J. Hellé

Hominisme et licence des rues

La Fronde
07/09/1901

date de publication : 07/09/1901
mise en ligne : 03/09/2006
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Une femme suit un homme dans le but évident d’entrer avec lui en conversation prometteuse. Si des agents se trouvent sur le passage du couple, ils arrêtent la femme aussitôt : « C’est une racoleuse ». Le poste d’abord, puis St Lazare, et après ces deux étapes, les derniers degrés de l’échelle, l’enlisement jusqu’à la fin dans la misère et dans la honte. Il faut protéger les mœurs.

Un monsieur suit une dame…Spectacle ordinaire, quotidiennement multiplié.
Toute femme jeune et jolie - et même quand elle n’est pas jolie et qu’elle n’est plus jeune - est chaque jour exposée dans nos rues à cette sorte de filature.

La chose cette fois a lieu sous l’œil paternel et bienveillant de la police. C’est un homme qui racole, petit détail qui change absolument la valeur de l’acte.

Plaignez-vous, Madame ; des quolibets vous répondront. Eh quoi, ce monsieur s’attache à vos pas et vous n’êtes pas flattée de cette distinction ! Il vous tient des propos expressifs ? c’est qu’il a le caractère aimable et aventureux ! De quel droit empêcherait-on un homme de s’amuser ? Libre à vous de ne pas lui répondre, on ne saurait vous y forcer… Mais, c’est bien tout ce qu’on peut faire…

Voilà qui est entendu. Une femme « accompagne » un homme ; c’est une misérable, qui offense la morale publique. Heureusement, la loi a, pour elle, des sanctions redoutables. L’honneur des citoyens est vengé. - Mais si les rôles sont renversés, la scène devient au contraire édifiante.

Pourquoi ?
Il semble que les mesures de « protection » devraient au moins s’étendre également aux passants et aux passantes, ou qu’une liberté commune devrait être accordée aux « poursuivants » des deux sexes, englobant les racoleuses avec les racoleurs… Que les uns et les autres soient justiciables des mêmes peines ; ou bien alors qu’on les autorise indifféremment à exercer sans privilège leur industrie et leur commerce.

Il est assez singulier que la « vertu » masculine se soit accommodée si longtemps d’une « protection » aussi honorable et dont les dames étaient exclues…

Mais pour le reste, sévérité d’une part, indulgence ailleurs, ennuis diversement épargnés, - tout s’explique :

Ce sont les hommes qui ont fait les lois.


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