve.
ART. 42. - La filiation ne s'établit pas par l'adoption même si l'adoptant porte le nom de l'adopté.
ART. 43 - Le divorce est la dissolution du contrat de mariage ; il est de la faculté exclusive du mari et ne s'établit que par voie judiciaire après une procédure de conciliation.
ART. 44 - Si le mari ne renonce pas à divorcer après la tentative de conciliation, le juge prononce le divorce, son jugement est sans appel, et accorde à l'épouse le droit au logement et aux dommages et intérêts s’il constate que le mari aura abusivement usé de sa faculté.
ART. 45
. - Il est permis à l'épouse de demander le divorce pour les causes ci-après :
Pour défaut de paiement de la pension alimentaire prononcée par jugement à moins que l'épouse eût connu l'indigence de son époux au moment du mariage sous réserve des articles 67, 68 et 69 de la présente loi.
Pour infirmités empêchant la réalisation du but par le mariage.
Pour préjudices légalement considérés comme infraction du mari aux dispositions de l'article 33.
Pour refus de l'époux de partager la couche de l'épouse pendant plus de quatre mois.
Pour condamnation du mari à une peine infamante privative de liberté pour une période dépassant une année.
Pour absence de plus d'un an sans excuse valable ou sans pension d'entretien.
ART. 47 - La femme non enceinte divorcée après la consommation du mariage est tenue d'observer une retraite légale dont la durée est : trois périodes de pureté menstruelle...
ART. 48
- L'épouse dont le mari décède est tenue d'observer une retraite légale dont la durée est de quatre mois et dix jours...
ART. 49. - La retraite légale de la femme enceinte dure jusqu'à sa délivrance. La durée maximum de la grossesse est d'une année à compter du jour du divorce ou du décès du mari.
ART. 51 - Le droit de garde consiste en l'entretien et l'éducation de l'enfant dans la religion de son père ainsi que de la sauvegarde de sa santé physique ou morale
ART. 53 - Le droit de garde cesse, pour l'enfant mâle, quand celui-ci atteint l'âge de dix ans et pour la fille quand elle atteint l'âge du mariage...
ART. 54. - La titulaire se mariant avec une personne non liée à l'enfant par une parenté de degré prohibé, est déchue de son droit de garde...
ART. 57 - Si la personne à qui le droit de garde est dévolu élit domicile dans une localité autre que celle où réside le père de l'enfant gardé le mettant ainsi dans l'impossibilité de s'y rendre aux fins d'exercer sa surveillance sur la situation de l'enfant et de rentrer chez lui dans la journée, elle est déchue de son droit de garde.
ART. 59. - La grand-mère maternelle ou la tante maternelle est déchue de son droit de garde si elle vient cohabiter avec la mère de l'enfant gardé remariée à un homme non lié à celui-ci par une parenté de degré prohibé.
ART. 64. - Le père est tenu de subvenir à l'entretien de son enfant à moins que celui-ci ne dispose de ressources. Pour les enfants mâles, l'entretien est dû jusqu'à leur majorité, pour les filles jusqu'à leur mariage...
ART. 76 - Le père est tuteur de ses enfants mineurs. À son décès, l'exercice de la tutelle revient à la mère de plein droit à moins qu'il n'ait désigné un tuteur testamentaire.
ART. 110 - Il est interdit de donner à l'enfant recueilli le nom patronymique de celui qui le recueille...

***

Lorsque ce texte donc fut suffisamment connu, "franchement les gens étaient horrifiés" (Une militante), surtout après avoir lu les débats de l'APN publiés dans El Moudjahid9 "parce que là vraiment on voyait le contenu de ce texte... Il paraît qu'il y avait des interventions de députés au niveau de l'Assemblée d'un obscurantisme qui te laisse coi... ça dépasse tout ce que tu peux imaginer...
Même certains musulmans conservateurs, les plus croyants disaient : "mais ça n'a pas besoin d'être légiféré... ça regarde notre famille... on ne peut pas accepter des choses comme ça"…
Et d'ailleurs parmi les premiers signataires de la pétition des femmes il y avait des Frères musulmans, des hommes et des femmes qui jugeaient le texte non conforme à l'Islam10.

Quant à la réaction des femmes contre ce texte, voici comment elle est analysée par une féministe : "Elle est normale... il n'y a rien eu depuis vingt en faveur des femmes, elles ne pouvaient qu’être méfiantes du fait de la vie qu'elles mènent... aussi ont-elles réagi tout de suite parce qu'elles étaient les plus touchées. Elles étaient immédiatement définies comme sujets, comme pupilles, marchandables à merci et certains droits acquis par une pratique soit juridique, soit quotidienne, soit sociale - je pense notamment au droit au travail -, se voyaient remis en cause par le texte. Les femmes - principales intéressées... c'était évident. Pour les hommes, certains honnêtes intellectuellement devaient se dire : « Ce n'est pas juste », mais ils étaient aussi directement concernés, dans la mesure où ils disaient : « Mais qu'est-ce qu'on va faire dans cette future société ? Ce sera une société tout à fait féodale… Ils commencent par vous et après ce sera nous... on n'aura plus le droit de boire, de sortir le soir, de sortir avec nos femmes, avec des femmes... » J'ai vu de vieux messieurs qui disaient : « ... Moi, je ne me suis pas tué, saigné aux quatre veines pour que ma fille soit enfermée à la maison à la merci d'un homme... et pour qu'elle revienne chez moi divorcée avec ses enfants sur les bras… ». Mais au même moment, la propagande dans certaines mosquées disait : « Elles sont sorties dans la rue, comme les Européennes, elles veulent dévoyer nos filles. »

Autre analyse, celui d'une femme expliquant le code à sa mère : « ...Il faut l'autorisation maritale pour sortir... »
Ma mère m'a dit : « Eh oui! Il faut demander au mari, c'est normal... »
Je lui ai dit : « Bon, d'accord, maintenant, toi, tu es veuve... et si tu veux aller voir ta fille qui est à Paris, comment tu vas faire? Il te faut l'autorisation de ton fils... »
Elle m'a répondu : « Moi! Comment ça ! l'autorisation de mon fils ! mais c'est moi qui l'ai mis au monde, c'est moi qui l'ai marié et maintenant je lui pouponne ses enfants et il faut que je lui demande l'autorisation ! C'est le monde à l'envers ! »

Certes, il serait absurde de considérer ces réactions comme significatives des réactions de la société algérienne ; il suffit pour s'en convaincre de lire quelques-unes des lettres de lecteurs publiées à l'occasion du débat sur le texte dans El Moudjahid. Mais ces réactions sont néanmoins révélatrices des sentiments de toute une fraction de cette société qui se refuse - comme le soulignait Mme Zhor Ounissi11, future secrétaire d'Etat aux Affaires sociales " à parler de l'Islam à chaque fois qu'on parle de la femme." 12

Donc, dès cette décision connue, femmes cadres, travailleuses des ministères, des sociétés nationales, enseignantes et femmes du collectif se mobilisent.

Tout de suite la question qui se pose est celle du cadre de la mobilisation pour unifier une action des femmes.

Si les femmes du collectif de l'Université ne croyaient pas que l'UNFA puisse avoir une quelconque capacité d'opposition au sein du régime, d'autres femmes, femmes cadres, femmes travailleuses, inquiètes des rumeurs concernant le code se rendent à l'UNFA et sont reçues par la secrétaire générale. Celle-ci qui leur garantit "que le texte ne passera pas... qu'il n'y avait rien à craindre... qu'il passerait de toute façon dans les organisations de masse13... que l'UNFA restait mobilisée sur ces questions... S'il y avait un risque - nous a-t-elle dit - est-ce que j'irais à la Mecque ? Elle a fait semblant... nous avons fait semblant de la croire". (Un membre de la délégation).

