Dr Madeleine Pelletier

De la jalousie

L’Ouvrière
17/11/1923

date de publication : 17/11/1923
mise en ligne : 03/09/2006
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 «  Elle me trompait, je l’ai tuée », tel est le cliché qui reparaît journellement dans les « faits divers » des journaux.

D’ordinaire le jury trouve que le mari trompé avait raison de tuer sa femme infidèle puisqu’il l’acquitte. Et la masse qui lit les journaux pense comme le jury : la mentalité courante emprunte de la barbarie ancestrale ne se révolte pas à l’idée de faire payer de la vie un acte sexuel illicite.

Il arrive parfois que c’est la femme qui tue le mari adultère, mais le fait est plus rare.

La morale bourgeoise admet qu’un mari trompe sa femme, mais elle n’admet pas la réciproque ; d’après nos mœurs, la femme est encore considérée comme la propriété du mari.

Quelles transes endure la malheureuse, enceinte d’un amant alors que son mari est en voyage. Il va revenir, il verra, il la tuera. L’assassin  terrorisé par la crainte de la justice n’endure pas un supplice plus grand et cependant, qu’a fait la malheureuse, pas grand-chose, au fond.

Elle n’avait, dira t-on qu’à rester tranquille. Soit. Mais l’acte qu’elle a commis, son mari l’a commis aussi et nombre de fois. Pendant le voyage qui l’a séparé d’elle, il a peut-être fréquenté sexuellement dix femmes, cela ne l’empêche pas d’être considéré comme un honnête homme.

Dans tous les cas, il est monstrueux de donner à un individu, droit de vie et de mort sur un autre en raison de l’acte sexuel.

La société communiste, plus civilisée que la nôtre, remettra le sens génésique à sa véritable place, qui est loin d’être la première.

Le mariage et l’union libre seront établis sur le principe de l’égalité absolue entre les sexes ; il n’y aura plus, comme aujourd’hui, un homme propriétaire de sa femme et une femme propriétaire de son mari.

Les « trahisons », je trouve le mot bien gros pour une si petite chose, pourront donner lieu à des querelles ; mais les esprits enfin libérés ne songeront même pas à envisager qu’elles puissent être punies de mort.

La société bourgeoise basée sur la propriété en étend jusqu’aux personnes le principe néfaste. Lorsque la femme trompe son mari, elle blesse avant tout son orgueil, un orgueil de propriétaire. Il croit que sa compagne lui appartient jusque dans son corps : quelle iniquité !

Dans la société communiste, les hommes se dégageront davantage de l’animalité et l’amour sera dans une certaine mesure séparé de l’acte sexuel.

On s’unira avant tout pour des raisons morales. Pour qu’on se plaise en tant que caractères, en tant qu’intelligences, l’acte sexuel ne viendra qu’après ; comprises ainsi les unions seront plus harmonieuses et plus durables, elles pourront survivre à l’amour et donner encore du bonheur.

L’instinct de propriété sexuelle étant arraché, le mari admettra que sa femme puisse comme lui-même avoir des fantaisies passagères. Il ne demandera même pas à les connaître. Les cocus avec leurs cornes disparaîtront du théâtre comique et aussi de la vie.

La jalousie est un bas instinct ; elle confère à la sexualité la prépondérance, confinant par là à l’animalité.

Dans la société communiste, la primauté passera des sens au cerveau. C’est l’intelligence qui gouvernera l’homme comme l’homme gouverne la nature.


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