Le dimanche suivant, le communiqué officiel est publié dans la presse, annoncé à la radio, à la télévision... Pour l'immense majorité des femmes ce fut une révélation et une très grande inquiétude. " Ils veulent faire passer ce texte à la sauvette" disait-on.

Quant à ce texte, à part quelques rares copies qui circulaient dans des milieux très restreints et dont personne n’avait aucune garantie qu'il fût le « bon»14, il était inconnu de toutes.

Les arguments de ceux qui refusaient que les femmes prennent en main ce problème étaient : « Mais qu'est-ce que vous racontez ! Pourquoi protestez-vous contre quelque chose que vous ne connaissez pas ? »
Ce à quoi les femmes répondaient : "Effectivement, on ne le connaît pas... Mais quel que soit ce texte, même si c'est le texte le plus révolutionnaire qui soit, du fait qu'il nous a été caché, qu'on n'en a pas eu connaissance, on n'en veut pas".
Certains leur rétorquaient alors : "Ne vous inquiétez pas... Il a été voté par vos élus ! » ...
"Nos élus ! Mais il faut savoir comment on les a élus !"
répondaient d'autres femmes.

Ce n'est donc que lorsque le texte a commencé à être plus largement diffusé que l'on commençait à écouter plus attentivement les femmes.

La question de savoir pourquoi ces premières réunions ont-elle eu lieu au sein de l'U.N.F.A, alors même que jamais cette organisation de femmes n'avait exprimé publiquement ses réticences à l'égard des projets de code de la famille ? " On ne pouvait pas nier que c'était un lieu de parole extraordinaire pour les femmes, c'était une possibilité de réunir des assemblées générales de protestations et de profiter de moyens de mobilisation que nous n'avions pas... étant donné que nous étions quelques dizaines de bonnes femmes perdues dans la nature. Alors il y avait deux possibilités... soit l'UNFA se lançait dans la bagarre, soit elle ne le faisait pas et cela nous permettait de faire alors la preuve publiquement que l'organisation - dite des femmes - ne prenait pas en charge leurs problèmes et qu'alors c'était à nous chacune des femmes de se prendre en main".

À la première réunion, des femmes (de l'UNJA15, de I’UGTA, de l'UNFA mais aussi des non organisées) décident de faire des délégations pour obtenir de plus amples informations. À la seconde réunion, les militantes de comité de wilaya de l'UNI d'Alger16 où se tenaient les débats refusent de s'engager plus avant faute d'un accord du Secrétariat national.
Dès cette date, certaines femmes tirent la conclusion que clairement l'UNFA ne voulait rien faire.

Deux comités se mettent sur pied néanmoins, l'un pour rédiger une motion de protestation adressée aux autorités, l'autre pour préparer des délégations auprès de l'A.P.N et du FLN. Lorsque les femmes composant ces deux comités reviennent au comité de wilaya, une fin de non recevoir leur est transmise sous prétexte qu'il fallait consulter les kasmates17avant toute décision18, que de toute façon le secrétariat national n'était plus d'accord et qu'il n'était pas possible de valider un texte qui était fait par le sommet.
Une femme traduit: « Le Parti nous a foutues à la porte ». « Les filles ont été très déçues, elles sont parties en claquant la porte: c'était évident que c'était une mesure de diversion".

Elles décident néanmoins de continuer leurs initiatives : "On était prise par le temps, par les délais... On ne pouvait plus entrer dans les problèmes d'appareil."Et elles rédigent dans les locaux de l'UNFA d'où l’on n'avait pas pu - ou osé - les faire partir, un premier texte de protestation.  

L'UNFA de la wilaya d'Alger promet cependant qu'elle fera l'information dans ses sections et, selon plusieurs témoins, des femmes de l'UNFA en larmes sont venues expliquer aux femmes présentes qu'elles étaient coincées par leur organisation mais, qu'elles, elles ne devaient surtout pas abandonner la lutte.

Le samedi suivant, ces femmes arrivent à l'assemblée générale prévue pour faire adopter ce texte et le diffuser et se retrouvent avec les femmes des ‘organisations de masse’ : "On est arrivées avec notre texte, mais les divergences étaient telles qu'on n'a même pas pu le lire. L'UNFA a fait une opposition absolue sur ce genre d'action, elles ont répété : « Nous sommes au sein d'une organisation de masse... on a une hiérarchie... on est au sein d'un parti qui lui-même constitue une hiérarchie... il est hors de question qu'on se place hors de cette hiérarchie. Il faut agir dans les structures ». Il y a eu des protestations: « Mais comment ! C'est une assemblée générale autonome ! ».  « Non, non, non - rétorqua l'UNFA - ce n'est pas démocratique, parce que les femmes de la base ne sont pas là... il faut qu'on les convoque... il faut du temps... c'est long de convoquer les kasmas ».

«Ça c'est terminé en queue de poisson », raconte une participante. « Le texte a quand même été lu très rapidement à la fin et il était tard. Toutes les femmes sont parties les unes après les autres et on s'est retrouvées avec le texte. À la suite de ça, nous nous sommes réunies avec les filles du collectif pour décider d'un premier rassemblement, mais en dehors de l'UNFA, en dehors de l'UNFA, en dehors de tout, devant l'Assemblée populaire nationale pour le 28 octobre. »  

L’UNFA dans sa résistance à s'allier aux femmes non organisées qui voulaient lutter contre le code s'avère être donc clairement un organisme sans autonomie vis-à-vis du pouvoir. C'est donc sans elle, sinon contre elle, que les premières actions eurent lieu.
Le premier texte rédigé dans les locaux de l'UNFA est repris par les femmes du collectif; il appelait dorénavant à un rassemblement de femmes devant l'APN et demandait la signature cette pétition.

Texte de la pétition portée le 28 septembre 1981 devant l’APN

El Moudjahid du 21 septembre 1981 a annoncé l'approbation par le Conseil des ministres d'un texte intitulé: « Avant-projet de statut personnel ».
Ce texte a déjà été déposé sur le bureau de l'APN. Il doit être examiné et adopté dans les prochains jours. Dès son adoption, il aura donc force de loi.
Ce
« statut personnel» n'est en fait rien d'autre que la résurgence de l'avant-projet de code de la famille que les femmes combattent depuis des années. C'est grâce à leur lutte que ce texte n'a pu être soumis à l'APN en 1979.
Ce code de la famille, comme son nom l'indique, doit codifier les relations à l'intérieur de la cellule familiale et régir la vie quotidienne de chacun d'entre nous. Il pèsera sur la nature des relations sociales de tout un peuple. Il concerne donc l'ensemble de notre communauté nationale.
Quel que soit le contenu de ce texte, nous dénonçons le silence qui a entouré sa préparation et l'absence de toute consultation populaire.
Un projet élaboré à l'insu du peuple ne peut satisfaire qu'une minorité.
Nous ne pouvons accepter, nous n'acceptons pas que notre avenir soit décidé en dehors de nous.
Nous refusons que l'APN vote un texte en lequel le peuple ne peut se reconnaître puisqu'il a été exclu du processus de décision.
Nous exigeons que sur cette question, le peuple puisse décider librement et démocratiquement.  C'est pourquoi nous signons massivement cette pétition et appelons à la porter tous ensemble au siège de l'APN.

L'initiative donc de la rédaction de cette pétition et du rassemblement du 28 octobre a donc été faite complètement en dehors de toutes les organisations de masses, mais des membres de ces organisations ont individuellement signé ce texte.

De nombreuses personnes disaient : « C'est de la folie, c'est suicidaire... on ne peut pas sortir dans la rue... La répression est une réalité dans ce pays... ce n'est pas possible... ça ne sert à rien... » Mais les femmes qui avaient rédigé cette pétition répondaient : « Non, il n'y a pas de raison qu'on ne fasse pas quelque chose ! Si on a peur sans arrêt, on ne fera jamais rien.»

La pétition a eu en définitive beaucoup de succès... Ce texte est immédiatement polycopié avec les moyens du bord, recopié, repolycopié, distribué et envoyé dans différentes villes d'Algérie : Tizi-Ouzou, Oran, Annaba, Constantine, Bel Abbès puis en France19.
"Compte tenu des forces qui étaient mobilisées... pour la faire circuler... on était un très petit nombre... c'était très difficile et l’on n'avait qu'une semaine... pour le 28 octobre, on a récolté quand même à peu près 7 000 signatures et si on avait eu plus de temps ou aurait pu en avoir beaucoup plus. »

Peu après cette initiative, les femmes qui étaient en dehors du Collectif et qui étaient contre le principe d'un rassemblement dans la rue rédigent elles aussi une pétition qui ne rencontra qu'un faible succès. D'autres initiatives émanent aussi des travailleuses du plan, de la santé, etc.
On constate alors une multitude d'actions éclatées.

Le 28 octobre donc, le rassemblement prévu devant l’APN a lieu composé d'une centaine de femmes et de cinq hommes. Une délégation se dégage : « On est rentrées... d'abord on nous a demandé nos pièces d'identité... c'était les flics de la Fac qui étaient à l'APN pour nous recevoir... C'est drôle parce qu’ils croyaient que c'étaient les filles de la fac, alors que la fac était presque absente pendant tout le rassemblement - c'étaient des femmes travailleuses qui étaient là .
On est montées - et la personne qui nous a reçues… ça devait être un flic de l'APN... nous a dit qu'il ne pouvait pas décider lui-même d'une réunion de la délégation avec le président de l'APN puisque celui-ci était en train de préparer les législatives.
On est sorties sans rien, mais on a réussi à marcher en groupe jusqu'à la grande poste
20 en criant des slogans contre le code.
On s'est réunies alors dans la cour de l'hôtel Mustapha et on a décidé de revenir quinze jours tard, de continuer à faire signer la pétition et de revenir encore une fois devant le siège de l'APN puisque c’était là que ça se décidait. »

La pétition demandait donc très clairement le rejet pur et simple du texte et refusait le principe des amendements. "On ne débat même pas d'un texte pareil... on rejette le projet tout en bloc... parce que les débats au niveau national, on sait ce que c'est... il y a eu le débat sur la Charte nationale, le débat sur les problèmes de la jeunesse, le débat sur la culture... on n'a pas vu tellement les résultats... On sait très bien qu'après, le parti se réunit pour - à sa manière - rédiger des textes sont finalement absolument antidémocratiques. On ne voyait pas en plus l'intérêt d'un code qui régit spécialement la famille puisqu'il y a un code civil qu'il suffit d'amender".

El Moudjahid du lendemain, à la surprise des manifestantes, publie un article concernant la manifestation intitulé « Des femmes en colère» (30 octobre).
"On a dansé quand on a vu cet article... on s'attendait au black-out total, l'article était très mauvais21 mais il y a eu l'information, ce qui était très, très rare... ça n'existe pas ici."

À ce moment-là, au sein du Collectif est proposée l'idée d'«impliquer» les anciennes moudjahiddates22 « qui ont beaucoup d'autorité - officiellement - qui ont un passé historique et qui exercent des fonctions où elles peuvent toucher beaucoup d'autres femmes."

Certaines femmes vont donc contacter - à la sortie d'un procès - Myriem Benmihoub, avocate au barreau d'Alger qui venait de défendre les étudiants arrêtés suite aux événements de Kabylie. Celle-ci, chaleureusement, donne son accord pour participer à un mouvement de protestation, contacter d'autres femmes du barreau et agir avec elles mais « de manière assez prudente et organisée» (selon une des femmes de la délégation).

Le 16 novembre - deuxième rassemblement des femmes devant l'APN.

A cette manifestation - qui rassemblait le plus grand nombre de femmes; on en comptait environ trois cents - ont participé le collectif des avocates - autour de Myriem Benmihoub23 -, le collectif des femmes inorganisées, un certain nombre d'anciennes moudjahiddate et, semble-t-il aussi, l'UNJA (si ses militantes y aillent individuellement).

De plus, participaient aussi, outre Mme Benmihoub, Mme Bitat (Zohra Drif), femme du président de l'APN et Djamila Bouhired, figures de proue de la résistance des femmes pendant la guerre d'Algérie. La présence de ces « personnalités » a tout à la fois sécurisé les femmes présentes et donné une grande publicité à l'événement. La RTA24 qui avait cependant filmé tout le rassemblement n'en a cependant rien retransmis.

La lutte se poursuit: " Le 16 novembre, même chose que le 28 octobre, on se retrouve à 10 heures devant l'Assemblée et ça commence très mal. Les flics ont essayé d'effaroucher, d’intimider les femmes qui tentaient de se rassembler. Dès que les premières femmes s'approchaient, les flics arrivaient avec leurs appareils photos... nous intiment l'ordre de bouger... ce qu'on n'a pas fait."

Devant cette résistance, les policiers ramènent des voitures et interpellent quatre personnes, trois femmes et un homme qu’ils envoient au Commissariat central pour interrogatoire. Au début ça a été un peu l'affolement et puis très vite un rassemblement s'est reconstitué.

Une délégation porteuse d'environ 10 000 signatures25 a été reçue par deux vice-présidents de l'APN et par le président de la commission juridique chargé de l'étude du projet de statut personnel.

Compte-rendu de la délégation du rassemblement du 16 novembre

La délégation a d'abord exigé la libération immédiate des quatre personnes et les papiers de la déléguée d'Oran. Ce n'est qu'après avoir obtenu des assurances à ce sujet que la délégation a accepté de passer au point à l'ordre du jour.
La délégation a demandé que le projet ne soit pas voté par l'APN et soit soumis au débat public sur les bases suivantes :

- Alors que les femmes ont le droit de vote, ont débattu et voté des textes aussi importants que la charte nationale, la constitution et l'élection du président, le projet les rend mineures et passe sans leur avis ;
- Si les femmes ont pu discuter et voter pour des textes tels que la charte nationale et la constitution, il est évident qu'elles doivent débattre et discuter de ce projet appelé à codifier leur vie ;
- Il n'est pas possible d'engager l'avenir de millions de personnes dans les conditions prévalant actuellement à l'adoption du statut personnel.

D. Melaïka a fait un long discours dont on peut tirer pour l'essentiel ceci : cet avant-projet a été proposé par le gouvernement à l'APN où toutes les forces sociales sont représentées.
Belayat : Les projets tels que la charte nationale sont du ressort du FLN qui les propose au débat public car ils sont politiques. Alors que ce texte est un texte de loi ne faisant que régir les relations personnelles. Ce texte n'est pas politique mais technique.

- Quelles que soient les pétitions, les pressions, l'APN est souveraine ;
- L'initiative que vous avez prise, nous la considérons comme positive dans le sens de l'organisation mais on ne la considère pas comme une pression ;
- L'APN a toutes les prérogatives pour légiférer et imposer, elle est souveraine en dernière instance ;  
- Allez voir l'UNFA qui a participé à l'élaboration de cet avant-projet.

Metatla : Moi je parle de la procédure : arrivant du gouvernement à l'APN, un avant-projet n'a pas à être discuté. Il peut être discuté avant. Vous arrivez trop tard, il fallait le discuter lorsqu'il était au ministère de la Justice. L'essentiel pour nous est que ce texte ne soit pas en contradiction avec la constitution.

La délégation est intervenue à ce moment, en faisant remarquer :

- qu'il y a deux ans, on disait c'est trop tôt... il n'existe pas. De plus le projet au ministère de la Justice, personne n'en a entendu parler ;
- la constitution prévoit l'égalité de l'homme et de la femme ; or ce texte considère la femme comme dépendant en permanence d'un homme.

Metatla, questionné sur les raisons pour lesquelles ce projet n'a pas été porté à la connaissance du peuple répond: « C'est un projet de loi donc il n'a pas à être encore connu par le peuple.» Il déclare à la délégation qu'elle ne doit pas croire aux rumeurs.
La délégation : Nous n'écouterions pas les rumeurs si le projet avait été public.
Metatla : On ne peut pas vous le donner, ce projet est secret, seuls les membres de la commission ont le droit de le voir, même les autres députés n'y ont pas droit.
Belayat, pour conclure la discussion, déclare que « si on publiait ce texte maintenant, vu la mentalité de notre peuple, on arriverait au sang et peut-être aux armes ».
La délégation fait remarquer : «Vous acceptez alors de voter un texte qui peut mener à la guerre civile? »
Elle a conclu qu'elle constate et prend acte que les représentants de l'APN maintiennent que ce texte restera secret et sera voté sans l'avis du peuple.

***

À la sortie de l'APN les femmes se sont « dirigées vers le conseil national de l'UNFA qui se réunissait à la chambre de commerce d'Alger. À la tête du rassemblement il y avait Myriem Benmihoub, des tas d'avocates et des anciennes moudjahidate en masse. Au début on a refusé de les recevoir. Elles ont insisté, elles ont protesté en disant : « C'est un scandale, l'APN a reçu une délégation de vingt femmes et vous, organisation de femmes, vous ne voulez pas nous recevoir...» Alors Mme Djeghroud a dit: « D'accord, je reçois trois femmes... pas plus... pas question.» Les femmes ont rétorqué... "Jamais de la vie... l'APN en a reçu vingt... vous en recevrez vingt... on ne bouge pas." De guerre lasse, elle a dit : « D'accord, je reçois vingt femmes mais pas en réunion plénière...» Alors les femmes ont dit : « Si ! On ne veut pas discuter seules à seule avec vous... On veut discuter avec toutes les femmes qui sont ici présentes... »
Elle a alors répondu
: « Non... si c'est comme ça... ce n'est pas la peine... c'est hors de question » et elle est partie et elle a fermé la salle où se tenait le Conseil national26et a reçu les femmes en privé. »
Elle leur a alors proposé - dans la mesure où l’UNFA allait être représentée dans la commission de l'APN chargée des amendements - de proposer des amendements que l'UNFA se chargerait de transmettre.

C'est à ce moment-là que la tendance qui disait « rejet pur et simple du texte » est devenue minoritaire. Quant à la tendance majoritaire, elle regroupait alors des femmes inorganisées, des militantes de l'UNJA, de l'UNFA et des femmes du PAGS27 (qui revendiquaient « un débat réellement démocratique débouchant sur des amendements qui assurera à notre société le code progressiste dont elle a besoin pour sortir du sous-développement»), le collectif des avocats (où les femmes avocates étaient les plus actives), de nombreuses anciennes maquisardes, mais aussi des femmes travailleuses, des lycéennes, quelques étudiantes.

Toute une série d'initiatives (lettres, pétitions, courrier des lecteurs, motions) vont être dorénavant prises et surtout de nouveaux acteurs vont faire basculer les forces en présence.

On l'a vu, les premières initiatives ont été prises par des groupes de femmes farouchement contre le texte et qui ont osé se rassembler, faire signer des pétitions, descendre dans la rue et s'attaquer aux institutions en place28. Ces femmes ne voulaient pas entendre parler d'amendement au projet de code : elles le rejetaient en bloc, tant sur le fond qui ne leur paraissait pas négociable que sur la forme parce qu'il avait été décidé à leur place, sans même les considérer parties prenantes du débat.
Elles refusaient de même le principe d'un contre-texte, arguant que c'était reproduire - le pouvoir en moins - le même schéma que celui de l'ANP.
" On ne partait pas dans des débats fumeux du genre de ceux qu'on peut avoir en discutant de la condition de la femme... c'était tout de suite des propositions concrètes d'action. On disait : on part du préalable que notre condition, on ne l'accepte pas. À des degrés près, on vit toutes les mêmes problèmes, c'est dégueulasse... on ne va pas disserter là-dessus... Ce texte veut faire en sorte que cette condition-là soit légalisée... Il est hors de question de l'accepter... On se bat. Maintenant on discute de comment on se bat." 29 (Un membre du Collectif).

Ces femmes - porteuses d'un projet politique de gauche - étaient unies à de nombreuses autres femmes spontanément mobilisées contre ce code et pour qui l'idée de vivre en Algérie sous la férule d'un tel code leur paraissait insoutenable. Les intellectuelles, les étudiantes ont été peu représentées dans ce mouvement, l'essentiel des forces venait des femmes de 30/40 ans qui avaient déjà milité à l'Université à la fin des années soixante. Ces femmes n'avaient pas eu l'occasion en tant que femmes de porter leurs problèmes dans les différentes instances qui les avaient toujours subordonnées au préalable de la lutte des classes - comme au nationalisme - et qui refusaient, ici, d'être impliquées dans des actions politiques qu'elles ne maîtrisaient pas. "Nous sommes celles - dit l'une d'elles - qui ont aujourd'hui trente-cinq ans et qui sont le produit d'un imaginaire social qui a été façonné autour d'une idée de l'Algérie très élevée... Les traditions de lutte, politiques, dans les familles, s'inscrivaient dans notre enfance. Et elle poursuit : " Ça pose un gros problème, la faible participation des étudiantes ou des filles plus jeunes que nous... Il y a quelques années quand on mariait des filles de la fac à un mec installé, ça créait des conflits dans les familles, il fallait gueuler, il y avait des résistances, des filles foutaient le camp. Maintenant, souvent tu entends des filles qui d'elles-mêmes déguisent d'amour des mariages qui conviennent parfaitement aux stratégies matrimoniales de la famille. Je crois que les formes de l'enseignement - cette façon dont les filles ont évolué dans un monde unidimensionnel - avec moins d'ouverture, moins de tradition de lutte, avec un devenir tout tracé, celui de la promotion sociale - peut expliquer cela. De plus tout est fait dans l'idéologie dominante, dans le discours pour faire des filles scolarisées des mères et des épouses qualifiées, sur lesquelles l'Etat va se décharger de la faillite du système scolaire... et du système en général. Ce qui est sûr aussi c'est que nous ne sommes pas un exemple de réussite du point de vue de l'idéologie dominante... les femmes qui travaillent le font dans conditions très difficiles... c'est un déni de soi à limite. La seule chose qui nous justifie... C'est quoi ? Je n'en sais rien... Qu'est-ce qu'on a à proposer à ces filles-là ? On avait dit : on refusera le mariage organisé par les familles parce qu'on fera un autre type de mariage… nos grands copains, les militants d'il y a dix/quinze  sont devenus petit à petit des cadres... des types avec qui il a fallu opérer une rupture à un moment donné"…

Les femmes travailleuses donc furent la base des militantes contre le code de la famille, puis avec la radicalisation du mouvement, d'autres femmes entrèrent en action. D'abord, on l'a vu - quelques individualités – avocates et anciennes combattantes. Cette arrivée des anciennes combattantes correspondait d'une certaine manière au désir d'élargir la lutte et d'éviter son essoufflement. Et, s’il est possible que la participation de certaines se soit voulue de canalisation de cette lutte, nombre d’entre elles, nombre d’entre elle, par ailleurs, se sentaient concernées par la lutte que des femmes, plus jeunes qu'elles, avaient entreprise.30 Quoi qu'il en soit, c'est avec leur participation à la deuxième manifestation devant l'APN et plus encore après la manifestation devant la grande poste que l'équilibre interne au sein du mouvement a basculé en faveur des femmes qui étaient favorables au principe de l'amendement du code31.
Parallèlement, le débat devenait plus largement public32.

 Ces anciennes combattantes, anciennes prisonnières, anciennes condamnées à mort représentaient une légitimité historique indéniable - surtout en période de commémoration du vingtième anniversaire de l'indépendance de l'Algérie - et leur rentrée dans la lutte fut décisive pour le succès du mouvement. Mais, elles ne représentaient pas un groupe homogène, pas plus que les femmes travailleuses, pas plus que les femmes en général. Néanmoins la majorité d'entre elles se sont retrouvées sur des positions moins radicales que les femmes du collectif.

L'une d’elles - ancienne condamnée à mort - précise que « leur souci est de ne jamais planer dans les airs à la recherche d'un absolu qu'on ne peut pas atteindre... surtout quand on sait qu'on ne l'aura pas. Il est donc nécessaire de voir les choses comme elles sont, y compris par exemple qu'il existe des femmes qui sont pour la polygamie. »Elle estime d'autre part que " s'il y avait eu un référendum sur le texte: 95 % des hommes et disons 75 % des femmes auraient été pour le vote du code. »

Par ailleurs, certaines d'entre elles étaient avocates, ce qui leur conférait un poids très important au niveau de la discussion juridique du projet de loi, d'autres enfin étaient suffisamment proches du pouvoir pour que leur voix soient entendues de manière efficace.

Voici la perception qu'une femme du Collectif avait de leur participation à la lutte : "Les anciennes moudjahiddates ont sans doute un problème général par rapport au pouvoir... Elles ont été les compagnons de lutte de certains membres du pouvoir. Certaines nous racontaient comment elles ont mangé avec X en telle année... comment à Tunis, elles ont vu machin, etc., ce qui fait que la rupture est toujours délicate. Certaines qui rechignaient nous disaient : « non, ce n'est pas correct d'agir ainsi... il vaut mieux aller discuter avec eux... on a la possibilité d'être reçues…Travaillons aux amendements ». Quand elles ont des injures à l'égard du pouvoir, elles n'y mettent pas du tout le même contenu que le simple citoyen... C'est toujours teinté d'une sorte d'affectivité, soit qu'elles ont combattu à leurs côtés, soit qu'elles les connaissent personnellement. Ceci dit, je pense qu'elles sentaient bien que manifester - comme elles l'ont fait - c'était engager la lutte contre le pouvoir... Elles ont franchi un pas et que ça a dû leur poser des problèmes à un niveau personnel et d'une manière globale. Lorsqu'elles ont posé le mot d'ordre : «Non à la trahison des idéaux du 1er novembre », c'était clairement pour leur dire :  «Vous n'êtes plus les garants de ces idéaux. »

En tout état de cause, ces femmes incarnaient une légitimité historique, une légitimité de compétence, une légitimité politique33. Nombre d'entre elles d'ailleurs ont refusé de s'engager plus avant. Ainsi, par exemple, Mme Bitat, après la manifestation du 16 novembre a été contactée à trois reprises par certaines:  « A la troisième fois, elle nous a fait dire que ce n’était pas la peine qu'on revienne... l'embêter. Bon . Junqua34 a repris ça à sa manière dans le Monde, mais c’est archi-faux ce qu'il a écrit. C'est vrai qu'elles sont venues au rassemblement, mais elles n'ont absolument pas la paternité du mouvement. Après elles ont refusé de travailler parce qu'elles ont vu que ça allait trop loin, que ça dépassait ce qu'elles voulaient. »

Alors que les femmes-cadres - avocates, anciennes moudjahiddates - qui avaient été reçues à l'UNFA avaient déclaré que " dans leur majorité, elles avaient fait l'expérience de l'UNFA et qu'elles seraient prêtes à participer à un débat à ce sujet" et avaient donc renforcé le clan des femmes favorables aux amendements, les femmes du Collectif et celles qui étaient pour le rejet complet du texte se sont à nouveau réunies le 22 novembre. Elles ont appelé à un troisième rassemblement devant l'APN pour demander le rejet pur et simple du projet.

Entre temps, l'AG du 19 novembre avait définitivement clivé les deux groupes :
- celui favorable à l'élaboration d'amendements (UNFA/UNJA - FTEC, ordre des avocats d'Alger, commission de coordination du boulevard Amirouche)
- celui qui veut continuer la lutte contre le vote de ce texte et refuse le vote du texte par l'APN.

Le 14 décembre, un nouveau rassemblement a lieu d'environ quatre-vingts femmes. Mais l'APN était cernée par les policiers en uniforme et en civil au point qu'il était impossible de l'atteindre. Dès qu'un petit groupe de femmes se composait, il était refoulé, tronçonné, renvoyé... Deux personnes sont arrêtées, quelques femmes ont été molestées, bousculées puis physiquement protégées de la violence par cinq anciennes moudjahiddates qui étaient venues à la manifestation et qui s'étaient interposées entre elles et les policiers.
Aucun groupe de femmes suffisamment important auquel auraient pu se joindre les autres femmes n'arrive à se former.

Devant le constat d'impuissance et après avoir tenté de tourner autour de l'APN, les femmes réunies décident - sur le champ - une nouvelle manifestation contre le statut personnel pour le 23 décembre mais aussi contre l'intervention policière, atteinte à la libre expression des citoyens.
Par l'intermédiaire des anciennes combattantes qui étaient venues à cette manifestation, d'autres sont contactées pour préparer la manifestation prévue pour le 23 décembre devant la grande poste. Deux appels ont lieu, identiques dans le corps du texte mais aux en-têtes différenciés (l'un - le Collectif, l'autre les anciennes moudjahiddates) pour organiser la manifestation du 23 décembre.

Des banderoles sont préparées où l’on pouvait lire :

NON AU SILENCE, OUI A LA DÉMOCRATIE.
NON A LA TRAHISON DES IDÉAUX DU 1ER NOVEMBRE.
NON AUX TEXTES QUI TOURNENT LE DOS A LA CHARTE ET A LA CONSTITUTION.
PROJET DE STATUT PERSONNEL.. SILENCE TOTAL!  
LES ANCIENNES DÉTENUES, EX-CONDAMNÉES A MORT, MAQUISARDES : PARTIE PRENANTE DE L'ÉDIFICATION NATIONALE.
PAS DE SOCIALISME SANS LA PARTICIPATION DES FEMMES.
DROIT A L'INFORMATION POUR TOUS.
LE TRAVAIL, UN DROIT, UN DEVOIR POUR LA FEMME.35

Il apparaît cependant clairement que lors de cette manifestation les anciennes moudjahiddates avaient obtenu le contrôle du mouvement. L'une d'elles ne dit-elle pas ? : «  Il y avait des calicots proposés tellement imbéciles qu'heureusement nous les avons vus la veille... on les a corrigés... sinon on n'aurait pas manifesté. »

Cette manifestation d’environ deux cents femmes sur les marches de la grande poste a duré environ une heure : "On s'adressait à la population et non plus à l'APN puisque l'APN nous envoyait les flics... cette fois-ci nous prenions en charge l'information directe... active" analyse l'une des manifestantes.

Pendant une demi-heure, les femmes se sont opposées aux policiers qui voulaient prendre les banderoles; la plus défendue d'ailleurs d'après des témoins étant : «Non au silence, oui à la démocratie. »

Devant l'impossibilité de procéder à une dispersion de la place qui était noire de monde, on demande qu'un groupe de femmes explique ce qu'elles voulaient. Les policiers auraient alors dit : « Constituez une délégation ou on vous emmène. » Mais les anciennes détenues, membres de la délégation n'ont accepté de partir que lorsque la manifestation a été dispersée dans le calme; elles ont été garantes de la sécurité des manifestantes et les ont ainsi 'protégées'.
" On pensait qu'ils nous emmèneraient au FLN; en fait on s'est retrouvées au commissariat central. Arrivées là, on a dit qu'on voulait voir le commissaire pour demander un rendez-vous avec un responsable du parti ou avec le président de l'APN mais tous les gens qu'on voulait voir étaient au Club des Pins où se réunissait le comité central du FLN. À ce moment-là, on a dit : on n'a rien à faire ici alors on s'en va et le tout a duré dix à quinze minutes. »

Les hommes qui assistaient à la manifestation de la grande poste n'ont pas eu de réaction d'hostilité et, implicitement, vu les agressions que les femmes subissent constamment dans la rue, cela a été interprété comme étant de leur part une approbation. Une femme a même entendu une réflexion - admirative en un sens - qui disait (traduction française) : «Les femmes sont plus hommes que les hommes.» Plus politiquement, certains hommes disaient : «Bon sang, pourquoi est-ce qu'on ne fait pas comme les femmes 
Il est clair que dans certains courants de l'opinion publique ces manifestations ont créé un mouvement de sympathie. Certains disaient : " Ben alors ! Il y a le code sur la procédure pénale qui est passé et personne n'a rien dit... Il y a le code sur l'information qui est passé sans aucune protestation alors qu'on sait que tous les journalistes étaient contre... et mince !... ce sont les femmes qui les seules ont eu le courage de refuser... Pourquoi est-ce qu'on ne fait pas comme les femmes ?"  

***

Analyse par une militante de la portée de la manifestation du 23 décembre 1981

- Cette manifestation fut organisée et se déroula en dehors de toute organisation officielle de masse (UNFA, UGTA, UNJA) soulignant encore une fois, s'il en était besoin, l'impossibilité structurelle dans laquelle se trouvent ces organisations de prendre en charge les aspirations et la défense des catégories socio-professionnelles qu'elles sont censées représenter
- Elle constitua un dépassement objectif de la réaction juridico-institutionnelle que crée actuellement la discussion autour du projet de statut personnel, en matière de libération des femmes en Algérie et de préservation de leurs droits. La protestation et le refus qu'exprimèrent les femmes furent pour la première fois non pas adressés à une institution (APN, présidence etc.) mais proclamés publiquement.
- Elle permit également une rupture du monopole de l’information dont jouit l'Etat en Algérie en élaborant, grâce aux banderoles, une sorte de journal vivant, qui suscita questions, interrogations et commentaires dans le public.
- Elle réalisa une réappropriation d'un espace «public », la place de la grande poste, et sa transformation en espace social, c'est-à-dire en un lieu où s'exprime un besoin essentiel de liberté des femmes, et d'information des citoyens. EIle permit donc une remise en cause d'un rapport social d'exclusion, de marginalisation des citoyens, et encore plus des citoyennes.
- Elle réintroduit de façon spectaculaire les moudjahiddates dans la lutte actuelle pour la préservation des droits des femmes et pour leur libération. Elle instaure ainsi une continuité historique entre la lutte populaire d'hier pour l'indépendance nationale et la lutte présente des femmes lui conférant ainsi une légitimité historique.
- Le refus des moudjahiddates de céder aux intimidations psychologiques des policiers, constitue un exemple pour les Algériens et les Algériennes en lutte pour leurs droits.
- Enfin l'absence de responsables dans cette manifestation et le désarroi que cela suscite chez les policiers en civil révèlent l'identification de chaque manifestante au mouvement auquel elle participait et la prise en charge pleine et entière par chacune d'entre elles du combat en cours. Cela réduit d'autant les risques de manipulations politiciennes. Pour toutes ces raisons, la manifestation du 23 décembre 1981 a une valeur symbolique face à l'histoire : cela a été une façon de prendre date en disant « non » au mépris dans lequel on tient les Algériens et Algériennes chaque fois qu'il s'agit de décider de leur présent ou de leur avenir, quand on ne va pas jusqu'à falsifier leur passé.
- Cette valeur symbolique ne doit cependant pas nous abuser et nous dissimuler les limites non moins réelles de ce type d'action qui, faute d'un travail sérieux de mobilisation des femmes, notamment par la diffusion la plus large possible de l'information, risque de rester sans lendemain ou de déboucher sur une agitation stérile. Seule une mobilisation « sociale» permettra de dépasser le «tête-à-tête» classique avec l'interlocuteur privilégié des mouvements revendicatifs : l'Etat et ses diverses institutions, en l'occurrence l'APN. Cette mobilisation nous gardera de toute tentation politicienne (lutte de « clans », de « sectes» autour de strapontins et autres comités et commissions)
- Les contraintes et les difficultés auxquelles nous nous sommes heurtées doivent également nous faire prendre conscience que le combat pour la libération des femmes est indissociable de celui, plus vaste, pour les libertés démocratiques dont il est lui-même l'une des conditions, dans la mesure où il permet de remettre en cause l'un des rapports sociaux de domination et d'exclusion les plus fondamentaux que connaisse l'Algérie. Il doit contribuer à une réappropriation par le corps social de son propre devenir, à une remise en cause radicale des règles du jeu politique en Algérie. La femme algérienne doit cesser de regarder passer le train de l'histoire en ressassant ses rancœurs et ses regrets. Elle doit cesser de quémander, de solliciter, de protester contre des mesures iniques prises à son encontre. Elle doit s'affirmer, combattre, lutter, revendiquer ce qu'elle considère être son dû.
La liberté ne s'octroie pas, elle se conquiert par la lutte!
Alger, le 2 janvier 1982.

Après la manifestation du 23 décembre, une assemblée générale met sur pied un « Comité d'action issu des rassemblements » ouvert à tous ceux qui luttent contre le vote par l’APN de ce texte et décide d'une autre assemblée générale pour le 7 janvier pour « imposer notre refus, pour décider ensemble d'une action collective ».

Entre temps, le Barreau d'Alger avait élaboré un projet d'amendement qu'il avait déposé à l'APN36 et dont l'exposé des motifs se référait à la Charte nationale, à la Constitution et aux sources du droit musulman37.

Exposé des motifs du projet d’amendement déposé par le Barreau
Extraits

« ... La charte nationale et la constitution, soumises à l'approbation du peuple par référendum ont consacré les aspirations (des citoyens) à la liberté, à la justice sociale et à l'égalité dans l'exercice des droits et des obligations, la constitution, dans notre édifice juridique, étant le texte suprême auquel les autres doivent se conformer. Après vingt ans d'attente, notre pays a ressenti la nécessité d'élaborer un code de statut personnel ayant pour fondements tous les principes sus énoncés. Cette élaboration doit se faire à l'instar de toutes les autres lois qui, sans être en contradiction ou non conformes avec les principes et l'esprit de l'Islam, ont consacré la propriété collective des moyens de production (...) la révolution agraire, l'interdiction de l'exploitation de l'homme par l'homme, sur la base que l'Islam est une religion de PROGRÈS évoluant à travers l'histoire et s'adaptant aux données de chaque époque...
Nous sommes convaincus que, si les sources du droit musulman ont permis à la société d'Islam de trouver les solutions adéquates aux problèmes posés à travers les étapes historiques, par le moyen de l'ldjtihad, une des sources importantes du droit musulman, nous arriverons également à résoudre par la même voie de l'interprétation, les difficultés de notre temps... »

Les anciennes moudjahiddates, réunies en conférence-débat le 21 janvier au boulevard Amirouche, s'inquiétant de ce  que le projet de statut semblait maintenu dans sa forme inéquitable et rétrograde « expriment une fois de plus leur mécontentement et décident de recourir à M. le président de la République, secrétaire général du parti, en sa qualité de garant du respect de la constitution.»

***

Lettre adressée au Président Chadli

Monsieur le Président

Après une conférence publique organisée le 21 janvier 1982 par les anciennes moudjahiddates sur la participation de la femme à la lutte de libération et à l'édification nationale, et au terme du débat qui s'est instauré, les participantes et participants regroupant les différentes composantes de la population, devant la gravité de la situation et le tournant décisif que représenterait pour notre pays l'adoption d'un texte de loi qui serait en contradiction avec les textes antérieurs et avec l'orientation socialiste définie dans la charte nationale, nous avons l'honneur de vous adresser, en votre qualité de garant de la constitution, une requête pour réclamer la stricte application de la constitution et le rejet projet de statut personnel s'il n'est pas rigoureusement conforme aux articles 39, 41, 42 et 127 de la constitution qui stipulent que :
- Art. 39. Tous les citoyens sont égaux en droits et en devoirs. Toute discrimination fondée sur les préjugés de sexe, de race, ou de métier, est proscrite.
- Art. 41. L'Etat assure l'égalité de tous les citoyens en supprimant les obstacles d'ordre économique, social et culturel qui limitent en fait l'égalité entre les citoyens, entravent l'épanouissement de la personne humaine et empêchent la participation effective de tous les citoyens à l'organisation politique, économique, sociale et culturelle.
- Art. 42. Tous les droits politiques, économiques, sociaux et culturels de la femme algérienne sont garantis par la constitution.
- Art. 127. Dans le cadre de ses attributions, l'APN a pour mission fondamentale d'œuvrer à la défense et à la consolidation de la révolution socialiste. Elle s’inspire des principes de la charte nationale qu'elle met en application dans son action législative.

       Nous sommes persuadés que vous ne pouvez pas accepter que les députés qui siègent dans le cadre prévu par la constitution et pour légiférer en application des principes qu'elle définit puissent la violer de façon flagrante.
      Nous vous prions d'agréer, monsieur le président, l'assurance de notre profonde considération.
Les participants, soussignés.

Elles rappellent par ailleurs leurs exigences :
- monogamie;
- droit inconditionnel au travail ;
- partage égal du patrimoine commun;
- majorité de la femme au même âge que celle de l'homme
- mêmes conditions posées au divorce pour l'homme et pour la femme;
- protection plus efficace de l'enfant abandonné.

Et l'assemblée générale se termine ainsi : " L'unanimité s'est faite en outre sur la nécessité d’entendre et de renforcer la mobilisation, de multiplier les différentes formes d'actions, en particulier dans le cadre de la journée du 8 mars et de poursuivre la lutte jusqu’à ce que les droits des citoyennes soient effectivement garantis".

Les réunions du comité de coordination ont lieu tout au cours du mois de janvier.

Cependant, quatre jours après, alors que les femmes voyaient la fin de la session s'approcher et que certaines perdaient espoir38, le Conseil des ministres du 24 janvier 1982, sous la présidence du chef de l'Etat, annonce sa «décision de différer le projet de statut personnel afin de lui accorder tout le temps nécessaire de réflexion et de discussion », tandis qu'une « décision du président Chadli replaçait la question dans le cadre d’un dossier global de la famille39 ».

Comment expliquer ce retrait soudain ? Une des participantes répond : « Certains disent qu'on paraît prétentieuses, mais moi je dis que le facteur déterminant ça a été les actions des femmes - et ça j'en suis convaincue…Maintenant que ça avait créé des remous surtout avec la présence des moudjahiddates et que ça avait touché des sphères du pouvoir qui n'avaient pas intérêt à être trop bougées, que ça avait créé une déstabilisation au niveau de l'assemblée... c'est sûr, que ça a provoqué des effets en retour ».

Une seconde participante estime elle aussi que : « le gouvernement n'aurait jamais imaginé une telle réaction... tout le monde vit sur une telle peur d'être arrêté ou d'avoir des ennuis... qu'ils se sont dit :  «c'est rodé... on continue ». Et elle poursuit en disant, qu'à son avis, ce texte a été déposé par un groupe du gouvernement à l'insu des autres. À l'appui de cette thèse, elle précise avoir appris par la femme d’un membre du gouvernement que ce texte n'avait jamais été en Conseil des ministres et qu'il avait été déposé à l'APN à l'insu certains ministres.

Dernières interprétations suggérées : n'était-ce pas un préjudice volontairement porté à la tendance des Frères musulmans ou à l'inverse n'était-ce pas une tentative d'une des fractions du pouvoir de se les concilier ? Ou enfin, n'était-ce pas un moyen d'éluder l'étude sur le secteur privé qui se faisait en même temps et sur lequel très peu d'informations ont filtré ?

***

Comment conclure ?

Tandis que ce projet de code (sur lequel travaillent dorénavant trois commissions) escomptait sans vergogne légalement enterrer les femmes dans la seule sphère de la reproduction, celle-ci ont revendiqué un droit simple : le droit à la parole et à la décision sur sa propre vie et la subversion d'une telle exigence a laissé pantois les hommes du pouvoir.
On ne peut pas à la fois demander quotidiennement aux femmes de gérer les contradictions et de pallier aux échecs du régime et les humilier comme ce code l'a fait.
Aussi, sur la base d'une exigence démocratique - qui ressort fortement tout au long de cette lutte - les femmes ont ébranlé toutes les institutions en place:  ni l'UGTA, ni l'UNJA, ni l’APN, ni le gouvernement, ni a fortiori l'UNFA40 n'ont échappé aux secousses provoquées par les exigences des femmes. En ce sens, cette lutte a joué un rôle de révélation de mise à nu des mécanismes réels du fonctionnement du régime et du système Algérien.

Les résultats, donc, outre le fait essentiel que ce code a été retiré, sont positifs : la presse a été contrainte de traiter ouvertement de ces problèmes; le gouvernement a - au moins temporairement - cédé devant les manifestations ; on a parlé des femmes alors que jusqu'à présent elles étaient englobées dans un vocable masculin, tant dans les partis d'opposition qu'officiellement, et l'on sent chez les femmes une mobilisation, un réel désir de lutter - temporairement assoupi par la décision prise de retirer le texte.

Cependant le bilan est plus nuancé et de nombreuses femmes ont été bouleversées par les affrontements et les divisions entre femmes que ce mouvement a révélées. En janvier : « Il devenait difficile de maintenir le consensus et la commémoration du 8 mars 1982 a révélé ces difficultés : les anciennes moudjahiddates étaient divisées, l'UNJA ne voulait plus entendre parler des femmes non structurées... l'UGTA avait ses propres problèmes et... n'a pas fait grand-chose... l'UNFA, n'en parlons pas, refusait toute action en dehors du parti, restaient les femmes non structurées,  officiellement en tout cas, parce que certaines avaient un projet politique tandis que d'autres n'en avaient pas et venaient là parce que ce texte portait atteinte à l'intégrité des femmes ».

Pour l'observatrice - solidaire - que je suis, les étiquetages, les anathèmes, les exclusions font mal ; est-il possible de s'en garder ? Est-il possible de résister aux tentatives d'atomisation et de division du pouvoir politique ?

En guise de postface...

"En dépit des acquis de la femme algérienne et de la grande place qu'elle occupe, il n'en demeure pas moins qu'elle vit beaucoup de contradictions. Elle est encore prisonnière des traditions et des mentalités arriérées et il lui reste beaucoup à faire pour être l'égale de l'homme dans le domaine du travail".
El Moudjahid, 3 mai 1982.

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Notes de bas de page
1 Union générale des travailleurs algériens
2 Selon une participante, « il aurait pu y avoir plus de monde si l'UGTA nous avait donné la salle des Congrès. Ils nous ont enfermées dans une petite salle et des tas de gens sont restés dehors ».
3 Union nationale des femmes algériennes.
4 Direction générale de la sécurité militaire
5 Cf. notamment l'article 39 de la constitution algérienne : « Tous les citoyens sont égaux en droit et en devoir. Toute discrimination fondée sur les préjugés de sexe, de race ou de métier est proscrite. »
6 À cette époque, la répression à l'Université, suite à la journée du 19 mai, était très forte: « Des étudiants étaient emprisonnés, regroupement de plus de trois personnes dans les allées de la Faculté n’était pas possible, aucune salle n'était ouverte, aucune réunion permise... même les réunions pédagogiques étaient interdites. »
7 Mlle L. AM. (Constantine) - El Moudjahid, 13 janvier 1982
8 Ce texte - dans la forme présentée - comportait des fautes d'orthographe, des fautes de syntaxe, si ce n'est des contradictions d’un article à l'autre. Il a manifestement été rédigé et/ou traduit très rapidement, d'aucuns disent «bâclés ».
9 « Un député poussa le cynisme jusqu'à décrire à l'Assemblée la dimension de la baguette (20 cm) avec laquelle la femme doit être quotidiennement flagellée...» Statut personnel : "Les députés approfondissent la réflexion", El Moudjahid, 7 janvier 1982.
10 L'interventionnisme de l'Etat choquait aussi ceux des Musulmans qui considéraient que le Coran se suffit à lui-même en matière de droits personnels.
11 El Moudjahid, 7 janvier 1982.
12 Selon une lectrice d'El Moudjahid, cet amalgame est « un subterfuge dont se sert l'homme pour justifier son oppression. Le renvoi à Dieu devient un prétexte : « Oseriez-vous aller à l'encontre de Dieu? » et elle poursuit... «Jusqu'à quand, je vous le demande, faudra-t-il continuer à parler de faux problèmes et de liberté" arabo-musulmane ". Depuis quand ce mot a-t-il une race et une religion quelconque  ? C'est même l'un des rares mots justement qui abolira les préjugés de et de sexe. » Mlle L. AM. - El Moudjahid, 13 janvier 1982.
13 Termes officiels désignant toutes les organisations dépendant du FLN: anciens moudjahiddines, UGTA, UNFA, UNJA...
14 Alors qu'au début de la lutte des femmes, ce texte était secret, au fur et à mesure de l'avancement de la mobilisation, plusieurs exemplaires de contenus différents (jusqu'à cinq!) circulaient à Alger. Cette confusion a rendu plus difficiles les discussions en jetant le trouble dans les esprits et donc a contribué à accentuer les divisions. C'est pour cela que les femmes revendiquèrent - en vain - une publication officielle du texte.
15 Union nationale de la jeunesse algérienne
16 Selon un témoin, c'est à la demande même de la secrétaire nationale de l'UNFA que ces réunions - qui réunissaient aussi de femmes qui n'étaient pas membres de l'UNFA - ont été tenues à l'union de wilaya
17 Organisation locale
18 Une militante du collectif des femmes : « Cet argument nom paraissait très étonnant parce que les traditions antidémocratiques de l'UNFA sont connues en Algérie. »
19 Un exemple parmi d'autres : une motion appuyée de 700 signatures a été envoyée à l'APN par les femmes algériennes de Montpellier, le Journal de Montpellier, n° 111, 8 janvier 1982.
20 Environ quatre cents mètres.
21 Les journalistes n'ont par exemple jamais reproduit les termes de la pétition.
22 Anciennes combattantes
23 Un appel avait été lancé au sein même du conseil national de l'UNFA par les avocates qui y avaient présenté le code de la famille.
24 Radio télévision algérienne
25 « II y en avait tellement qu'on n'arrivait plus à les compter » (Une militante).
26 Alors même que des participantes du conseil souhaitaient écouter les femmes présentes.
27 Parti d'avant-garde socialiste.
28 « Bien que je ne sois pas d'accord avec le projet politique de certaines d'entre elles, je trouve que ce sont des filles admirables qui vont jusqu'au bout de ce qu'elles racontent. Franchement, elles ont bravé la répression; ce sont aussi des femmes mariées, qui ont des gosses, mais malgré cela, elles ne disent pas « notre sécurité avant tout ! » elles se donnent physiquement... ce sont des femmes qui se battent. » Une femme non-membre du collectif.
29 L'urgence du problème a contribué aussi à focaliser les interventions sur les méthodes d'action.
30 L'une d'entre elles précise : « Nous avons pris le train en marche pour qu'il n'y ait pas trop de dégât. »
31 Le débat sur les amendements ne se réduisait pas à une opposition - anciennes moudjahiddates / Collectif des femmes. En effet de nombreuses femmes espéraient que les amendements atténueraient un tant soit peu le texte.
32 Un courrier des lecteurs sur le statut personnel est notamment ouvert dans El Moudjahid surmonté du chapeau suivant : « Nos lecteurs peuvent remarquer que nous dissocions, dans leur courrier, ce qui relève de débat autour de questions d'actualité ou d'intérêt national et ce qui soulève des problèmes courants. L’option pour le socialisme est aussi une option pour la démocratie et la confrontation saine des idées. Les avis publiés n'engagent, certes, que leurs auteurs mais ils ne peuvent en aucun cas s'opposer aux choix politiques fondamentaux tels qu'ils découlent de la charte nationale. »
33 Selon une militante, « le poids qu'ont représenté les moudjahiddates dans le mouvement est un peu un constat d'échec dans la génération d'aujourd'hui ».
34 Correspondant permanent du Monde à Alger.
35 Les banderoles ont toutes été saisies par la police.
36 Auparavant l'ordre des avocats avait envoyé deux télégraphes à l'APN pour protester contre ce texte et la façon dont il avait déposé à l'Assemblée.
37 Très peu de propositions faites par les avocats ont – semble-t-il - été retenues par la commission de l'APN.
38 « Pour nous c'était acquis... l'APN allait adopter le projet dans sa forme... on connaît trop bien comment les projets sont discutés au niveau de l'Assemblée... Ils avaient dit" amen" et à part deux ou trois phrases de changées, c'est le statut qui passait » (une femme du collectif).
39 El Moudjahid, 25 janvier 1982 : « Statut personnel. Le projet de loi est différé. Le temps de la réflexion. Importante décision du président de la République. »
40 Le titre d'El Moudjahid lors du Ve Congrès de l'UNFA tenu après ces événements (12-13 mars 1982) était : «Oui, l'UNFA peut être crédible. »

À ce congrès, le président Chadli fit l'analyse suivante du mouvement :  "Sans vouloir viser une quelconque personne, il est regrettable que certaines aient ignoré les conditions objectives et que certaines sœurs aient marginalisé la question en la débattant dans la rue. Je ne pense pas que ce soit là une méthode saine. En toute franchise, je vous dirai que nous avons ouvert le débat en toute bonne foi. Au demeurant le lieu et la méthode de la discussion et du dialogue sont connus. Aucune place n'existe donc pour l'anarchie dans une société qui s'édifie et jette les jalons de son avenir. Nous œuvrons inlassablement pour pallier les insuffisances, les erreurs et parachever les réalisations dans une atmosphère et dans le cadre des institutions légales.

La tentative par certains d'exploiter des questions culturelles ou sociales à des fins politiques n'est qu'une opération dévoyée ; certaines idées exprimées pour défendre la femme algérienne, ainsi qu'on le prétend, n'expriment en rien les idées de la femme algérienne musulmane...

Notre démarche s'inspire de notre appartenance à la civilisation arabo-islamique et des principes de la révolution armée qui avait comme  objectif la libération de l'homme algérien ». El Moudjahid, 14 mars 1982


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